La protection liquidative de la donation-partage

La protection liquidative de la donation-partage

La donation-partage est un acte libéral, de générosité, et c'est par cette première nature qu'elle constitue un support important de protection. Mais, à cet attrait, s'ajoute celui de sa fonction répartitrice. La donation-partage est réellement une opération de partage. Elle permet donc d'anticiper la répartition de ses biens entre ses présomptifs héritiers et d'éviter ainsi les effets pervers d'une mésentente entre les héritiers, les méfaits d'un tirage au sort et les conséquences malheureuses d'une procédure de partage judiciaire. Cet allotissement est une condition essentielle de la donation-partage (Sous-section I) et ce sont ces attributions qui, à la succession du donateur, vont être prises en compte sur le plan liquidatif (Sous-section II).

Un allotissement libre, mais nécessaire

La donation-partage est la fille du partage lui-même. À ce titre, elle implique que le disposant procède à cette répartition en confectionnant autant de lots que de donataires copartagés . Cette répartition est primordiale dans la donation-partage. Le disposant jouit d'une grande latitude pour établir ces lots (§ I), mais cette liberté se heurte à une exigence conceptuelle de la donation-partage (§ II).

Une grande liberté pour mieux protéger

Cette liberté est bien évidemment présente dans la répartition des biens (A) jusqu'à permettre de déroger au principe d'égalité (B).

La liberté dans la composition des lots

Une liberté tous azimuts
- Liberté dans la diversité. - Le disposant jouit d'une grande liberté pour confectionner les lots qu'il entend attribuer à ses présomptifs héritiers. Tous les biens dépendant de son patrimoine et dont il peut disposer librement peuvent faire l'objet d'une donation-partage. Celle-ci peut donc porter sur des immeubles, sur des parts ou actions de société, sur un fonds de commerce, artisanal ou libéral (sous réserve que l'attributaire respecte les conditions d'exploitation de ces fonds lorsqu'elles sont réglementées), un portefeuille de titres, des objets mobiliers (meubles corporels) ou des biens incorporels (brevets), ou enfin une somme d'argent.
Les seules limites sont l'ordre public et les clauses d'inaliénabilité ou d'aliénation contrôlée qui peuvent s'appliquer à certains de ces biens et, évidemment, le patrimoine du donateur lui-même car on ne peut donner ce que l'on n'a pas. Ainsi la donation-partage ne peut comprendre des biens à venir du disposant. Pour autant le donateur pourrait également disposer par donation-partage sinon de tous ses biens, au moins des principaux biens constituant son patrimoine. Il répartira ainsi tous ses immeubles, tous ses meubles de valeur (objets d'art), éventuellement ses titres de sociétés qu'elles soient cotées ou non, etc., et conservera le strict minimum pour « finir sa vie ».
Les lots de chacun des copartagés peuvent comprendre plusieurs biens.
- Liberté dans la nature des droits. - Les lots attribués dans la donation-partage peuvent comprendre des droits de nature différente. Ainsi il peut être fait usage du démembrement de propriété et il peut être attribué des biens en nue-propriété, le donateur s'en réservant l'usufruit, ou bien l'usufruit de ce même bien figurera dans le lot d'un autre copartagé. Il peut être également donné et attribué un droit d'usage et d'habitation.
- L'ajustement des lots par des soultes. - Enfin, lorsqu'il apparaît une différence de valeur entre les lots, alors il peut être convenu le versement d'une soulte entre les copartagés . Une donation-partage pourrait même prévoir l'attribution du seul bien donné à l'un des présomptifs héritiers, et aux autres une soulte due par le premier copartagé . Si la soulte est payable à terme son bénéficiaire, devenant créancier d'une somme d'argent, pourra non seulement bénéficier du privilège de copartageant, mais aussi de la réévaluation de la soulte à la date de son paiement , si le bien attribué à son débiteur a augmenté ou diminué de plus du quart de sa valeur initiale apprécié bien évidemment dans son état au jour de la donation . Ce seuil du quart rappelle celui de la lésion ou du complément de part en matière de partage qui, nous le verrons, n'existent plus en matière de donation-partage. On voit ici que le créancier de la soulte, si le bien de son copartagé a perdu de sa valeur, subira une perte dans la même proportion. Ce qui peut lui paraître injuste, car non seulement par le paiement à terme de la soulte il n'entrera véritablement en possession de son attribution qu'à son paiement alors que son copartagé reçoit le bien immédiatement, mais de plus il subira une baisse de plus du quart de la somme à recevoir. Si l'un des copartagés est attributaire d'un bien en plein propriété à charge pour lui de verser une soulte à terme, alors l'acte devient déséquilibré. Par contre, si le bien est grevé d'un usufruit, il peut paraître logique de stipuler le paiement de la soulte au jour où l'usufruit sera éteint. La soulte devra être valorisée en fonction de la valeur du bien en pleine propriété car l'usufruit s'est éteint. En ce cas, la solution ne choque pas. Dans la donation-partage, ce système de revalorisation des soultes est d'ordre public.

