Le changement d'attributaire

Le changement d'attributaire

Bien évidemment, dans le cas présenté, le notaire aurait dû conseiller à ses clients d'attendre deux mois pour effectuer cette donation-partage transgénérationnelle (la signer à partir du 3 février 2022, quinzième anniversaire de la donation initiale, au lieu de décembre 2021). La donation réincorporée aurait ainsi eu plus de quinze ans.
Dès lors, la donation-partage transgénérationnelle aurait été soumise au droit de partage sur les valeurs réintégrées, soit : 13 750,00 € (275 000,00 + 275 000,00 = 550 000,00 € × 2,50 %).
Le coût de celle-ci aurait été de 13 750,00 €. L'économie directe réalisée aurait été cette fois de 52 638,00 €.
On comprend que le dispositif anti-abus (pour les réincorporations de moins de quinze ans) ne prive pas les donations-partages transgénérationnelles avec réincorporation de leur attrait fiscal.
Cette opération présente, en outre, l'avantage de transmettre aux petits-enfants lesdits biens au seul coût d'un droit de partage (2,50 %), car les biens ainsi transmis aux petits-enfants ne seront pas soumis aux droits de mutation à titre gratuit (si la donation a plus de quinze ans).

Présentation

Il est loisible au donateur de changer l'attributaire d'un bien à l'occasion d'une réincorporation d'une donation simple ou d'une donation-partage antérieure.
Ainsi, quand un bien immobilier avait été originairement donné en indivision entre trois enfants, le donateur pourra, à l'occasion de la réincorporation, l'attribuer en totalité à l'un des donataires initiaux, et attribuer aux deux autres des liquidités ou d'autres biens, voire même stipuler une soulte à la charge de l'enfant ayant reçu le bien. Il est rappelé que dans cette hypothèse, la réincorporation du bien détenu en indivision nécessite l'accord des enfants, donataires initiaux concernés.
Quand le support de la réintégration est une donation-partage transgénérationnelle, il est même permis de redistribuer à la seconde génération le patrimoine donné à la première génération, le tout sous l'autorité du donateur initial.
Deux configurations possibles au changement d'attributaire :
  • soit il y a une redistribution verticale ou intra-souche : le changement d'attributaire s'effectue à l'intérieur d'une souche. Dans ce cas, les biens incorporés par l'enfant pivot (génération intermédiaire) peuvent être attribués à ses propres enfants (ceux du donataire initial) ; Redistribution verticale ou intra-souche
  • soit il y a une redistribution oblique ou inter-souche : le changement d'attributaire s'opère en dehors de la souche. Dans ce cas, les biens peuvent être attribués aux frère et sœur du donataire initial ou aux enfants de ceux-ci (neveu et nièce du donataire initial). Redistribution oblique ou inter-souche
La donation-partage transgénérationnelle permet au donataire initial réincorporant (l'enfant pivot) de faire glisser dans le patrimoine de ses propres enfants, ou même de son collatéral privilégié, ou de ses enfants (neveu/nièce) les biens qu'il a précédemment reçus par donation et qui se trouvent actuellement dans son patrimoine sans avoir la qualité de donateur. Celui-ci n'entame ni son abattement en ligne directe au profit de ses enfants (donataires finaux), ni les premières tranches du tarif applicable.

Un régime fiscal attractif malgré le dispositif anti-abus

Un régime fiscal attractif malgré le dispositif anti-abus

– Mise en place d'un dispositif anti-abus. – Dans sa première version, l'article 776 A du Code général des impôts prévoyait que la donation-partage transgénérationnelle avec réincorporation de biens antérieurement donnés et sans donation de biens nouveaux était soumise au droit de partage. La quatrième loi de finances rectificative de 2010 a introduit un dispositif dit « anti-abus » (art. 19), applicable à toutes les donations consenties après le 15 décembre 2010, portant sur la redistribution de biens donnés aux termes de donation enregistrée depuis moins de six ans (quinze ans, aujourd'hui).
Depuis 2010, ces dernières opérations donnent ouverture aux droits de mutation à titre gratuit, en fonction du lien de parenté entre le donateur et le descendant alloti quand l'incorporation intervient dans les quinze ans de la donation ou donation-partage incorporée. Les droits éventuellement acquittés lors de la première donation (objet de la réincorporation) peuvent être déduits de ceux rendus exigibles par cette nouvelle mutation.

Article 776 A du Code général des impôts

L'article 776 A du Code général des impôts a été complété de la manière suivante :
« Le premier alinéa s'applique au bien réincorporé dans une donation-partage faite à des descendants de degrés différents conformément à une convention conclue en application de l'article 1078-7 du même code, y compris lorsque ce bien est réattribué à un descendant du premier donataire lors de la donation-partage. Cette opération est soumise au droit de partage.
Par exception au deuxième alinéa, lorsque le bien réincorporé a été transmis par l'ascendant donateur à son enfant par une donation intervenue moins de quinze ans avant la donation-partage et qu'il est réattribué à un descendant du donataire initial, les droits de mutation à titre gratuit sont dus en fonction du lien de parenté entre l'ascendant donateur et son petit-enfant alloti. Dans ce cas, les droits acquittés lors de la première donation à raison du bien réincorporé sont imputés sur les droits dus à raison du même bien lors de la donation-partage ».

