Le rapport de l'homme à l'automobile tient un peu de l'histoire de cœur. Il se crée un lien entre l'individu et son véhicule ressemblant souvent à de l'affection, voire à de la dépendance (Sous-section I). Mais, comme souvent dans ces cas-là, l'amour du chauffeur pour sa voiture s'érode avec les difficultés et les contraintes (Sous-section II).
Un modèle implacable : l'automobile au cœur du transport
Un modèle implacable : l'automobile au cœur du transport
La voiture nécessité
La dépendance à l'automobile est le fruit de la conjonction entre un besoin de mobilité répondant à une volonté de liberté (§ I) et l'insuffisance des autres modes de transport (§ II). Pour beaucoup, le besoin fondamental de transport s'est transformé en besoin fondamental… de voiture.
La voiture liberté
– L'auto(nomie)-mobile. – L'automobile a été conçue, y compris sur le plan sémantique, comme le lieu de rencontre de l'autonomie et de la mobilité. Mais, dans un monde où tout est devenu « mobile », seule « l'auto » garantit la liberté. Quand un individu trouve la mobilité dans n'importe quel wagon d'un train, seule l'indépendance offerte par sa voiture personnelle lui permet d'aller à un endroit précis de son choix.
Aujourd'hui, le constat est implacable : pour l'immense majorité des Français, il est inimaginable de ne pas avoir la faculté de se déplacer à volonté. Seule l'automobile apportant cette liberté, l'immense majorité des déplacements quotidiens en France
1515244993462est effectuée en voiture.
Les insuffisances des autres modes de transport
– L'absence d'autonomie dans l'espace. – L'atout principal de l'automobile est de permettre d'aller où l'on veut d'où l'on veut, quand les transports en commun (train, car, bus, bateau, avion, etc.) imposent les lieux de départ et d'arrivée. Les usagers de ces transports s'en satisfont parfois par concordance avec leurs besoins, souvent par des déplacements multimodaux, toujours par absence de choix.
Les deux-roues proposent une alternative autonome à la voiture. Mais les intempéries sont incommodes, la route est dangereuse
1501927585324et, pour les cyclistes, seuls les déplacements courts sont possibles.
– L'absence d'autonomie dans le temps. – La perte d'autonomie des individus utilisant les transports en commun se matérialise également dans le temps. L'automobiliste gère ses déplacements à sa guise. Ce comportement individualiste correspond à l'air du temps.
Dans les transports en commun, le consommateur est le jouet des grilles horaires de départ et d'arrivée, des correspondances, etc.
– Les grèves et les pannes. – Bon gré mal gré, les usagers des transports collectifs acceptent les contraintes d'espace et de temps imposées, en contrepartie de l'efficacité annoncée
1502096937675.
Mais cette efficacité n'est jamais garantie. Dans un monde de plus en plus exigeant, où tout tend à l'immédiateté, les annulations et les retards sont de moins en moins facilement acceptés. Une part toujours plus nombreuse de la population fustige les grèves paralysant les transports en commun
1501949719143. Les pannes sont supportées lorsqu'elles relèvent de la force majeure. Or, elles sont de plus en plus la conséquence d'un défaut d'entretien, engendrant ainsi des réactions plus virulentes.
L'attractivité des quartiers est véritablement liée à la qualité de la desserte des transports en commun. Ainsi, l'automobile sera durablement supplantée uniquement si l'efficacité des transports de substitution est assurée partout de manière pérenne.
Et pourtant, la voiture a ses contraintes…
La voiture contrainte
– Un amour fragilisé. – Lorsque la voiture s'est démocratisée, l'homme n'a pas immédiatement appréhendé toutes ses contraintes. Mais, au fil des décennies, ses défauts s'exacerbent, laissant au chauffeur le choix souvent impossible de les supporter ou de se séparer de la machine.
Ce désamour est lié au nombre de véhicules en circulation (§ I) et à l'augmentation des coûts liés à la voiture (§ II).
Les contraintes liées au nombre de véhicules
– Toujours plus de voitures. – La plupart des contraintes liées aujourd'hui à la voiture n'existaient pas au début de l'âge d'or de l'automobile. Elles sont liées au nombre de plus en plus important de véhicules circulant simultanément sur des voies dont la surface est en très faible augmentation.
L'analyse des courbes d'évolution du parc automobile français démontre qu'à travers l'histoire, le nombre de véhicules en circulation n'a jamais diminué d'une année sur l'autre
1501945692196. Et même si les temps ne sont plus à l'extraordinaire explosion quantitative des années 1950 et 1960, il est peu probable que la situation change dans les prochaines années.
