La portée de ce principe protecteur

La portée de ce principe protecteur

Il résulte de ce principe que certaines dispositions contractuelles figurant dans les actes de donation leur confèrent un caractère révocable. Elles sont donc prohibées et ainsi frappées de nullité (§ I). D'autres stipulations semblent conférer un caractère révocable. Toutefois, elles ne tombent pas sous le coup de la prohibition (§ II). Envisageons donc ces deux catégories de clauses .

Les donations contraires au principe

- Sanction de l'atteinte à l'irrévocabilité spéciale. - Ces clauses reflètent le besoin impérieux de protection des parties à l'acte de donation. Par ailleurs, certaines de ces clauses sont également contraires à la prohibition des pactes sur succession future. La sanction à ces principes est la nullité absolue. Quand bien même l'objet principal du principe est de protéger les parties à l'acte, la nullité n'est pas une nullité relative (de protection). La nullité est plus puissante puisque l'atteinte est plus grave , c'est donc que le principe dépasse cette protection privée et qu'il en va de l'intérêt général . Il en résulte plusieurs conséquences :
  • la nullité peut être demandée par tout intéressé et par le ministère public. Ainsi toutes les parties au contrat de donation peuvent invoquer cette nullité, que ce soit le donateur ou le donataire. Les héritiers présomptifs pourraient également invoquer cette nullité ;
  • l'acte nul n'est pas susceptible de confirmation par les parties ;
  • la nullité frappe l'ensemble de la donation et pas seulement la clause portant atteinte au principe d'irrévocabilité. Il faut toutefois tempérer cette affirmation, car la nullité frappe la donation des seuls biens affectés par cette clause de révocabilité ;
  • l'action en nullité se prescrit par cinq années.
On peut se demander si, paradoxalement, par la nature de cette sanction il n'est pas donné une certaine force à cette clause de révocabilité, car elle permet au donateur de revenir sur l'acte et donc sur le bien donné et le résultat est donc finalement identique à une révocation . Sans doute une réponse plus nuancée serait plus satisfaisante. Si la révocabilité frappe l'ensemble de l'acte, car elle y prend une place centrale (ce sera le cas en cas de donation de bien à venir), alors l'acte doit être nul dans sa totalité. Par contre, si la clause de révocabilité d'affecte qu'une partie de l'acte ou ses modalités, alors seule la clause en question devrait être réputée non écrite.
- Les donations sous conditions simplement potestatives. - On sait en droit commun des contrats que la condition dont la réalisation dépend de la seule volonté d'une des parties est nulle (C. civ., art. 1304-2). Toutefois, ces conditions sont appréciées de manière restrictive. Dans cette ligne, la nullité de cette condition ne peut être invoquée si elle a été contractée en connaissance de cause par le créancier . Il est encore un peu tôt pour connaître le réel impact de la réforme du droit des obligations sur les conditions ; on peut néanmoins affirmer qu'aucun assouplissement n'est permis en matière de donation en vertu de ce principe d'irrévocabilité spéciale . On peut à cet égard comparer les termes des articles 1304-2 et 944 du Code civil.
- Les donations avec réserve du droit de disposer. - Il résulte de l'article 946 du Code civil, curieusement rédigé d'ailleurs, que lorsque la donation prévoit la possibilité pour le donateur de disposer du bien donné, au décès ce bien ira non pas au donataire, mais aux héritiers du donateur . Une telle stipulation est donc privée d'effet. Cette nullité ne frappe que les biens concernés par cette réserve, les autres biens éventuellement donnés ne sont pas affectés par cette sanction . Pour autant, cette prohibition ne condamne pas les donations avec réserve d'usufruit sur des biens consomptibles ou même sur des valeurs mobilières (convention de quasi-usufruit) dès lors que l'usufruitier devra restituer en fin d'usufruit l'équivalent des biens initialement donnés (sur la protection du nu-propriétaire.
- Les donations de biens à venir. - L'article 943 du Code civil dispose qu'une donation ne peut porter que sur des biens présents du donateur et que si elle porte sur des biens à venir, elle sera nulle. Les biens présents sont ceux dont le donateur dispose dans son patrimoine, auxquels on ajoute par extension les biens dont la propriété lui est conditionnelle. Les biens à venir peuvent être des biens futurs ou des biens que le donateur laissera à son décès . Cette dernière interdiction rejoint celle de la prohibition des pactes sur succession future. Bien évidemment la donation de la chose d'autrui est également frappée de nullité . Il ne fait aucun doute que ces règles ont des vertus protectrices évidentes. Il s'agit de protéger de manière impérieuse les relations de famille, d'apaiser les rapports entre les personnes et d'éviter tout chantage qui résulterait de ces accords douteux.
Ce principe d'irrévocabilité spéciale des donations, d'apparence extrêmement puissant, autorise toutefois la pratique de donation que l'on pourrait, de prime abord, considérer comme lui portant atteinte. Le principe n'en est pas moins un garde-fou important et efficace.

