- Plan. - Cette étape suppose que l'on s'intéresse à la nature du recours (§ I) et à la relation avec le médecin (§ II).
Le recours à un certificat médical
Le recours à un certificat médical
La nature du recours
- Un recours indispensable. - La détection d'éventuels troubles du discernement est affaire de clairvoyance, mais le diagnostic d'une véritable altération des facultés mentales est une question de compétence. C'est pourquoi le doute ressenti par le notaire doit être corroboré ou infirmé par un homme de l'art. À l'évidence, le doute en question doit être sérieux dans la mesure où, compte tenu des inconvénients susceptibles d'être engendrés par la demande d'avis médical, qui va indubitablement allonger les délais au point de constituer parfois un obstacle rédhibitoire à la signature de l'acte envisagé, le notaire n'a intérêt à y recourir que de manière sélective, au cas par cas, et avec prudence. Sous peine de perdre de vue l'obligation qui est la sienne de sécuriser son acte et accessoirement de voir éventuellement sa responsabilité professionnelle mise en cause, il ne doit cependant céder à aucune pression : ni celle de son client ou de ses proches, ni celle des autres parties à l'acte, ni même celle de ses confrères.
Il est souvent opposé qu'un avis médical ne constitue nullement une garantie contre une annulation de l'acte et, bien plus, que le certificat médical peut même être utilisé comme un élément indiquant que le notaire avait des doutes sur la capacité de son client, ce qui, à notre sens, est inaudible. C'est effectivement et précisément lorsque le notaire éprouve des doutes qu'il doit s'enquérir de l'avis d'un professionnel de santé. Face à la certitude de la sanité ou de l'insanité d'esprit, un tel avis est superflu. Il s'agit, serait-on tenté de dire, d'un mal nécessaire, car quelle autre solution préconiser en pareil cas ? Retirer, ou même restreindre la faculté pour les notaires en proie aux doutes de s'appuyer sur l'avis autorisé d'un médecin, c'est prendre le risque évident de favoriser le développement d'une pratique, qui consisterait pour eux à refuser systématiquement d'instrumenter en présence d'une situation de « zone grise », ce qui tendrait à consacrer une incapacité de fait généralisée inacceptable et stigmatisante pour certains de nos concitoyens, déjà malmenés par la vie et/ou ayant atteint un certain âge. Le débat n'a pas lieu d'être et le cheminement doit être clairement identifié qui consiste pour le notaire confronté à un doute sur l'existence d'une vulnérabilité liée à des troubles cognitifs à solliciter un certificat médical.
- Un recours conditionné. - L'obtention d'un certificat médical ne peut se concevoir qu'avec l'assentiment du client, ce qui doit inciter le notaire à faire preuve de pédagogie. Concrètement, il appartient à ce dernier d'informer au préalable le client des avantages mais aussi des inconvénients potentiels de cette démarche en des termes appropriés à ses facultés de compréhension
. Néanmoins, il faut en convenir, suggérer à un client, présumé capable, d'obtenir un certificat médical peut s'avérer embarrassant pour le notaire, à moins que le client ne soit conscient de ses difficultés. Dans ce cas, en effet, il peut souhaiter lui-même qu'un spécialiste procède à un examen formel de ses capacités afin de lever les doutes. Mais, le plus souvent, il est peu conscient de ses troubles, anxieux à l'idée que l'on évalue ses facultés, ou réticent à consulter un professionnel de santé. Le client, qui a placé sa confiance dans le notaire, risque alors d'être choqué par cette demande et de l'interpréter comme une remise en cause vexatoire, dérangeante, voire discriminante de ses capacités. C'est pourquoi le notaire doit prendre soin d'expliquer au client que cette démarche répond en réalité à un objectif de protection et que l'obtention du certificat constituera un moyen de preuve de sa capacité de discernement et renforcera la sécurité de l'acte. Face à un client particulièrement réticent, le notaire devra, toujours avec un maximum de tact et de délicatesse, mais aussi avec fermeté, lui expliquer qu'il s'agit d'un passage obligé en vue de passer l'acte souhaité, à défaut duquel il refusera d'instrumenter.
La relation avec le médecin
- Le choix du médecin. - Si le notaire estime nécessaire que son client rencontre un médecin, deux types d'avis peuvent être sollicités. Chacun d'eux présente des avantages et des inconvénients potentiels, étant ici précisé que dans les deux cas les frais seront à la charge du client.
