La suppression de la procédure d'homologation et le nouveau rôle d'alerte du notaire

La suppression de la procédure d'homologation et le nouveau rôle d'alerte du notaire

Focus sur les nouveaux textes

C. civ., art. 1397, al. 5 : « Lorsque l'un ou l'autre des époux a des enfants mineurs sous le régime de l'administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 387-3 du Code civil. »
C. civ., art. 387-3 : « À l'occasion du contrôle des actes mentionnés à l'article 387-1, le juge peut, s'il l'estime indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération de la composition ou de la valeur du patrimoine, de l'âge du mineur ou de sa situation familiale, décider qu'un acte ou une série d'actes de disposition seront soumis à son autorisation préalable.
Le juge est saisi aux mêmes fins par les parents ou l'un d'eux, le ministère public ou tout tiers ayant connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci.
Les tiers qui ont informé le juge de la situation ne sont pas garants de la gestion des biens du mineur faite par l'administrateur légal. »
- Mineur sous tutelle et mineur sous administration légale. - Le droit de critique du mineur sous tutelle étant exercé par son tuteur, l'éventuelle « procédure d'alerte » ne concerne que le seul enfant mineur sous administration légale, qu'il s'agisse :
  • de l'enfant mineur des deux époux qui, en principe, est placé sous l'administration légale de ses deux parents ;
  • de l'enfant mineur de l'un deux, que l'administration légale soit exercée par un ou deux parents.
On a bien compris la difficulté que le législateur se proposait de résoudre (V. supra, no ), mais on s'étonne de la manière choisie pour le faire :
Depuis la précédente réforme, celle du 23 juin 2006, le juge n'est plus systématiquement sollicité pour apprécier la conformité du changement de régime matrimonial à « l'intérêt de la famille » dont l'article 1397 du Code civil maintient qu'il doit être le but poursuivi danstout changement de régime matrimonial . La définition de l'intérêt de la famille est désormais, par principe, laissée à l'appréciation des membres de la famille concernée : les époux eux-mêmes et leurs enfants qui, recevant notification de la nouvelle convention matrimoniale de leurs parents, peuvent en contester la conformité à l'intérêt de la famille. S'ils le font, le juge reprend son rôle d'arbitre et définira ce qu'est, au cas particulier, l'« intérêt de la famille » .
L'enfant mineur des époux ou de l'un d'eux n'a pas la capacité d'exercer, par lui-même, ce droit de critique, qui ne peut, non plus, l'être par ses représentants légaux dont l'un au moins (souvent les deux) est partie au contrat dont est interrogée la conformité ou, à tout le moins, la non-contrariété à l'intérêt de la famille. C'est pourquoi, dans ce cas, cette appréciation restait confiée au juge et l'homologation était toujours requise .
- Quelle représentation spéciale pour le mineur sous administration légale ? - Pour faire l'économie (car c'est bien, hélas, de cela qu'il s'agit…) de l'intervention d'un juge dans une telle situation, on pouvait envisager deux solutions :
  • éliminer la difficulté en supprimant purement et simplement tout droit de critique des enfants, mineurs comme majeurs : solliciter systématiquement l'avis des enfants était la pratique contestable et contestée retenue par certaines juridictions avant la réforme de 2006, mais, plus encore après ;
  • ou, si le droit de critique des enfants devait être maintenu, organiser un mode de représentation idoine du mineur sous administration légale comme cela est désormais le cas pour le mineur sous tutelle (V. infra, no et s.).
L'originalité (à tous les sens du terme…) de la solution ici mise en place est de ne pas organiser la représentation ad hoc du mineur concerné pour l'exercice d'un droit de critique. Alors que ce droit peut être exercé par tous les autres enfants du couple ou en leur nom, qu'ils soient majeurs, capables ou protégés, ou mineurs sous tutelle, le mineur sous administration légale (la majorité d'entre eux…) n'a pas la possibilité de s'opposer au changement de régime matrimonial de son ou ses parents, ni directement ni par la voix d'un représentant, ni susciter, ainsi, une demande d'homologation judiciaire. Aucune notification du changement de régime matrimonial ne lui sera faite, ni à lui, ni à son ou ses représentants. Lorsqu'il est l'enfant mineur d'une précédente union, il n'y a donc pas à notifier le changement de régime matrimonial de son parent remarié à l'autre parent, coadministrateur légal .
