La SAS, chronique d'une libéralisation réussie

La SAS, chronique d'une libéralisation réussie

Une loi, qui date déjà du 3 janvier 1994, a institué la SAS en modifiant la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. Codifiée depuis aux articles L. 227-1 et suivants du Code de commerce, la SAS est une forme sociale qui a connu une multitude de modifications depuis son institution. Il faut rappeler que cette structure avait été demandée au législateur par les grands groupes qui, à l'époque, ne disposaient pas d'outil adéquat pour former entre eux des co-entreprises, à la différence des régimes juridiques étrangers et notamment anglo-saxons (très coutumiers de la « JV » [joint-venture]).
Déjà à l'époque, l'utilisation d'une SARL se révélait problématique du fait de la bride statutaire et conventionnelle (les pactes d'associés étant monnaie courante dans les accords de co-entreprise) des dispositions d'ordre public, et l'obligation d'un gérant personne physique. En cela, la SAS « d'époque » ne pouvait être constituée que par plusieurs autres personnes morales, et devait être dotée d'un capital minimum important (les 1 500 000 F de l'époque seront plus parlants que leur traduction en euros).
Les lois du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, et du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, ont largement réformé les conditions d'accès à la SAS pour toute TPE/PME ou ETI française, en en faisant un espace infini de libertés (§ I), malgré des régimes fiscaux et sociaux assez contraints (§ II).

La SAS, un espace infini de libertés, terrain idéal d'expression pour l'ingénierie notariale

