Les questions non résolues ou mal résolues

Les questions non résolues ou mal résolues

La loi nouvelle laisse sans réponse l'une des questions nées de la précédente réforme de l'article 1397 du Code civil (celle du 23 juin 2006) : lorsqu'un enfant du couple est décédé laissant lui-même des enfants, faut-il reconnaître un droit d'opposition aux petits-enfants ? Dans l'affirmative, comment faire s'ils sont mineurs ? (§ I).
L'autre difficulté s'apaisera avec le temps : que faire d'une convention établie avant le 25 mars 2019, soumise à l'homologation lorsqu'elle a été faite, mais non encore homologuée lors de l'entrée en vigueur de la réforme ? La réponse de la Chancellerie est celle qu'elle avait donnée lors de l'entrée en vigueur de la loi de 2006 ; elle suscite, en conséquence, les mêmes perplexités (§ II).

Le prédécès d'un enfant du couple : droit d'opposition de ses enfants ?

Que faire si, l'un des enfants du couple étant décédé, il a lui-même laissé des enfants ? Même si elle se présente, le plus souvent comme étant celle de la protection des intérêts du petit-enfant mineur placé sous l'administration légale de son parent survivant (ex-gendre ou ex-bru des époux), la question consiste, d'abord, à se demander si, de manière plus générale, il existe un droit d'opposition ouvert aux enfants de l'enfant décédé.
- L'enfant de l'enfant décédé a-t-il un droit d'opposition ? - La réforme du 23 mars 2019 manque ici l'occasion de résoudre une question qui se pose depuis l'entrée en vigueur de la précédente réforme, en 2007. Dans la rédaction issue de la loi du 23 juin 2006, les deuxième et cinquième alinéas de l'article 1397 du Code civil se lisaient ainsi :
« … les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. Chacun d'eux peut s'opposer à la modification dans le délai de trois mois. (…)
Lorsque l'un ou l'autre des époux a des enfants mineurs, l'acte notarié est obligatoirement soumis à l'homologation du tribunal du domicile des époux ».
Droit de critique pour les enfants majeurs, homologation si les enfants sont mineurs : le cas du petit-enfant, présomptif héritier de ses grands-parents par suite du décès de son auteur n'était pas plus évoqué alors qu'il ne l'est désormais. Fallait-il l'informer du projet s'il était majeur, informer son représentant ou solliciter homologation s'il était mineur ?
Privilégiant une lecture littérale, une partie de la doctrine considérait qu'il ne pouvait être concerné par l'arrangement matrimonial de ses grands-parents : « à s'en tenir à la lettre du texte, il n'y a pas lieu de procéder à l'information des petits-enfants » . Ni information ni homologation car, pouvait-on estimer : « Lorsque le législateur vise « l'intérêt de la famille », il vise, manifestement la famille fondée par le couple, c'est-à-dire la famille « nucléaire » des sociologues » . En sa seule présence, le changement aurait été totalement libre : « il résulte de la réforme du 23 juin 2006 que le principe de l'immutabilité du régime matrimonial est désormais révolu. La règle selon laquelle le changement est soumis à homologation en présence d'un enfant mineur est bien une exception à ce principe, exception qui doit être strictement interprétée » .
L'hésitation restait cependant permise. Selon la Chancellerie : « Bien que le texte ne le précise pas forcément et sous réserve de l'interprétation souveraine des juridictions, le recours à l'homologation paraît s'imposer en présence d'un petit-enfant mineur venant de son chef ou par représentation de son parent prédécédé » . La seule jurisprudence connue est contradictoire :
Le 16 avril 2009, la cour de Dijon décide que l'homologation est requise en présence de petits-enfants mineurs : « … par enfants au sens de l'article susvisé, il faut entendre tous les descendants mineurs des époux venant de leur propre chef ou par représentation d'un enfant majeur des époux prédécédé » .
Le 2 décembre 2010… l'homologation n'était plus requise ! La même cour approuve les premiers juges de ne pas soumettre le changement de régime à l'homologation judiciaire mais d'exiger que le représentant légal du mineur soit informé dans les mêmes conditions que les enfants majeurs .
Enfin, on pourrait comprendre un arrêt de la cour de Lyon comme excluant, très implicitement il est vrai, que les petits-enfants puissent s'opposer .
On comprend l'embarras des auteurs qui, même lorsqu'ils seraient enclins à tenir les petits-enfants pour étrangers à l'arrangement matrimonial de leurs grands-parents, se résignent à tenir compte de leur présence : « Si les petits-enfants d'un enfant prédécédé sont mineurs, il ne semble pas requis de soumettre le changement à l'homologation judiciaire. Toutefois, la Chancellerie paraît opiner, par prudence, en sens contraire et requérir, dans un tel cas, l'homologation. On conviendra que c'est, probablement, la voie la plus sage » . Cette même prudence est celle des Cridon qui tous recommandent, avec plus ou moins de conviction, de ne pas ignorer l'existence du petit-enfant lorsqu'il est le présomptif héritier de ses grands-parents qui changent de régime matrimonial. La solution retenue consiste à faire prévaloir l'esprit du texte : protéger non seulement les enfants du couple mais, plus largement, leurs présomptifs héritiers en ligne directe. Elle conduit, si un petit-enfant mineur se trouve parmi les présomptifs héritiers, à requérir l'homologation de l'acte.
- Incidences de la réforme. - Ce n'est, évidemment, qu'à la condition de reconnaître un droit d'opposition à l'enfant de l'enfant décédé qu'il faut se demander comment, désormais, devrait être protégé l'intérêt de ce petit-enfant s'il est mineur, placé sous l'administration légale de son parent survivant. Avant la réforme, la solution de prudence finalement retenue était de soumettre l'acte à homologation. Cette même prudence devrait désormais conduire : soit à permettre au représentant du petit-enfant mineur d'exercer en son nom le droit de critique, soit à le placer sous la protection du notaire rédacteur, qui pourrait exercer son devoir d'alerte également pour lui.
La première solution consisterait à reconduire celle retenue par la cour de Dijon en son arrêt du 2 décembre 2010. Elle présente l'inconvénient de confronter le projet des époux à la critique de leur ex-bru ou de leur ex-gendre … Peut-être est-ce pourquoi le consensus s'était plutôt dégagé, avant la réforme, pour le recours à l'homologation. Ce contrôle judiciaire est aujourd'hui supprimé, mais la protection des intérêts de l'enfant mineur est confiée à la vigilance du notaire rédacteur. La protection des petits-enfants mineurs pourrait être la même que celle que la loi nouvelle prévoit pour les enfants mineurs : le notaire pourrait alerter le juge d'un projet d'acte dont il estimerait qu'il menace gravement ses intérêts.

