La meilleure des protections formelles réside dans l'authenticité notariale.
La protection par des règles de forme
La protection par des règles de forme
- Le testament : acte solennel par excellence. - L'importance accordée à un acte par le droit se reflète dans ses conditions de forme. Le testament doit, à peine de nullité, revêtir des formes précises imposées par la loi. La solennité du testament se comprend aisément quand on s'attache à ses enjeux. Il découle de cet acte, si simple soit-il, tout ou partie de la transmission d'un patrimoine. Cet acte unilatéral nécessite de son auteur liberté, sagesse, discernement, détachement des sentiments et des passions. Nous ne pouvons résister à citer ici les délicieux propos d'Hugueney écrits en 1922 : « Pour faire un acte juridique si intime qu'il soit, il faut se pénétrer d'une intention, prendre une attitude juridique, quitter la défroque de l'amoureux ou de l'homme du monde, se constituer prêtre du droit (…). Le testament olographe est commode mais il est dangereux. Il est bon de laisser à ses approches quelques écueils où viennent se briser les passions »
. Ces règles de forme, souvent considérées comme des contraintes, permettent présumer que le testament reflète véritablement la volonté de leur auteur.
- Sanction des règles de forme. - Le formalisme des testaments est requis à peine de nullité (C. civ., art. 1001). Il s'agit d'une nullité absolue et le testateur ne pourrait, par lui-même, confirmer un testament qui serait nul en la forme même par un testament postérieur. Si un testament est entaché, le testateur doit en établir un nouveau, respectueux des règles de forme et qui reprennent toutes les dispositions voulues, en ce compris celles du testament annulable
. Si le testateur ne peut lui-même confirmer son testament nul, ses héritiers le peuvent, une fois le décès survenu, et en connaissance de l'irrégularité. Cette confirmation serait très probablement fondée sur une obligation morale qu'auraient les héritiers de respecter la volonté du mort même mal exprimée, à l'image du legs verbal.
La protection par l'authenticité
- La solennité de la donation (principe). - L'exigence d'un acte notarié pour la donation est ancienne
. Le Code civil la consacre en son article 931. Le texte précise que cet acteparticulièrement grave sera passé en minute (par opposition au brevet). Nous ne nous attarderons pas sur les fondements de cette exigence, et nous contenterons de rappeler que cette solennité est justifiée par :
- la nécessaire protection du donateur qui accomplit un acte d'appauvrissement sous couvert d'une intention libérale. L'acte notarié, par ses règles de forme et par son mode de réception (lecture, signature, etc.), est de nature à attirer l'attention du donateur sur la gravité de son acte ;
- la conservation de l'acte notarié reçu en minute procure une certaine garantie au patrimoine familial. Une donation a nécessairement un impact sur la succession de son auteur. Sa conservation et sa production à l'ouverture de la succession sont une garantie du respect des règles protectrices qui encadrent la liquidation et le partage d'une succession (rapport et réduction) ;
- la conservation de l'acte en minute permet de garantir le respect du principe d'irrévocabilité puisque sous cette forme l'acte ne peut être détruit et donc privé d'effets, anéantis par malveillance ;
- cette forme notariée permet également de protéger le donataire dans le devenir du bien donné par rapport à son régime matrimonial soit sur le plan liquidatif, soit sur celui des pouvoirs de gestion. C'est ici une question de preuve. Elle permet une bonne information du donataire à ce sujet.
