L'obligation illimitée au passif social

L'obligation illimitée au passif social

- Le régime de l'obligation illimitée aux dettes sociales. - L'article 1857 du Code civil dispose qu'« à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ». Les associés d'une société civile sont responsables du passif social au-delà de leurs apports et de façon illimitée sur leurs biens personnels. Cette obligation n'est cependant pas solidaire et les associés peuvent opposer aux créanciers les bénéfices de discussion et de division.
D'une part, l'obligation à la dette des associés est subsidiaire. Un créancier social ne peut agir personnellement contre les associés que s'il a « préalablement et vainement poursuivi la personne morale » (C. civ., art. 1858). Cela suppose au minimum une mise en demeure de la société et une tentative d'exécution, notamment une saisie, demeurée infructueuse. La jurisprudence est globalement protectrice des intérêts des associés : un commandement de payer ne suffit pas , l'inscription d'une hypothèque ou un procès-verbal de recherches infructueuses non plus . Une sauvegarde ou un plan de redressement ne rend pas non plus nécessairement vaine la poursuite. Cependant, « dans le cas où la société est soumise à une procédure de liquidation judiciaire, la déclaration de la créance à la procédure dispense le créancier d'établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser ».
D'autre part, cette obligation à la dette est conjointe, proportionnelle à la part de chaque associé dans le capital social à la date de l'exigibilité de la dette sociale ou au jour de la cessation des paiements. Ainsi un créancier qui doit recouvrer une dette sociale à l'encontre des associés personnellement doit les poursuivre tous individuellement. Les créanciers sociaux ont donc intérêt à doubler la garantie légale d'un cautionnement contractuel.
- Le fondement de l'obligation aux dettes sociales. - L'engagement indéfini des associés d'une société civile demeure attaché à la qualité d'associé. Cet engagement imposé par la loi aux associés est, bien que proche par ses effets d'un cautionnement, d'une nature distincte. Elle résulte de la nature particulière des sociétés de personnes. Cependant, l'étude de la jurisprudence démontre une évolution du fondement et de la nature de cette obligation au passif social. La jurisprudence a admis qu'un associé puisse former tierce opposition au jugement qui avait fixé une créance dans une instance engagée contre une société civile avant l'ouverture de sa liquidation judiciaire mais alors que cette société était précisément représentée par un liquidateur judiciaire . Elle a même reconnu la faculté de former tierce opposition à l'associé d'une société civile in bonis . Selon une doctrine , cette jurisprudence accrédite l'idée que c'est la qualité de garant qui fonde la possibilité de mettre en ?uvre cette voie de recours, qui devrait lui être refusée si l'on ne prenait en compte que sa qualité d'associé.
Si cette analyse était validée, on devrait considérer que l'obligation au passif social n'est pas simplement un effet légal de la qualité d'associé. L'acquisition de la qualité d'associé, quel que soit le mode, emporte la souscription d'un engagement de garantie des dettes de la société considérée comme un tiers. Pour un mineur, cela signifierait que l'autorisation préalable du juge des tutelles soit obligatoire en toutes hypothèses d'acquisition de la qualité d'associé.
- Un risque aggravé pour le mineur. - Les hypothèses de mise en ?uvre de l'obligation au passif des associés en société civile sont multiples. La doctrine envisage habituellement la dette bancaire contractée pour financer un investissement immobilier, mais il en existe bien d'autres. Une société civile immobilière est amenée à construire, louer et vendre des biens immobiliers. Ces activités peuvent être génératrices d'obligations à l'égard d'un locataire (obligation de réaliser des travaux, de verser une indemnité d'éviction), à l'égard d'un acquéreur (obligation de livraison, obligation de garantie et d'éviction, voire une garantie décennale lorsque la société a la qualité de maître d'ouvrage). Ces activités immobilières génèrent par ailleurs quelques impôts et taxes et donc une responsabilité fiscale. Enfin, il peut arriver que le schéma d'organisation patrimoniale du chef d'entreprise ne se déroule pas tout à fait comme prévu. Il est courant de séparer le fonds de commerce, exploité dans une société commerciale, et les locaux professionnels détenus par une société civile immobilière et loués à la société commerciale. La procédure de liquidation judiciaire qui frappe la société commerciale peut être étendue à la société civile, notamment dans l'hypothèse d'une confusion de patrimoine. Ce risque n'est pas théorique et la jurisprudence récente l'a encore démontré .
