L'aptitude à effectuer un acte de manière libre

L'aptitude à effectuer un acte de manière libre

- La détection d'une influence abusive. - Être capable de prendre une disposition de manière éclairée n'immunise pas contre l'influence abusive. Une personne peut avoir les capacités requises pour prendre une disposition, mais être sous l'emprise d'un tiers qui la manipule ou lui impose sa volonté. À l'évidence, les personnes en situation de handicap cognitif sont particulièrement vulnérables à l'influence abusive : parce qu'elles risquent de ne pas percevoir que l'on cherche à les tromper ou les manipuler ; et parce que, ayant besoin de l'aide de tiers dans de nombreux aspects de leur vie, elles peuvent avoir du mal à résister aux sollicitations et aux pressions. Avant de recevoir un acte, le notaire ne doit donc pas seulement s'assurer que la disposition est prise de manière éclairée, il doit également vérifier si la disposition est prise librement, si elle reflète bien la volonté propre du client, ou si celui-ci est victime d'une subversion de sa volonté.
La détection d'une influence abusive, peut-être davantage encore que celle des troubles cognitifs, est source de difficultés pour les notaires. Tout d'abord, les auteurs d'une influence abusive font souvent preuve de beaucoup de prudence : ils n'agissent pas au grand jour, opèrent en l'absence de témoins et font en sorte que les pressions et les manipulations qu'ils exercent soient discrètes et difficiles à prouver . Ensuite, les victimes d'une influence abusive s'en plaignent rarement, soit parce qu'elles n'ont pas conscience d'être manipulées, soit parce qu'elles craignent des représailles, soit encore parce que - comme beaucoup de victimes de maltraitance - elles ont honte de la situation. Enfin, il est parfois délicat de distinguer l'influence abusive d'autres phénomènes : favoritisme à l'égard de certains enfants ; volonté de témoigner de l'affection à un tiers qui est devenu pour la personne un substitut de famille ; souhait de récompenser pour son dévouement un membre de la famille qui est plus présent que d'autres ; obéissance à un tiers qui représente pour la personne une figure d'autorité.
- Les signes révélateurs d'une influence abusive. - Selon la brochure, pour déceler l'existence d'une influence abusive, le notaire doit être attentif à certains signaux d'alerte :
  • le client n'est pas connu du notaire ;
  • le bénéficiaire de la disposition a activement participé aux démarches pour voir le notaire ; ce n'est pas le client qui a pris rendez-vous ;
  • un tiers a accompagné le client à l'office, il veut absolument assister à l'entretien, prend la parole en premier ou donne l'impression de surveiller ce que dit le client ;
  • le client manifeste peu d'intérêt pour l'entretien, ne prend pas vraiment part à la discussion ; il semble craindre de s'exprimer, paraît anxieux, hésitant, peu sûr de lui, ou au contraire semble pressé d'en finir et veut tout régler rapidement, sans discuter ;
  • le client modifie substantiellement ses dispositions, sans raison apparente, ou prend des dispositions qui paraissent étonnantes au regard de ses valeurs et préférences passées ;
  • des bénéficiaires inattendus apparaissent ou des bénéficiaires « naturels » reçoivent beaucoup moins que l'on ne pourrait attendre.
En outre, le notaire doit redoubler de vigilance si des éléments sont susceptibles de créer une vulnérabilité accrue à l'influence abusive :
  • le client a déjà été victime d'actes de maltraitance (physique, psychologique, financière) ou de négligence ;
  • il a besoin d'aide pour de nombreux actes de sa vie quotidienne (faire ses courses, se nourrir, s'habiller) ou pour continuer de vivre à son domicile ;
  • il reçoit peu de visites ou a peu de contacts avec les personnes qui pourraient le conseiller parce qu'il a des difficultés pour se déplacer, ou parce que ses proches habitent loin ou sont décédés ;
  • il a récemment rompu ses liens avec ceux qui avaient autrefois sa confiance ou place une grande confiance dans une personne rencontrée depuis peu ;
  • il est fatigué, déprimé, ou paraît confus et désorienté parce qu'il n'est pas dans son environnement de vie habituel ou parce qu'il a des problèmes de santé importants ;
  • des changements significatifs sont intervenus dans sa vie (décès d'un proche qui jouait un grand rôle auprès de lui) ou des tensions sont apparues dans sa famille (compétition entre ses enfants pour savoir qui est le plus aidant ou le plus aimant).
Aucun de ces éléments pris isolément ne permet de conclure que le client est victime d'une influence abusive. En revanche, si plusieurs de ces éléments sont présents, le notaire a intérêt à s'assurer que son client comprend ce qui se passe, qu'il a la maîtrise des décisions prises et qu'il n'a pas modifié l'appréciation qu'il avait de ses proches du fait d'influences externes.

Comment établir que la disposition est prise librement ?

La règle d'or, pour minimiser les risques d'influence abusive, consiste pour le notaire à <strong>recevoir son client seul</strong>, au moins pendant un moment, même si celui-ci vient accompagné à l'office. Lorsque les souhaits du client ont été initialement relayés par un tiers, ceux-ci devraient ainsi toujours être confirmés par le client lui-même, au cours d'un entretien en privé. Ce n'est qu'en s'entretenant seul à seul avec son client que le notaire pourra apprécier au plus juste ses capacités et vérifier qu'il ne fait pas l'objet de pressions ou d'une manipulation.

Partant, quand un tiers a accompagné le client à l'office, le notaire devrait expliquer pourquoi il souhaite s'entretenir seul pendant un moment avec son client. Ces explications devraient tenir compte de l'anxiété que cette demande risque de susciter chez le client, qui peut se sentir rassuré par la présence d'un proche, et de la surprise qu'elle risque d'occasionner chez la personne qui l'accompagne. Le notaire doit expliquer au client et à son accompagnant qu'ils ne doivent pas s'inquiéter ou se sentir offensés par cette demande, qui est dans leur intérêt, surtout si l'accompagnant est l'un des bénéficiaires de la disposition, ou s'il est très impliqué auprès du client.

Une autre précaution utile consiste à ne pas se contenter d'un entretien unique, mais à <strong>revoir le client</strong> quelques jours ou semaines plus tard, pour confirmer sa volonté de prendre la disposition envisagée. Le notaire aura alors parfois intérêt à se rendre au domicile du client pour le voir <strong>dans son environnement</strong> de vie, se faire une idée plus précise de la situation et « sentir » comment les choses se passent au quotidien. Dans certains cas, une visite impromptue peut être plus éclairante.