L'option pour le maintien dans le patrimoine privé

L'option pour le maintien dans le patrimoine privé

L'affectation des terres dans le patrimoine professionnel est présumée, à défaut d'option pour le maintien dans le patrimoine privé. Cette option, n'existant qu'au réel, obéit à certaines modalités (§ I). Les terres connaissent parfois différentes périodes successives, professionnelles et non professionnelles. La théorie des biens migrants régit ces situations (§ II). Enfin, le choix de conserver les terres dans le patrimoine privé de l'exploitant présente des attraits en matière de charges sociales par le recours au bail à soi-même (§ III).

Les modalités de l'option

– L'option doit être expresse. – L'exploitant peut opter pour le maintien des terres dans son patrimoine privé. La non-inscription des terres au bilan ne présume pas l'exercice de l'option pour le maintien des terres dans le patrimoine privé. En effet, le seul fait pour un exploitant de s'abstenir de faire figurer les terres à son bilan ne peut en aucune façon être assimilé à l'exercice de l'option 1494062123873. Au surplus, le défaut de comptabilisation du foncier à l'actif constitue pour l'administration une simple erreur comptable, rectifiable à tout moment 1494062139535.
– Durée et portée de l'option. – La durée de l'option est d'un an. Elle est reconduite tacitement pour l'exercice suivant, sauf renonciation expresse de l'exploitant 1499886649581. Par ailleurs, l'option s'applique à la totalité des terres dont l'exploitant est propriétaire. L'exploitant ne peut pas inscrire seulement les terres pour lesquelles l'option présenterait des avantages, par exemple les terres acquises à titre onéreux donnant lieu à des charges financières.
– La notion de biens affectés à l'exploitation appréciée différemment pour le micro-BA et pour l'EIRL. – Sous l'ancien régime du forfait, supprimé depuis le 1er janvier 2016, les exploitants étaient dispensés d'établir un bilan 1494062656925. L'administration présumait que tous les biens affectés à l'exploitation étaient dans le patrimoine professionnel. Ainsi, la vente de terres au forfait relevait toujours des plus-values professionnelles. Le choix de l'inscription se posait en revanche lors du passage du forfait au réel. Depuis le 1er janvier 2016, le régime du micro-BA remplace le régime du forfait, sans pour autant astreindre les exploitants à la tenue d'une réelle comptabilité, hormis la tenue d'un livre de recettes 1498406608288. À l'instar de l'ancien régime du forfait, les terres sont toujours présumées affectées à l'exploitation. Il est regrettable que la réforme du forfait n'ait pas amendé ce système en permettant à l'exploitant au micro-BA de choisir d'inscrire ou non ses terres au bilan. D'autant que l'agriculteur exploitant dans le cadre d'une entreprise individuelle à responsabilité limitée a la faculté de conserver ses terres dans son patrimoine privé, malgré le principe du patrimoine d'affectation : « Ce patrimoine est composé de l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle » (C. com., art. L. 526-6) 1494232743826.

Les conséquences d'options successives : les biens migrants

– La notion de biens migrants. – Un terrain peut faire l'objet de différentes périodes professionnelles et non professionnelles, selon les options successives. De tels biens sont qualifiés de biens migrants. Le transfert d'un terrain du patrimoine privé au patrimoine professionnel n'engendre aucune plus-value immédiate. Seule la vente déclenche l'imposition des plus-values privées. La vente d'un terrain, d'abord affecté dans le patrimoine privé et inscrit ensuite au bilan, peut faire naître deux plus-values :
  • la première correspond à la plus-value acquise par ce bien durant la période de détention dans le patrimoine privé du contribuable. Cette plus-value est imposable selon le régime des plus-values des particuliers 1494068062482 ;
  • la seconde correspond à la plus-value acquise par le bien depuis la date d'inscription au bilan jusqu'à la date de la cession ou du retrait, selon le cas. Cette plus-value est soumise aux dispositions relatives aux plus-values professionnelles.
Toutefois, la plus-value correspondant à la période de détention dans le patrimoine privé est exonérée si elle satisfait aux conditions de l'article 151 sexiesdu Code général des impôts :
  • l'activité doit être exercée depuis au moins cinq ans à titre principal ;
  • et le terrain ne doit pas avoir la nature de terrain à bâtir au sens de l'article 257, I, 2, 1° du Code général des impôts 1494062206007.
La vente d'un terrain figurant dans un premier temps dans le patrimoine privé, puis inscrit au bilan, puis affecté à nouveau dans le patrimoine privé, est susceptible de faire naître trois plus-values 1503407048423. Le fait générateur de la plus-value professionnelle est le retrait d'actif. La vente après le retour dans le patrimoine privé fait naître deux plus-values privées. Pour le calcul de l'abattement pour durée de détention, les deux plus-values privées sont prises en compte ensemble. L'exonération prévue par l'article 151 sexiesdu Code général des impôts ne s'applique pas dans cette situation (CGI, ann. II, art. 74 SG, III). En effet, pour bénéficier de cet avantage, la terre doit être inscrite au bilan au moment de la cession.

Plus-value et bien migrant

<strong>1)</strong>Jean-Marcel est producteur céréalier dans le Jura. Il a acheté cinquante hectares de terres en 2007 pour un prix de 2 500 € l'hectare, soit 125 000 €. Il opte pour la non-inscription des terres au bilan. En 2017, il achète trente hectares supplémentaires pour un prix de 4 000 € l'hectare, soit 120 000 €. Afin de déduire les frais d'acquisition et les intérêts d'emprunt, il renonce alors à son option et inscrit les terres au bilan. Les terres achetées en 2007 sont comptabilisées pour leur valeur vénale à la date d'inscription, soit 4 000 € l'hectare. En 2018, Jean-Marcel vend deux hectares de terres provenant de son achat en 2007 pour un prix de 30 000 €.