- Le bien-fondé de l'authenticité
. - Si la solennité des donations a pu être vivement contestée
comme étant illogique et inefficace, cette exigence de solennité, même si elle a été fortement assouplie au bénéfice de mécanismes de substitution, est toujours d'actualité. La présence du notaire se justifie par les obligations qui pèsent sur lui :
- obligation de vérifier la capacité des parties à l'acte ;
- obligation de vérifier l'aptitude des parties à consentir à l'acte (le donateur a-t-il le pouvoir de consentir une donation sur tel ou tel bien, par rapport à son régime matrimonial ou au statut du bien ?) ;
- obligation de contrôler l'existence de l'intention libérale ;
- obligation de vérifier l'opportunité de l'acte en lui-même ;
- devoir de conseil sur les conditions et charges de l'acte de donation ;
- obligation de s'assurer de l'efficacité de l'acte qu'il reçoit ;
- obligation de conserver l'acte pendant soixante-quinze ans (avant de le remettre aux archives départementales) ;
- obligation d'effectuer les formalités postérieures à l'acte pour le rendre opposable (publicité foncière, greffe du tribunal de commerce, signification, etc.).
Toutes ces obligations sont autant de garanties pour les parties, et plus spécialement le donateur.
- La sanction du principe de solennité. - La donation irrégulière est nulle en la forme. Conçue comme une nullité absolue
, tout intéressé peut l'invoquer. Elle ne peut pas non plus faire l'objet d'une confirmation (C. civ., art. 931-1, al. 1)
. Toutefois, il a été admis par le législateur qu'après le décès du donateur, ses héritiers peuvent confirmer l'acte de donation nul en la forme (C. civ., art. 931-1, al. 2). Cette nullité est prescrite par cinq années ou vingt années à compter de la date à laquelle l'acte litigieux a été connu.
La protection minime des formes non authentiques de la donation
- Les substituts de solennité. - Parallèlement à ce principe de solennité, s'est construit tout un ensemble de règles permettant de lui échapper. Règles qui, nous le verrons, n'apportent pas les mêmes garanties aux parties que cette traditionnelle authenticité. Ces exceptions au principe de solennité des donations ne sont pas nouvelles
. On peut même dire qu'elles sont aussi anciennes que le principe auquel elles dérogent. On en dénombre trois :
- le don manuel ;
- la donation indirecte ;
- et la donation déguisée.
Nous les aborderons rapidement successivement.
- Le don manuel et les pactes adjoints. - Le don manuel était initialement conçu comme une donation de meubles corporels accomplie par la transmission matérielle de la chose. Le donateur remet de la main à la main au donataire l'objet de la donation. Le don manuel se forme par la tradition du bien donné. Il est donc un contrat réel. Bien évidemment l'intention libérale en est la cause et la simple transmission du bien n'est pas suffisante pour caractériser cette libéralité. Les conditions de fond requises pour toute libéralité s'imposent au don manuel (capacité des parties et particulièrement celle du donateur), seule la forme échappe à l'exigence de solennité de l'article 931 du Code civil. Depuis plusieurs décennies, on a pu assister à une dématérialisation du don manuel puisqu'il est désormais admis qu'un don manuel peut porter sur de la monnaie scripturale, et peut être opéré par chèque
ou virement bancaire
. Il peut également porter sur des créances et autres droits sociaux
. En résumé, le champ des dons manuels est extrêmement vaste et peut emporter transmission de valeurs considérables avec un formalisme minime. La jurisprudence est allée plus avant dans l'admission de ces libéralités non authentiques en admettant la validité des pactes adjoints à ces dons manuels car leur lacune était l'impossibilité d'en prévoir des conditions faute d'instrumentum valable. Le pacte adjoint est une convention qui, sans constituer en elle-même la donation, se borne à reconnaître le don manuel et à en préciser les modalités. Le pacte adjoint pourra donc prévoir les clauses et conditions du don, son caractère hors part successorale ou non, des clauses d'inaliénabilité ou de droit de retour, voire une réserve d'usufruit
. Un pacte adjoint pourrait même, en reconnaissant plusieurs dons manuels effectués dans un même élan répartiteur, constituer une donation-partage. Par contre, compte tenu de leurs spécificités, une série de clauses ou conditions que l'on rencontre dans les donations ostensibles ne pourraient être constatées par pactes adjoints. Il s'agit des réversions d'usufruit, qui en elles-mêmes sont des donations, donc soumises au formalisme légal. Par analogie, il en est ainsi pour les donations résiduelles, graduelles et transgénérationnelles. On peut également considérer que l'incorporation à une donation-partage d'une donation antérieure ne peut avoir lieu que par acte notarié
.