– Petite sœur des sociétés anonymes. – Dès l'alinéa 3 de l'article L. 227-1 du Code de commerce, la SAS se présente comme le proche parent de la société anonyme (SA) : « Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception de l'article L. 224-2, du second alinéa de l'article L. 225-14, des articles L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243, du I de l'article L. 233-8 et du troisième alinéa de l'article L. 236-6, sont applicables à la société par actions simplifiée ».
Ainsi, vingt articles du Code de commerce sont réservés aux SAS, par comparaison aux plus de deux cents pour les SA. Mais ces références, qui paraissent extrêmement nombreuses, ne doivent pas effrayer le praticien qui trouvera dans la SAS un terrain parfaitement adapté pour co-construire les fondations d'un projet d'entreprise « sur-mesure ».
– Une réduction très rapide du nombre minimal d'associés… – D'abord, et c'est un premier geste de libéralisation des SAS intervenu en 1999, la SAS peut avoir un associé unique, personne physique ou morale. L'état d'esprit initial de la co-entreprise n'aura donc finalement duré que cinq années. Cet associé peut être unique tant au moment de la création de la SAS qu'au cours de sa vie sociale ; l'article L. 227-4 du Code de commerce prenant même le soin d'écarter la dissolution judiciaire de l'article 1844-5 du Code civil en cas de réunion des actions en une seule main.
  • si elle ne réalise pas immédiatement un résultat positif au terme de son premier exercice social, ses capitaux propres deviendront négatifs. Or les sociétés commerciales à responsabilité limitée (notamment SARL / SA / SAS) sont astreintes à une procédure spécifique en cas de baisse de leurs capitaux propres en deçà de la moitié du montant de leur capital social.
  • Cette procédure a pour objectif d'informer les tiers (et notamment les créanciers actuels ou potentiels) de la situation financière de la société dont la mention du capital n'est plus du tout représentative de sa santé. L'information sera publiée dans un journal d'annonces légales et par mention sur son extrait d'immatriculation après dépôt au RCS.
  • Ainsi, la sous-capitalisation initiale de la société donnera une image délétère de celle-ci auprès des tiers, ce qui doit inciter les fondateurs à ne pas négliger de la doter d'apports suffisants ;
  • les fondateurs (mandataires sociaux comme associés) pourraient être rendus responsables de cette lacune de capitaux. L'absence de prise de mesure pour y pallier (telle que la convocation des associés à délibérer en vue d'organiser une augmentation du capital, ou tout autre mécanisme de renforcement du financement ou de la solidité financière) pourrait être assimilée pour les mandataires sociaux à une faute de gestion, à tout le moins au titre de l'obligation de moyens, qui leur sont toujours accessibles, et non de résultats, lesquels dépendent des associés.
Ces derniers pourraient quant à eux se voir rendus responsables de l'inconsistance de leurs apports pour assurer un fonctionnement normal de l'activité sociale sur le terrain des articles 1382 ou 1383 du Code civil. Il en résultera dans l'une ou l'autre des hypothèses que les créanciers sociaux disposeront d'une action à l'encontre du patrimoine personnel du mandataire social ou des associés fondateurs, rendant ainsi inopérant le bouclier de responsabilité que constitue la société choisie.
– … Ainsi que du capital minimal, non sans risques. – Depuis 2008, le capital social est librement fixé par les statuts… et comme nous le rappelions ci-dessus, la contrainte initiale était pourtant très forte. Il faut saluer cet assouplissement (applicable également pour les SARL) par rapport aux règles prévues pour la SA, puisque l'apport financier en capital constitue un véritable frein à la création de sociétés et, partant, à la création d'entreprise.
Cependant, et cela vaut aussi pour les SARL, nous noterons tout de même qu'il demeure inopportun de doter trop faiblement une société créée en capitaux initiaux.
Au-delà du manque de sérieux patent que présente, à l'extérieur, une société dont le capital serait d'un euro, ou d'une somme trop faible, celle-ci pourra également être confrontée à plusieurs problématiques :
– Un audit financier annuel aligné sur la SARL. – Depuis 2008 également, les SAS ne sont plus astreintes inconditionnellement à la nomination de commissaires aux comptes. Deux des trois seuils suivants sont désormais à remplir (lesquels seuils sont également désormais applicables aux SARL) : 4 millions d'euros de total de bilan, 8 millions d'euros de chiffre d'affaires, et cinquante salariés. Jusqu'en 2019, les SAS contrôlées par une personne morale, ou en contrôlant une autre, étaient de plein droit astreintes à la nomination d'un commissaire.
Depuis cette date, la désignation n'est obligatoire que si la société contrôlante dépasse les seuils avec l'ensemble de ses structures filiales. La société contrôlée doit atteindre elle-même les seuils pour être astreinte à cette obligation.