La première solution consiste à demander au client de prendre rendez-vous avec son médecin traitant ou référent. Il peut s'agir de son médecin généraliste, du spécialiste (neurologue, gériatre, psychiatre) de la consultation mémoire où il est suivi, ou du médecin coordonnateur de la maison de retraite dans laquelle il réside. En général, ces professionnels connaissent non seulement l'état de santé général du client, mais aussi son environnement social et son contexte de vie. Ils pourront peut-être alerter le notaire si des éléments médicaux (maladie somatique, troubles psychiques, traitements médicamenteux) ou un événement récent (deuil, hospitalisation, changement de lieu de vie) sont susceptibles de réduire momentanément les capacités du client, ou de créer chez lui une vulnérabilité particulière à l'influence abusive.
La seconde solution consiste à demander au client de prendre rendez-vous avec un médecin habilité à établir des certificats médicaux circonstanciés dans le cadre des demandes de tutelle ou de curatelle, et dont le nom figure sur une liste établie par le procureur de la République et disponible au greffe du tribunal d'instance. Ces médecins sont davantage habitués à effectuer des expertises médico-légales. Ils ont normalement une certaine expérience du vocabulaire juridique. Et si le médecin choisi se trouve être neurologue, gériatre ou psychiatre, ce qui est bien évidemment souhaitable, il pourra indiquer au notaire si des troubles cognitifs sont présents et s'ils sont susceptibles d'avoir un impact sur l'aptitude du client à prendre la disposition qu'il envisage.
Au médecin traitant, considéré parfois, à tort ou à raison, comme trop proche des familles et trop impliqué auprès d'un patient qu'il suit souvent depuis plusieurs années, nous privilégions le recours à un médecin inscrit sur la liste des experts, insensible à d'éventuelles pressions familiales et dénué d'un affect trop prononcé à l'égard d'un patient qu'il ne connaît pas. L'examen requis par le notaire est essentiel et le diagnostic peut être délicat à révéler au patient : il s'agit de se positionner sur la capacité ou non de ce dernier à exercer ses droits, ce qui peut déboucher à bref délai, dans la négative, sur la mise en place d'un régime de protection organisé. C'est pourquoi, à notre sens, l'examen doit être pratiqué par des médecins dont le positionnement est clair et dont la compétence, la légitimité et l'objectivité ne souffrent d'aucune discussion. On rajoutera qu'en pratique, il est souvent difficile de savoir exactement qui est le médecin traitant ou référent de la personne : est-ce le médecin généraliste, ou le psychiatre, ou le neurologue ? Est-ce le médecin psychiatre qui le suit à titre personnel ou celui qu'il consulte en centre médico-psychologique ? Enfin, on le sait, les notaires rencontrent de réelles difficultés pour obtenir un avis pertinent et circonstancié de la part des médecins et le phénomène est davantage marqué encore s'agissant des médecins traitants, sûrement parce qu'ils sont moins confrontés dans leur pratique quotidienne et donc moins aguerris à ce type de demande spécifique.
Si, pour toutes ces raisons, le recours à un médecin agréé paraît s'imposer, il n'en reste pas moins que l'avis du médecin traitant ou référent demeure précieux. Dans les faits, l'examen clinique peut conduire le médecin expert à rechercher des antécédents personnels ou familiaux de la personne et donc à contacter le médecin traitant, voire les médecins qui ont eu à connaître de la personne, notamment à l'occasion d'une hospitalisation. Ces éclairages peuvent être essentiels pour apprécier la réalité d'un trouble cognitif et la capacité de la personne concernée à passer l'acte envisagé. Selon nous, de la faculté des deux médecins à travailler de concert dépendent, dans une très large mesure, non seulement l'exactitude du diagnostic, mais également la possibilité pour le notaire d'obtenir un avis concret et adapté dans un temps parfois très court que les décisions à caractère personnel requièrent très souvent.
- L'échange avec le médecin. - Comme ils n'ont pas de compétence particulière en matière d'appréciation des troubles cognitifs, les notaires doivent s'en remettre aux professionnels de santé. Mais ceux-ci n'ont pas tous été formés à évaluer la capacité d'une personne à effectuer un acte notarié. Pour que la nécessaire collaboration entre notaires et professionnels de santé soit efficace et respecte les obligations légales et déontologiques des deux professions, il convient donc d'en préciser les modalités.