- Les raisons de la solution adoptée par le législateur. - La justification est noble qui considère que la réforme procède du « postulat d'une présomption de bonne gestion des biens du mineur par ses représentants légaux » , et… doublement incohérente :
Il n'est effectivement aucune raison de soupçonner, a priori, que les parents conspirent à nuire à leurs enfants. Pas plus à leur enfant mineur sous administration légale qu'à leur enfant mineur sous tutelle, qu'à leur enfant majeur, capable ou protégé. S'il faut présumer que les parents défendent naturellement l'intérêt de leurs enfants, alors il fallait supprimer le droit d'opposition pour tous les enfants, majeurs comme mineurs, quitte à leur ménager une forme de recours a posteriori, pour le cas où la présomption serait démentie par les faits.
On ne voit pas, surtout, en quoi le changement du régime matrimonial de ses parents aurait trait, même de loin, à la « bonne gestion des biens du mineur ». L'« intérêt de la famille » que l'article 1397 du Code civil commande de respecter, ne se résume pas, loin s'en faut, à l'intérêt patrimonial des enfants. Il est même courant que le changement de régime matrimonial contrarie, plus ou moins immédiatement, l'intérêt (au sens large) des enfants tout en restant conforme à l'intérêt de la famille, conçu et défini comme l'intérêt de la cellule familiale, distinct de celui, individuel, de chacun de ses membres. On sait, depuis l'arrêt Alessandri , que l'intérêt de la famille peut être contraire à celui de l'enfant. Ainsi les époux peuvent-ils, en se conformant rigoureusement aux canons de l'article 1397, ignorer, voire contrarier les intérêts de leur enfant mineur. On ne comprend pas qu'un tel changement, qui aurait toute chance d'être homologué en cas d'opposition d'un enfant majeur, puisse ne pas aboutir si, le juge des tutelles, ayant été alerté, le refusait parce que, fidèle à sa mission, il ne statue que dans le seul intérêt du mineur.
Pour une seule catégorie de mineur (celui sous administration légale), le dispositif nouveau n'ouvre pas le droit de critique dont disposent tous les autres enfants des époux mais permet (et peut-être même enjoint) au juge de refuser, en la seule présence de cet enfant, des changements qui auraient été possibles en son absence.
Cette double incohérence ou, à tout le moins, cette double ambiguïté, nimbe d'incertitudes l'entière procédure. On cherche à comprendre :
Comment sera déclenchée, puis se déroulera et, finalement comment aboutira la procédure d'alerte (§ I) mais, plus encore, dans quels cas elle doit être déclenchée (§ II) ?

La procédure d'alerte de l'article 387-3, alinéa 2

- L'alerte par le notaire : un système nouveau et original. - Le moins que l'on puisse écrire est que la finalité de ce texte est bien étrangère à la protection des intérêts du mineur lors du changement de régime matrimonial. À l'origine, il devait permettre au juge en charge de l'administration légale des biens des mineurs de renforcer son contrôle des actes de l'administrateur. On suppose une situation complexe ou particulièrement dégradée où les intérêts patrimoniaux du mineur sont mal défendus par son administrateur ou pourraient être difficiles à défendre. Si le juge l'estime « indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération de la composition ou de la valeur du patrimoine, de l'âge du mineur ou de sa situation familiale » (al. 1er) il peut, ainsi, soumettre à son autorisation préalable des actes qu'en d'autres circonstances l'administrateur légal ou les administrateurs légaux auraient faits sans son autorisation.
Le juge apprécie la nécessité d'accentuer sa surveillance « à l'occasion du contrôle des actes mentionnés à l'article 387-1 », c'est-à-dire dans l'exercice ordinaire de sa tutelle, mais également s'il est alerté par des tiers d'un risque d'atteinte grave aux intérêts du mineur. C'est là toute l'originalité de la procédure qu'instaure l'alinéa 2 : « Le juge est saisi aux mêmes fins par les parents ou l'un d'eux, le ministère public ou tout tiers ayant connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci ». Comprenons que quiconque, confronté à l'impéritie du ou des administrateurs légaux, peut en alerter le juge qui appréciera, dans ce cas, s'il doit renforcer son contrôle en exigeant que soient soumis à son autorisation des actes qui, normalement, ne le seraient pas.
