L'inscription des terres au bilan

L'inscription des terres au bilan

L'exploitant individuel ayant fait le choix d'inscrire les terres au bilan de son exploitation relève du régime des plus-values professionnelles. Pour les terres, non amortissables par nature, le régime des plus-values professionnelles est plus avantageux que celui des plus-values privées. En effet, plusieurs régimes d'exonération coexistent. L'article 151 septiesinstaure un régime d'exonération en fonction des recettes(§ I). L'article 151 septies B instaure un régime d'exonération des plus-values professionnelles à long terme en fonction de la durée de détention(§ II). Ces deux articles prévoient désormais une exclusion pour les terrains à bâtir(§ III).

Le régime d'exonération des plus-values professionnelles de l'article 151 septiesdu Code général des impôts

– Économie générale du régime. – L'article 151 septiesdu Code général des impôts est un régime général 1494058013429applicable aux activités agricoles, mais également aux activités commerciales, industrielles, artisanales et libérales 1494058029653.
Les plus-values sont exonérées à la triple condition :
  • qu'elles soient réalisées dans le cadre d'une activité professionnelle exercée depuis au moins cinq ans ;
  • que le chiffre d'affaires moyen réalisé au titre des exercices clos au cours des deux années civiles précédant la cession n'excède pas 250 000 € ;
  • que les terres cédées n'aient pas la nature d'un terrain à bâtir.
– La durée de l'activité. – Les plus-values sont exonérées à condition que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans 1494058153782. À défaut, les plus-values sont taxables même si les recettes sont inférieures au seuil de 250 000 €. Le point de départ du délai quinquennal est le début de l'activité. En pratique, il s'agit de la date de création ou d'acquisition de l'exploitation. Le terme du délai correspond à la clôture de l'exercice au titre duquel la plus-value est réalisée. Néanmoins, en cas de cession ou de cessation de l'entreprise, la date de cession ou de cessation est retenue 1494058184483. La cession d'un élément d'actif réalisée moins de cinq ans après le début de l'activité est exonérée lorsque la clôture de l'exercice comptable intervient plus de cinq ans après le début de l'exploitation.
– Le cas particulier de la reprise de l'activité par le conjoint. – Il est fréquent que le conjoint succède à son époux à la tête de l'exploitation, notamment en cas de départ à la retraite. Il convient de déterminer comment se décompte le délai de cinq ans pour le conjoint repreneur. Cette question revêt une importance particulière, la reprise par le conjoint étant souvent de courte durée. Il s'agit en effet de permettre au conjoint repreneur d'atteindre l'âge suffisant pour faire valoir à son tour ses droits à la retraite. En pratique, il convient de distinguer la reprise suite au départ à la retraite de la reprise suite au décès.
– La reprise suite au départ à la retraite du conjoint. – La doctrine administrative considère que l'exploitant agricole et son conjoint sont liés par une étroite communauté d'intérêt. À ce titre, il existe en général une exploitation unique pour l'appréciation des différents régimes d'imposition.
Au plan fiscal, le conjoint est considéré coexploitant s'il remplit l'une des conditions suivantes :
  • il est propriétaire des terres affectées à l'exploitation ;
  • ou il participe à la mise en valeur de l'exploitation appartenant en propre à son conjoint.
Une exploitation est distincte uniquement si un époux exploite des terres lui appartenant à titre de biens propres et si son conjoint ne participe en aucune manière à la mise en valeur de l'exploitation. Pour des époux mariés sous un régime communautaire, la notion d'exploitation unique s'impose si les terres dépendent de la communauté. Fiscalement, le conjoint bénéficie du statut de coexploitant même s'il ne participe pas de façon effective à l'exploitation. Il suffit que la communauté soit propriétaire des biens exploités. Le point de départ du délai de cinq ans est le début d'activité du premier époux 1494058747128. Ainsi, le conjoint reprenant l'exploitation suite au départ à la retraite de son époux poursuit l'activité. Il n'est pas assimilé à un nouvel exploitant en matière de plus-values.
– La reprise suite au décès du conjoint. – La situation est différente en cas de décès de l'exploitant. Le décès entraîne en effet une cessation d'activité. Les bénéfices réalisés et les plus-values latentes au jour du décès sont en principe imposés 1495950617316. Il en résulte que le délai de cinq ans est décompté à partir du jour de la reprise par le conjoint survivant.
– L'appréciation du montant des recettes. – Le seuil d'exonération s'apprécie en fonction de la moyenne des recettes encaissées au cours des deux années civiles précédant l'exercice de réalisation de la plus-value. L'exonération est totale jusqu'à 250 000 € HT. Elle est dégressive de 250 000 € à 350 000 € HT 1494058793647.

