Au-delà, et même au-dessus des pratiques propres au droit des sociétés, le notaire pourra, tant en amont qu'en aval, intégrer des techniques civiles qu'il utilise depuis la création du notariat moderne lui-même (Sous-section I), jusqu'aux plus récentes (Sous-section II).
Des techniques civiles faîtières, pour une strate supplémentaire d'ingénierie
Des techniques civiles faîtières, pour une strate supplémentaire d'ingénierie
Démembrer sans routine, mais pas sans questions, les droits sociaux
– L'ingénierie «
since 1804
». – Technique notariale ô combien éprouvée, le démembrement de propriété deviendra un outil encore plus original dans les circonstances ici évoquées. Le démembrement de titres sociaux conférera aux porteurs de droits sociaux démembrés des droits politiques et financiers différenciés, au-delà de toute procédure purement sociétaire. Démembrer un droit social est alors logiquement possible dans tout type de société (notamment car le démembrement peut être subi dans le cadre d'un décès, le droit civil tiendra ici le droit commercial en l'état).
– Paramétrer les droits de vote statutairement
et
conventionnellement. – Les statuts envisagent relativement fréquemment les conséquences du démembrement sur les droits politiques attachés aux titres démembrés. Ils fixent une règle précise attribuant le droit de vote pour certaines décisions à l'usufruitier, ou au nu-propriétaire. Ces dispositions sont principalement guidées par deux textes, aux implications tout à fait différentes.
– Sur le plan civil, une heureuse et récente précision. – En premier lieu, l'article 1844 du Code civil prévoit que : « Si une part est grevée d'un usufruit, le nu-propriétaire et l'usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices, où il est réservé à l'usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l'usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l'usufruitier ». Il précise, par ailleurs, que les statuts peuvent déroger au principe de titularité des droits de vote du nu-propriétaire.
Une rédaction adéquate peut consister, sur cette question, à fixer une règle statutaire de principe qui conviendrait à la majorité des associés et des hypothèses. Envisageant prioritairement les démembrements par donation, le notaire aura souvent pour réflexe naturel, légitime et pertinent de maximiser le droit de vote de l'usufruitier (le donateur se réservant l'usufruit), pouvant aller jusqu'à la suppression totale du droit de vote du nu-propriétaire. Mais il ne faut pas pour autant éluder l'hypothèse d'un démembrement subi, par décès, lors duquel les capacités – ou les intérêts – de l'usufruitier (conjoint survivant) pourraient parfois nuire aux nus-propriétaires.
Aller plus loin dans l'ingénierie peut consister à ce que les associés fixent conventionnellement des règles dérogatoires au principe posé par les statuts. Cette convention d'attribution des droits de vote devra bien entendu être rendue opposable à la société.
Ouvrir cette possibilité n'est évidemment pas sans conséquences pour la tenue de la vie sociale, et il est nécessaire de les mesurer avant d'instaurer cette exception statutaire. Il peut devenir complexe et risqué de devoir gérer des droits de vote différenciés par de multiples « couples » usufruitiers/nus-propriétaires. Il en irait en outre de sa responsabilité si la société ne recueillait pas le bon vote lors des décisions collectives des associés, notamment si les différentes résolutions présentées lors d'une assemblée ne sont pas soumises au vote unique de l'usufruitier ou du nu-propriétaire.
– Sur le plan fiscal, une contrainte maîtrisable. – Le second texte essentiel qui réglementera la répartition des droits entre usufruitier et nu-propriétaire provient du Code général des impôts en son article 787 B (dit « pacte Dutreil »). Ce dernier permet aux associés qui souhaitent transmettre, directement ou via société interposée, une entreprise industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, de bénéficier d'une réduction de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit très importante (75 %), en contrepartie de différents engagements de conservation et de direction.
Le texte prévoit in fine que ces « dispositions (…) s'appliquent en cas de donation avec réserve d'usufruit à la condition que les droits de vote de l'usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l'affectation des bénéfices ». À défaut de ces règles fixées statutairement au moment de la transmission, celle-ci ne pourra pas bénéficier du régime fiscal de faveur.