Ainsi le notaire rédacteur devrait, s'il l'estime nécessaire, alerter le juge afin que celui-ci décide s'il doit soumettre l'acte de changement de régime matrimonial à son autorisation… C'est, du moins, ce qu'il est permis de comprendre et c'est ainsi que l'envisage la circulaire du 25 mars 2019 :
« Tout tiers, et notamment le notaire, officier public et ministériel, peut alerter et saisir le juge des tutelles des mineurs sur le fondement de l'article 387-3 du Code civil s'il constate un risque d'atteinte aux intérêts patrimoniaux d'un enfant mineur, afin qu'un contrôle renforcé de la situation soit ordonné par le juge des tutelles. En ce cas, c'est ici le juge des tutelles des mineurs qui exercera un contrôle et pourra soumettre l'acte à son autorisation » .
- Juge compétent. - Le notaire devra adresser l'alerte au juge compétent pour l'administration des biens du mineur concerné. Selon l'article 1070 du Code de procédure civile, le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :
« - le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;
- si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité… ».
Si les époux ont plusieurs enfants mineurs sous administration légale… plusieurs juges pourraient ainsi devoir être saisis…
- Formes de l'alerte. - Le juge « des tutelles » (plus précisément le juge aux affaires familiales statuant en matière d'administration légale) est saisi par requête : c'est ce que prévoit l'article 1180-7 du Code de procédure civile, qui ajoute, en son second alinéa :
« Lorsque la requête est fondée sur les dispositions du deuxième alinéa de l'article 387-3 du Code civil, elle comporte à peine d'irrecevabilité, les mentions prévues à l'alinéa précédent et l'énoncé précis des faits de nature à porter gravement préjudice aux intérêts patrimoniaux du mineur ou qui compromettent manifestement et substantiellement ceux-ci ainsi que, le cas échéant, les pièces propres à justifier ces faits ».
Le notaire devrait donc former lui-même, et en son propre nom, une requête exposant avec le plus de précisions possibles ses craintes pour l'intérêt du mineur, à l'encontre de son propre projet d'acte qu'il joindra en copie… On se prend à soupçonner que l'auteur d'une solution aussi difficile à mettre en œuvre ne s'attende pas à ce qu'elle le soit ! Peut-être faut-il comprendre le dispositif comme dissuasif :
  • soit le notaire n'aura aucune crainte de léser les intérêts du mineur et il recevra l'acte ;
  • soit il aura un doute et, dans ce cas, il est peu probable que, même en ayant sollicité l'accord de ses clients, il écrive à un juge que l'acte qu'il se propose de recevoir nuit gravement aux intérêts d'un tiers (V. infra, § II, Les cas où le notaire doit donner l'alerte, nos et s.). Plus probablement, il refusera de recevoir l'acte.
Le notaire n'est qu'un tiers parmi d'autres à pouvoir donner l'alerte mais, s'il en prend l'initiative, elle sera nécessairement préalable à la signature de l'acte : on n'imagine pas qu'il éprouve la nécessité de consulter le juge, mais il endosse, néanmoins, la responsabilité d'établir l'acte définitif sans que l'avis sollicité ait été donné.
Par pure mais prudente précaution, il est vivement conseillé au notaire d'adresser au juge des tutelles sa requête d'alerte par pli postal recommandé avec demande d'avis de réception.
- Les suites de l'alerte. - Le notaire ayant adressé à un juge une requête à laquelle est annexé le projet de l'acte de changement de régime matrimonial (V. supra, no ), on aurait pu s'attendre à ce que ce juge n'ait plus qu'à l'agréer ou non. Très simplement, dans des cas (sans doute exceptionnels ; V. infra, no ) où le notaire aurait douté de la parfaite conformité du projet à l'intérêt de la famille, il aurait pu demander au juge de l'approuver : une sorte d'« homologation facultative » dont la demande aurait été laissée à l'appréciation (et donc, à la responsabilité) du notaire rédacteur.
Telle n'est pas la logique de l'article 387-3, alinéa 2 du Code civil , écrit à d'autres fins. Le juge requis sur le fondement de ce texte ne peut ni approuver ni désapprouver les faits ou actes qui lui sont rapportés. Pas plus ne pourrait-il homologuer (ni, d'ailleurs, refuser d'homologuer) le projet qui ne lui est pas soumis mais, simplement, rapporté. Ayant eu connaissance d'un projet susceptible de porter atteinte aux intérêts du mineur, il doit décider :
  • soit de ne rien faire s'il estime l'alerte inutile ;
  • soit, s'il l'estime fondée : « envisager selon les cas d'ordonner une mesure de contrôle renforcé et de soumettre le changement de régime matrimonial à son autorisation » .
