La procédure d'alerte de l'article 387-3, alinéa 2

La procédure d'alerte de l'article 387-3, alinéa 2

- L'alerte par le notaire : un système nouveau et original. - Le moins que l'on puisse écrire est que la finalité de ce texte est bien étrangère à la protection des intérêts du mineur lors du changement de régime matrimonial. À l'origine, il devait permettre au juge en charge de l'administration légale des biens des mineurs de renforcer son contrôle des actes de l'administrateur. On suppose une situation complexe ou particulièrement dégradée où les intérêts patrimoniaux du mineur sont mal défendus par son administrateur ou pourraient être difficiles à défendre. Si le juge l'estime « indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération de la composition ou de la valeur du patrimoine, de l'âge du mineur ou de sa situation familiale » (al. 1er) il peut, ainsi, soumettre à son autorisation préalable des actes qu'en d'autres circonstances l'administrateur légal ou les administrateurs légaux auraient faits sans son autorisation.
Le juge apprécie la nécessité d'accentuer sa surveillance « à l'occasion du contrôle des actes mentionnés à l'article 387-1 », c'est-à-dire dans l'exercice ordinaire de sa tutelle, mais également s'il est alerté par des tiers d'un risque d'atteinte grave aux intérêts du mineur. C'est là toute l'originalité de la procédure qu'instaure l'alinéa 2 : « Le juge est saisi aux mêmes fins par les parents ou l'un d'eux, le ministère public ou tout tiers ayant connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci ». Comprenons que quiconque, confronté à l'impéritie du ou des administrateurs légaux, peut en alerter le juge qui appréciera, dans ce cas, s'il doit renforcer son contrôle en exigeant que soient soumis à son autorisation des actes qui, normalement, ne le seraient pas.
Ainsi le notaire rédacteur devrait, s'il l'estime nécessaire, alerter le juge afin que celui-ci décide s'il doit soumettre l'acte de changement de régime matrimonial à son autorisation… C'est, du moins, ce qu'il est permis de comprendre et c'est ainsi que l'envisage la circulaire du 25 mars 2019 :
« Tout tiers, et notamment le notaire, officier public et ministériel, peut alerter et saisir le juge des tutelles des mineurs sur le fondement de l'article 387-3 du Code civil s'il constate un risque d'atteinte aux intérêts patrimoniaux d'un enfant mineur, afin qu'un contrôle renforcé de la situation soit ordonné par le juge des tutelles. En ce cas, c'est ici le juge des tutelles des mineurs qui exercera un contrôle et pourra soumettre l'acte à son autorisation » .
- Juge compétent. - Le notaire devra adresser l'alerte au juge compétent pour l'administration des biens du mineur concerné. Selon l'article 1070 du Code de procédure civile, le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :
« - le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;
- si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité… ».
Si les époux ont plusieurs enfants mineurs sous administration légale… plusieurs juges pourraient ainsi devoir être saisis…
- Formes de l'alerte. - Le juge « des tutelles » (plus précisément le juge aux affaires familiales statuant en matière d'administration légale) est saisi par requête : c'est ce que prévoit l'article 1180-7 du Code de procédure civile, qui ajoute, en son second alinéa :
« Lorsque la requête est fondée sur les dispositions du deuxième alinéa de l'article 387-3 du Code civil, elle comporte à peine d'irrecevabilité, les mentions prévues à l'alinéa précédent et l'énoncé précis des faits de nature à porter gravement préjudice aux intérêts patrimoniaux du mineur ou qui compromettent manifestement et substantiellement ceux-ci ainsi que, le cas échéant, les pièces propres à justifier ces faits ».