Les soultes payables à terme et la protection des parties

À la fois le débiteur de la soulte payable à terme et le créancier de la soulte bénéficient d'une protection :

L'incorporation de donations antérieures
- Notion d'incorporation. - Au regard des grands principes qui gouvernent le droit des successions et des libéralités, la possibilité d'incorporer une donation antérieure à la donation-partage est remarquable, voire surprenante. En effet, l'incorporation permet d'intégrer aux opérations de partage initiées par le disposant une donation antérieure et de porter à la masse des biens donnés et partagés la valeur des biens antérieurement donnés. Cette faculté est prévue à l'article 1078-1 du Code civil. Cette faculté est remarquable en ce qu'elle permet de revenir sur une donation portant ainsi atteinte au principe d'irrévocabilité des donations. Remarquable encore en ce qu'elle permet de changer la nature rapportable ou hors part d'une donation antérieure, car cette faculté d'incorporation se conçoit parfaitement pour une donation en avance d'hoirie ; la donation-partage ne fait alors qu'anticiper le partage de succession avec le rapport de la donation qu'il implique, mais plus difficilement pour une donation préciputaire. Remarquable encore plus encore en ce qu'elle constitue une atteinte supplémentaire à la prohibition des pactes sur succession future. La faculté d'incorporation est surprenante en ce qu'elle permet, dans la donation-partage, d'attribuer un bien antérieurement donné à un autre copartagé que le donataire initial. Le bien, après avoir été la propriété d'un successible pendant un temps certain, change de mains pour être la propriété d'un autre. On peut même aller plus loin en incorporant une ancienne donation-partage et refaire complètement les attributions. On redistribue les cartes !
- Les conditions de l'incorporation des donations antérieures. - Toutes les donations antérieures sont concernées, quelle que soit leur forme (ostensible, manuelle, indirecte, déguisée) ou leur nature (hors part successorale ou en avancement de part successorale). L'objet de la donation incorporée est également indifférent. L'incorporation peut aussi comprendre les biens subrogés au bien initialement donné (C. civ., art. 1078-1). La seule exigence est le consentement, bien évidemment du copartagé qui incorpore sa donation, mais aussi des autres copartagés. On voit bien ici que le consentement unanime à ce pacte de famille prévaut et permet ainsi de revenir sur le passé, de tout « remettre à plat » dans le but de stabiliser les lots de chacun.
- La valeur de la donation incorporée. - Elle se fait, comme pour le rapport à un partage successoral, pour la valeur à la date de la donation-partage du bien antérieurement donné, et bien évidemment dans l'état où le bien était au jour de cette donation antérieure. N'a pas à être considérée la valeur du bien au jour de la donation initiale. Ainsi les plus-values mais aussi les moins-values sont prises en compte dans la donation-partage. Les plus-values ne sont pas considérées comme un surplus de donation (C. civ., art. 1078-3) et ne donnent pas lieu à une taxation au titre des droits de mutation à titre gratuit, tout comme les moins-values ne peuvent engendrer de restitution. S'il y a eu emploi ou remploi des biens donnés, alors la valeur des biens subrogés sera prise en compte pour cette incorporation. Si le bien a été aliéné, alors c'est son prix de vente qui doit être porté dans la donation-partage.
- Les atouts protecteurs de l'incorporation. - Cette incorporation d'une donation antérieure, qui s'analyse en une forme de mutuus dissensus, revêt bien des avantages permettant une meilleure protection de tous les intervenants. Car si elle permet de redistribuer tout ou partie des cartes, ce sont surtout ses atouts qui profitent aux parties :
  • pour le donataire « incorporant » : la donation intégrée à la donation-partage n'est plus, par la nature de cette dernière, rapportable. Il est donc, comme tous les autres copartagés, exonéré du rapport. Il y aura donc unicité de traitement des héritiers, ce qui n'aurait pas été le cas si la donation antérieure n'avait pas été incorporée. Ainsi il ne sera plus comptable envers ses cohéritiers des plus-values (et des moins-values) afférentes au bien. L'avantage est donc considérable pour lui, car il n'est plus sous cette épée de Damoclès de l'évaluation fluctuante de son indemnité de rapport ;
  • pour tous les copartagés dont le donataire « incorporant » : si tous les présomptifs héritiers participent à la donation-partage récapitulative (avec incorporation) et si les conditions de l'article 1078 du Code civil sont réunies (absence de réserve d'usufruit sur une somme d'argent), alors le gel des valeurs pour le calcul de la quotité disponible et l'imputation profitera à tous. Les seules valeurs à prendre en compte seront celles de la donation-partage ;
  • pour le disposant et pour tous les copartagés : la faculté d'incorporation permet de rectifier les erreurs passées ou d'adapter la répartition des biens à une situation nouvelle. Il est possible de redistribuer les biens antérieurement donnés, que ces donations antérieures aient été faites sous forme de donations individuelles ou de donations-partages. Il n'est même pas nécessaire que la donation-partage procédant à ces incorporations comprenne d'autres biens. Aucune limite ne plafonne cette faculté d'incorporation. On pourrait donc envisager d'empiler ainsi plusieurs donations-partages en faisant changer les biens d'attributaires. Cela n'est pas sans difficulté, notamment si les attributaires ont apporté des améliorations sur les biens incorporés, car ils doivent en être dédommagés.

La fiscalité de l'incorporation

En la matière, le droit fiscal suit l'analyse civile de l'incorporation en ce qu'elle ne constitue pas une libéralité supplémentaire du disposant envers les copartagés ou entre les copartagés eux-mêmes. C'est donc le droit de partage (actuellement de 2,5 %) qui est dû sur les donations incorporées (les donations nouvelles sont exonérées du droit de partage). Si la donation incorporée est un don manuel non révélé, alors la révélation a lieu par la donation-partage, ce qui engendre sa taxation aux droits de donation et corrélativement sa non-soumission au droit de partage.

Le changement d'attributaire n'engendre pas de taxation particulière autre que celle du droit de partage, à l'exception de la contribution de sécurité immobilière si le bien est un immeuble
. Cette mutation entre attributaires a donc lieu à moindres frais
.