La formule est chantournée parce que les pouvoirs que le juge tient de l'article 387-3 n'ont, définitivement, pas été conçus pour résoudre la difficulté ici rencontrée. Ce que le texte permet au juge, quelle que soit la manière dont il est informé d'une situation susceptible de menacer les intérêts du mineur, c'est de renforcer son contrôle. Il peut alors placer le ou les administrateurs légaux sous sa surveillance plus étroite en soumettant à son autorisation « un acte ou une série d'actes » (V. l'alinéa 1er) qui, par hypothèse, ne la nécessitent pas dans le régime commun. Il ne peut, en principe, rien faire d'autre.
Ainsi le juge, dûment alerté par le notaire du changement projeté, devrait-il, s'il estime l'alerte fondée, inviter les époux à lui présenter une requête aux fins qu'il autorise :
  • un acte qui n'est pas fait pour le compte du mineur ;
  • dont il connaît, déjà, tous les détails puisque le projet de cet acte était joint à la requête du notaire ayant donné l'alerte (V. supra, no )…
On en viendrait presque à espérer que la pratique finisse par ignorer le processus légal : peut-être l'habitude se prendra-t-elle que, saisi par la requête initiale du notaire, le juge prenne immédiatement une décision d'autoriser ou de ne pas autoriser l'acte dont il est alerté. Un tel raccourci, pour pragmatique qu'il apparaisse, n'est pas ce que prévoit le texte de l'article 387-3.
La question principale demeure toutefois de savoir dans quels cas le notaire pourrait être amené à saisir le juge des tutelles.

Les cas où le notaire doit donner l'alerte

- Le notaire : gardien de l'intérêt du mineur. - Garde-fou à la déjudiciarisation du changement de régime en présence d'enfant mineur, le notaire devient le « chef d'orchestre de la procédure » . Ainsi, « il ne se contente plus d'être rédacteur d'acte mais se trouve désormais en charge du bon déroulement et de la conformité de l'ensemble du changement, dont il devient la véritable tour de contrôle » . La réforme se borne ici à étendre à une hypothèse inédite une procédure qui existait déjà . Quiconque (notaire compris) « a connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci » (C. civ., art. 387-3, al. 2) peut en avertir le juge depuis l'entrée en vigueur du texte le 1er janvier 2016. L'essentiel de la question consiste donc à se demander quand le notaire devra exercer cette faculté d'alerte. La circulaire n'éclaire guère sur le rôle qu'il est censé jouer, qui se contente d'indiquer qu'il saisira le juge « en cas de difficulté » ! Deux conceptions s'affrontent :
L'alerte du juge serait rare, car réservée aux cas les plus graves. Elle pourrait même ne jamais être donnée, si le notaire parvient à décourager les parties de passer l'acte ou refuse d'y prêter son concours.
La saisine du juge pourrait s'avérer plus systématique en cas de doute.
Chacune de ces thèses a ses partisans. Il est particulièrement délicat pour le notaire de trancher pour une attitude ou l'autre car, en filigrane, surgit la question de son éventuelle responsabilité.
- Thèses en présence. - Dans la mesure où l'esprit de la réforme est de « déjudiciariser » la procédure de changement de régime matrimonial, il semblerait contraire au texte que le notaire saisisse le juge des tutelles de manière quasi systématique, « par prudence », dès qu'il existe un enfant mineur. Seules « les situations exceptionnelles ou marginales » , ou encore les « hypothèses de menace graves sur l'intérêt patrimonial de l'enfant, ce qui serait sans doute conforme aux vœux législatifs » devraient justifier la saisine du juge. À s'en tenir à cette « thèse minimaliste » (qui prône la plus grande retenue et n'imagine d'alerte qu'exceptionnelle), les possibilités d'intervention de l'officier ministériel devraient être réduites. Les termes mêmes de l'article 387-3, alinéa 2 du Code civil ne semblent prévoir la saisine du juge qu'en des cas tout à fait exceptionnels : « actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou (…) situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci » .
Plus encore, peut-on concevoir qu'il existe de réels cas d'alerte alors que le projet de convention poursuivi par ses parents n'affecte pas le patrimoine du mineur ? Puisque le régime matrimonial concerne le patrimoine du couple, on peut se demander comment sa modification pourrait compromettre manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur, sauf à « considérer que la protection du patrimoine de l'enfant vise en réalité la protection de ses intérêts éventuels, virtuels. La réserve héréditaire, qui constitue manifestement l'intérêt patrimonial évoqué, n'ouvre aucun droit acquis à l'enfant tant que le décès de son parent n'est pas intervenu. L'enfant n'a alors qu'une simple expectative de droit. Cette expectative justifie-t-elle que l'autorisation du juge des tutelles soit requise ? Une réponse négative doit s'imposer » . Sans aller jusqu'à nier l'existence de cas justifiant une alerte, plusieurs auteurs considèrent que cette procédure ne sera mise en œuvre que très rarement : le notaire qui redouterait que le changement envisagé ne la justifie déconseillera à ses clients d'y procéder . Il refusera d'instrumenter dans les situations flagrantes d'atteinte aux intérêts du mineur ou de fraude, ce qui mettra un terme à la difficulté et… supprime la question.