L'objectif bien compris du législateur a été de contraindre à une réelle transmission du pouvoir décisionnel lors de la mutation des droits sociaux, pouvoir qui ne serait qu'illusoire si l'usufruitier donateur pouvait se réserver la totalité des droits de vote.
Deux pratiques adroites peuvent être mises en œuvre pour respecter le texte sans perturber outre mesure la gouvernance de la société transmise, par l'exercice de droits de vote de donataires, moins rompus à la gestion d'entreprise.
Tout d'abord, les statuts peuvent prévoir que le démembrement contraint par l'article 787 B du Code général des impôts ne s'applique qu'aux seules transmissions réalisées avec le bénéfice de ce texte. Cette disposition permettra aux autres démembrements, existants ou futurs, qui n'auraient ou ne pourraient pas bénéficier du régime de faveur, d'en rester aux règles de principe (ou conventionnelles) qui maximisent les droits de vote de l'usufruitier.
Ensuite, cette règle de répartition statutaire des droits de vote se conjuguera nécessairement avec l'exercice des pouvoirs statutaires du mandataire social. Ainsi, si le mandataire social dispose de larges pouvoirs, il n'aura à solliciter que marginalement une décision collective des associés.
– Des incertitudes encore présentes quant aux distributions. – Comme nous l'avons vu ci-dessus, la technique civile du démembrement peut être une source d'ingénierie importante lorsqu'elle est appliquée, de manière sécurisée, aux droits politiques attachés aux parts sociales. Une question latente se pose toutefois concernant les droits financiers. En effet, qui de l'usufruitier ou du nu-propriétaire peut prétendre à en être le bénéficiaire ? C'est en cette question que l'on va saisir toute la différence entre les institutions de droit civil et de droit des sociétés, le conflit qui peut les opposer, l'inadaptation de l'une à l'autre.
L'article 582 du Code civil, partie intégrante du « temple » de notre droit des biens, issu de la loi du 30 janvier 1804 et non modifié depuis, prévoit que « l'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit ». L'enjeu dans notre application aux droits sociaux sera alors de savoir précisément ce que ce droit social produit comme espèce de fruits.
Filer la métaphore fruitière tout au long de notre exposé eût sans doute été trop aisé, voire d'une triste banalité. Mais si l'on admet qu'un des fruits les plus importants produits par un droit social consiste en de l'argent, le renvoi aux dispositions de l'article 587 du Code civil – lequel traite au même titre… des grains et liqueurs – ne nous aidera guère à nous extraire de l'allégorie botanique : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».
Le juriste, et à plus forte raison le notaire ne disposeront pas… depuis 1804… de l'aide d'autres textes pour découvrir l'identité du consommateur végétal du titre social. Renaîtra ainsi le sourire ému de l'entrée fracassante de l'usufruit, traité sous l'angle notarial, au sein de la culture cinématographique française.
Nombreux seront les lecteurs qui imagineront Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus se déchirer pour déguster les fruits d'imaginaires droits sociaux. Jusqu'à intimer physiquement l'ordre à leur notaire de trouver, et expliciter de manière intelligible la règle de droit chimérique qui permettra à chacun d'entre eux d'être le seul à s'en rassasier.
Un droit social, représentatif d'une quote-part de capital, n'a, sauf exceptions, pas pour vocation de conférer à son détenteur un droit direct sur les actifs sociaux. C'est le principe même de la personnalité morale, distincte de celle de ses associés, conférant à la société un patrimoine propre, distinct de celui de ses associés. Cette affirmation est valable tout au long du tunnel de la vie sociale, jusqu'au bout de celui-ci. Cette issue est la décision de distribution aux associés, prélevée, par principe, sur un actif : la trésorerie sociale.
– Quand se pose la question de « l'origine des fonds ». – Mais cette distribution, si elle se matérialise par la remise d'argent, est plus complexe qu'il n'y paraît : il y a argent et argent.
