La PAC actuelle comporte une dimension environnementale importante. Dans le premier pilier, il s'agit des normes relatives aux bonnes conditions agricoles environnementales et des paiements verts (Sous-section I). Dans le second pilier, les aides sont versées dans le cadre de plans de développement ruraux, répondant à des objectifs en matière de changement climatique et de préservation de la biodiversité (Sous-section II).
Les leviers de la PAC en faveur de la transition agroécologique
Les leviers de la PAC en faveur de la transition agroécologique
La dimension environnementale du premier pilier
Le virage effectué en faveur du verdissement par la dernière réforme de la PAC répond à deux objectifs :
- corriger les excès de cinquante années de soutien aux productions néfastes à l'environnement ;
- transmettre un message politique fort, visant à faire accepter à l'ensemble des citoyens européens le maintien des paiements directs en les conditionnant à des pratiques agronomiques bénéfiques pour l'environnement.
L'intégration des préoccupations environnementales dans la PAC revêt trois formes :
- l'écoconditionnalité, consistant à conditionner le versement des paiements directs au respect de règles environnementales européennes et au Code national des bonnes pratiques environnementales ;
- le verdissement, consistant à rémunérer les services environnementaux considérés par les citoyens comme des biens publics, tels que l'entretien des paysages et le respect de la biodiversité ;
- et les mesures agroenvironnementales (MAE), permettant le soutien d'actions ciblées grâce au versement d'aides financières.
Les deux premières mesures relèvent du premier pilier, la troisième du second. Le verdissement de la PAC au sein du premier pilier concerne en premier lieu les normes de bonnes conditions agricoles et environnementales minimales devant être respectées par l'exploitant pour recevoir les DPB, lesquels représentent 55 % de l'enveloppe du premier pilier (§ I). Le verdissement du premier pilier de la PAC se traduit ensuite par les paiements verts, représentant 30 % de l'enveloppe du premier pilier (§ II).
Les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales
– La conditionnalité des aides du premier pilier. – Les règles relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) ont été mises en place en 2003
1504167123256. Elles sont définies par les États membres selon des conditions nationales et régionales. Il s'agit d'exigences environnementales minimales conditionnant le versement des DPB
1506160271785. Les BCAE visent avant tout la préservation des sols.
Elles prennent notamment les formes suivantes :
- le maintien des terres dans de bonnes conditions agronomiques ;
- le maintien des particularités topographiques des parcelles, sous forme de bordures de champs et de bandes-tampons le long des cours d'eau ;
- le maintien des surfaces en herbe permettant d'éviter l'érosion ;
- le respect des procédures lorsque l'utilisation de l'eau à des fins d'irrigation est soumise à autorisation.
La conditionnalité des DPB répond à une demande sociale de protection accrue du patrimoine environnemental. Elle inscrit la PAC dans une démarche donnant-donnant
1506161179237. Le système présente néanmoins des inconvénients. En premier lieu, celui de ne pas être homogène dans tous les pays de l'Union. À ce titre, les choix effectués par la France sont parfois vécus comme une injustice par les agriculteurs français, l'écoconditionnalité étant alors considérée comme une contrainte et non un objectif.
– Les sanctions du non-respect des BCAE. – Le non-respect des normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales entraîne une réduction ou une exclusion des paiements. Pour chaque norme, les cas de non-conformité sont définis. Le calcul des réductions ou exclusions tient compte de la gravité, de l'étendue et de la répétition de l'infraction. Par exemple, en cas de non-respect dû à la négligence, le pourcentage de réduction est limité à 5 %. En revanche, en cas de non-respect intentionnel, la sanction peut aller jusqu'à l'exclusion totale du bénéfice d'une ou plusieurs aides
1504167199852.
Les paiements verts
– Le régime du verdissement. – Les paiements verts marquent fortement le verdissement de la PAC. Ils récompensent les démarches volontaires renforçant les pratiques environnementales vertueuses. En effet, les exploitants reçoivent un paiement par hectare en contrepartie de services environnementaux rendus.
Les aides liées au verdissement de la PAC concernent :
- le maintien des prairies permanentes (A) ;
- la diversification des cultures (B) ;
- et la mise en place de surfaces d'intérêt écologique (C).
Les paiements verts représentent 30 % du budget du premier pilier, soit environ deux milliards d'euros annuels. Ils correspondent en moyenne à 80 € l'hectare.
Le maintien des prairies permanentes
– Respecter la biodiversité. – Le maintien des prairies permanentes permet d'éviter la diminution de surfaces représentant des réservoirs de biodiversité et des puits de carbone. Toutes les exploitations bénéficiant du paiement vert sont tenues de respecter ce critère, à l'exception de celles cultivées intégralement en agriculture biologique. Toutes les surfaces dans lesquelles l'herbe ou les plantes fourragères prédominent depuis au moins cinq ans sont considérées comme pâturages ou prairies permanentes. Un suivi est effectué au niveau régional. Par ailleurs, un ratio est établi entre la proportion des prairies permanentes et la totalité de la surface agricole utile. Actuellement, ce ratio s'établit par région et par référence aux surfaces en prairies permanentes déclarées en 2012.