- Intérêt de la famille versus intérêts du mineur. - On peut, néanmoins, s'essayer à donner un sens à la réforme (et au renvoi exprès par l'article 1397, alinéa 5 à l'article 387-3), et s'interroger sur l'existence de situations qui, sans justifier un refus d'instrumenter, pourraient entrer dans les prévisions de ces deux textes et susciter une procédure d'alerte. Pour C. Blanchard, le rôle du notaire est considérablement accru car il se trouve investi de la vérification de la conformité du changement aux intérêts des enfants mineurs, qui ne coïncide pas forcément avec l'intérêt de la famille : « S'il nourrit la moindre crainte à ce sujet, il devra en avertir le juge des tutelles » .
L'alerte devrait être donnée lorsque l'atteinte aux intérêts du mineur est manifeste et substantielle : ce qui est manifeste doit s'imposer comme une évidence. Le terme « substantiel » attire l'attention sur l'importance du préjudice encouru . Ces notions demeurent pourtant relativement vagues et sont susceptibles d'interprétation. C'est pourquoi il a été proposé de s'inspirer, par analogie, de la jurisprudence antérieure rendue en matière d'homologation (ou de refus d'homologation) par le juge .
Se référer aux cas où les juges homologuaient le changement pour ne pas donner l'alerte ou, surtout, la donner dans les cas où ils la refusaient , ne correspond pas exactement à ce qu'ordonnent désormais les textes : le juge saisi d'une demande d'homologation vérifiait la conformité de l'acte à l'intérêt de la famille. Ce qui doit aujourd'hui guider le notaire dans sa décision de saisir ou non le juge des tutelles est l'atteinte éventuelle aux intérêts patrimoniaux de l'enfant mineur : « Le notaire ayant un doute sur l'incidence de l'opération quant aux intérêts patrimoniaux du mineur pourra saisir le juge des tutelles afin d'obtenir son autorisation, indépendamment, donc, d'une conformité de l'opération à l'intérêt de la famille. En ce sens, un changement de régime matrimonial conforme à l'intérêt de la famille pourrait-il être discutable au regard de l'intérêt de l'enfant ? Oui, certainement » .
- Les hypothèses d'alerte. - Il semblerait que les changements de régime matrimonial susceptibles de justifier une alerte soient ceux qui contiennent un avantage matrimonial au profit de l'époux survivant ou de l'un d'eux s'il survit : singulièrement, c'est l'adoption de la communauté universelle avec attribution intégrale au profit du survivant des époux , qui est prise pour hypothèse de référence de toutes les réflexions. Deux situations pourraient alors être distinguées :
  • en se fondant sur la jurisprudence du 22 juin 2004, il n'y aurait pas lieu de saisir le juge s'il existe un enfant mineur non commun car l'action en retranchement préserve suffisamment ses intérêts ;
  • la question reste entière si tous les enfants mineurs sont communs. Il est ici manifeste qu'une telle stipulation est défavorable à leurs intérêts car ils n'ont pas d'action en retranchement . En pareille hypothèse, les juges homologuaient le changement, jugeant que l'intérêt de protéger le survivant des époux pouvait l'emporter sur celui de l'enfant. La nouvelle procédure d'alerte vise la protection de l'intérêt de l'enfant (et non plus celui de la famille). Elle pourrait donc être envisagée. L'atteinte aux intérêts patrimoniaux de l'enfant commun, même « manifeste », est-elle, pour autant, « substantielle » au sens des textes ?