Indépendamment des accidents dont le nombre augmente avec la circulation, la densification automobile se traduit par l'engorgement des routes (A), la pollution (B) et les problèmes de stationnement (C).
L'engorgement
– Les six attributs de l'efficacité. – L'efficacité du déplacement est la préoccupation principale des automobilistes. Elle se matérialise par la recherche du meilleur équilibre entre la liberté
1502289003064, la rapidité, la fonctionnalité
1502288609034, le coût, la sécurité et le confort, à l'aune de leur importance relative dans l'esprit de l'intéressé.
Parmi ces six attributs de l'efficacité, seule la fonctionnalité n'est pas impactée par les engorgements. Tous les autres en pâtissent : la rapidité perd sensiblement de son intérêt ; les bouchons renchérissent le coût d'un trajet
1505637031667 ; les accidents, certes moins mortels dans la faible allure des embouteillages, sont cependant plus nombreux
1502289695654 ; quel que puisse être le confort de leur habitacle, il est rare de voir des conducteurs épanouis dans les bouchons ; même la liberté est atteinte, la conduite dans un ralentissement étant le plus souvent subie.
Sur la durée, la multiplication des engorgements des voies de circulation pourrait suffire à inverser le sentiment de meilleure efficacité de la voiture par rapport aux autres modes de transport.
La pollution automobile
– Le souffle court. – L'impact environnemental du transport routier n'est plus à démontrer. La pollution touche les villes localement, mais aussi la planète dans sa globalité
1502014584856. Le problème relève de la santé publique, la pollution de l'air provoquant en France 48 000 morts prématurées par an
1502015374816. Les gaz d'échappement y tiennent une part non négligeable
1502015586046. Le problème est si prégnant que, le 12 juillet 2017, le Conseil d'État a sommé le gouvernement d'agir contre la pollution de l'air en prenant dans le délai le plus court possible et au plus tard le 31 mars 2018 « toutes les mesures nécessaires pour ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites » fixées par la directive communautaire du 21 mai 2008 (C. env., art. L. 221-1 et R. 221-1)
1502030015392.
Le stationnement
– Le manque de places de parking. – En dépit d'une législation longtemps contraignante, la construction d'aires de stationnement n'a pas suivi l'accroissement du nombre de véhicules en circulation.
Le foisonnement des parkings n'étant pas encore suffisamment entré dans les mœurs (V. nos et s.), il est fréquent de voir des automobilistes « tourner » tous les soirs autour de leur domicile à la recherche d'un emplacement pour la nuit, contribuant ainsi à l'encombrement des routes et à la pollution. Le même scénario se rencontre la journée en centre-ville et dans les zones de bureaux.
Ainsi, l'automobiliste rajoute-t-il une ligne à la liste des dépenses engendrées par son véhicule.
Les contraintes liées à l'argent
– Une voiture onéreuse. – L'automobile a toujours été une source de dépense importante. Avec près de 6 000 € de dépenses annuelles
1502092393118, les ménages français consacrent en moyenne plus de 10 % de leur budget à l'automobile. Ces chiffres varient peu d'une année sur l'autre, certaines dépenses en compensant d'autres. Ainsi, si le budget d'acquisition est en baisse avec l'augmentation de la durée de vie des véhicules, le poste entretien-réparation suit une courbe inverse. Les frais annexes constitués par les assurances, les péages ou les parkings sont également en constante progression
1502093758378.
– Le prix du carburant. – Le coût du carburant, représentant 30 % du budget annuel de l'automobile, constitue le poste principal de dépenses. Il varie au surplus au gré des fluctuations du cours du pétrole. Si les variations à la baisse sont possibles, la tendance générale liée à la raréfaction des énergies fossiles est à une forte hausse depuis le premier choc pétrolier.
Cette situation est défavorable aux automobilistes effectuant le plus de kilomètres, et notamment aux habitants des villes étendues. Or, les citoyens s'installent souvent loin du centre de leur vie économique pour des raisons budgétaires, le coût des logements diminuant avec l'éloignement. Ainsi, les moins favorisés subissent plus durement l'enchérissement du carburant. Partis gagner du pouvoir d'achat à l'extérieur des villes, les néo-ruraux risquent d'en perdre sur le poste automobile.
L'augmentation continue des coûts de l'automobile n'entraîne aucune diminution de son utilisation. Le modèle actuel étant à bout de course, il est urgent d'en imaginer un nouveau où l'automobile aura un rôle différent.