Deux niveaux de protection coexistent :
- si la dégradation du ratio est de plus de 2,5 %, un dispositif d'autorisation est mis en place. La conversion de pâturages ou prairies permanentes en terres arables nécessite une autorisation préalable de l'administration ;
- si la dégradation du ratio est de plus de 5 %, les conversions sont interdites et les réimplantations en prairies permanentes sont imposées aux cultivateurs.
Au surplus, les exploitants sont tenus de conserver les surfaces sensibles. Il s'agit des landes, des parcours ou estives dans les zones Natura 2000 et des prairies naturelles déterminées pour leur richesse en biodiversité au sein des zones Natura 2000. Le travail superficiel du sol y est néanmoins autorisé, permettant par exemple des sursemis.
La diversification des cultures
– Améliorer la qualité des terres arables. – La diversification des cultures améliore la qualité des sols. Corrélativement, elle permet d'accroître la production européenne de protéagineux. Or, ces plantes présentent un intérêt particulier pour la France, plus gros importateur européen de tourteaux de soja. En effet, une forte dépendance au marché mondial pour nourrir le bétail est problématique. Par ailleurs, la culture du soja et plus généralement des plantes légumineuses présente un intérêt écologique, les légumineuses ayant la capacité de prélever l'azote de l'air et d'économiser ainsi les apports d'engrais azotés.
– Les contraintes de la diversification des cultures. – Il existe deux seuils de diversification, fixés en fonction de la surface totale des terres arables de l'exploitation :
- entre dix et trente hectares, deux cultures doivent être mises en œuvre, la culture principale devant être inférieure à 75 % du total ;
- au-dessus de trente hectares, trois cultures doivent être mises en œuvre, la culture principale devant être inférieure à 75 % du total et les deux plus importantes inférieures à 95 %.
Pour les exploitations dont la surface arable est inférieure à dix hectares, aucun seuil n'est fixé. Au surplus, les exploitations agricoles ne sont pas soumises au critère de diversification des cultures, quelles que soient leurs surfaces arables, dans deux cas particuliers :
- lorsque la somme des surfaces en prairie temporaire et jachère dépasse 75 % de la surface arable et que la surface arable restante est inférieure ou égale à trente hectares ;
- et lorsque la somme des surfaces en prairie permanente, prairie temporaire et riz, dépasse 75 % de la surface agricole utile et que la surface arable restante est inférieure ou égale à trente hectares.
Les surfaces d'intérêt écologique
– Mieux prendre en compte la biodiversité. – Les surfaces d'intérêt écologique favorisent la biodiversité sur l'exploitation agricole. À ce titre, les exploitants sont tenus de maintenir ou d'établir des surfaces d'intérêt écologique sur au moins 5 % des terres arables pour les exploitations de plus de quinze hectares
1504167278117. Les surfaces de prairies permanentes sont exclues de ce calcul.
Par ailleurs, les deux hypothèses d'exclusion concernant la diversification des cultures s'appliquent également aux surfaces d'intérêt écologique. Concrètement, les SIE consistent en la mise en place ou le maintien de haies ou bandes boisées, d'arbres isolés, groupes d'arbres ou bosquets, voire d'agroforesterie, de mares et fossés, de bandes tampons le long des cours d'eau, de jachères ou encore de cultures dérobées ou de couverts végétaux
1504167347100.
Un rapport d'évaluation publié en mars 2017 démontre le succès de la mise en œuvre des surfaces d'intérêt écologique
1504167370251. Les SIE couvrent en effet aujourd'hui presque 10 % des surfaces arables. Ce résultat s'explique par un recours important aux SIE productives et potentiellement productives : plantes fixant l'azote, cultures dérobées et terres en jachère. Les autres SIE, notamment les particularités topographiques, les bandes d'hectares admissibles le long des forêts et les hectares en agroforesterie ne constituent qu'une faible proportion du total des SIE déclarées
1504167395273. Le verdissement du premier pilier représente ainsi 30 % des aides directes aux agriculteurs. Elles profitent aux exploitants mettant en place des SIE, organisant la diversité des assolements et protégeant les prairies permanentes.
Le second pilier de la PAC : caractéristiques et dimension environnementale
Le second pilier, créé en 1999
1509293644251, repose sur le concept de multifonctionnalité de l'agriculture, correspondant à l'idée que l'agriculture n'assure pas seulement une fonction économique, mais également des fonctions sociale et environnementale
1504167450060.
L'analyse des caractéristiques du second pilier (§ I)permet d'appréhender le tournant environnemental opéré par la France (§ II).
Les caractéristiques du second pilier
– Les objectifs du second pilier. – Le second pilier de la PAC est composé de différentes mesures combinées au gré des États membres au niveau national et régional, leur permettant d'établir leurs propres programmes de développement rural (PDR)
1504167468359. Ces mesures sont classées en six priorités. Les États membres ont la faculté de les regrouper en sous-programmes thématiques : petites exploitations, jeunes agriculteurs, circuits d'approvisionnement courts, zones de montagne.