- Les donations indirectes. - La donation indirecte est peu aisée à définir. Les auteurs écrivent à son sujet qu'il s'agit d'une donation faite au moyen d'un acte dont on ne sait s'il est à titre onéreux ou gratuit
. L'acte en lui-même ne permet pas de dire qu'il est constitutif d'une libéralité. À la différence de la donation déguisée, qui fait appel à la simulation et à l'existence d'une contre-lettre, la donation indirecte se suffit à elle-même. La donation indirecte est un acte, un contrat qui, par son contenu, son déséquilibre volontaire va en réalité constituer une donation
. Ce peut être également un acte neutre
comme un paiement pour autrui, une stipulation pour autrui, un cautionnement ou une renonciation à un droit, cette renonciation profitant nécessairement à une personne.
Sur le plan de la forme, la donation indirecte va suivre les règles imposées à l'acte qui en constitue son support. Sur le plan des conditions de fond, les règles communes aux libéralités doivent s'appliquer. La caractérisation de la donation indirecte passe nécessairement par le constat d'une intention libérale, outre l'appauvrissement d'une partie et l'enrichissement de l'autre. Ce genre de donation, s'il obéit au traitement fiscal et juridique des libéralités (notamment lors de la liquidation de la succession), présente la difficulté d'être repéré dans la mesure où, tel un caméléon qui adopte la couleur de son support, il prend comme vecteur un autre acte.
- Les donations déguisées. - La donation fait appel à la simulation
. La donation déguisée implique l'existence de deux actes : un acte apparent et un acte secret. La gratuité de l'opération est masquée par le caractère onéreux de l'acte apparent
. Les exemples les plus courants sont la vente, dont il est par ailleurs convenu que le prix ne sera pas payé ; la reconnaissance de dette qui n'existe pas ; les sociétés qui, soit lors de leur constitution soit au cours de la vie sociale, peuvent « camoufler » des libéralités. Les parties doivent avoir voulu créer une apparence trompeuse par ce montage. Il s'agit tout simplement d'un montage. Le mobile des parties qui s'adonnent à de tels actes est souvent peu louable et, dans bien des cas, relève de la fraude soit d'ordre fiscal (ne pas soumettre la donation aux droits de mutation à titre gratuit), soit au droit des tiers (contourner les règles du rapport ou la réserve héréditaire, diminuer le droit de gage des créanciers, etc.). Pour être considérée en tant que telle, la donation déguisée doit résulter d'un acte-support duquel l'aspect libéral ne doit pas transparaître au risque d'être annulé sous le visa de l'article 931 du Code civil. Lesconditions de validité de cet « acte-support » doivent par ailleurs être respectées (conditions de forme et de fond). S'agissant de la donation en elle-même, c'est-à-dire de l'acte secret (contre-lettre), si celle-ci échappe aux conditions de forme des donations, elle doit en respecter les conditions de fond : « La simulation ne permet jamais de faire en se cachant ce qui est interdit de faire au grand jour »
.
- L'insécurité et le défaut de protection de ces donations non authentiques. - À des degrés variés, ces donations non notariées restent quelque peu dangereuses non seulement pour les parties elles-mêmes, mais aussi pour leurs familles, voire la société. Cela dépend principalement de la motivation à leur recours.
Le principal risque encouru par ces libéralités, outre qu'elles peuvent avoir été consenties sans aucun conseil de la part d'un professionnel ou d'un spécialiste, réside dans leur preuve, preuve par les parties ou preuve par les tiers :
- pour le don manuel : la tradition d'une chose n'est en elle-même pas difficile à prouver, mais il sera plus difficile de démontrer l'intention libérale, notamment lorsque le donateur revendique le bien qu'il avait donné. Si le don manuel a fait l'objet d'un formulaire de déclaration auprès de l'administration fiscale, l'enregistrement lui conférera date certaine. Mais qu'en est-il de la conservation de ce formulaire par les parties elles-mêmes ?
