Pour un urbanisme sur-mesure

Pour un urbanisme sur-mesure

– Du l'urbanisme prêt-à-porter au sur-mesure. – Longtemps, les terrains constructibles apparaissaient tellement abondants que leur gestion relevait de la gestion du gros, plus quedu détail. Mais les règles propres à gérer convenablement un urbanisme prêt-à-porter ne fonctionnent plus avec la densification, quand il s'agit d'économiser chaque chute de terrain avec la précision du sur-mesure. Aujourd'hui, la rigidité des textes empêche les élus de s'adapter à chaque contexte, alors que la qualité urbaine dépend d'arbitrages très fins.
L'armature actuelle de notre réglementation freine également l'imagination des concepteurs. Pourtant, il est nécessaire d'inventer de nouveaux concepts conciliant des objectifs contradictoires, tels que la densité et la verdure ou la concentration et l'espace.
– La règle au service du projet. – Un concept permet de répondre aux besoins locaux d'adaptation. Il est résumé par la formule suivante : « Il n'appartient plus au projet de se contraindre à la règle, mais à la règle d'être au service du projet » 1506200509457.
Ce concept se matérialise sous deux formes différentes, intimement liées entre elles : l'urbanisme de projet (Sous-section I) et l'urbanisme négocié (Sous-section II).

Pour un urbanisme de projet

Il est nécessaire d'appréhender le concept d'urbanisme de projet (§ I), avant d'analyser l'ampleur de ce qu'il permet, par l'exemple du Grand Paris (§ II).

Le concept de l'urbanisme de projet

– Un urbanisme de projet trop étriqué. – Même si le sujet est évoqué depuis un certain temps 1507398397077, il n'existe aucune définition de l'urbanisme de projet. Si l'on s'en tient au rapport rendu à M. Benoist Apparu sur le sujet le 27 mai 2011 1507395631548, cet urbanisme de projet pourrait ne correspondre qu'à une inflexion du PLU, appelé à retrouver sa vocation d'être le garant du projet de territoire, plutôt qu'un document de plus en plus volumineux définissant avec de multiples détails la manière d'utiliser le sol.
À l'aune de cette vision restrictive, la définition de l'urbanisme de projet semble trop étriquée 1507465457313. Il ne s'agirait alors que d'une nouvelle retouche du PLU, visant son énième simplification 1507467432250et sa restriction aux seules règles strictement nécessaires à la réalisation du projet de territoire exprimé dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD). Quelle serait sa plus-value par rapport à ce PADD 1507398765352et aux orientations d'aménagement et de programmation (OAP) 1507398815123, qui sont déjà des outils d'un urbanisme de projet ?
– Pour un urbanisme de projet permettant la flexibilité des règles. – Certes, un assouplissement des conditions de rédaction du règlement du PLU est utile, en ce qu'il confère un pouvoir plus grand aux élus locaux dans la définition des règles applicables au territoire communal 1507481224476, comme la possibilité pour certaines parties du territoire communal de ne pas faire l'objet de règles écrites (C. urb., art. R. 151-8).
Mais il ne doit en rien empêcher d'autres avancées, comme augmenter de manière générale la flexibilité dans l'application du PLU. Il est peu probable que prospère l'idée de considérer les normes édictées par le PLU comme de simples directives à caractère indicatif 1507481926196. En revanche, revenir sur le tabou interdisant à l'administration d'octroyer des dérogations aux projets bloqués par des difficultés non envisagées au moment de l'édiction de la règle d'urbanisme donnerait une véritable bouffée d'oxygène au système 1507482220694, lorsqu'ils sont compatibles avec le projet d'ensemble de la zone concernée 1507482792394.
– Une PIL déchargée. – Une vision encore plus extensive de l'urbanisme de projet consiste à permettre une procédure simplifiée et rapide de modification des règles d'urbanisme locales incompatibles avec un projet d'intérêt général. Le projet voulu par la collectivité publique justifie une dérogation dans le circuit si compliqué de réformation des textes d'application locale. Le projet est le vecteur déclenchant de la modification de la norme.
Ces outils existent : il s'agit de la déclaration de projet (C. urb., art. L. 300-6) 1510780138795et de la procédure intégrée pour le logement dite « PIL » (C. urb., art. L. 300-6-1), étendue également à l'immobilier d'entreprise 1507491623227.
L'une et l'autre sont appliquées de temps en temps, mais sans doute moins qu'escompté par leurs créateurs.
La PIL concerne une opération de construction d'intérêt général appelant une mise en compatibilité de documents d'urbanisme et devant concourir à la mixité sociale. Elle permet de mettre en compatibilité plusieurs documents d'urbanisme conjointement. Le retour d'expérience est décevant 1507492291419. En effet, les services appelés à manipuler la PIL le font avec une prudence telle qu'elle la rend inopérante. Vue comme une procédure dérogatoire appelée à ne s'appliquer qu'à certaines opérations de logement dans un contexte particulier ne nécessitant l'évolution de documents d'urbanisme que sur des points restreints, la PIL est très peu utilisée. Le peu de recul en matière de jurisprudence quant à la justification de l'intérêt général n'invite pas non plus à l'emballement.
Toutes proportions gardées, s'agissant d'un projet hors normes, l'adaptation des dispositions législatives et réglementaires au projet du Grand Paris va dans le sens de cet urbanisme de projet.