La liberté quant à l'appréciation de l'égalité des lots

- La donation-partage : un partage qui peut être inégalitaire. - On sait que le principe d'égalité a toujours dominé les opérations de partage. D'abord égalité en nature, puis égalité en valeur. Ce principe d'égalité était sanctionné par la rescision pour lésion puis par l'action en complément de part. La donation-partage n'est plus, depuis la loi du 3 juillet 1971, soumise à ce principe d'égalité et peut donc être inégalitaire. La donation-partage s'est ainsidétachée de la dévolution légale, laissant ainsi une place importante à la volonté du disposant et des copartagés. Le souci d'une bonne répartition est devenu la priorité plus qu'une égalité arithmétique. La donation-partage « a vocation à gratifier autant qu'à partager » . La nature de pacte de famille permet d'entériner que certains soient davantage gratifiés que d'autres. La seule limite à cette rupture de l'égalité est le respect de la réserve individuelle de chacun des héritiers. Mais il faut être conscient que ce désavantage de certains peut certes être acquis au jour de la donation-partage parce que la différence des valeurs des lots en témoigne, mais peut aussi être démultiplié au décès par le jeu de l'article 1078 du Code civil qui énonce que si tous ont concouru à la donation-partage et si l'acte de donation ne porte pas sur une somme d'argent avec une réserve d'usufruit, les valeurs figurant à l'acte seront prises en compte pour le calcul de cette réserve individuelle. Cet article 1078 n'est pas d'ordre public et il est loisible, voire conseillé en cas de donation-partage inégalitaire d'en exclure l'application.
La donation-partage inégalitaire étant licite, la clause apparue en pratique, dite de « donation d'excédent de lot », est devenue totalement inutile (clause qui conférait un avantage préciputaire si le lot d'un des copartagés s'avérait supérieur à celui auquel il aurait pu prétendre) .
Si la donation-partage inégalitaire est valide, il est naturel et conseillé de respecter autant que possible l'égalité dans la valeur des lots. Pour autant, il ne faudrait pas que les valeurs de ces lots soient « arrangées » pour rendre égalitaire une donation qui ne l'est pas. Ces évaluations fictives (sous-évaluation d'un lot ou surévaluation d'un autre) pourraient être remises en cause par la suite, et l'héritier réservataire défavorisé pourrait invoquer la valeur réelle des biens au jour de l'acte pour leur voir appliquer l'article 1078 du Code civil . Il est de bonne précaution de faire procéder par des professionnels à une juste et précise évaluation des biens objet des donations-partages afin de les rendre encore plus puissantes et incontestables. On ne peut également que conseiller de décrire avec précision les biens dans l'acte de donation-partage. Il pourrait même être annexé un dossier de diagnostics techniques comparable à celui obligatoirement annexé aux ventes d'immeubles.

Chercher davantage l'équilibre que l'égalité

Nous venons de le voir, une donation-partage peut être inégalitaire, mais cette rupture d'égalité, ostensible dans l'acte, ne posera pas véritablement de difficultés dans la mesure où elle est connue et acceptée par tous. Il peut en aller différemment si une donation-partage est d'apparence parfaitement égalitaire, mais profondément inéquitable. Ce sera le cas lorsque certains biens seront donnés en nue-propriété et d'autres en pleine propriété, car certes le contrat devient aléatoire en raison du droit viager qu'est l'usufruit, mais si l'extinction de ce droit se fait attendre ou si elle a lieu de manière précoce, la donation peut devenir un partage profondément injuste. Sans parler de revenir à un principe d'égalité en nature, il est malgré tout nécessaire, afin d'éviter des querelles futures, que les lots soient constitués par des biens et droits de même nature. En cas de démembrement, si certes le barème fiscal s'impose pour le calcul des droits d'enregistrement, rien n'empêche de faire appel à un barème plus précis ou à une évaluation économique de l'usufruit pour composer et évaluer les lots.