Les donations respectueuses du principe

Les actes que nous allons rapidement étudier dans les développements qui suivent flirtent avec la prohibition. Ils sont intéressants dans la mesure où ils vont permettre de satisfaire la volonté du donateur de se protéger davantage tout en transmettant une partie de son patrimoine. Ces aménagements conventionnels des donations sont tous dominés par la volonté de protéger. Soit le donateur se protège lui-même, soit il s'agit de protéger ses héritiers ou les donataires. Ils seront donc traités à titre principal dans les aménagements conventionnels de la protection.
- La réserve d'usufruit. - On ne présente plus la donation avec réserve d'usufruit tant elle est pratiquée depuis fort longtemps. « Donation entre vifs avec rétention d'usufruit est bonne et valable (…) et n'est pas invalidée par ladite rétention d'usufruit » . L'article 949 du Code civil autorise expressément une telle donation. Le donateur se réservant l'usufruit du bien, il en donne la nue-propriété. Tous les attributs et toutes les obligations de l'usufruitier seront conservés par le donateur. Titulaire de l'usus et du fructus, l'usufruitier pourra bien évidemment occuper ou entrer en détention des biens objets du démembrement. Il pourra également en percevoir les fruits et revenus. Ces fruits seront fonction de la nature du bien. Il pourra s'agir de loyers pour les immeubles, de dividendes ou distributions pour les actions ou parts sociales, des intérêts pour les créances, etc. Il est par ailleurs des biens pour lesquels il n'est pas de revenus, par exemple les titres de société à capital variable dans lesquels le résultat intègre le capital. S'il porte sur des sommes d'argent ou des biens consomptibles que l'on ne peut utiliser sans les consommer et qui, par leur nature, ne procurent donc aucun revenu, alors l'usufruit se mue automatiquement en quasi-usufruit. L'usufruitier peut donc consommer ces biens, mais à charge :
  • soit de restituer, en fin d'usufruit, des biens de même qualité et de même quantité au nu-propriétaire . Ainsi l'usufruitier d'un fonds de commerce pourra vendre le stock de marchandises et restituer un stock identique à celui existant le jour où ses droits sont nés . De la même manière, un quasi-usufruitier d'une créance échue de somme d'argent est fondé à agir en recouvrement de l'intégralité du capital contre le débiteur. En fin d'usufruit, il en restituera le montant au nu-propriétaire ;
  • soit l'usufruitier s'acquitte de sa dette de restitution auprès du nu-propriétaire en lui versant une somme d'argent correspondant à la valeur du bien estimé à sa date de restitution.
Cette option appartient à l'usufruitier et, dans l'hypothèse d'un usufruit viager, ce seront ses propres héritiers qui seront débiteurs de cette restitution.
La protection conventionnelle du nu-propriétaire est un impératif présent sans considération de la source du démembrement de propriété, que celui-ci résulte d'un décès (dévolution légale ou testamentaire) ou d'une donation entre vifs. Trouver un juste équilibre entre l'usufruitier qui doit réellement bénéficier de ses droits économiques et le nu-propriétaire qui doit être assuré de récupérer les biens qui doivent lui revenir en fin de démembrement est le challenge des praticiens que sont les notaires. Cette question, plus générale donc, a été traitée plus haut, nous renvoyons donc le lecteur à ces développements. Nous nous limiterons ici à souligner l'importance de l'inventaire des biens en début de démembrement ou d'une convention entre usufruitier et nu-propriétaire précisant la nature, la qualité et la quantité des biens soumis à l'usufruit ou au quasi-usufruit.
- Le droit de retour conventionnel. - Il ne s'agit pas du droit de retour légal des frères et sœurs en concours avec le conjoint (C. civ., art. 757-3) ou des père et mère donateurs (C. civ., art. 738-2), qui sont une forme de succession anomale prévue par la dévolution légale, mais d'une condition par laquelle le donateur dispose qu'en cas de prédécès du donataire ou du donataire et de ses descendants, la donation sera résolue . Par cette clause, le donateur marque sa volonté que le bien donné aille certes au donataire, mais aussi à sa descendance. Par contre, il ne veut pas que le bien échappe à cette « ligne directe » en allant à des héritiers légaux autres (conjoint, collatéraux, ascendants) ou des légataires qu'aurait désignés le donataire. Lorsque le droit de retour joue, c'est la donation qui est résolue. Cette résolution peut être automatique ou selon la volonté du donateur, cela dépend du texte de la clause de retour. En principe tous les droits que le donataire aurait conférés sur le bien sont résolus, car le droit de retour est doté d'un effet rétroactif.
- Les donations à terme. - Le récent article 1305 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations, définit l'obligation à terme « lorsque son exigibilité est différée jusqu'à la survenance d'un événement futur et certain, encore que la date en soit incertaine ». Dans la mesure où le donateur s'appauvrit réellement, un terme peut valablement être inséré dans l'acte de donation . En effet, la certitude de la survenance de l'événement engendre un appauvrissement du donateur, lequel est irrévocable. Seule l'exécution de l'acte est différée. Le donataire est fondé à prendre toute mesure conservatoire sur le bien qui lui a été donné. La réforme du droit des obligations ne traite que du terme suspensif, aussi sera-t-on dubitatif sur l'existence en droit positif du terme extinctif . Même si une donation à terme extinctif pouvait se concevoir , aujourd'hui on aura tendance à ne parler que du terme suspensif qui, en matière de donation comme en matière des autres contrats, se conçoit davantage. Il en résulte que l'exécution de la donation à terme est différée dans le futur, mais de manière certaine. Ainsi l'on peut donner les dividendes attachés à des titres à une personne dès lors que l'assemblée générale en a décidé la distribution, le terme étant la perception des dividendes eux-mêmes. L'événement constituant le terme pourrait même être le décès du donateur, événement parfaitement certain. L'ordre d'imputation de la donation à terme est déterminé par sa date et pour sa valeur au jour du décès, mais dans son état au jour de l'exécution , c'est-à-dire à l'arrivée du terme.