L'exemple du Grand Paris

– Le pari du Grand Paris. – Si Paris est la capitale française d'aujourd'hui, le Grand Paris entend déjà répondre au défi de la ville de demain au niveau mondial. Projet d'aménagement à l'échelle d'une agglomération de douze millions d'habitants, il fait le pari d'améliorer le cadre de vie des habitants sur un modèle durable, tout en corrigeant les inégalités territoriales.
Dans sa phase opérationnelle, le projet du Grand Paris repose sur la rénovation et le développement d'un réseau de transport public de voyageurs pour la région Île-de-France, et sur l'émergence de véritables projets urbains tout au long de ce tracé de transport. Ainsi, de nouveaux quartiers sont appelés à accueillir, principalement autour des gares, des fonctionnalités multiples mêlant logements et activité économique, pôles universitaires et équipements culturels 1508264197842. Des quartiers isolés seront désenclavés, dans la logique d'un meilleur équilibre entre l'est et l'ouest, Paris et sa banlieue, territoires riches et pauvres.
La lutte contre le dérèglement climatique fait également partie intégrante du projet, ainsi qu'une moindre consommation de tout ce qui n'est pas renouvelable, la protection des espaces naturels et l'idée d'une proximité aux services essentiels.
– Un exemple atypique. – Les gouvernements successifs et les collectivités territoriales portent ensemble la réalisation de cet ambitieux projet de modernisation et de développement depuis des années. Mais la législation n'était pas compatible avec une réalisation efficace et rapide d'un projet faisant consensus. Qu'à cela ne tienne, il suffit d'adapter la norme au projet. Dans le cas du Grand Paris, la norme évolutive est législative. Ainsi, depuis 2010, huit lois ont créé le Grand Paris puis l'ont impacté directement. Plusieurs articles du Code des transports et du Code général des impôts lui ont été dédiés 1507470176185. Les particularités provenant de ces lois diverses donnent à penser qu'il y a un droit de l'urbanisme parisien différent de celui du reste du pays 1507473621193. Ainsi, cet exemple est totalement atypique 1507474278091. Il est pourtant révélateur d'un constat important : lorsque le projet le mérite, la règle peut changer pour lui donner les moyens de prospérer. Il en serait de même à plus petite échelle avec un urbanisme négocié.

Pour un urbanisme négocié

L'urbanisme de projet est le marchepied vers l'urbanisme négocié, de plus en plus prôné pour la production d'un foncier constructible 1507490036005. L'urbanisme négocié se différencie de l'urbanisme de projet en ce qu'il correspond à une contractualisation des relations entre l'administration et ses interlocuteurs. Cette contractualisation existe d'ores et déjà dans le cadre d'un urbanisme concerté (§ I), qu'il faudrait dépasser pour aboutir à un véritable urbanisme négocié (§ II).

