À défaut de disposition transitoire et en application du droit commun (C. civ., art. 1er), les règles relatives au changement de régime matrimonial sont entrées en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel : soit le 25 mars 2019
. Tous les actes de changement de régime matrimonial régularisés après cette date sont soumis aux dispositions nouvelles. Que décider si la perfection d'un acte de changement de régime établi avant le 23 mars 2019 était subordonnée à son homologation parce qu'un enfant des époux (ou de l'un d'eux) était alors mineur, et s'il n'est pas encore homologué lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ?
Le changement de régime en présence d'enfant mineur signé avant le 25 mars 2019 et non encore homologué à cette date
Le changement de régime en présence d'enfant mineur signé avant le 25 mars 2019 et non encore homologué à cette date
- Position de la Chancellerie. - La question s'était posée dans les mêmes termes lorsque la réforme du 23 juin 2006 avait supprimé, à compter du 1er janvier 2007, l'exigence d'homologation systématique de la plupart des conventions portant changement de régime matrimonial. La Chancellerie reprend la réponse qu'elle avait alors donnée dans la circulaire de présentation de la réforme de 2019 :
« Ces dispositions sont d'application immédiate dès le lendemain de la publication de la loi. Aussi, à défaut de disposition transitoire spécifique, l'article 1397 dans sa nouvelle rédaction a vocation à s'appliquer aux changements de régime matrimonial en cours. Dès lors, le juge aux affaires familiales devra rendre une décision de non-lieu à homologation pour les demandes dont il est saisi au jour de l'entrée en vigueur de la loi »
.
Peu d'auteurs ont commenté cette circulaire
. Si l'un d'entre eux a constaté que la loi n'a pas réglé la question des demandes pendantes, il précise que la circulaire « apporte un éclairage bienvenu »
.
- Critiques de la position de la Chancellerie. - On comprend l'urgence pratique d'une telle solution, on s'étonne, tout de même, des termes employés
, et, comme en 2007, on doute de sa pertinence juridique. On ne peut l'admettre sans réserve qu'à condition de faire de l'exigence d'une homologation, ou de sa suppression, une simple règle de procédure
. Il serait alors juste de considérer qu'elle s'applique immédiatement aux instances en cours sauf disposition contraire
. La question est cependant loin d'être univoque : si de très éminents auteurs rangent expressément l'exigence d'homologation dans les règles de forme ou de procédure
, d'autres en font une solennité. On peut y voir une véritable condition de fond
.
En réalité, l'obligation d'homologation tient tout à la fois de la loi de fond et de la loi de procédure. La règle de fond devrait, cependant, l'emporter sur l'aspect purement procédural : la loi nouvelle ne se limite pas, ici, à la modification de modalités de saisine du juge ou de déroulement de l'instance aux fins d'homologation. Elle supprime une condition à laquelle l'efficacité de l'acte conventionnel de changement de régime était jusqu'alors subordonnée.
Les actes de changement de régime matrimonial faits avant le 25 mars 2019 devaient être soumis à l'homologation s'il existe des enfants mineurs des époux. Après cette date, ils restent soumis aux règles substantielles qui les régissaient lorsqu'ils ont été établis car les conditions d'un acte juridique s'apprécient au moment où il est fait. Ils restent soumis à la loi ancienne, quelle que soit la date à laquelle la requête en homologation est présentée, car la loi nouvelle s'applique immédiatement aux actes faits à compter de son entrée en vigueur, mais non rétroactivement aux actes faits avant.