Ces données intégrées, notre question initiale (« qui de l'usufruitier ou du nu-propriétaire peut prétendre à en être le bénéficiaire ? ») prend une tout autre dimension. Doit-on passer au-delà de la personnalité morale pour analyser la nature du fruit, l'origine de l'argent distribué aux porteurs de parts ? Ou respecter pleinement l'écran que constitue la personnalité morale, et considérer que tout ce qui peut être détaché d'un titre social n'est finalement qu'un fruit, quelle qu'en soit son origine ?
Une distribution prélevée sur les autres postes des capitaux propres fait surgir cette même question de légitimité :
- sur les distributions des différents postes de réserves qui ont pour origine un résultat antérieur « stocké », résultat qui pouvait lui-même être d'exploitation, financier ou exceptionnel ;
- sur les distributions prélevées sur les postes liés au capital social, ou assimilés.
La question provient de l'origine de celui-ci, origine qui peut être multiple : l'activité courante de la société, la cession d'actifs sociaux, la reprise d'apports précédemment réalisés par les associés. Au passif du bilan, la contrepartie de la distribution sera une diminution des capitaux propres de la société. Là encore, cette diminution peut être imputée sur des postes comptables multiples : le résultat de l'exercice, les différents postes de réserves ou assimilés, les postes liés aux apports des associés.
La distribution du résultat constitué d'un résultat d'exploitation ou financier est naturellement dirigée vers l'usufruitier, car il s'agit véritablement du fruit récolté de l'activitécourante de la société. Mais l'usufruitier bénéficie-t-il de la même légitimité à percevoir, totalement ou partiellement, une distribution d'un résultat exceptionnel ?
– Un duel jurisprudentiel dantesque. – À ce stade, ces deux conceptions s'opposent totalement. Et cette opposition se reflète parfaitement dans des arrêts récents de la Cour de cassation. Un conflit est presque naturellement apparu entre les chambres commerciale et civile.
La chambre commerciale, dans un premier temps, a considéré que dans le cas où était distribué un dividende par prélèvement sur les réserves, « le droit de jouissance de l'usufruitier de droits sociaux s'exerce (…) sous la forme d'un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d'usufruit ». Cette conception répond à la logique commercialiste intrinsèque à la chambre. En effet, il s'agit de la prééminence de la personnalité morale, qui aboutit à considérer que toutes les distributions ne sont que des fruits. À ce titre, ils seraient attribués en tout état de cause à l'usufruitier, certes, selon deux modalités différentes : sans entrave pour le résultat de l'exercice, et avec une dette de restitution s'il s'agit de réserves.
Cette chambre avait d'ailleurs rappelé le 5 octobre 2009 que les sommes qui font partie du bénéfice distribuable (à l'inverse d'une réduction du capital social par exemple, ou de la distribution d'une prime d'émission) participent de la nature des fruits.
La chambre civile, « répondant » un an plus tard, procède d'une analyse différente, purement civiliste, en énonçant que « si l'usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n'a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l'accroissement de l'actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire ». L'analyse de cette affirmation ne souffre aucun doute. Le bénéficiaire unique d'une distribution de réserves serait le nu-propriétaire.
Cet arrêt, pour tous les doutes exprimés ci-dessus quant à l'origine des réserves, la cause de leur distribution, le peu de finesse technique de ses conclusions, comme pour le conflit injustifié qu'il a fait naître, en reste encore à ce jour très critiquable.
– Mais un duel pouvant être arbitré par la convention. – Les règles ci-dessus évoquées sont issues des dispositions du Code civil. Elles ont vocation à s'appliquer de manière générale à l'ensemble des sociétés civiles ou commerciales. Une source notable d'ingénierie est de relever, comme l'arrêt de la chambre commerciale l'a fait, et d'exploiter le fait que ces dispositions s'appliquent « à défaut de convention contraire ».
Se garder de surinterpréter relèvera de l'attitude raisonnable propre à la profession notariale, puisqu'il faut rappeler qu'aucune disposition, civile, commerciale ou fiscale n'interdit ou ne limite la possibilité d'une dérogation conventionnelle, en dehors du résultat d'exploitation, seul à revêtir objectivement le caractère de fruit.