L'impossibilité d'attributions indivises

- L'indivision chasse la donation-partage. - Par deux arrêts importants , la Cour de cassation a rappelé qu'une donation-partage devait réaliser à titre de condition essentielle un partage entre les gratifiés. La Cour suprême a ainsi disqualifié (ou déqualifié) des actes conçus comme « donations-partages » en donations simples les actes dans lesquels tout ou partie des copartagés se sont vu attribuer des biens en indivision. La première espèce ne faisait aucun doute et la sanction s'imposait dans la mesure où tous les copartagés étaient attributaires de quotes-parts indivises. Il n'y avait là aucun allotissement et, bien évidemment, l'acte n'avait rien d'une libéralité-partage. La seconde espèce était plus nuancée, car l'un des trois présomptifs héritiers avait reçu un bien divis et les deux autres demeuraient en indivision. La sanction fut identique alors que l'acte en lui-même comprenait une attribution divise partielle, laquelle constitue véritablement une opération de partage . Cette décision a pu surprendre une partie de la doctrine et émouvoir les praticiens. En effet, pour beaucoup d'entre eux la libéralité-partage pouvait, sans risquer la moindre remise en cause, ne procéder qu'à un partage partiel . Les hypothèses exposées à cette remise en cause sont nombreuses . Ce sera le cas lorsque nos « faux attributaires » auront :
  • chacun dans son lot des droits indivis sur des mêmes biens (quotités identiques ou non) ;
  • les uns des droits indivis sur des biens, les autres des biens divis ;
  • certains des droits indivis et une soulte (somme d'argent) et les autres des biens divis ;
  • chacun des biens divis, et tous ou seulement certains d'entre eux en plus des droits indivis sur d'autres biens ;
  • tous des droits divis et des droits indivis .
Autant le premier modèle ne réalise aucun partage et mérite sans objection possible cette déqualification , autant les suivants intègrent des opérations de partage et gagneraient à être confortés en tant que donation-partage.
- Les conséquences de cette conception restrictive . - La relégation de la donation-partage en donation simple a pour conséquences non négligeables que :
  • la donation devient sujette au rapport et chacun des héritiers devra rapporter son lot alors qu'en principe la donation-partage n'est pas rapportable. Ce n'est a priori pas le plus gênant si l'on s'arrête là, car si les lots ne sont pas équivalents en valeur au jour du partage de la succession, alors il y aura des indemnités de rapport à verser par certains ;
  • l'article 1078 du Code civil ne pourra s'appliquer et les biens donnés seront réunis fictivement pour le calcul de la quotité disponible pour leur valeur au jour du décès (C. civ., art. 922). Cela devient un peu plus ennuyeux, car celui qui pensait pouvoir estimer le montant de son attribution est menacé de réduction si son bien a bénéficié de fortes plus-values ;
  • la prescription abrégée de cinq ans à compter du décès spécifique aux libéralités-partages (C. civ., art. 1077-2) ne s'appliquera pas et le délai de droit commun porté à dix années maximum aura vocation à jouer ;
  • le partage successoral qui sera fait suite à cette disqualification sera lui-même sujet à lésion, alors que la donation-partage ne l'est pas ;
  • les éventuelles réincorporations figurant dans la donation-partage pourraient être remises en cause ;
  • l'article 1077-1 du Code civil et ses règles liquidatives particulières ne s'appliquent pas et c'est le droit commun qui le remplace.
On peut également se demander si le consentement à l'aliénation donné en application de l'article 924-4, alinéa 2 du Code civil n'est pas entaché. En effet, ce consentement n'avait-il pas été donné parce qu'au plan du calcul de la quotité disponible et de la réserve, la valeur des lots de chacun était considérée figée et donc, en principe, égalitaire ?
La pratique de ces « fausses donations-partages » a été fortement incitée par le législateur fiscal lequel, brandissant la fameuse autonomie de sa matière, admet sans rechigner la donation-partage de biens indivis . Sur le plan de la sécurité juridique, cette solution jurisprudentielle, théoriquement fondée, nous place dans une certaine inquiétude dans la mesure où elle menace des situations que l'on croyait définitivement acquises par le jeu de l'article 1078 du Code civil. Ces pactes de familles pourraient être remis en cause, même s'ils remontent à plusieurs décennies avant la survenance du décès du donateur.
Cette jurisprudence, que nous estimons un peu sévère, exclut du domaine de la donation-partage toutes les familles dont le patrimoine ne comprend pas suffisamment de biens distincts de valeur équivalente. Si les parents ont trois enfants, il leur faut être propriétaires de trois biens de valeur approximativement égale. Consentir une donation-partage en attribuant à l'un le bien de moindre valeur et aux deux autres enfants l'autre bien en indivision ne semble plus possible.
D'éminents auteurs et des praticiens aguerris ont proposé des remèdes pour corriger les effets d'une déqualification, comme la donation d'excédents de lots, l'impossibilité d'attaquer l'acte ou autres clauses pénales, la clause de rapport forfaitaire, voire de dispense de rapport …
Aucun de ces « remèdes » ne donne pleinement satisfaction et ne procure toute l'efficacité de la donation-partage, et plus spécialement celle de l'article 1078 du Code civil, à l'exception peut-être de la constitution d'une société civile immobilière et d'une répartition des parts entre les copartagés. Si, sur le plan théorique, la solution est imparable, sur le plan pratique elle est à consommer avec modération. Si l'on refuse cette qualification de donation-partage aux donations de biens avec attributions indivises, c'est justement parce qu'elle ne procure pas cette partition et que l'on n'évite pas les difficultés et les contentieux liés à l'indivision. La société civile immobilière, si conflit il y a, n'arrangera rien. Bien au contraire, elle aura tendance à pérenniser les situations conflictuelles.
En conclusion, ces fausses donations-partages sont dangereuses et peu protectrices. Elles sont donc à bannir !

La donation-partage, une protection liquidative ?

Il est admis que la donation-partage est un acte qui confère une bonne protection aux héritiers en leur garantissant une certaine pérennité dans leurs droits. Elle procède de l'idée qu'une partie au moins de la succession est d'ores et déjà réglée et partagée (§ I). Mais cette protection doit être tempérée par les incertitudes qui demeurent quant à l'impact liquidatif de la donation-partage sur la succession (§ II).

Une protection de principe

Rapport et réduction sont les maîtres mots des liquidations successorales. Confrontée à chacune de ces institutions, la donation-partage va se démarquer des règles habituelles dans le but de mieux protéger les copartagés.

La donation-partage « par rapport au rapport »