Appréciation du seuil de l'article 151 septies<strong>du Code général des impôts</strong>

Apolline produit des roses de Damas à Grasse. Elle a réalisé une plus-value nette de 15 000 € le 1<sup>er</sup> septembre 2017. La moyenne de ses recettes 2015-2016 et 2016-2017 s'élève à 285 000 €. Le seuil de 250 000 € étant dépassé, la plus-value est taxable. Cependant, la limite de 350 000 € n'étant pas atteinte, cette plus-value n'est que partiellement imposée. La plus-value taxable se calcule ainsi : 15 000 × (285 000 – 250 000) / (350 000 – 250 000) = 5 250 €.

Le régime d'exonération de l'article 151 septies B du Code général des impôts

– Économie générale du régime. – Le régime d'exonération de l'article 151 septies B du Code général des impôts institue un abattement pour durée de détention sur les plus-values immobilières professionnelles à long terme. Cet abattement est de 10 % par an au-delà de la cinquième année. Ainsi, la plus-value est totalement exonérée au terme de quinze années de détention, à condition que le terrain vendu soit affecté à l'exploitation et inscrit au bilan. Ce dispositif s'inspire du régime des plus-values immobilières des particuliers. Cependant, contrairement à ce dernier ayant fait l'objet d'une profonde réforme applicable depuis le 1er février 2012, les dispositions codifiées de l'article 151 septies B n'ont pas été modifiées. Ainsi, ce régime est aujourd'hui plus intéressant que le régime des plus-values immobilières des particuliers.

Le régime de l'article 151 septies<strong> B du Code général des impôts</strong>

Apolline cède un hectare de terres le 1<sup>er</sup> mai 2018 moyennant le prix de 10 000 €. Ces terres ont été acquises 5 000 € le 1<sup>er</sup>mai 2006. La plus-value est de : 10 000 – 5 000 = 5 000 €. Le bien étant détenu depuis plus de deux ans, la plus-value est à long terme. Elle bénéficie de l'article 151 <em>septies</em> B. La durée de détention est de douze ans. L'abattement est = (12 – 5) × 10 % = 70 %. Le montant de l'abattement est de 5 000 × 70 % = 3 500 €. Soit une plus-value taxable = 5 000 – 3 500 = 1 500 €.