« À défaut de convention contraire » : ces cinq mots permettront, à l'instar des droits politiques développés ci-dessus, de déployer des stratégies illimitées pour diriger telle ou telle distribution vers l'usufruitier ou le nu-propriétaire. Il sera ainsi possible pour l'habile rédacteur de prévoir :
- des dispositions statutaires qui régenteraient très précisément le récipiendaire de la distribution, en fonction du poste comptable duquel elle serait prélevée, ou de la nature du résultat distribué ;
- une attribution des sommes : (i) en pleine propriété aux récipiendaires (partage selon une clé de répartition fixe ou évolutive), (ii) avec un maintien du démembrement (sur un compte courant d'associés, ou un compte bancaire, démembré), ou (iii) soumises à un quasi-usufruit (en prévoyant les éventuelles garanties à conférer, le degré d'information à donner aux nus-propriétaires, les pouvoirs de gestion du quasi-usufruitier, le calcul et l'indexation éventuelle de la créance de restitution, et la durée) ;
- tout en précisant que les porteurs de droits sociaux démembrés disposent de la liberté de fixer entre eux des règles différentes.
Il est vrai que l'arrêt de la chambre civile pourrait être de nature à jeter le doute sur la question, en raison de sa terminologie péremptoire et de l'absence de référence à la possibilité d'une dérogation conventionnelle.
– Sans négliger ses conséquences fiscales. – Comme rappelé ci-dessus, permettre cette « conquête de l'Ouest » conventionnelle ne sera pas sans difficulté de gestion pour la société distributrice. Elle se devra d'assumer la répartition des fonds, et en endosser la responsabilité. Au surplus, s'agissant d'enjeux financiers entre porteurs de droits sociaux démembrés, cette liberté aura pour frontière l'abus fiscal, exclusivement ou principalement, que la société elle-même ne pourra totalement ignorer…
L'administration est convenue dans sa doctrine qu'une convention puisse être régularisée. En l'occurrence, concernant les sociétés qui sont translucides sur le plan fiscal, cette convention doit être antérieure à la date de clôture de l'exercice social (ce qui répond à la logique puisque la fiscalité dans ce type de sociétés est déterminée en fonction des associés présents à la clôture de l'exercice).
En ce qui concerne les sociétés soumises à l'IS, c'est la date de la décision de distribution qu'il convient de retenir, ce qui laisse une souplesse supplémentaire aux associés puisquecette date est postérieure de quelques mois à la clôture de l'exercice social, d'une part, et qu'il reste possible d'affecter le résultat en réserves lors de l'assemblée générale ordinaire annuelle de la société avant de régulariser une convention, puis de distribuer ces réserves conformément à la convention, d'autre part.
Cette convention devra, naturellement, avoir date certaine pour être opposable à l'administration dans la « bonne » chronologie (acte sous signature privée enregistré, acte sous signature privée déposé au rang des minutes de l'office notarial, ou acte authentique).
– Sans négliger son opposabilité. – La convention devra également être opposable à la société, dans les conditions rappelées ci-dessus concernant les droits politiques, si les porteurs de droits sociaux démembrés souhaitent avoir la garantie que la distribution soit réalisée directement par la société conformément à leur volonté.
Elle peut aussi rester occulte vis-à-vis de la société.
Dans cette hypothèse, la société n'aura pas connaissance de la convention, et procédera au versement des fonds conformément aux dispositions statutaires.
Dans un second temps, les porteurs de droits sociaux démembrés procéderont ensuite, entre eux, à des mouvements financiers pour faire correspondre les versements à la convention. Cette seconde hypothèse permet de conserver la confidentialité des accords entre porteurs de droits sociaux démembrés, et ne complexifie pas la gestion des distributions pour la société distributrice.
Elle présente néanmoins l'inconvénient majeur de s'en remettre au bon vouloir des associés débiteurs pour respecter leur obligation de reversement, avec des difficultés évidentes de recouvrement et d'exécution s'ils tentent de s'en affranchir… ou ne disposent plus des sommes en question !
– Un retour nécessaire aux origines du démembrement. – Le démembrement de propriété des droits sociaux peut résulter de multiples sources différentes. L'identification précise de l'origine du démembrement va avoir un impact important sur les droits attachés aux droits sociaux démembrés.