Incorporation dans les quinze ans de la donation initiale

M. et Mme Moustache ont consenti à leurs deux seuls fils, Jean et Luc, des biens immobiliers en pleine propriété pour une valeur totale de 500 000,00 €.
Aux termes de cette donation-partage, Jean a reçu deux appartements évalués 250 000,00 €, et Luc une maison secondaire à la campagne évaluée 250 000,00 €.
Après avoir alloti leurs deux enfants aux termes de cette donation-partage, Jean et ses parents, donateurs d'origine, souhaitent transmettre les deux appartements reçus par Jean dans la donation-partage initiale à Cloé et Charlotte, filles de Jean.
Aussi, une réincorporation peut leur être proposée. Jean sera amené à réincorporer à une donation-partage transgénérationnelle les deux appartements précédemment reçus.
Lors de cette deuxième opération (donation-partage transgénérationnelle avec incorporation par Jean), les droits de mutation à titre gratuit seront désormais dus entre grands-parents/petit-enfant si la donation incorporée a moins de quinze ans, et soumis au droit de partage si la donation incorporée a plus de quinze ans.
Si l'incorporation intervient dans les quinze ans de la donation initiale consentie à Jean et Luc :
M. et Mme Moustache verront la donation-partage transgénérationnelle au profit de leurs deux petites-filles, avec incorporation par Jean des deux appartements, être soumise aux droits de mutation à titre gratuit.
Les deux appartements sont désormais évalués à 280 000,00 €.
Dans la partie de l'acte relative à la fiscalité, il sera écrit :
Biens nouvellement donnés : 0,00 €
Biens réincorporés donnés (2 appartements) : 280 000,00 €
Masse taxable : 280 000,00 €
Masse taxable par donataire (petite-fille) : 140 000,00 €
Abattement légal : 31 865,00 €
Reste taxable : 108 135,00 €
Coût fiscal : 19 821,00 €
Coût pour les deux petites-filles : 39 642,00 €
De cette somme, doivent être déduits les droits payés lors de la première donation (non calculés dans le présent exemple).
En soumettant aux droits de mutation à titre gratuit les réincorporations de moins de quinze ans, le nouveau régime fiscal de l'article 776 A du Code général des impôts semble moins attractif que dans sa première version selon laquelle la même opération aurait coûté seulement 7 000,00 € (droit de partage : 280 000,00 × 2,50 %), quand désormais elle coûte 39 642,00 €.
– Champ d'application du régime fiscal des réincorporations. – Il faut noter que l'article 776 A du Code général des impôts, tout en faisant référence à l'article 1078-7 du Code civil, limite le champ d'application du régime fiscal aux seules redistributions « à un descendant du premier donataire lors de la donation-partage », c'est-à-dire aux redistributions intra-souche (V. supra, nos et ).
Or l'article 1078-7 du Code civil, auquel le texte fiscal fait référence, est bien plus large que la seule réattribution au sein d'une même souche. Comme il a été évoqué précédemment, sur le plan civil, la redistribution peut également se réaliser inter-souche.
L'instruction du 20 février 2012 confirme la rédaction de l'article 776 A du Code général des impôts, et ce champ d'application restreint aux seules redistributions intra-souche.
Mais elle n'apporte malheureusement pas de précisions quant aux modalités de taxation d'une redistribution inter-souche.
Il faut, dès lors, envisager qu'une telle redistribution inter-souche serait soumise aux droits de mutation à titre gratuit entre le donateur (grand-parent) et le donataire final (petit-enfant) ; bien que cette redistribution ne bénéficie pas d'un droit de partage pour les réincorporations de plus de quinze ans, l'opération demeure soumise à une fiscalité intéressante puisqu'elle sera taxée selon le lien de parenté grands-parents/petit-enfant, au lieu d'oncle/tante à neveu/nièce.
Malgré un champ d'application limité aux seules redistributions intra-souche et la mise en place d'un dispositif anti-abus, nous verrons à l'aide d'un exemple que ce régime fiscal reste très intéressant.