Le changement de régime en présence d'enfant mineur signé avant le 25 mars 2019 et non encore homologué à cette date

À défaut de disposition transitoire et en application du droit commun (C. civ., art. 1er), les règles relatives au changement de régime matrimonial sont entrées en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel : soit le 25 mars 2019 . Tous les actes de changement de régime matrimonial régularisés après cette date sont soumis aux dispositions nouvelles. Que décider si la perfection d'un acte de changement de régime établi avant le 23 mars 2019 était subordonnée à son homologation parce qu'un enfant des époux (ou de l'un d'eux) était alors mineur, et s'il n'est pas encore homologué lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ?
- Position de la Chancellerie. - La question s'était posée dans les mêmes termes lorsque la réforme du 23 juin 2006 avait supprimé, à compter du 1er janvier 2007, l'exigence d'homologation systématique de la plupart des conventions portant changement de régime matrimonial. La Chancellerie reprend la réponse qu'elle avait alors donnée dans la circulaire de présentation de la réforme de 2019 :
« Ces dispositions sont d'application immédiate dès le lendemain de la publication de la loi. Aussi, à défaut de disposition transitoire spécifique, l'article 1397 dans sa nouvelle rédaction a vocation à s'appliquer aux changements de régime matrimonial en cours. Dès lors, le juge aux affaires familiales devra rendre une décision de non-lieu à homologation pour les demandes dont il est saisi au jour de l'entrée en vigueur de la loi » .
Peu d'auteurs ont commenté cette circulaire . Si l'un d'entre eux a constaté que la loi n'a pas réglé la question des demandes pendantes, il précise que la circulaire « apporte un éclairage bienvenu » .
- Critiques de la position de la Chancellerie. - On comprend l'urgence pratique d'une telle solution, on s'étonne, tout de même, des termes employés , et, comme en 2007, on doute de sa pertinence juridique. On ne peut l'admettre sans réserve qu'à condition de faire de l'exigence d'une homologation, ou de sa suppression, une simple règle de procédure . Il serait alors juste de considérer qu'elle s'applique immédiatement aux instances en cours sauf disposition contraire . La question est cependant loin d'être univoque : si de très éminents auteurs rangent expressément l'exigence d'homologation dans les règles de forme ou de procédure , d'autres en font une solennité. On peut y voir une véritable condition de fond .
En réalité, l'obligation d'homologation tient tout à la fois de la loi de fond et de la loi de procédure. La règle de fond devrait, cependant, l'emporter sur l'aspect purement procédural : la loi nouvelle ne se limite pas, ici, à la modification de modalités de saisine du juge ou de déroulement de l'instance aux fins d'homologation. Elle supprime une condition à laquelle l'efficacité de l'acte conventionnel de changement de régime était jusqu'alors subordonnée.
Les actes de changement de régime matrimonial faits avant le 25 mars 2019 devaient être soumis à l'homologation s'il existe des enfants mineurs des époux. Après cette date, ils restent soumis aux règles substantielles qui les régissaient lorsqu'ils ont été établis car les conditions d'un acte juridique s'apprécient au moment où il est fait. Ils restent soumis à la loi ancienne, quelle que soit la date à laquelle la requête en homologation est présentée, car la loi nouvelle s'applique immédiatement aux actes faits à compter de son entrée en vigueur, mais non rétroactivement aux actes faits avant.
Si la règle nouvelle intéresse le fond du droit autant que la procédure, le raisonnement proposé dans la circulaire confond application immédiate et application rétroactive de la loi. Il avait déjà fait l'objet d'une telle critique lors de l'entrée en vigueur de la loi no 2006-728 du 23 juin 2006. À l'époque, une circulaire avait - déjà… - considéré que les tribunaux n'étaient pas compétents pour statuer après le 1er janvier 2007 sur des demandes d'homologation de changements de régime conclus avant le 1er janvier 2007 . La bonne doctrine s'en était émue : « La jurisprudence décide, de manière constante, que la loi nouvelle ne s'applique pas, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, aux conditions de l'acte juridique conclu antérieurement. Affirmer le contraire reviendrait à faire une application rétroactive de la loi nouvelle, alors même que l'article 2 du Code civil pose comme principe que « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif » . D'autres commentateurs étaient du même avis et plusieurs décisions de justice avaient statué en ce sens .
Ces positions doctrinales et prétoriennes peuvent être transposées aux actes de changement régularisés avant le 25 mars 2019 mais dont l'homologation n'a pas encore eu lieu à cette date.