Dans l'hypothèse où le démembrement résulte d'un fait subi, tel que le décès de l'associé, la répartition des droits politiques et financiers résultera par défaut des statuts sociaux. Si les porteurs de droits sociaux démembrés souhaitent y déroger, il faudra cumulativement remplir les deux conditions suivantes, qui ne sont pas toujours aisées : que les statuts permettent une dérogation conventionnelle s'il s'agit de droits politiques, et qu'une convention soit régularisée d'un commun accord entre chaque couple usufruitier/nu-propriétaire.
Dans l'hypothèse où le démembrement résulte d'un acte volontaire (mutation à titre onéreux ou gratuit d'un droit démembré), la convention de répartition des droits pourra résulter elle-même de cet acte. Il est d'ailleurs conseillé de l'y inclure, ou de la régulariser concomitamment par un document ad hoc, notamment dans l'hypothèse où cette répartition est une condition essentielle et déterminante du démembrement de propriété lui-même.
– L'ingénierie déployée grâce au croisement des modalités du démembrement avec sa nature intrinsèque. – Le démembrement conventionnel de la propriété pourra revêtir des modalités diverses : réserve d'usufruit viagère, temporaire, réversion d'usufruit, usufruit successif. Croiser ces modalités avec les paramètres d'exercice des droits financiers et des droits de vote, au sein des statuts sociaux ou d'une convention particulière, permettra au notaire de proposer une réponse parfaitement adaptée à chaque situation précise, et par exemple :
- prévoir un usufruit viager, mais avec des droits politiques réservés uniquement jusqu'à un « âge de raison » de chacun des nus-propriétaires ;
- constituer un usufruit temporaire, avec des droits financiers cantonnés à la distribution du résultat d'exploitation ;
- anticiper un usufruit successif au conjoint, mais avec des modalités d'exercice des droits politiques ou financiers minorés comparés à ceux exercés par le donateur.
Grever les droits sociaux d'un droit réel de jouissance spéciale, avec une parcimonie notariale
– Du libre exercice du droit de propriété. – Dans un arrêt du 31 octobre 2012, dit Maison de la Poésie, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu la possibilité pour le propriétaire d'un bien immobilier de créer librement, conventionnellement, un droit réel de jouissance spéciale (DRJS) sur celui-ci.
Rien ne semble interdire la création de ce droit conventionnel sui generis sur les droits sociaux d'une société. La différence fondamentale avec celui consacré par la jurisprudence réside dans le fait que, contrairement à son institution sur un bien immobilier, le DRJS créé sur des droits sociaux est tripartite. Il fait intervenir le constituant du DRJS, son bénéficiaire, et la société elle-même, personne morale émettrice.
Cette donnée est essentielle à la bonne compréhension par le lecteur, car l'intervention de la société implique l'application de règles civiles jurisprudentielles d'abord, de droit spécial des sociétés ensuite, et de règles contractuelles issues des statuts sociaux enfin. Cet empilement de trois strates de règles complexifie notoirement la création d'un DRJS sur des droits sociaux. À ce titre, la précision rédactionnelle ne souffrira aucune faiblesse.
Le DRJS de droits sociaux concernera classiquement les droits politiques ou les droits financiers, à l'instar de ce qui a été développé ci-dessus au titre du démembrement de propriété. La principale différence, comme sur tout autre actif, résultera du fait que le démembrement est issu d'une réglementation, ancienne et modernisée, qui définit clairement des limites à son exercice. Le DRJS n'est assis « que » sur une construction contractuelle, qui semble illimitée (et notamment quant à sa durée, dans la limite de la durée de la société), consolidée par une reconnaissance prétorienne.
– Le DRJS face au mécanisme sociétaire. – Confronter le DRJS aux droits sociaux n'est pas sans difficulté du fait de l'empilement de la triple strate de règles évoquée ci-dessus (droit des biens, droit des contrats, droit des sociétés). Si le respect des deux premières strates semble désormais bien possible, du fait des reconnaissances jurisprudentielles successives, la compatibilité avec le fonctionnement et les règles sociétaires semble bien plus délicate d'appréhension.