Donation-partage transgénérationnelle intra-souche

Première simulation : réalisation d'une double donation-partage
• Première donation-partage (2 février 2007) :
M. Moustache (alors âgé de soixante-deux ans) a transmis à son fils Jean le 2 février 2007 deux studios à Paris, évalués à 400 000,00 €.
Cette donation aurait été taxée de la manière suivante :
Biens donnés : 400 000,00 €
Abattement personnel (en février 2007) : - 50 000,00 €
Reste taxable : 350 000,00 €
Droits dus : 68 300,00 €
Réduction de droits due à l'âge du donateur, à savoir 50 % : − 34 150,00 €
Droits acquittés : 34 150,00 €
M. Moustache a utilisé la totalité de l'abattement personnel au profit de son fils Jean.
Il est ici précisé que :
  • l'abattement global de 50 000,00 euros de l'article 775 ter du Code Général des Impôts (en vigueur en février 2007) n'est pas applicable, car il ne concernait que les successions.
  • la réduction de droits si le donataire a 3 enfants ou plus au jour de la donation de l'article 780 du Code Général des Impôts (en vigueur en février 2007), n'est pas applicable, car Jean n'a que deux filles.
Reproduction des articles 779, 777, 790, 775 ter et 780 du CGI (de février 2007)">Lien
• Seconde donation-partage (aujourd'hui, 2021) :
Aujourd'hui, Jean souhaite transmettre ces studios à ses filles (Cloé et Charlotte).
Les deux biens sont évalués à la somme 550 000,00 € (soit 275 000,00 € chaque studio).
Cette donation aurait été taxée de la manière suivante :
Biens donnés à chaque fille : 275 000,00 €
Abattement personnel : 100 000,00 €
Reste taxable (pour chaque fille) : 175 000,00 €
Droits dus : 33 194,00 €
Droits acquittés = 66 388,00 € pour les deux filles.
Seconde simulation : réalisation d'une donation-partage transgénérationnelle avec incorporation des biens donnés en 2002
Aujourd'hui (décembre 2021), il aurait pu être conseillé à M. Moustache et Jean de réincorporer les deux studios initialement donnés à Jean à la masse à partager.
M. Moustache, avec l'accord de son fils, aurait transmis les deux studios à ses petites-filles. Cloé aurait reçu le lot no 1 (composé du premier studio) et Charlotte le lot no 2 (composé du second studio).
Pour rappel, les deux biens sont évalués à la somme 550 000,00 € (soit 275 000,00 € chaque studio).
La donation réincorporée (celle du 2 février 2007) a été consentie et enregistrée depuis moins de quinze ans. Par application de l'article 776 A du Code général des impôts, la donation-partage transgénérationnelle réincorporant une donation antérieure de moins de quinze ans est soumise aux droits de mutation à titre gratuit entre le donateur et les descendants allotis, soit dans notre cas entre le grand-père et ses petites-filles.
Biens nouvellement donnés : 0,00 €
Biens réincorporés par Jean : 550 000,00 €
Biens donnés à chacune des petites-filles : 275 000,00 €
Abattement personnel (entre M. Moustache et ses petites-filles) : − 31 865,00 €
Reste taxable (pour chaque petite-fille) : 243 135,00 €
Droits dus : 46 821,00 €
Droits acquittés = 93 642,00 € pour les deux filles.
L'article 776 A du Code général des impôts permet de déduire des droits dus ceux acquittés lors de la première donation réincorporée (celle de 2007), à savoir : 34 150,00 €.
Montant effectivement dû pour la donation-partage transgénérationnelle aux deux petites-filles : 59 492,00 € (93 642,00 – 34 150,00).
1re option : 2e option :
Donation incorporée a moins de 15 ans
Coût fiscal de la 1re donation (de M. MOUSTACHE à Jean) 34 150,00 €34 150,00 €
Coût fiscal de la 2e donation 66 388,00 €59 492,00 €
Coût fiscal cumulé 100 538,00 € 93 642,00 €
On constate que malgré l'application du dispositif anti-abus, ayant pour effet de soumettre la donation-partage transgénérationnelle aux droits de mutation à titre gratuit (au lieu d'un simple droit de partage), la donation-partage transgénérationnelle avec réincorporation permet de réaliser (sans évoquer le coût de l'acte) au titre de la fiscalité une économie de 6 896,00 €.
En effet, si Jean avait transmis directement les studios à ses deux filles, la fiscalité aurait été de 66 388,00 € au lieu de 59 492,00 € avec la donation-partage transgénérationnelle.
En outre, ce gain fiscal est à compléter des nombreux avantages financiers de la donation-partage transgénérationnelle et des économies réalisées pour la génération intermédiaire :
  • permettre au donataire initial réincorporant (l'enfant pivot : Jean) de faire glisser dans le patrimoine de ses propres enfants (Cloé et Charlotte) les biens qu'il avait précédemment reçus par donation et qui se trouvent actuellement dans son patrimoine sans avoir la qualité de donateur.Ainsi, l'enfant pivot (Jean) n'entame ni son abattement en ligne directe au profit de ses enfants (donataires finaux), ni les premières tranches du tarif applicable. Alors que les biens sont passés de son patrimoine à celui de ses enfants, Jean conserve toute sa capacité à transmettre à ses deux filles d'autres biens en franchise d'impôt à concurrence de 200 000,00 € (au taux de 20 %, cela représente une économie indirecte de 38 194,00 €) ;
  • de plus, il n'est plus nécessaire de rappeler que les frais de cette transmission pourront être mis à la charge du donateur, M. Moustache, et ainsi générer une double économie pour Jean :
Les économies réalisées par l'enfant pivot ne sont pas négligeables, et il est important d'intégrer ces économies indirectes dans la réflexion avec le client, et ne surtout pas se limiter à la seule fiscalité immédiate de la donation-partage transgénérationnelle (qui pourrait dans d'autres situations s'avérer être moins intéressante : tout dépend, en réalité, du coût fiscal de la donation initiale).