- Exclusion du rapport. - Le rapport est une opération préalable consistant à reconstituer en nature ou en valeur une masse, un ensemble de biens en vue de sa liquidation, de son partage ou de sa réalisation . Appliqué aux successions, le rapport est « l'institution en vertu de laquelle un héritier doit rendre compte à la succession des libéralités qu'il a reçues du de cujus » . De cette définition, il résulte que le rapport ne se conçoit pas lorsque le partage est déjà réalisé. On ne rapporte pas ce qui est déjà partagé. Comme la donation-partage, par nature et en elle-même réalise un partage, les biens objets de cette donation-partage ne sont jamais assujettis au rapport à la succession du disposant . Rapport et donation-partage, tout comme indivision et donation-partage - et les deux sont liés -, sont antinomiques. On a parfois du mal à comprendre ce principe, probablement en raison d'une lecture trop rapide de l'article 1077 du Code civil qui précise que : « Les biens reçus à titre de partage anticipé par un héritier réservataire présomptif s'imputent sur sa part de réserve, à moins qu'ils n'aient été donnés expressément hors part ». Ce texte n'est qu'une règle d'imputation. Il ne faut pas confondre les donations rapportables et les donations en avancement de part successorale. Car si toutes les donations rapportables sont forcément consenties en avancement de part successorale, toutes les donations consenties en avancement de part successorale ne sont pas rapportables : la donation-partage en est l'illustration et marque la différence entre ces deux notions, dont l'une relève d'une opération de partage (le rapport) et l'autre d'une opération purement liquidative visant à préserver la réserve héréditaire (l'imputation sur la réserve) . Précisons que cette exclusion du domaine du rapport de la donation-partage, à la différence du gel des valeurs que nous verrons plus loin (C. civ., art. 1078), n'est soumise à aucune condition particulière si ce n'est d'avoir véritablement la nature de donation-partage. Pas besoin donc que tous les présomptifs héritiers soient invités à l'acte ; pas de condition non plus quant à la nature des biens et droits donnés.
- Les dangers de stipuler une clause de rapport dans une donation-partage. - La présence dans la donation-partage d'une clause de rapport à la succession du disposant confère à cet acte une ambiguïté existentielle . En effet, l'antinomie entre les notions de donation-partage et de rapport est si forte qu'il va falloir choisir entre les deux celle que l'on va faire prévaloir. Ou bien c'est la nature de partage qui supplante celle du rapport et cette stipulation de rapport sera simplement réputée non écrite , ou bien c'est le rapport qui est déterminant : dans ce cas, l'acte est disqualifié en donation simple et tous les lots seront assujettis au rapport, mais selon les règles de droit commun . De la même manière, l'application de l'article 1078 du Code civil sera écartée. L'acte initial perd donc la plupart de ses atouts. La solution est dictée par l'interprétation de la volonté des parties que donnera le juge du fond.
- Les conséquences de la non-soumission de la donation-partage au rapport. - Cette exclusion du domaine du rapport, attrait majeur de la donation-partage en ce qu'elle est protectrice des droits des copartagés, a une portée principale qui est que toutes les plus-values afférentes aux biens allotis restent définitivement acquises à son attributaire. À la différence du rapport qui fait bénéficier toute la succession des plus-values (C. civ., art. 860), le revers de la médaille est que le donataire subit seul les moins-values. De la même manière, le sort qui a été réservé au bien donné n'a aucune incidence sur le règlement et le partage de la succession. Le bien attribué a pu être consommé, vendu ou bien un autre a pu lui être subrogé. À la différence du rapport qui fait jouer la subrogation en valeur, en matière de donation-partage tout cela importe peu. Le donataire peut donc investir le produit de son bien sans être inquiété par l'obligation qu'il aurait de partager ses éventuels bons placements avec ses cohéritiers. C'est un atout protecteur majeur de la donation-partage. Il doit néanmoins être tempéré ou précisé en deux points :
  • la masse de calcul des droits du conjoint survivant : la question est simple , les biens objets d'une donation-partage doivent-ils être intégrés à la masse de calcul des droits légaux du conjoint survivant ? La doctrine est divisée et la jurisprudence insuffisante pour avoir dégagé une solution. La première thèse consiste à faire une lecture littérale de l'article 758-5 du Code civil qui semble ne soumettre à cette masse que les libéralités rapportables, la donation-partage n'étant pas rapportable la logique veut qu'elle ne soit pas prise en compte dans cette masse de calcul . La seconde thèse tend à faire prévaloir l'esprit sur la lettre en considérant que ce n'est pas le caractère rapportable de la donation qui doit être pris en compte, mais celui d'avance sur part successorale, et c'est ainsi qu'une partie de la doctrine est favorable à porter en cette masse les biens figurant dans les donations-partages réalisées par le de cujus. Seul un jugement du tribunal de grande instance de Paris a tranché la question dans un sens favorable à l'exclusion de ces biens de cette masse de calcul ce qui tend à réduire les droits du conjoint survivant. La question n'étant pas réglée, il semble possible de fixer conventionnellement la règle dans la donation-partage ;
  • la limite de la réserve héréditaire de chacun : si la donation-partage n'est pas rapportable et peut être inégalitaire, cela ne peut être que dans une certaine mesure, celle de l'ordre public successoral et plus particulièrement des droits réservataires de chacun des héritiers. En d'autres termes, la donation-partage est une exception à l'égalité et à la dévolution légale (ce que garantit le rapport), mais dans la limite de la quotité disponible. Nous verrons plus loin les modalités et les incertitudes quant à la liquidation des droits en présence d'une donation-partage.