Même si les diligences opérées par les commissaires aux comptes sont parfaitement vertueuses pour la transparence des comptes (tant du point de vue des associés minoritaires que des tiers intéressés par la santé financière de l'entreprise), on verra dans cet assouplissement une lecture objective de la situation de la création d'entreprise, et de la nécessité d'ouvrir encore plus l'outil qu'est la SAS aux entrepreneurs, y compris de très petite taille.
– Une véritable boîte à outils pour les droits sociaux. – Sur le plan de l'émission de titres, la SAS dispose d'une palette quasi intégrale de possibilités, à l'exception de l'appel public à l'épargne. Elle pourra :
  • émettre tout type de titre financier (actions, actions de préférence sur le plan financier ou politique, bons de souscriptions d'actions, obligations – convertibles, remboursables, ou non –, etc.) ;
  • offrir ses titres à des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d'investisseurs ;
  • émettre des actions d'industrie (ce qui en fait une différence fondamentale, et hautement intéressante, avec la SA) aux associés qui mettraient à la disposition de la société leur travail ou leur influence, en plus de leur apport financier, ou sans pouvoir – ou vouloir – apporter de capitaux.Ces actions ne pourront cependant pas faire l'objet de transaction ou mutation particulière, mais disposeront du droit de vote et du droit aux bénéfices sociaux. Une rédaction minutieuse des statuts sera nécessaire pour encadrer très précisément les modalités de libération des apports (comment ? quand ?) et la vocation aux bénéfices attachée aux actions émises en contrepartie, qui peut être dérogatoire, si elle est expresse, à la règle de principe prévue au sein du Code civil ;
  • prévoir que les actions sont inaliénables pendant une durée de dix années au maximum, prévoir un agrément préalable aux cessions d'actions, prévoir une obligation de cession des actions d'un associé dans certaines conditions, prévoir l'exclusion d'une personne morale associée en cas de changement de contrôle de cette dernière, préciser les modalités de fixation du prix de cession des actions dans ces dernières hypothèses : en cela, il est parfaitement évident que ce bloc de dispositions a largement été inspiré des pratiques courantes des pactes d'associés, mais en y ajoutant une sanction unique, et peu atteignable au sein d'une convention extrastatutaire : la nullité des cessions effectuées en violation des clauses statutaires.
En fonction des objectifs, parfois divergents, des fondateurs, le rédacteur des statuts pourra donc utilement arbitrer le lieu de situation des clauses entre les statuts et le pacte d'associés, selon les considérations évoquées ci-dessus (confidentialité, stratification des droits et obligations des associés, modifications du pacte à l'unanimité ou dans des conditions plus originales), ainsi que des sanctions que ces derniers souhaiteront voir attachées à la violation de leurs accords.
– Des décisions collectives intégralement paramétrables. – La SAS se distingue particulièrement des autres types de société dans son fonctionnement par la mise en œuvre d'une véritable « démocratie actionnariale », puisque les statuts déterminent presque librement les décisions qui seront à prendre collectivement, ainsi que les formes et conditions de ces décisions collectives.
Ainsi sera ouverte la possibilité de confier au mandataire social une multitude de décisions qui auraient classiquement fait l'objet d'un vote des associés, ainsi que la possibilité d'adapter très précisément les conditions des décisions « laissées » à la collectivité des associés (en dissociant, ou non, en plusieurs catégories, les décisions selon des critères d'importance stratégique, de récurrence, etc.) en termes de droit de convocation, méthode de réunion, quorum et majorité.
– Une direction sur-mesure. – Enfin, les statuts de SAS vont pouvoir également librement déterminer les conditions dans lesquelles la société est dirigée. Pourront être institués tous types d'organe de gouvernance (comités, conseils, assemblées diverses et variées).
Le mandataire social pourra être une personne physique ou morale (ce qui en fait une différence fondamentale avec la SARL et permet les stratégies de rémunération évoquées plus haut), un groupe constitué desdites personnes, associées ou non. Seule sera obligatoire la désignation d'un président unique, et ce même si la direction est assurée de manière collégiale.
Cette obligation représente un inconvénient majeur de ce type de forme sociale, même s'il peut être atténué en s'adjoignant d'autres dirigeants (directeur général ou directeur général délégué) qui pourraient statutairement, à l'extrême, disposer strictement des mêmes pouvoirs de représentation de la société, vis-à-vis des tiers et/ou des associés. Un soin particulier devra également être porté au périmètre exact des missions de ces autres dirigeants, car l'article L. 227-7 du Code de commerce prévoit qu'ils endosseront la même responsabilité (par nature très étendue, notamment par suite d'une faute de gestion) que les membres du conseil d'administration ou du directoire des SA.