Le cas particulier des terrains à bâtir

Devant la pression foncière, de nombreux agriculteurs saisissent l'opportunité de vendre leurs terres en terrain à bâtir lorsque les documents d'urbanisme le permettent. Les cessions de terrains à bâtir soumises à la TVA immobilière étant expressément exclues du bénéfice des articles 151 septieset 151 septies B, il convient de définir la notion de terrain à bâtir au regard de ces deux articles.
– La notion de terrain à bâtir depuis la réforme de la TVA immobilière. – Depuis la réforme de la TVA immobilière, les livraisons de biens, meubles ou immeubles, effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA 1494062911454. L'assujettissement à la TVA d'un terrain à bâtir ne s'apprécie plus en fonction de la qualité du cessionnaire, mais du cédant. Les exploitants agricoles vendant un terrain à bâtir sont-ils considérés comme des assujettis agissant en tant que tels 1494063258476 ? L'administration fiscale a répondu à cette question dans une réponse ministérielle du 4 novembre 2010 1494062962685. La cession d'un terrain affecté à l'exploitation, devenu constructible en raison d'une modification des règles d'urbanisme, est considérée comme réalisée dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de l'agriculteur. À ce titre, elle n'est pas assujettie à la TVA. Cette solution s'applique également lorsque l'exploitant a conservé le terrain dans son patrimoine privé. En revanche, les cessions de terrains à bâtir par un agriculteur ayant réalisé des travaux de viabilisation et mis en œuvre des moyens de commercialisation avérés, entrent de plein droit dans le champ d'application de la TVA, au même titre que les cessions de terrains à bâtir spécifiquement acquis en vue de leur revente 1494063022355.
– La notion de terrain à bâtir au regard des articles 151  septies et 151  septies  B. –La notion de terrain à bâtir s'apprécie dans les mêmes termes pour les deux articles. Ils renvoient à l'article 1594-0 G du Code général des impôts. Cet article a été modifié suite à la réforme de la TVA immobilière 1494063215998. Il vise désormais les acquéreurs assujettis à la TVA prenant l'engagement d'effectuer des travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf dans un délai de quatre ans 1502031619248. Autrement dit, la réforme de la TVA immobilière n'a pas modifié en profondeur l'exonération visée aux articles 151 septieset 151 septies B 1494063165672. En effet, c'est la qualité du cessionnaire et non celle du cédant qui est toujours prise en compte. Il importe peu que l'agriculteur ait ou non la qualité d'assujetti.
Ainsi, dans le cadre de la vente d'un terrain à bâtir inscrit au bilan, l'agriculteur est susceptible de bénéficier de l'exonération de l'article 151 septiessi l'acquéreur du terrain à bâtir n'est pas un assujetti à la TVA prenant l'engagement de construire. Les conditions relatives à la durée de l'activité et au seuil des recettes doivent par ailleurs être remplies.
En revanche, pour bénéficier de l'abattement de l'article 151 septies B, il suffit que l'acquéreur ne soit pas un assujetti prenant l'engagement de construire, pourvu que le terrain vendu soit affecté à l'exploitation et inscrit au bilan.

Choix de l'inscription des terres : cas particulier du terrain à bâtir

<strong>1)</strong>Pierre est installé dans les Alpes-de-Haute-Provence. En 2008, il achète dix hectares de lavandin au prix de 2 500 € l'hectare. Le 1<sup>er</sup> janvier 2016, lors de son passage au réel, il fait le choix de maintenir les terres dans son patrimoine professionnel et déclare une valeur vénale de 5 000 € l'hectare, permettant une exonération de la plus-value latente acquise sous le régime du forfait. Une parcelle de 2 000 m² devient constructible en 2018. Il trouve un acquéreur au prix de 80 €/m², soit 160 000 €. L'acquéreur est un particulier souhaitant construire son habitation. Pierre exerce son activité depuis plus de cinq ans et la moyenne des recettes HT des deux années civiles précédant la cession est inférieure à 250 000 €. Au bilan, la parcelle vendue a une valeur de 2 000 m² × 0,50 €/m² = 1 000 €. La plus-value est de 160 000 – 1 000 = 159 000 €. Pierre est néanmoins exonéré de plus-values professionnelles en application de l'article 151 <em>septies</em>du Code général des impôts.