Quant à la réduction : le gel des valeurs et la prescription abrégée

La donation-partage va conférer une certaine protection aux parties, aux héritiers en considération de l'écoulement du temps. Dans un cas, il s'agira de protéger contre les fluctuations de la valeur des biens donnés dans le laps de temps qui sépare la donation-partage du décès ; dans l'autre cas, il s'agira de protéger les héritiers d'un procès en réduction après le décès par un délai de prescription abrégé.
L'article 1078 du Code civil : une protection liquidative
- Rappel de la règle de calcul de la quotité disponible (C. civ., art. 922). - On sait qu'en application de l'article 922 du Code civil, pour calculer la valeur de la quotité disponible, il est fait une masse dite de « calcul » comprenant l'actif net existant au décès de la succession (biens existants sous déduction du passif et des charges) auquel on réunit fictivement la valeur des biens donnés de son vivant par le de cujus. La valeur prise en considération est celle des biens donnés au jour du décès, dans leur état au jour de la donation. Si des biens ont été subrogés à ces biens donnés, alors c'est la valeur de ces nouveaux biens au jour du décès qui va être prise en compte. Ces règles visent à reconstituer comptablement le patrimoine du défunt. Il en résulte :
  • que les plus-values fortuites sont prises en compte, mais pas les plus-values dues aux améliorations faites par le donataire ;
  • que, par le jeu de la subrogation, les investissements faits par le donataire au moyen des biens donnés profiteront aux cohéritiers. Ces règles peuvent sembler empreintes d'un certain aléa, voire d'une profonde injustice.
Ce sont ces mêmes règles de valorisation qui sont à considérer pour procéder à l'imputation des libéralités.
- La règle dérogatoire de l'article 1078 du Code civil. - L'article 1078 dispose que sous certaines conditions, pour le calcul de la quotité disponible et l'imputation des libéralités, les valeurs à prendre en compte sont celles des biens au jour de la donation-partage. Ces effets sont très larges, car ce gel des valeurs au jour de l'acte vaut :
  • pour les héritiers allotis, mais aussi pour les tiers également allotis à cet acte (donation d'entreprise) ;
  • pour les donations incorporées à la donation-partage (valeur à l'acte de donation-partage).
Cette règle n'empêche pas pour autant l'héritier de contester la valeur qui a été indiquée dans la donation-partage si elle ne correspond pas à la réalité .
Par contre, si réduction de la donation-partage il y a, l'indemnité de réduction doit être calculée conformément au droit commun au jour du partage de la succession (C. civ., art. 924-2) .
- Les conditions de la règle dérogatoire. - Il y en a trois :
  • la présence ou la représentation de toutes les souches : pour jouer, l'article 1078 du Code civil exige que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés aient non seulement accepté la donation-partage, mais aient également reçu un lot dans cette opération de partage. Il s'agira bien évidemment des descendants ; si un nouvel enfant apparaît postérieurement à l'acte de donation-partage, le jeu de l'article 1078 sera exclu. Si, à défaut de descendant, l'héritier réservataire est le conjoint, alors celui-ci devra avoir été impérativement alloti dans l'acte. Son simple consentement à l'acte ne suffit pas. N'oublions pas que le conjoint d'un jour n'est pas forcément celui du décès… ;
  • l'absence de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent : l'hypothèse est simple. Un des copartagés se trouve attributaire d'une somme d'argent grevée d'un quasi-usufruit au profit du donateur. Il en résulte que son lot est une créance portant sur une somme d'argent qu'il pourra recouvrer sur la succession au décès du donateur. Le montant de cette créance est fixé dans l'acte de donation. Par le jeu de l'érosion monétaire son lot, inéluctablement, subira une baisse de valeur. Le gel des valeurs, s'il était applicable, ne tournerait qu'à sa défaveur et doublement : en ne bénéficiant pas des plus-values sur les autres biens et en subissant l'érosion de son lot… aussi la loi a-t-elle voulu corriger cette situation injuste. Cette protection consiste à faire profiter cet attributaire des plus-values faites par les autres ;
  • enfin, le jeu de l'article 1078 du Code civil est soumis à l'absence de clause contraire dans l'acte de donation. C'est-à-dire que ce gel des valeurs est supplétif de volonté et que les parties peuvent bien naturellement renvoyer au droit commun pour le calcul de réserve héréditaire, de la quotité disponible et des imputations. Ce rejet de l'article 1078 peut être justifié dans certaines hypothèses (par ex., dans la donation-partage transgénérationnelle).
- Raisons et opportunité de la règle : l'effet recherché de la donation-partage. - Cette règle de l'article 1078 du Code civil fixant de manière définitive les valeurs des biens donnés à la date de la donation, ajoutée à la non-soumission au rapport de la donation-partage, est sans doute l'attrait majeur de l'acte de donation-partage. En effet ce pacte de famille, en associant tous les héritiers, permet de rendre presque définitifs tous les calculs relatifs aux droits des uns et des autres, et ce quelle que soit la destinée économique des biens attribués. Cela renforce cette opération de partage, sur laquelle on ne pourra pas revenir. La protection est donc majeure : protection des héritiers présomptifs qui sont assurés de ne pas avoir à reverser une quelconque indemnité à leurs copartagés (sauf inégalité manifeste), et protection du donateur dont le dessein successoral se trouve renforcé .
- Effets négatifs de la règle. - Ce gel des valeurs peut avoir un impact important. Envisageons les différents cas :
  • si le de cujus n'a pas consenti d'autres libéralités non incorporées à la date de la donation-partage. La règle produit tous ses bénéfices et le partage ne peut être remis en cause, sauf non-respect de la réserve individuelle de l'un ou l'autre des héritiers. Les comptes n'auront pas à être faits ;
  • si le de cujus a consenti des donations autres que la donation-partage (non incorporée), alors il y aura deux règles d'évaluation : celle de la donation-partage avec des valeurs qui, en principe, devraient être minorées par rapport aux résultats qu'auraient donnés les règles normales, et celle de l'article 922. Pour les autres donations, il peut en résulter que les copartagés, par cette dualité de règle et la minoration dont ils bénéficient, ne soient pas remplis de leur réserve individuelle, et que par là même les autres donations subissent une réduction ;
  • enfin, cette règle a pour effet mathématique de minorer la masse de calcul de la quotité disponible, ce qui hypothèque de facto la liberté testamentaire du disposant.
- Un aménagement de la règle ? - Il a été émis l'idée de pouvoir aménager la règle dans l'acte de donation. De sorte que l'article 1078 du Code civil ne produirait ses effets que si le disposant n'a pas consenti d'autres libéralités que la donation-partage . Nous pensons qu'une telle clause n'est pas possible pour plusieurs raisons :
  • sur le plan textuel, ce texte dérogatoire ne prévoit pas cette application alternative ;
  • sur le plan purement contractuel, cela confère au disposant un pouvoir important qui lui permet de manière unilatérale, potestative, de changer profondément les règles du jeu auxquelles les héritiers avaient adhéré (imaginons : un père a donné tous ses biens par donation-partage, puis pour des raisons personnelles il se « brouille » avec l'un de ses enfants qui avait été alloti d'un bien dont la valeur a augmenté. Même s'il ne lui reste plus rien à donner, il lui suffirait d'instituer un autre de ses enfants légataire universel pour que celui avec qui il est fâché ait à rendre une portion de son lot qu'il se croyait définitivement acquis…). Cela conférerait un certain arbitraire dans cette protection que l'article 1078 du Code civil donne à tous les copartagés.
La prescription abrégée offerte par la donation-partage
- Un délai raccourci. - L'action en réduction à l'encontre d'une donation-partage est prescrite par cinq années à compter du décès du donateur. Pour les donations-partages conjonctives et cumulatives faites à des enfants communs, le délai court à compter du décès du survivant (C. civ., art. 1077-2).

