- Un fondement ancien issu du droit coutumier. - On justifiait l'existence de la réserve héréditaire par cette idée issue du droit coutumier que le patrimoine était attaché non pas à la personne, mais à sa famille. Les biens de la famille étant son moyen principal de subsistance, ils devaient y demeurer et n'être ni morcelés ni transmis à des tiers. En d'autres termes, les biens et plus spécialement les immeubles (mais c'était sans doute ceux qui par le passé avaient le plus de valeur) faisaient partie du passé familial, de sa réussite, de son assise sociale et économique, et à ce titre ils devaient y demeurer et impérativement être transmis aux nouvelles générations de cette même famille dont ils en étaient une sorte d'emblème. En outre, ce fondement confère un côté immortel à cette famille
, il peut la rassurer, ses biens survivant à la mort de leur propriétaire pour y demeurer. Il inscrit la famille dans la durée. Transmettre des biens est quelque part une petite victoire sur la mort
.
La réserve héréditaire : protection de la famille
La réserve héréditaire : protection de la famille
La conservation des biens dans la famille
- Un fondement en net repli par l'évolution de la famille, de la société et des patrimoines. - Autant une telle conception du patrimoine et donc de sa transmission pouvait se concevoir dans une France rurale où les terres, effectivement, étaient le socle commun de toute la famille, autant aujourd'hui cet attachement aux biens s'est fortement atténué
. La mobilité et l'éclatement géographiques des familles ont contribué à cet affaissement de la conception familiale du patrimoine. À cela, on ajoutera volontiers que ce fondement a un sens pour les immeubles, à la rigueur pour l'entreprise familiale, mais pour les autres biens il n'a pas grande signification. La financiarisation des patrimoines et la spéculation de leur titulaire tendent également à montrer que le patrimoine suscite davantage d'attachement par sa valeur que par sa nature elle-même.
- Un fondement en net repli par les dernières réformes. - La réduction en valeur instaurée par la réforme de 2006 a fortement réduit l'influence de ce fondement à la réserve héréditaire. Enfin, ce fondement familial de la réserve se heurte à l'affaiblissement de la famille elle-même au sein de la société. Le groupe familial est de plus en plus restreint, la famille se disloque, se décompose, se recompose parfois même à plusieurs reprises. Les liens familiaux sont ainsi plus éphémères, plus fragiles et multiples. Difficile donc de concevoir que le patrimoine doit être transmis impérativement à une famille qui n'est plus aussi forte, aussi unie qu'auparavant. Cet éclatement familial, s'il a pour conséquence un affaiblissement de ce fondement du patrimoine familial, peut peut-être accroître le second fondement qui est celui de la solidarité, ce devoir d'entraide entre les générations ou entre conjoints.
Un devoir de protection entre certains proches
- Les vertus alimentaires de la réserve. - Ce fondement, hérité de la légitime romaine, voit dans la réserve héréditaire tout simplement une obligation pour le de cujus de subvenir matériellement aux besoins de certains proches. Cela passe par l'obligation de leur transmettre une partie de ses biens afin que ces proches soient eux-mêmes à l'abri de la pauvreté. La réserve héréditaire est « l'expression de la solidarité familiale, la manifestation d'un devoir d'assistance économique entre proches »
. Ainsi justifiée, la réserve héréditaire n'est plus, comme on le disait dans les lignes précédentes, un instrument au service de la vie de la famille, un ciment entre ses membres, mais elle devient le service de la famille au profit de ses membres.
- Une vertu importante de nos jours. - Si ce fondement est aujourd'hui mis en avant, il faut prendre garde à ne pas réduire la réserve à cette obligation alimentaire liant les membres d'une même famille. En effet, si ce fondement de la réserve héréditaire était le seul, il risquerait non seulement de transformer la réserve en une charge de la succession, mais aussi de conditionner son bénéfice à des conditions de besoin. C'est d'ailleurs ce qu'un certain nombre de pays prévoient : les réservataires voulant bénéficier de leurs droits doivent justifier d'un état de besoin ou de pauvreté. C'est également ce que la dernière jurisprudence de la Cour de cassation en droit international privé sous-entend. Toutefois, cette justification de la réserve est réelle et de nos jours elle prend toute son importance. En effet, si un père a abandonné à la mère son aîné, fruit d'une amourette éphémère de jeunesse, qui ne l'a jamais élevé ni même participé à quoi que ce soit dans ses besoins financiers, n'est-il pas légitime qu'à son décès son enfant puisse percevoir une partie de l'héritage à titre de consolation d'avoir vécu sans père ? Que la loi ne permette pas d'abandonner son enfant au-delà de la mort est une bonne chose qu'il faut maintenir.