La protection du donataire dans la donation à terme

La donation à terme est par principe valable. Il est nécessaire de s'assurer dans l'acte un mécanisme de protection du gratifié qui, malgré tout, encourt le risque de ne jamais recevoir le bien qui lui a été donné.
Tout d'abord le bien donné doit exister dans le patrimoine du donateur. Ensuite le donataire est le créancier du donateur. Aussi il peut bénéficier de toutes les sûretés applicables : ce peut être une inscription d'hypothèque, un nantissement, un droit de rétention, etc. S'il s'aperçoit d'un risque d'insolvabilité du donateur ou de fraude paulienne (qu'il pourra toujours invoquer), le donataire est également fondé à prendre des mesures conservatoires. Ces formes de donations sont donc à manipuler avec soin et à utiliser avec parcimonie. L'information des parties et plus particulièrement celle du donataire est importante. La rédaction doit être soignée pour ne pas risquer la qualification d'abus de droit fiscal.
- Les donations alternatives et facultatives . - Il s'agit tout simplement d'une illustration dans le contrat de donation de l'obligation alternative de droit commun. Selon l'article 1307 du Code civil : « L'obligation est alternative lorsqu'elle a pour objet plusieurs prestations et que l'exécution de l'une d'elles libère le débiteur ». Dans notre cas, l'acte de donation comprendra plusieurs objets dont la nature pourra être différente. Le donateur pourra choisir le bien qu'il transmettra à son donataire. La difficulté que peut provoquer ce type d'obligation alternative est que le donateur traîne à faire connaître son choix au donataire. Aussi l'article 1307-1 du Code civil prévoit que le débiteur (le donateur) doit exercer son choix dans le délai prévu au contrat ou dans un délai raisonnable ; à défaut, et après mise en demeure infructueuse, le créancier (le donataire) exercera lui-même ce choix ou invoquera la résolution du contrat. La donation facultative est une forme de donation alternative puisque c'est celle par laquelle le donateur s'engage à donner un bien mais peut se libérer par une autre prestation. Ces donations sont à manipuler avec prudence dans la mesure où si les deux prestations sont de valeur très différente et que le donateur se libère par la moins onéreuse, alors il sera revenu sur ce qu'il a donné et de manière indirecte il aura révoqué, au moins partiellement, sa donation. Le risque d'annulation est donc bien présent. Par ailleurs, il est capital que les objets de la donation y soient clairement définis et l'acte devra comporter le délai dans lequel le donateur devra exercer son choix et exécuter l'acte.