Les incertitudes liquidatives : une protection à préciser…

Il nous faut envisager, dans un premier cas, l'hypothèse où l'un des héritiers n'est pas rempli de sa réserve héréditaire (A), puis les hypothèses ou un événement imprévu, voire imprévisible viendra modifier le projet de défunt qui s'était attaché à faire, de son vivant, son partage (B).

La donation-partage et la protection de la réserve héréditaire

- La situation. - Lorsqu'il s'agit de liquider une succession en présence de donation-partage par le de cujus, il faut considérer deux choses :
  • la donation-partage est une libéralité en avancement de part successorale ;
  • le liquidateur doit se borner à vérifier que chacun des réservataires est rempli de sa réserve héréditaire. Si ce n'est pas le cas pour l'un d'entre eux, alors il doit être rempli de ses droits soit au moyen de l'actif existant non légué, soit par le biais d'une indemnité de réduction. Ce dernier cas est le plus simple. L'indemnité de réduction est calculée conformément aux règles classiques : les legs sont réduits concurremment sauf stipulation de rang et les donations - dont la donation-partage - sont aussi réduites en commençant par les plus récentes. L'hypothèse où l'actif existant non légué est suffisant pour compléter la part de réserve de l'héritier insuffisamment alloti est curieusement plus complexe, car pas véritablement tranchée. Deux méthodes liquidatives s'opposent. Elles ont été retenues la première par le tribunal de grande instance de Carpentras , et la seconde par le tribunal de grande instance de Paris .
- La première méthode, dite « de Carpentras ». - Cette première méthode consiste à d'abord remplir sur l'actif existant l'héritier lésé du montant de sa réserve individuelle, puis à répartir le solde de cet actif existant entre lui-même (non rempli de sa réserve) et tous les autres héritiers.
- La seconde méthode, dite « de Paris ». - Cette seconde méthode consiste à diviser l'actif existant entre les héritiers selon leur vocation légale. Si cette répartition comble tous les héritiers de leur part de réserve, alors on en reste là et la donation-partage n'est pas remise en cause par des indemnités de réduction. Ce partage égalitaire de l'actif existant vient simplement s'empiler avec la donation-partage et suffit à « refaire les niveaux ». Par contre, si cette répartition ne suffit pas à remplir un héritier de ses droits réservataires, alors le complément sera prélevé de manière égalitaire sur la part des autres héritiers.

Tableau comparatif : « Paris-Province »

Jean-Edern a deux enfants : Rika et Bernard-Henri.
Il leur a consenti une donation-partage inégalitaire : Rika reçoit 60 et Bernard-Henri reçoit 260 (l'article 1078 du Code civil est applicable).
Jean-Edern décède et a fait un legs à titre particulier de 50 à Pierre.
L'actif net existant au décès est de 400.
Masse de calcul de la quotité disponible :
Actif net existant : 400.
Réunion fictive des donations : + 320.
Total formant la masse de calcul = 720.
Quotité disponible d'1/3 : 240.
Réserve globale des 2/3 : 480.
Réserve individuelle d'1/3 : 240.
Tableau à venir
- Appréciations des deux méthodes. - La première méthode revient à rétablir une meilleure égalité entre les cohéritiers : l'héritier qui n'avait pas reçu sa réserve reçoit davantage dans la mesure où non seulement il reçoit sa part de réserve individuelle, mais il prend également une part de l'actif existant. La seconde méthode, moins généreuse avec cet héritier aux droits minorés, revient à limiter ses droits à sa réserve héréditaire. Aucune doctrine dominante ne semble se dégager sur cette bien embarrassante question . Nous rejoignons Bernard Vareille dans l'idée qu'il ne faut peut-être pas avoir une position absolue et indifférenciée . La réponse sur la technique liquidative à adopter résulte sans doute de la volonté du disposant. La donation-partage inégalitaire était peut-être égalitaire au départ, mais parce que l'article 1078 du Code civil ne trouve pas à s'appliquer, elle ne l'est plus au décès ; dans ce cas, la méthode provinciale devrait être préférée. Par contre, si la volonté du de cujus était de véritablement limiter un des héritiers à sa réserve, alors la méthode parisienne devrait prévaloir. Une indication dans l'acte de donation-partage serait la bienvenue !