<strong>2)</strong>Les données sont les mêmes que dans l'exemple précédent, mais le montant des recettes HT moyennes de Pierre est supérieur à 350 000 €. Il ne bénéficie pas de l'exonération de l'article 151 <em>septies</em>. En revanche, les dispositions de l'article 151 <em>septies</em> B sont applicables. Les terres achetées en 2008 sont détenues depuis dix ans au moment de la cession. Comme dans l'exemple précédent, l'acquéreur est un particulier souhaitant construire son habitation. La plus-value professionnelle bénéficie d'un abattement de 50 % (10 % par an au-delà de la cinquième). Elle est de 79 500 € (50 % de 159 000 €). La plus-value à long terme est soumise au taux de 30 % (12,8 % pour l'impôt de plus-value et 17,20 % pour les prélèvements sociaux)
<sup class="note" data-contentnote=" Modification apportée par la loi de finances pour 2018 : en vue d&#039;être en cohérence avec le prélèvement forfaitaire unique, le taux de 16 % est ramené à 12,8 %.">1514217986328</sup>, soit 23 850 €.

<strong>3)</strong>Dans les deux exemples précédents, si la vente est consentie à un assujetti prenant l'engagement de construire, la plus-value professionnelle ne bénéficie d'aucune exonération. La plus-value à long terme est soumise au taux de 30 %, soit 47 700 €.

<strong>4)</strong>Si Pierre, lors de l'acquisition, affecte les terres dans son patrimoine privé, il est soumis au régime des plus-values immobilières des particuliers. La plus-value est égale à la différence entre le prix de vente et le prix d'achat augmenté des frais d'acquisition : 160 000 – (1 000 + 75) = 158 925 €. Après dix années, l'abattement pour durée de détention est de 30 % pour l'impôt de plus-value et de 8,25 % pour les prélèvements sociaux. L'impôt à payer est de 43 738 €.

<strong>5)</strong>Si Pierre choisit de retirer les terres de son patrimoine professionnel avant la vente, il peut bénéficier d'une exonération totale sur le fondement de l'article 151 <em>septies</em>ou partielle sur le fondement de l'article 151 <em>septies</em> B. En effet, le retrait n'est pas assimilé à une cession de terrain à bâtir. La vente du terrain à bâtir après retour des terres dans le patrimoine privé relève des plus-values des particuliers. Elle est égale à la différence entre le prix de vente et la valeur vénale des terres lors de leur retour dans le patrimoine privé. Dans le patrimoine privé de Pierre, la parcelle a une valeur de 160 000 €. Si Pierre vend cette parcelle en 2018 moyennant le prix de 165 000 €, la plus-value sera de : 165 000 – 160 000 = 5 000 €, soumise au taux de 36,20 %, soit 1 810 €. Cependant, un court laps de temps entre le retrait et la vente du terrain est susceptible de donner lieu à un redressement fiscal au titre de l'abus de droit.

– Un manque de cohérence. – Ce système fiscal manque de cohérence. L'objectif initial du législateur était pourtant simple. Il s'agissait de taxer les plus-values professionnelles et les plus-values immobilières des particuliers sur un plan d'égalité. Or, les articles 151 septieset 151 septies B instaurent des systèmes plus favorables que les plus-values immobilières des particuliers 1494062829352. Par ailleurs, le renvoi à l'article 1594-0 G est inapproprié. Le renvoi à la notion plus objective donnée par l'article 257, I, 2, 1° du Code général des impôts serait plus judicieux : sont considérés comme terrains à bâtir « les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu (…) ». Il permettrait en effet d'aligner les différents régimes de plus-values immobilières et, corrélativement, de ne pas tirer des profits excessifs de l'artificialisation des terres agricoles.
– Les autres avantages de l'inscription des terres au bilan. – Les avantages résultant de l'inscription des terres au bilan ne se limitent pas aux outils permettant d'alléger l'impôt de plus-value. La taxe communale forfaitaire sur les cessions à titre onéreux de terrains devenus constructibles ne s'applique pas aux terres inscrites au bilan (CGI, art. 1529). Enfin, l'inscription au bilan permet de déduire les charges afférentes aux terres telles que les frais d'entretien, les intérêts d'emprunt et les frais d'acquisition. Les déductions restent cependant limitées, l'administration fiscale n'admettant pas l'amortissement des terres.