- pour la donation déguisée et la donation indirecte, il sera très ardu, à la contemplation des actes visibles, de déceler en eux leur véritable nature. La contre-lettre, par définition, restera secrète et l'acte neutre ne traduit pas d'intention libérale. Quant à l'acte déséquilibré, l'a-t-il été volontairement ou bien n'est-ce qu'une négligence ou un simple « mauvais coup financier » ? La preuve de la donation déguisée nécessite non seulement la preuve du déguisement, mais aussi celle de l'intention libérale. Il s'agit alors de sonder les cœurs des parties, chose peu aisée surtout lorsque le donateur est mort.
Ces difficultés de preuve vont avoir un impact entre les parties elles-mêmes dans le cadre de l'exécution de l'acte de donation, mais aussi à l'égard des tiers et de la succession du donateur, et éventuellement dans le fonctionnement du régime matrimonial du donataire (si le bien a été donné c'est un propre, s'il a été acquis alors c'est un acquêt). En effet, ces libéralités sont de véritables donations et, à ce titre, vont subir leur sort juridique. Elles doivent être prises en compte pour le rapport, le calcul de la quotité disponible et sont éventuellement soumises à réduction, mais encore faut-il être en mesure de les « ressortir » le jour venu… car rien ne sert d'avoir un ordre public successoral ou de prévoir des règles visant à maintenir l'égalité entre les héritiers si des donations, parce que non respectueuses de l'exigence de solennité, permettent de bafouer ces principes fondamentaux et protecteurs du droit des successions
.
En outre l'acte notarié, par sa nature même et sa réglementation confère date certaine, force probante optimale et garantie de conservation. Toutes ces garanties sont fondamentales pour l'application des règles du droit patrimonial de la famille : la date de la donation dicte son rang d'imputation, sa preuve authentique lui confère une présomption d'existence incomparable, et sa conservation permet à celui qui l'invoque de produire aisément l'acte. Tous ces éléments ne sont que lieux communs sans cesse répétés, mais ô combien fondamentaux sauf à préférer déplacer a posteriori un contentieux que, par ailleurs, les pouvoirs publics veulent évacuer des tribunaux…
La présomption de déguisement de l'article 918
L'article 918 du Code civil énonce que les aliénations à charge de rente viagère, à fonds perdu ou avec réserve d'usufruit faites à un successible en ligne directe sont imputées sur la quotité disponible. Cette réduction ne peut être demandée que par les autres successibles qui n'ont pas consenti à l'acte de donation
.
Cet article édicte une double présomption pour ces actes d'apparence onéreuse. La loi présume le déguisement et donc considère l'acte comme une donation. Mais, au-delà de cette présomption de gratuité déjà grave, en elle-même cette libéralité a été faite hors part successorale. Elle est donc imputable sur la quotité disponible. Cette double présomption est irréfragable. Si ce texte peut paraître fondé eu égard à la suspicion qui peut peser sur ces actes peu usuels, le caractère irréfragable de la présomption qu'il édicte est sans doute excessif. Il devrait pouvoir être admis par preuve contraire que le prix, quelle qu'ait été sa forme, a bien été payé, ce n'est pas le cas en droit positif.
Même si ces actes sont très rares en pratique, cette double présomption est aujourd'hui excessive. Elle ronge la réserve au détriment des gratifiés. Son caractère irréfragable devrait donc être supprimé.
Le conseil est, pour toute aliénation à un successible, de solliciter l'accord des autres successibles réservataires (présomptifs héritiers) pour :
- s'il s'agit d'un acte visé par l'article 918 du Code civil, écarter le risque de réduction, ce qui n'est peut-être pas suffisant pour protéger le descendant car le caractère gratuit de l'acte persiste ;
- s'il s'agit d'un autre acte, écarter le risque de contestation de sa nature et une qualification ultérieure de donation déguisée ou indirecte.