La recherche de critères pouvant justifier une alerte aboutit à une conclusion paradoxale : le contrôle du juge serait provoqué uniquement dans les familles dans lesquelles les enfants mineurs sont communs et non dans les familles recomposées, qui sont pourtant celles où les enfants mériteraient peut-être davantage de protection. On peut rester perplexe…
- L'importance de la liquidation. - On sait que, depuis l'entrée en vigueur de la réforme de 2006, le changement de régime matrimonial doit comprendre la liquidation du régime modifié « si elle est nécessaire », et ce à peine de nullité (C. civ., art. 1397, al. 1er in fine). On sait que liquidation n'est pas partage et qu'elle consiste à chiffrer les droits de chacun des époux dans le régime initial que l'acte modifie. Il permet de fixer les droits de chacun des époux et tout à la fois, à titre informatif, de dresser un état des lieux et d'observer les conséquences futures du nouveau régime pour chacun des époux . Cette liquidation est d'autant plus nécessaire si le changement de régime matrimonial a pour but d'instaurer un avantage matrimonial sujet à retranchement . C'est pourquoi, et notamment en présence d'enfants issus d'une précédente union, on ne peut s'empêcher de constater quel service leur rendra une liquidation correctement effectuée d'une communauté légale, préalable à l'adoption par les conjoints d'une communauté universelle avec attribution intégrale au profit du survivant. La matérialisation des chefs de récompenses, au moins sur le plan de la preuve, permettra ainsi à l'action en retranchement de prospérer. Bien évidemment ne s'agit-il pas, sauf accord exprès des époux, de leur révéler par avance la liquidation du régime de leur parent, mais bien plutôt, au moment de l'ouverture de la succession de celui-ci, de disposer d'un document auquel, en tant que réservataires, ils auront accès et qui assurera leur protection en évitant la déperdition, faute de preuve, des enrichissements que leur auteur aura procurés à la communauté.
- Quelle responsabilité pour le notaire ? - L'absence de réponse certaine concernant le rôle du notaire rejaillit nécessairement sur la question de son éventuelle responsabilité qui « peut être lourdement engagée tant les situations familiales peuvent évoluer » :
La proposition qui consisterait, pour prévenir une éventuelle responsabilité, à insérer dans l'acte une clause par laquelle les époux expliqueraient les raisons qui les conduisent à modifier ou changer leur régime matrimonial et déclareraient que leur nouvelle convention ne porte pas atteinte aux droits des enfants mineurs peut être évoquée . Une telle clause ne permettrait pas de limiter la responsabilité du notaire en cas de difficulté, puisqu'il lui appartient (et non aux époux) d'apprécier si le changement de régime est susceptible de porter atteinte manifestement et substantiellement aux intérêts patrimoniaux du mineur, pour décider, le cas échéant ; de saisir le juge des tutelles. Pour autant, il peut être utile et bienvenu dans un exposé préalable fait par les époux dans l'acte d'indiquer les raisons et les motivations de leur changement de régime matrimonial.
La question de la responsabilité du notaire se posait également avant la réforme, dans la mesure où il lui appartenait déjà d'évaluer l'opportunité de l'opération de changement de régime et les risques encourus mais, très classiquement, c'était alors la qualité de son conseil qui était en cause. Le nouvel article 1397, alinéa 5 du Code civil dispose qu'il « peut » saisir le juge des tutelles. Plusieurs en déduisent qu'il ne s'agit que d'une simple faculté , alors que pour d'autres le notaire « doit » saisir le juge lorsqu'il se trouve dans un cas d'alerte. Là encore, l'affrontement confine à l'aporie.
Le risque pour le notaire d'engager sa responsabilité est évidemment tenu pour faible par ceux qui considèrent que l'alerte devrait être exceptionnelle. Même s'ils ne définissent pas précisément les cas dans lesquels le juge devrait être saisi, ils doutent qu'en pratique les notaires se laissent tenter par une attitude de prudence excessive qui consisterait à le solliciter systématiquement. Ils considèrent même que le notaire pourrait engager sa responsabilité « pour ne pas avoir saisi à bon escient le juge des tutelles ou avoir indûment prolongé le changement en exigeant un passage en juridiction » . Un auteur imagine même qu'à solliciter inutilement et excessivement l'autorisation judiciaire, le notaire s'en voit fait le grief par ses clients, qui, bien conseillés, pourraient tenter d'engager sa responsabilité sur le fondement de la perte d'une chance . Le même, pourtant, précise qu'à l'inverse, il est concevable que le notaire qui n'aurait pas sollicité le juge, alors que la situation l'exigeait, voit sa responsabilité engagée…
Les auteurs ayant tenté de dégager des critères et des cas d'alerte reconnaissent que la position du notaire est ici « très délicate ». Lorsque les critères d'une alerte semblent réunis, ils conseillent au notaire - par prudence - de ne pas saisir le juge des tutelles de sa seule autorité (proprio motu), mais d'associer les parents à cette démarche en leur expliquant que cette précaution vise à éviter que l'acte ne soit ultérieurement contesté .