Les activités d'une société civile, souvent présentée comme simplement patrimoniale, peuvent en réalité être source d'obligations à la charge de la société et indirectement de ses associés. L'entrée d'un associé mineur dans une société civile lui fait donc courir un risque aggravé de responsabilité de nature à entraîner sa ruine avant de prendre en main sa vie d'adulte.
- La limitation jurisprudentielle de la responsabilité du mineur. - Pour limiter les effets ravageurs de la responsabilité illimitée d'un associé à l'égard d'un mineur, la jurisprudence a posé quelques tempéraments.
Elle a d'abord sanctionné la fraude. La création d'une société civile ne saurait en effet être motivée par une volonté de contourner les règles de protection des mineurs, en particulier lorsqu'un emprunt est contracté. Le procédé révèle la fraude sanctionnée par la nullité de la société . Dans ce cas, la responsabilité du prêteur pourra être engagée s'il a participé au montage frauduleux et l'associé mineur pourrait ne pas répondre de la dette ainsi contractée par la société .
La jurisprudence a également limité la portée de l'emprunt bancaire contracté par une société civile à l'égard des associés mineurs . La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d'avoir retenu la responsabilité d'une banque ayant consenti un prêt à une société civile immobilière constituée avec des enfants mineurs sans s'être assurée que ces derniers, encourant un risque élevé de se retrouver personnellement débiteurs, avaient bénéficié de la protection qui leur était due en raison de leur état de minorité. C'est donc sur le terrain du devoir de conseil du banquier qu'est assurée la protection du débiteur. Cette obligation impose au banquier de vérifier la situation de l'emprunteur, notamment par la consultation des statuts et de l'extrait Kbis de la société. Il convient de préciser que la responsabilité du banquier n'est engagée qu'en raison des risques d'endettement pesant sur le mineur. Par conséquent, l'appréciation de la faute du banquier dépendra notamment du montant emprunté et de la proportion du capital détenu par le mineur.
- Les aménagements statutaires de la responsabilité de l'associé mineur. - La responsabilité indéfinie aux dettes sociales est attachée légalement à la qualité d'associé, mais les statuts peuvent aménager ses modalités.
Les statuts sociaux peuvent d'abord aménager le régime de l'obligation à la dette, c'est-à-dire les rapports des associés vis-à-vis des créanciers, en limitant ou supprimant la responsabilité d'un associé mineur. Les statuts peuvent contenir une clause stipulant que le gérant ne pourra conclure un acte qu'après avoir obtenu la renonciation du créancier à poursuivre un associé mineur. Cette limitation des pouvoirs du gérant est inopposable aux tiers et sa violation entraînera uniquement la mise en jeu de la responsabilité du gérant.
Les statuts sociaux peuvent également aménager le régime de la contribution à la dette, c'est-à-dire dans les rapports entre associés, en modulant le principe de la répartition des pertes proportionnellement à la participation au capital. La seule limite demeure la prohibition des pactes léonins. Une répartition des pertes non proportionnelle aux apports, voire une responsabilité limitée aux apports au bénéfice d'un associé mineur est donc envisageable. Cette clause a cependant une portée limitée aux relations entre associés et demeure inopposable aux créanciers qui pourront toujours poursuivre un associé mineur.
- La renonciation des créanciers à poursuivre un associé mineur. - Ces clauses statutaires destinées à limiter, voire supprimer la responsabilité de l'associé mineur sont totalement inefficaces car inopposables aux créanciers. On pourrait conclure qu'elles ont tout de même le mérite d'exister. On peut également supposer qu'elles induisent les administrateurs de l'associé mineur en erreur en leur faisant croire que le problème est résolu et leur enfant protégé. Il n'en est rien. La seule protection efficace du mineur consiste en la renonciation des créanciers à le poursuivre individuellement. Cette renonciation résulte de la négociation et dépend des conditions particulières de chaque affaire. Elle reste donc rare en pratique et elle ne peut concerner que les dettes contractuelles et prévisibles.
- Une évolution de la loi ? - La question de la responsabilité illimitée du mineur associé d'une société civile inquiète la doctrine et les praticiens depuis longtemps. Le 80e Congrès des notaires de France avait en son temps dénoncé les lacunes du droit des incapacités devant les dangers pesant sur l'associé d'une société civile . Trente-cinq ans plus tard, la question demeure entière. Avec un brin d'audace, un auteur a proposé de solutionner cette épineuse question par un remède drastique : déclarer l'associé mineur irresponsable des dettes sociales sur son patrimoine personnel . Cette proposition est intéressante et devrait être approfondie afin de faire évoluer la loi dans le sens de la protection de l'associé mineur.