La protection du projet successoral du disposant

L'apparition d'un nouveau successeur : la protection de l'héritier non conçu lors de la donation-partage
- Hypothèse. - Le de cujus a procédé à une donation-partage entre tous ses enfants existants au jour où l'acte a été signé. Puis, entre cet acte et son décès, un nouvel héritier apparaît. Il ne s'agit pas du cas où un héritier a été volontairement évincé de ce partage ou de celui dans lequel un des héritiers n'a pas voulu concourir à l'acte. Il s'agit du cas de l'héritier non conçu au jour de la donation . La situation est différente dans la mesure où l'inégalité provoquée par la donation-partage ne peut pas être volontaire, puisque cet héritier présomptif était inconnu du disposant. Dans ce cas, la loi protège cet « héritier surprise ».
- Traitement liquidatif protecteur de l'héritier présomptif. - L'article 1077-2, alinéa 3 du Code civil permet donc à cet enfant non conçu de reconstituer sa part dans la succession , laquelle part n'est pas limitée à sa réserve. Cet héritier a donc vocation à recevoir une part successorale complète. Cette part sera calculée en ajoutant fictivement à l'actif net existant (bien existant sous déduction du passif et des charges) les donations en avancement de part successorale et les donations-partages (valeur au jour du partage), ainsi que les éventuelles indemnités de réduction s'il y en a. Doivent être également déduits les legs et ne font pas partie de cette masse les donations préciputaires. Le total est divisé par le nombre d'héritiers et le résultat constitue les droits de chacun. L'héritier non conçu au jour de la donation-partage perçoit sa part sur l'actif net existant non légué et, s'il est insuffisant, au moyen d'une indemnité dite « de réduction » contre les autres héritiers déjà allotis. Cette action, malgré la lettre du texte, s'apparente davantage à une action en rapport qu'à une action en réduction (« action en réduction aux fins d'égalité ») . Cette action est ouverte à tous les héritiers et pas seulement aux descendants titulaires d'une réserve héréditaire .
La renonciation par un copartagé à la succession du donateur
- Cas de figure. - La situation est simple : un des copartagés renonce à la succession. Il est donc écarté de la succession, mais cette renonciation risque de remettre en cause le partage qui avait été effectué, de son vivant, par le de cujus. Par sa renonciation, il disparaît de la scène successorale et perd complètement sa qualité d'héritier. Le lot qu'il a reçu lui devient préciputaire. Cette renonciation modifie la nature de l'acte initial en lui conférant une part préciputaire. Quelle valeur doit-on retenir de ce lot du renonçant pour le calcul de la quotité disponible et des réserves individuelles pour déterminer si chacun en est rempli (C. civ., art. 1077-1) ? Si les conditions de l'article 1078 du Code civil n'étaient pas remplies à la signature de la donation, on appliquera les règles de droit commun, c'est-à-dire que les valeurs des biens attribués à tous les copartagés seront prises en compte au décès. Par contre, en cas d'application de l'article 1078, doit-on retenir la valeur au jour de la donation-partage tant pour les biens des acceptants que pour ceux des renonçants ? En d'autres termes, l'article 1078 du Code civil peut-il s'appliquer à une personne qui n'est pas héritière ?
La question est complexe et sans véritable solution. Les enjeux liquidatifs sont présents. Si le bien donné au renonçant a augmenté de valeur, et si l'on considère les valeurs au jour de la donation pour les acceptants et au jour du décès pour le renonçant, alors mathématiquement on va réduire le disponible après l'imputation de cette donation. La solution est injuste. Elle le serait d'autant plus si toute la donation-partage était réductible puisque celle du renonçant, plus importante, serait réduite proportionnellement et donc d'un moindre montant (ce pourrait être le cas d'un second conjoint réservataire non rempli de sa réserve). Aussi préférera-t-on appliquer dans sa globalité l'article 1078 du Code civil, dont le dessein est bien de protéger chaque attributaire. Il semble par ailleurs difficile de revenir sur cet acte, les conditions de l'article 1078 devant être appréciées au jour de l'acte lui-même et non pas au décès.

L'article 1078 du Code civil et la renonciation d'un copartagé

W consent une donation-partage à ses trois enfants A, B et C de 50 chacun (valeur DP).
W décède et C renonce à la succession. Le bien reçu par lui, qui valait 50, vaut au décès 75 (C n'est pas représenté),
Le défunt a institué un légataire universel D.
Les biens existants sont de 50.
Si l'on applique l'article 1078 à tous
Masse de calcul : 150 + 50 = 200.
La quotité disponible est donc de 1/3 = 66,66.
La réserve héréditaire individuelle est de : 66,66.
Les deux réservataires doivent donc recevoir au minimum : 66,66.
Ils ont reçu par la donation-partage : 50,00.
Reste donc à recevoir par chacun : 16,66.
Reste sur les biens existant pour le légataire D : 16,68.
Si l'on prend la valeur au décès du bien du renonçant
Masse de calcul : 225.
La quotité disponible est donc de 1/3 = 75,00.
La réserve héréditaire individuelle est de : 75,00.
Les deux réservataires doivent donc recevoir au minimum : 75,00.
Ils ont reçu par la donation-partage : 50,00.
Reste donc à recevoir par chacun : 25,00 × 2 = 50.
Ce qui épuise les biens existants et le légataire ne reçoit rien.
Conclusion :
La revalorisation n'est pas favorable au de cujus qui perd du disponible.
La revalorisation peut être favorable aux autres présomptifs héritiers réservataires, car elle peut rendre cette libéralité réductible.
L'esprit de l'article 1078 du Code civil est de sécuriser et de protéger les copartagés ainsi que le disposant. Aussi nous pensons que seule la première méthode vaut.
La perte de qualité de présomptif héritier
- Le cas du conjoint à la donation-partage. - Nous avons vu que la donation-partage avait été, en 2006, ouverte au conjoint. Autant le lien de filiation et la qualité d'héritier du sang sont relativement pérennes et ne risquent pas d'être perdus, autant la qualité de conjoint est de moins en moins acquise. Le conjoint d'un jour n'est plus forcément le conjoint de demain ou celui des derniers jours. Pour autant il a pu être alloti dans une donation-partage mais n'est plus héritier. Quelle est l'incidence du divorce entre la donation-partage et le décès ?
Tout d'abord, le bien attribué restera acquis à l'ex-conjoint, mais son lot ne pourra s'imputer que sur la quotité disponible ordinaire (il a perdu sa quotité disponible spéciale) à la date de la donation. Reste la question de l'évaluation : bénéficie-t-il de la règle de l'article 1078 du Code civil qui, c'est une certitude, reste acquise aux autres copartagés ? Une réponse négative a pu être donnée à cette question très rarement étudiée . Toutefois, nous reprenons l'idée développée dans le précédent paragraphe, à savoir que ne pas appliquer à l'ex-conjoint ce gel des valeurs serait trop défavorable à tous les successeurs. Considérons donc que cette protection de l'article 1078 s'applique également dans cette hypothèse.