L'urbanisme concerté

– Une contractualisation encadrée. – La contractualisation dans le cadre d'un urbanisme concerté laisse le pouvoir de décision à la collectivité et vise essentiellement au financement d'équipements publics. Ainsi, l'aménagement étant une prérogative de puissance publique, l'autorisation du projet d'urbanisme reste toujours de la compétence administrative. L'aménageur bénéficiaire d'une concession d'aménagement ne fait que réaliser un projet décidé par la collectivité avec laquelle il contracte et ayant d'ailleurs souvent fait l'objet de décisions unilatérales d'urbanisme 1507578897329.
Le projet urbain partenarial (PUP) est de cette même veine contractuelle, limité à l'urbanisme concerté et s'arrêtant aux confins de la négociation. Les premiers projets de rédaction de la loi le concernant prévoyaient une contractualisation sur l'évolution des documents d'urbanisme. Mais, le Conseil d'État ayant manifesté sa désapprobation, le PUP est resté la convention financière que l'on connaît, même s'il est évident qu'il engendre des négociations et que les préoccupations d'urbanisme n'en sont jamais éloignées. Les retours d'expérience sont plutôt positifs quant à ces PUP 1508267193832, même si la question du sort des espaces collectifs pose souvent difficultés.
– Les SEMOP. – La société d'économie mixte à opération unique (SEMOP) 1508266422605peut également être un outil de coopération entre le secteur public, représenté par une collectivité ou un groupement de collectivités locales détenant entre 34 % et 85 % du capital social, et le secteur privé, constitué d'un ou plusieurs opérateurs économiques détenant entre 15 % et 66 % du capital. La compétition entre promoteurs ou aménageurs n'a pas lieu pour l'attribution d'un contrat, mais en amont, pour la sélection des partenaires privés de la collectivité publique. Ce type de partenariat paraît d'autant plus propice à la qualification d'urbanisme concerté que la SEMOP n'a vocation à exécuter que le seul et unique objet du contrat attribué par la personne publique. En cas d'opération de construction d'un programme de logements par exemple, la société sera dissoute dès la réalisation de son objet.
– La concertation citoyenne. – La concertation n'est pas l'apanage des acteurs directs de l'urbanisme. La population est prête à accepter l'adaptation des règles du paysage urbain, dès lors qu'elle a lieu en concertation avec les habitants, et qu'elle recherche un équilibre entre mutation raisonnée et caractère du quartier. Indépendamment de toutes les règles d'urbanisme, dont elle n'a d'ailleurs souvent pas une connaissance précise, elle cherche surtout à éviter les transformations brutales et sans transition. À cet égard, elle est demanderesse d'implication.
L'ordonnance du 3 août 2016 1507322321132démocratise le dialogue environnemental. En ouvrant la prise de décision à la participation du public, elle cherche à lui donner une légitimation démocratique.
De plus en plus de projets sont ainsi soumis à la concertation de la population, quand ils ne sont pas « coproduits » avec les usagers 1508269283011.

L'urbanisme réellement négocié

– L'urbanisme, un pouvoir de police administrative. – Les professionnels sont demandeurs d'une administration autorisée à négocier directement avec eux, comme cela se pratique parfois à l'étranger 1507580881955.
Mais l'urbanisme constitue un pouvoir de police administrative. Ainsi, l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme ne peut contracter avec un promoteur en dehors des cas prévus par la loi, et s'engager à lui délivrer un permis d'aménager ou de construire en contrepartie d'avantages pour la collectivité 1507580162417.
Dès lors, les outils contractuels tolérés demeurent modestes et d'application limitée. Il s'agit principalement de conventions et de chartes conclues entre les collectivités locales et les professionnels ou les propriétaires. Malheureusement, sans doute soucieuses de contracter au mieux des intérêts des citoyens qu'elles représentent, les collectivités se montrent souvent très exigeantes. Ainsi, la plupart de ces chartes ou conventions reposent sur une série d'obligations contraignantes. La conception des bâtiments, leur insertion dans l'environnement, leur commercialisation mais également leur densité sont alors contrôlées par la puissance publique 1507150025833. Quant aux promoteurs, il n'est pas toujours facile de leur faire comprendre que ces contrats ne sont pas conçus pour leur permettre de dépasser les limites réglementaires !
L'une des objections majeures à une réforme en profondeur du droit de l'urbanisme vers une contractualisation semblant pourtant de nature à faciliter la densification est la crainte de l'arbitraire. Un changement de l'échelon décisionnaire quant à la délivrance des autorisations d'urbanisme serait peut-être de nature à aplanir en partie cette inquiétude.
– La négociation sans texte. – Plus que tous les outils juridiques créés ces dernières années, il apparaît que la meilleure matière première de l'urbanisme négocié est encore le discours permanent basé sur la confiance que certains promoteurs et aménageurs parviennent à nouer avec les élus sur certains projets ciblés. Les premiers accords de discussion, sous forme de « conventions d'objectifs » ou de « conventions de partenariat », échappent à la loi des marchés publics. Après des mois de mise au point en commun, de concertations, d'efforts réciproques pour faire coïncider des calendriers souvent différents, la loi MOP ne gêne pas les prises de décisions finales 1508268224326.