Le prédécès d'un enfant du couple : droit d'opposition de ses enfants ?

Le prédécès d'un enfant du couple : droit d'opposition de ses enfants ?

Que faire si, l'un des enfants du couple étant décédé, il a lui-même laissé des enfants ? Même si elle se présente, le plus souvent comme étant celle de la protection des intérêts du petit-enfant mineur placé sous l'administration légale de son parent survivant (ex-gendre ou ex-bru des époux), la question consiste, d'abord, à se demander si, de manière plus générale, il existe un droit d'opposition ouvert aux enfants de l'enfant décédé.
- L'enfant de l'enfant décédé a-t-il un droit d'opposition ? - La réforme du 23 mars 2019 manque ici l'occasion de résoudre une question qui se pose depuis l'entrée en vigueur de la précédente réforme, en 2007. Dans la rédaction issue de la loi du 23 juin 2006, les deuxième et cinquième alinéas de l'article 1397 du Code civil se lisaient ainsi :
« … les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. Chacun d'eux peut s'opposer à la modification dans le délai de trois mois. (…)
Lorsque l'un ou l'autre des époux a des enfants mineurs, l'acte notarié est obligatoirement soumis à l'homologation du tribunal du domicile des époux ».
Droit de critique pour les enfants majeurs, homologation si les enfants sont mineurs : le cas du petit-enfant, présomptif héritier de ses grands-parents par suite du décès de son auteur n'était pas plus évoqué alors qu'il ne l'est désormais. Fallait-il l'informer du projet s'il était majeur, informer son représentant ou solliciter homologation s'il était mineur ?
Privilégiant une lecture littérale, une partie de la doctrine considérait qu'il ne pouvait être concerné par l'arrangement matrimonial de ses grands-parents : « à s'en tenir à la lettre du texte, il n'y a pas lieu de procéder à l'information des petits-enfants » . Ni information ni homologation car, pouvait-on estimer : « Lorsque le législateur vise « l'intérêt de la famille », il vise, manifestement la famille fondée par le couple, c'est-à-dire la famille « nucléaire » des sociologues » . En sa seule présence, le changement aurait été totalement libre : « il résulte de la réforme du 23 juin 2006 que le principe de l'immutabilité du régime matrimonial est désormais révolu. La règle selon laquelle le changement est soumis à homologation en présence d'un enfant mineur est bien une exception à ce principe, exception qui doit être strictement interprétée » .
L'hésitation restait cependant permise. Selon la Chancellerie : « Bien que le texte ne le précise pas forcément et sous réserve de l'interprétation souveraine des juridictions, le recours à l'homologation paraît s'imposer en présence d'un petit-enfant mineur venant de son chef ou par représentation de son parent prédécédé » . La seule jurisprudence connue est contradictoire :
Le 16 avril 2009, la cour de Dijon décide que l'homologation est requise en présence de petits-enfants mineurs : « … par enfants au sens de l'article susvisé, il faut entendre tous les descendants mineurs des époux venant de leur propre chef ou par représentation d'un enfant majeur des époux prédécédé » .
Le 2 décembre 2010… l'homologation n'était plus requise ! La même cour approuve les premiers juges de ne pas soumettre le changement de régime à l'homologation judiciaire mais d'exiger que le représentant légal du mineur soit informé dans les mêmes conditions que les enfants majeurs .
Enfin, on pourrait comprendre un arrêt de la cour de Lyon comme excluant, très implicitement il est vrai, que les petits-enfants puissent s'opposer .
On comprend l'embarras des auteurs qui, même lorsqu'ils seraient enclins à tenir les petits-enfants pour étrangers à l'arrangement matrimonial de leurs grands-parents, se résignent à tenir compte de leur présence : « Si les petits-enfants d'un enfant prédécédé sont mineurs, il ne semble pas requis de soumettre le changement à l'homologation judiciaire. Toutefois, la Chancellerie paraît opiner, par prudence, en sens contraire et requérir, dans un tel cas, l'homologation. On conviendra que c'est, probablement, la voie la plus sage » . Cette même prudence est celle des Cridon qui tous recommandent, avec plus ou moins de conviction, de ne pas ignorer l'existence du petit-enfant lorsqu'il est le présomptif héritier de ses grands-parents qui changent de régime matrimonial. La solution retenue consiste à faire prévaloir l'esprit du texte : protéger non seulement les enfants du couple mais, plus largement, leurs présomptifs héritiers en ligne directe. Elle conduit, si un petit-enfant mineur se trouve parmi les présomptifs héritiers, à requérir l'homologation de l'acte.
- Incidences de la réforme. - Ce n'est, évidemment, qu'à la condition de reconnaître un droit d'opposition à l'enfant de l'enfant décédé qu'il faut se demander comment, désormais, devrait être protégé l'intérêt de ce petit-enfant s'il est mineur, placé sous l'administration légale de son parent survivant. Avant la réforme, la solution de prudence finalement retenue était de soumettre l'acte à homologation. Cette même prudence devrait désormais conduire : soit à permettre au représentant du petit-enfant mineur d'exercer en son nom le droit de critique, soit à le placer sous la protection du notaire rédacteur, qui pourrait exercer son devoir d'alerte également pour lui.
La première solution consisterait à reconduire celle retenue par la cour de Dijon en son arrêt du 2 décembre 2010. Elle présente l'inconvénient de confronter le projet des époux à la critique de leur ex-bru ou de leur ex-gendre … Peut-être est-ce pourquoi le consensus s'était plutôt dégagé, avant la réforme, pour le recours à l'homologation. Ce contrôle judiciaire est aujourd'hui supprimé, mais la protection des intérêts de l'enfant mineur est confiée à la vigilance du notaire rédacteur. La protection des petits-enfants mineurs pourrait être la même que celle que la loi nouvelle prévoit pour les enfants mineurs : le notaire pourrait alerter le juge d'un projet d'acte dont il estimerait qu'il menace gravement ses intérêts.