Sur le plan des règles d'abord, est-il nécessaire que les statuts sociaux permettent expressément l'instauration de DRJS grevant les droits sociaux émis par la société ? La question n'est pas neutre. Admettre le démembrement de propriété, comme nous l'avons vu ci-dessus, ne paraît pas poser de question dans la mesure où il s'agit d'une institution issue de la loi elle-même.
Le DRJS est dans une situation bien différente puisque, instauré par un mécanisme purement contractuel, il serait dès lors permis d'en limiter, voire d'en supprimer totalementl'accès aux associés. Il s'agira cependant de supprimer l'accès « officiel », c'est-à-dire visible par la société et ses associés. À l'instar des pactes d'associés, rien ne pourra empêcher des associés de mettre en place un dispositif occulte concernant les droits sociaux.
Et c'est la compatibilité fonctionnelle qui pose alors question. Celle-ci renvoie directement aux notions d'opposabilité et d'efficacité du DRJS. Si celui-ci n'est pas permis, s'il est limité ou interdit, les associés n'auront guère d'autre choix que de s'y conformer sur le plan des droits politiques.
En effet, si le titulaire du DRJS ne peut exercer librement son droit politique, l'existence même de son droit peut être remise en cause. À tout le moins il pourrait s'agir d'une convention de vote, mais qui serait d'une efficacité limitée puisqu'elle ne permettrait pas de faire annuler la décision sociale prise en contradiction avec le DRJS, et ne se résoudrait dès lors qu'en dommages-intérêts, ou par stipulation d'une clause pénale dont le recouvrement est incertain, en cas d'inexécution.
Sur le plan des droits financiers, la question peut se poser différemment, de la même manière que le démembrement, puisque même dans l'hypothèse où la société cantonnerait ou ignorerait le DRJS, leurs titulaires pourraient procéder aux répartitions financières directement entre eux, ou obtenir une exécution de leur engagement contractuel conforme à ce qu'il prévoit sur le plan financier (avec la question du recouvrement qui est tout aussi incertain si la société distribue des fonds à un associé, qui devrait les reverser ensuite au titulaire du DRJS).
Sur le plan de l'opposabilité, et comme nous l'aborderons similairement concernant les pactes d'associés, il est nécessaire que la société admette la constitution de DRJS sur ces droits sociaux, d'une part, et que le contrat entre constituant et bénéficiaire assure cette opposabilité, d'autre part. À défaut de rendre le DRJS opposable, son efficacité en sera lourdement grevée pour le bénéficiaire : la société ne le laissera pas exercer les droits politiques, ou elle n'en tiendra pas compte au stade du versement de sommes s'il concerne des droits financiers.
Enfin, admettre la constitution de DRJS sur les droits sociaux posera les mêmes problématiques sociales que celles évoquées ci-dessus au titre des conventions spécifiques entre associés porteurs de droits sociaux démembrés, et notamment la gestion de multiples conventions et la responsabilité prise dans leur exécution correcte.
– Une institution qui mérite sans doute d'être étrennée. – Les difficultés relevées ci-dessus, face aux multiples sources de paramétrages légalement encadrés des droits politiques et financiers abordés plus haut, plongeront le notaire et ses clients associés ou sociétés dans une certaine circonspection. La nature contractuelle du DRJS, consacrée par une reconnaissance essentiellement prétorienne, ne permet pas fondamentalement d'apporter la solidité et la durabilité coutumières à l'institution de droits particuliers d'une telle importance.
Sur un actif tangible, « vif », le droit pourra librement s'exercer, et être soutenu par une opposabilité assurée par une publicité séculaire. L'intervention de la tierce personne, la société, avec ses règles spécifiques, ses aléas juridiques fondamentaux encore bien présents, va complexifier significativement le conseil pour s'orienter vers cette solution.
D'autant que les règles statutaires, l'émission de droits sociaux à droits particuliers, le haut degré de liberté conventionnelle procuré par les pactes d'associés pourront d'ores et déjà apporter des solutions très précises et très sécurisées aux besoins exprimés, et cela sans forcer sur le « chausse-pied » !