Le notaire devrait donc former lui-même, et en son propre nom, une requête exposant avec le plus de précisions possibles ses craintes pour l'intérêt du mineur, à l'encontre de son propre projet d'acte qu'il joindra en copie… On se prend à soupçonner que l'auteur d'une solution aussi difficile à mettre en œuvre ne s'attende pas à ce qu'elle le soit ! Peut-être faut-il comprendre le dispositif comme dissuasif :
  • soit le notaire n'aura aucune crainte de léser les intérêts du mineur et il recevra l'acte ;
  • soit il aura un doute et, dans ce cas, il est peu probable que, même en ayant sollicité l'accord de ses clients, il écrive à un juge que l'acte qu'il se propose de recevoir nuit gravement aux intérêts d'un tiers (V. infra, § II, Les cas où le notaire doit donner l'alerte, nos et s.). Plus probablement, il refusera de recevoir l'acte.
Le notaire n'est qu'un tiers parmi d'autres à pouvoir donner l'alerte mais, s'il en prend l'initiative, elle sera nécessairement préalable à la signature de l'acte : on n'imagine pas qu'il éprouve la nécessité de consulter le juge, mais il endosse, néanmoins, la responsabilité d'établir l'acte définitif sans que l'avis sollicité ait été donné.
Par pure mais prudente précaution, il est vivement conseillé au notaire d'adresser au juge des tutelles sa requête d'alerte par pli postal recommandé avec demande d'avis de réception.
- Les suites de l'alerte. - Le notaire ayant adressé à un juge une requête à laquelle est annexé le projet de l'acte de changement de régime matrimonial (V. supra, no ), on aurait pu s'attendre à ce que ce juge n'ait plus qu'à l'agréer ou non. Très simplement, dans des cas (sans doute exceptionnels ; V. infra, no ) où le notaire aurait douté de la parfaite conformité du projet à l'intérêt de la famille, il aurait pu demander au juge de l'approuver : une sorte d'« homologation facultative » dont la demande aurait été laissée à l'appréciation (et donc, à la responsabilité) du notaire rédacteur.
Telle n'est pas la logique de l'article 387-3, alinéa 2 du Code civil , écrit à d'autres fins. Le juge requis sur le fondement de ce texte ne peut ni approuver ni désapprouver les faits ou actes qui lui sont rapportés. Pas plus ne pourrait-il homologuer (ni, d'ailleurs, refuser d'homologuer) le projet qui ne lui est pas soumis mais, simplement, rapporté. Ayant eu connaissance d'un projet susceptible de porter atteinte aux intérêts du mineur, il doit décider :
  • soit de ne rien faire s'il estime l'alerte inutile ;
  • soit, s'il l'estime fondée : « envisager selon les cas d'ordonner une mesure de contrôle renforcé et de soumettre le changement de régime matrimonial à son autorisation » .
La formule est chantournée parce que les pouvoirs que le juge tient de l'article 387-3 n'ont, définitivement, pas été conçus pour résoudre la difficulté ici rencontrée. Ce que le texte permet au juge, quelle que soit la manière dont il est informé d'une situation susceptible de menacer les intérêts du mineur, c'est de renforcer son contrôle. Il peut alors placer le ou les administrateurs légaux sous sa surveillance plus étroite en soumettant à son autorisation « un acte ou une série d'actes » (V. l'alinéa 1er) qui, par hypothèse, ne la nécessitent pas dans le régime commun. Il ne peut, en principe, rien faire d'autre.
Ainsi le juge, dûment alerté par le notaire du changement projeté, devrait-il, s'il estime l'alerte fondée, inviter les époux à lui présenter une requête aux fins qu'il autorise :
  • un acte qui n'est pas fait pour le compte du mineur ;
  • dont il connaît, déjà, tous les détails puisque le projet de cet acte était joint à la requête du notaire ayant donné l'alerte (V. supra, no )…
On en viendrait presque à espérer que la pratique finisse par ignorer le processus légal : peut-être l'habitude se prendra-t-elle que, saisi par la requête initiale du notaire, le juge prenne immédiatement une décision d'autoriser ou de ne pas autoriser l'acte dont il est alerté. Un tel raccourci, pour pragmatique qu'il apparaisse, n'est pas ce que prévoit le texte de l'article 387-3.
La question principale demeure toutefois de savoir dans quels cas le notaire pourrait être amené à saisir le juge des tutelles.