La vente fait naître deux plus-values :

<strong>2)</strong>Les données sont les mêmes que dans l'exemple précédent, mais les deux hectares vendus sont en zone constructible lors de leur inscription. La valeur d'inscription de ces terres au bilan est de 30 000 €. Le prix de vente en 2018 est de 35 000 €.

La vente fait naître deux plus-values :

Les motivations de l'option

– Une neutralité au regard de la loi « Dutreil ». – La structuration du foncier pour l'exploitant individuel se pose également en terme de transmission à titre gratuit. Sous forme sociétaire, l'inscription du foncier au bilan est nécessaire pour bénéficier du régime de faveur. Pour les entreprises individuelles, la notion d'immeubles affectés à l'exploitation est utilisée. La doctrine administrative précise que pour bénéficier de l'exonération de 75 %, les biens transmis doivent être nécessaires à l'exercice de la profession, indépendamment de leur présence à l'actif du bilan de l'entreprise 1494067655306. Par conséquent, les terres non inscrites au bilan mais nécessaires à l'exploitation bénéficient du régime de faveur. À l'inverse, les immeubles inscrits au bilan mais non nécessaires à l'exercice de la profession n'en bénéficient pas. La doctrine administrative étend ce régime de faveur aux sociétés à associé unique. Les terres et les bâtiments non apportés au bilan de la société agricole unipersonnelle mais affectés à l'exploitation bénéficient de l'exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit lorsque les dispositions relatives à l'engagement réputé acquis ne leur sont pas applicables. En revanche, elles sont soumises aux dispositions applicables aux sociétés lorsque les conditions relatives à l'engagement réputé acquis sont remplies 1499888925953.
– Les stratégies de réduction des cotisations MSA. – L'exploitant choisissant de conserver les terres dans son patrimoine privé peut se consentir un bail à lui-même. En agriculture, la question du bail à soi-même est étroitement liée aux cotisations sociales. Or, celles-ci sont calculées en fonction du revenu fiscal agricole. Différents procédés permettent de réduire le coût de la protection sociale. Ils consistent tous à réduire l'assiette servant de base aux cotisations sociales et, plus précisément, à transformer des bénéfices agricoles en revenus fonciers. Il est ainsi conseillé de ne pas inscrire les terres au bilan de l'exploitation et de les apporter à une structure sociétaire. Ainsi, les fermages versés par l'exploitant à la société foncière sont déduits du bénéfice agricole 1494062261340. Le revenu professionnel ainsi « transformé » en revenus fonciers échappe aux cotisations MSA. D'un point de vue fiscal, ce montage ne présente pas d'intérêt, le bénéfice agricole étant compensé par des revenus fonciers. Par ailleurs, si l'opération permet de déduire les intérêts d'emprunt et la taxe foncière des revenus fonciers, l'inscription des terres au bilan permet au surplus de déduire les frais d'acquisition.
– La rente du sol. – La rente du sol est un système permettant aux exploitants agricoles individuels de bénéficier d'une réduction des revenus professionnels servant au calcul de leurs cotisations sociales. Concrètement, ce mécanisme permet de déduire de l'assiette des cotisations sociales une somme correspondant au revenu cadastral des terres dont l'exploitant est propriétaire. Or, le revenu cadastral n'a pas été revalorisé depuis 1970. Il existe ainsi une disparité importante entre l'exploitant propriétaire et l'exploitant locataire. Le renouvellement de la base de calcul de la rente, proposé par un rapport parlementaire, permettrait de rendre ce système plus attractif 1494367862925. La rente ne serait alors plus basée sur le revenu cadastral, mais sur le barème des locations de terres agricoles résultant du statut du fermage. Cette proposition mérite approbation. Néanmoins, depuis quelques années, la rente du sol n'est plus le seul mécanisme de déduction.
– La reconnaissance tardive du bail à soi-même. – Le loyer fictif existant dans le régime des BIC et des BNC est admis en agriculture depuis un arrêt du Conseil d'État du 26 septembre 2011 1494062296814. Au plan juridique, l'entrepreneur individuel n'a qu'un seul patrimoine. Au plan fiscal, les patrimoines privé et professionnel coexistent. L'exploitant individuel ayant conservé les immeubles dans son patrimoine privé a la possibilité de déduire un loyer de son revenu professionnel. L'intérêt de ce mécanisme est la réduction de l'assiette du résultat soumis à cotisations sociales. Il n'est plus nécessaire de passer par la création d'une société pour déduire un fermage des revenus professionnels 1494062319668. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a introduit un dispositif anti-abus, limitant les effets de la déduction de la location à soi-même. Les assujettis ont la faculté de déduire de l'assiette de leurs cotisations une rente du sol ou un loyer fictif. L'exploitant, tenté de cumuler les deux régimes, doit majorer le bénéfice agricole des loyers déduits.

Le traitement des plus-values et des terres dans les autres pays européens

Dans tous les pays européens, les plus-values professionnelles s'ajoutent aux revenus d'exploitation et sont soumises au taux progressif de l'impôt sur le revenu ou à l'IS. Seule la France distingue les plus-values à court terme et les plus-values à long terme.
Au Danemark, les terres constituent toujours un actif professionnel et sont obligatoirement inscrites au bilan de l'exploitation, contrairement à la France où elles peuvent être conservées dans le patrimoine privé. Aux Pays-Bas, les terres sont inscrites au bilan. La plus-value sur les terres n'est taxée que si elle est liée à une spéculation, c'est-à-dire résultant d'un achat au prix normal du marché dans une perspective de revente rapide suite à un changement de destination.
Aucun pays européen n'admet en revanche l'amortissement des terres.