Pour sa part, le notaire doit indiquer clairement les questions qu'il se pose et les informations dont il a besoin afin que le médecin comprenne bien la finalité de l'évaluation demandée. Concrètement, le premier doit expliquer au second, en évitant le jargon juridique, quel est l'objet de l'avis sollicité, lequel n'a pas vocation à s'intéresser, d'une manière générale, à l'état de santé de la personne, mais, plus précisément, à l'impact de ses problèmes de santé éventuels sur sa capacité à effectuer un acte donné. À notre sens, la raison d'être de l'évaluation doit donc être explicitée par écrit. Le soin avec lequel le notaire formule ses questions détermine l'utilité de l'évaluation. Le notaire doit cependant prendre garde à ne transmettre au médecin que les éléments strictement nécessaires à l'évaluation et devra obtenir le consentement exprès de son client pour communiquer ces éléments au médecin. Lorsque la situation est complexe, on pourrait également songer à ce que le notaire s'entretienne oralement avec le médecin, avant que celui-ci ne mette ses constatations par écrit.
De son côté, le médecin, pour que son rapport soit utile au notaire, doit s'astreindre à une rédaction tout à la fois précise et accessible pour le profane, c'est-à-dire sans descriptions cliniques et techniques incompréhensibles. Le rapport doit être complet, et surtout il doit apporter des éléments de réponse aux questions que se pose le notaire. Il doit être clair dans l'esprit du médecin que ce qui intéresse le notaire, ce n'est pas de connaître le diagnostic de son client ou l'état de ses fonctions cognitives en tant que telles, mais de savoir si ses problèmes de santé éventuels peuvent avoir un impact sur sa capacité à effectuer l'acte envisagé de manière éclairée, ou créer chez lui une vulnérabilité particulière à l'influence abusive.
Éléments à communiquer par le notaire au médecin
V. Fondation Médéric Alzheimer, Brochure préc., spéc. p. 19.
1. Éléments relatifs au contexte de la demande
2. Interrogations soulevées
- La fin de non-recevoir du médecin. - Le médecin sollicité doit obtenir le consentement exprès de la personne avant d'évaluer ses capacités et de communiquer ses constatations au notaire. Il n'en reste pas moins que les professionnels de santé sont - comme les notaires - soumis à des règles très strictes en matière de confidentialité. Le médecin saisi pourrait ainsi être tenté d'opposer une fin de non-recevoir à la demande du notaire, en faisant valoir que le certificat sollicité ne fait pas partie des certificats obligatoires et que, les informations demandées étant couvertes par le secret médical (C. santé publ., art. L. 1110-4), il ne lui appartient pas de les révéler, même si son patient y consent.
On sait que le secret dû par le médecin à son patient est général, absolu, et qu'il couvre tout ce qui est venu à sa connaissance dans l'exercice de sa profession. Il convient toutefois de retenir la finalité de l'obligation du médecin au secret professionnel. Si l'intérêt de la personne est en jeu, et qu'il s'agit d'assurer sa protection, le secret doit être levé. C'est ici faire référence au principe de légitimité, consacré en jurisprudence, selon lequel la révélation d'informations relevant du secret médical est admise lorsqu'elle procède d'un motif légitime
. Il s'agit, par ce biais, de permettre la coexistence de cette liberté fondamentale qu'est le droit au secret médical avec d'autres libertés ou droits légitimes qui ne sauraient être privés d'effets par le secret.
Le principe de légitimité est assorti d'une composante majeure qu'est la proportionnalité de la révélation à sa finalité. Le médecin peut dire ce qui est indispensable à l'intérêt légitime de celui qui lui fait la demande, mais rien au-delà. En la matière, le certificat médical qui est destiné au notaire n'est ni plus ni moins qu'un certificat d'aptitude à passer un acte déterminé, lequel ne nécessite pas de dévoiler l'intimité de la personne concernée. En ce sens, la révélation d'informations relevant du secret médical paraît ici parfaitement « calibrée » à sa finalité, a fortiori si l'on songe que le professionnel destinataire desdites informations est un officier public, lui-même soumis à un devoir de confidentialité.
En somme, il nous semble que le médecin ne saurait se retrancher derrière le secret médical pour refuser de fournir des éléments d'information au notaire.
À vrai dire, dans les faits, la question se pose rarement dans la mesure où le certificat n'est pas délivré directement au notaire, mais à la personne concernée, ce qui permet d'esquiver la problématique liée au secret médical. On sait, en effet, que ce dernier n'est pas opposable au patient lui-même, à l'égard duquel le médecin est tenu d'une obligation d'information, et à qui il peut ou doit délivrer des certificats médicaux dont l'intéressé a le libre usage.
Il n'en reste pas moins qu'en l'état, il convient de le rappeler, le notaire ne bénéficie d'aucun pouvoir de communication puisqu'il ne fait pas partie des personnes au profit desquelles le médecin est autorisé par la loi à s'abstraire de son obligation.