En résumé

Contrairement à ce qu'indique la circulaire, les changements de régime matrimonial régularisés avant le 25 mars 2019 demeurent soumis à homologation et ne peuvent en aucun cas devenir définitifs par la seule adoption de la loi nouvelle, qui n'a aucun effet rétroactif.
- Que faire lorsque le juge suit les préconisations de la circulaire ? - Une difficulté subsiste si le juge saisi d'une requête en homologation adopte la position de la circulaire et rend une décision de « non-lieu à homologation » ou si l'on craint qu'il rende une telle décision . En ce cas, le changement de régime matrimonial - régularisé avant l'entrée en vigueur de la réforme - ne pourra jamais devenir définitif. Il en serait de même si le juge n'était jamais saisi d'une demande en homologation.
L'argument selon lequel l'homologation n'est plus nécessaire compte tenu de ce que les enfants sont depuis devenus majeurs n'est pas non plus pertinent. Les conditions de validité et d'efficacité du changement (conditions de fond) s'apprécient à la date à laquelle l'acte est signé .
- Impossibilité d'établir un acte rectificatif ou complémentaire. - Il serait également impossible de procéder par acte rectificatif ou complémentaire permettant de « constater que le changement est devenu définitif ». L'acte rectificatif est « celui qui est nécessaire pour assurer la concordance du fichier immobilier et du cadastre avec les énonciations du document déposé (…). Il doit dès lors être établi quand il s'agit seulement de préciser l'identité des parties ou l'identification d'un immeuble » . Il a pour seul objet de rectifier une pure erreur matérielle, c'est-à-dire une erreur qui se révèle à la seule lecture de l'acte. Il n'y aurait d'ailleurs aucune erreur à rectifier ou complément à ajouter à l'acte : au moment où il a été fait, l'homologation était requise. C'est donc à raison qu'elle a été prévue. On peine donc à voir quels éléments pourraient figurer dans un tel acte rectificatif . Enfin, l'acte rectificatif ne peut rien changer à la date de l'acte rectifié.
- Réitération ou épuisement des voies judiciaires ? - Que penser, enfin, de la solution « rapide » préconisée par le Cridon de Paris qui consisterait en un « acte complémentaire » au changement de régime initial, contenant la réitération de la volonté des époux de changer de régime ? Il s'agit davantage d'un acte réitératif. Ne faut-il pas y voir, tout simplement, un nouvel acte de changement de régime, passé après la réforme et donc soumis au droit nouveau ? La difficulté reste entière si l'un des époux refuse de renouveler son consentement au changement de régime matrimonial.
La solution « longue » serait de requérir l'homologation. Si, se conformant à la circulaire, le juge la refusait (ce qui est probable), il resterait à former un recours pour obtenir de la juridiction d'appel des décisions conformes à ce qui avait déjà été jugé entre 2007 et 2008. Les délais et le coût de la procédure peuvent décourager… d'autant que la cour d'appel saisie pourrait confirmer la décision du premier juge : il faudrait alors se pourvoir en cassation…
La solution plus expédiente serait d'établir un nouvel acte de changement de régime (dont le contenu serait identique au premier) . Cet acte, qui, par hypothèse serait régularisé après le 25 mars 2019, n'aurait pas à être homologué .