Si la règle nouvelle intéresse le fond du droit autant que la procédure, le raisonnement proposé dans la circulaire confond application immédiate et application rétroactive de la loi. Il avait déjà fait l'objet d'une telle critique lors de l'entrée en vigueur de la loi no 2006-728 du 23 juin 2006. À l'époque, une circulaire avait - déjà… - considéré que les tribunaux n'étaient pas compétents pour statuer après le 1er janvier 2007 sur des demandes d'homologation de changements de régime conclus avant le 1er janvier 2007
. La bonne doctrine s'en était émue : « La jurisprudence décide, de manière constante, que la loi nouvelle ne s'applique pas, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, aux conditions de l'acte juridique conclu antérieurement. Affirmer le contraire reviendrait à faire une application rétroactive de la loi nouvelle, alors même que l'article 2 du Code civil pose comme principe que « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif »
. D'autres commentateurs étaient du même avis
et plusieurs décisions de justice avaient statué en ce sens
.
Ces positions doctrinales et prétoriennes peuvent être transposées aux actes de changement régularisés avant le 25 mars 2019 mais dont l'homologation n'a pas encore eu lieu à cette date.
En résumé
Contrairement à ce qu'indique la circulaire, les changements de régime matrimonial régularisés avant le 25 mars 2019 demeurent soumis à homologation et ne peuvent en aucun cas devenir définitifs par la seule adoption de la loi nouvelle, qui n'a aucun effet rétroactif.
- Que faire lorsque le juge suit les préconisations de la circulaire ? - Une difficulté subsiste si le juge saisi d'une requête en homologation adopte la position de la circulaire et rend une décision de « non-lieu à homologation »
ou si l'on craint qu'il rende une telle décision
. En ce cas, le changement de régime matrimonial - régularisé avant l'entrée en vigueur de la réforme - ne pourra jamais devenir définitif. Il en serait de même si le juge n'était jamais saisi d'une demande en homologation.
L'argument selon lequel l'homologation n'est plus nécessaire compte tenu de ce que les enfants sont depuis devenus majeurs n'est pas non plus pertinent. Les conditions de validité et d'efficacité du changement (conditions de fond) s'apprécient à la date à laquelle l'acte est signé
.
- Impossibilité d'établir un acte rectificatif ou complémentaire. - Il serait également impossible de procéder par acte rectificatif ou complémentaire permettant de « constater que le changement est devenu définitif ». L'acte rectificatif est « celui qui est nécessaire pour assurer la concordance du fichier immobilier et du cadastre avec les énonciations du document déposé (…). Il doit dès lors être établi quand il s'agit seulement de préciser l'identité des parties ou l'identification d'un immeuble »
. Il a pour seul objet de rectifier une pure erreur matérielle, c'est-à-dire une erreur qui se révèle à la seule lecture de l'acte. Il n'y aurait d'ailleurs aucune erreur à rectifier ou complément à ajouter à l'acte : au moment où il a été fait, l'homologation était requise. C'est donc à raison qu'elle a été prévue. On peine donc à voir quels éléments pourraient figurer dans un tel acte rectificatif
. Enfin, l'acte rectificatif ne peut rien changer à la date de l'acte rectifié.
- Réitération ou épuisement des voies judiciaires ? - Que penser, enfin, de la solution « rapide » préconisée par le Cridon de Paris
qui consisterait en un « acte complémentaire » au changement de régime initial, contenant la réitération de la volonté des époux de changer de régime ? Il s'agit davantage d'un acte réitératif. Ne faut-il pas y voir, tout simplement, un nouvel acte de changement de régime, passé après la réforme et donc soumis au droit nouveau ? La difficulté reste entière si l'un des époux refuse de renouveler son consentement au changement de régime matrimonial.
La solution « longue » serait de requérir l'homologation. Si, se conformant à la circulaire, le juge la refusait (ce qui est probable), il resterait à former un recours
pour obtenir de la juridiction d'appel des décisions conformes à ce qui avait déjà été jugé entre 2007 et 2008. Les délais et le coût de la procédure peuvent décourager… d'autant que la cour d'appel saisie pourrait confirmer la décision du premier juge : il faudrait alors se pourvoir en cassation…
La solution plus expédiente serait d'établir un nouvel acte de changement de régime (dont le contenu serait identique au premier)
. Cet acte, qui, par hypothèse serait régularisé après le 25 mars 2019, n'aurait pas à être homologué
.