Une présidence à fragmenter

Nous proposons de permettre expressément une co-présidence au sein des SAS puisque le Code de commerce n'interdit pas la présidence collégiale et laisse le champ libre aux dispositions statutaires.
– La nécessité d'éviter un juridisme outrancier. – Cette synthèse « libérale » réalisée, force est de constater que la SAS est un outil sociétaire devenu, au fil de ses réformes successives, extrêmement contractuel. Ainsi, souscrire des actions d'une SAS devient aussi pour l'investisseur une opération à hauts risques, qui nécessitera une lecture extrêmement attentive des statuts et des éventuels pactes d'associés auxquels il sera tenu.
En cela, la liberté qui gouverne la SAS, laquelle a abouti à la rédaction de statuts et de pactes d'associés parfois d'une extrême complexité, ne doit pas déchoir en une défiance généralisée pour ce type de structure.
Sans souhaiter un niveau de réglementation plus élevé, qui nuirait inévitablement à l'objectif du législateur, le notariat pourrait, à l'instar de ce qui se pratique outre-Atlantique, proposer une pratique de place statutaire équilibrée, suffisamment souple pour préserver l'esprit de l'entreprise, tout en étant assez protectrice des intérêts des investisseurs et parties prenantes. C'est ce subtil équilibre, issu de son statut, que la profession notariale délivre à la population et promeut, chaque jour, dans tous les autres domaines.
En attendant, les statuts notariés de SAS pourraient d'ores et déjà tous se baser sur un plan de référence, lequel pourrait devenir communément admis et utilisé pour faciliter la lecture et l'analyse par tous. Cette trame est proposée par le présent rapport et annexée.

Une fiscalité dirigée, et un régime social malheureusement trop contenu

Sur les plans fiscal et social, les régimes auxquels la SAS est soumise sont également le fruit de son histoire. Co-entreprise réservée aux groupes de société lors de son institution, la SAS ne présente malheureusement que très peu d'options en la matière, et c'est aussi là un de ses principaux défauts sur lequel nous reviendrons ensuite.
– Le principe de l'impôt sur les sociétés, sans régime de famille. – Le principe de la SAS au niveau de la fiscalité sera celui de l'IS. En fonction de l'atteinte du chiffre d'affaires précisé ci-dessous, comme toutes les sociétés soumises à l'IS (SARL y compris), la SAS relèvera du régime simplifié ou normal :
  • 818 000,00 € pour les activités de vente de marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place, ou de fourniture de logement ;
  • ou 247 000,00 € pour les autres activités de prestations de services.
La principale différence entre ces deux régimes réside dans les obligations comptables à mettre en œuvre et la documentation fiscale à transmettre à l'administration en vue de l'établissement de l'impôt. Le régime simplifié étant par nature moins lourd administrativement, il impliquera parfois des coûts externes d'expertise comptable moins élevés.
Aux côtés du principe de soumission à l'IS, la SAS aura également la capacité d'opter temporairement pour le régime de translucidité dit startup, de manière complètement identique à celle ci-dessus exposée concernant la SARL.
– Au niveau social. – La SAS présente la particularité de pouvoir être dirigée par des personnes physiques ou morales. Bien entendu, ce choix va avoir pour conséquence un traitement différencié de la rémunération du dirigeant.
– S'il s'agit d'une personne physique. – Elle sera assimilée au régime général des salariés, de manière strictement identique au gérant minoritaire ou égalitaire traité plus haut dans le cadre des SARL. Ainsi, malgré des prestations sociales plus solides, le coût total de sa rémunération (charge « employeur » et charge « employé ») sera éminemment plus important que celui du gérant majoritaire de SARL (relevant de la SSI). Pour en avoir un bref aperçu :
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Tableau représentant la rémunération nette mensuelle et le total des charges en SARL, SAS et le pourcentage
Ce régime est donc pénalisant pour la SAS nouvellement créée, au sein de laquelle le dirigeant personne physique bénéficiera d'une rémunération. Il devient difficilement défendable que le surcoût important du régime général soit engagé dans l'intérêt de la société. Par ailleurs, le régime général n'est pas du tout modulable, couvre de manière globale et uniforme les risques, sans considération des besoins réels de ses bénéficiaires.
– S'il s'agit d'une personne morale. – La rémunération passera tout simplement par une facturation du mandat social. C'est à ce stade une différence fondamentale avec les SARL, qui permet de déployer des stratégies très efficaces de rémunération. La personne morale dirigeante encaissera les facturations liées à l'exercice du mandat social de la société, libre au dirigeant (et aux associés) de cette personne morale d'en choisir sa forme sociale et de décider la manière d'appréhender, ou pas, le fruit de ces facturations.