Les six priorités de ce second pilier visent à :
- améliorer la compétitivité et renforcer la viabilité des exploitations ;
- encourager le transfert de connaissances et l'innovation ;
- promouvoir l'organisation de la chaîne alimentaire et la gestion des risques dans le secteur de l'agriculture ;
- renforcer les écosystèmes tributaires de l'agriculture et des forêts ;
- promouvoir l'utilisation des ressources et soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de CO² ;
- contribuer à l'inclusion sociale, à la réduction de la pauvreté, ainsi qu'au développement économique dans les zones rurales.
– Une politique agricole commune régionalisée. – Le premier pilier est entièrement financé par les aides européennes, tandis que le second pilier est alimenté conjointement par l'Union et chacun des États membres à une échelle nationale ou régionale. Le second pilier est financé au niveau européen par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). La France bénéficie de l'enveloppe la plus conséquente, soit environ 11,5 milliards d'euros pour la période 2014-2020. À cette enveloppe s'ajoutent environ cinq milliards d'euros de cofinancements nationaux (État, régions, départements, agences de l'eau, etc.). La France a choisi de régionaliser entièrement le second pilier. Ainsi, les treize régions françaises sont juridiquement et financièrement responsables vis-à-vis de Bruxelles de la mise en place des programmes de développement rural (PDR).
– Une politique d'aménagement du territoire rural. – Les emplois liés à l'agriculture ne représentent plus que 4 % de la population active. Cependant, l'agriculture est souvent la dernière activité présente dans des zones rurales reculées. Le second pilier intègre cette dimension d'aménagement du territoire rural. Ainsi, l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN) répond au souci de soutenir les territoires défavorisés et de maintenir le maillage agricole. Certaines zones de montagne, mais également des régions ultrapériphériques exposées à d'importantes difficultés nécessitent des soutiens spécifiques, sans lesquels l'activité agricole serait abandonnée et les territoires ruraux désertifiés. Si la France consacre plus des deux tiers de l'enveloppe totale du second pilier aux ICHN, l'effort budgétaire reste insuffisant pour soutenir les territoires concernés.
– Un cadre européen, une mise en œuvre à l'échelle des États membres. – Le second pilier permet aux États membres de piocher dans le panel des mesures proposées. Tel payschoisit l'ICHN, tel autre choisit le soutien à la compétitivité, etc. L'agriculteur a lui-même la possibilité de choisir dans les mesures proposées. La France dispose d'un territoire agricole diversifié et d'une agriculture plurielle, chacune ayant sa place et son utilité, celle des grandes étendues céréalières et celle des montagnes, celle de l'agriculture intensive et celle de l'agriculture biologique. Ainsi, la France a décidé de ne pas faire de choix dans le panel des mesures proposées. À l'inverse, l'Allemagne concentre les aides sur la compétitivité des exploitations. Ce choix lui a permis, avec d'autres orientations, d'augmenter ses exportations deux fois plus vite que la France au cours des sept dernières années. Par ailleurs, les choix environnementaux opérés par la France conduisent à enchérir les coûts et creuser l'écart avec d'autres pays moins scrupuleux.
Le volet environnemental du second pilier
La place accordée à l'environnement dans le second pilier est prépondérante. Le défi de l'agriculture européenne est de garantir une production alimentaire en quantité et qualité suffisantes grâce à la gestion durable des ressources naturelles et à la lutte contre le changement climatique
1504167510573. Ainsi, à côté des enjeux de production, le volet environnemental est omniprésent dans le second pilier de la PAC
1504167548059. En France, ce volet environnemental est mis en œuvre sous la forme d'indemnités compensatoires de handicap naturel (A), de mesures agroenvironnementales et climatiques (B), et d'aides à la conversion en agriculture biologique (C).
Les indemnités compensatoires de handicap naturel
– La prise en compte des zones défavorisées. – L'indemnité compensatoire de handicap naturel permet d'assurer une solidarité nationale en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles. Elle est fondamentale pour le maintien du tissu agricole, notamment pour l'élevage dans les zones de montagne. En France, l'ICHN représente la première dépense du second pilier. Son montant est d'environ un milliard d'euros, financé à hauteur de 75 % par le FEADER et pour le surplus par la France. Elle bénéficie à près de 100 000 exploitations agricoles. Les zones éligibles sont de trois types : les zones de montagne, les zones à contraintes naturelles (C. rur. pêche marit., art. D. 113-15)
1509295395922et les zones à contraintes spécifiques (C. rur. pêche marit., art. D. 113-15). L'aide liée au nombre de têtes de bétail, réservée initialement aux zones de montagne, a été étendue aux zones à handicap. Elle est calculée à l'hectare. Les surfaces pouvant bénéficier de l'ICHN sont plafonnées : soixante-quinze hectares pour l'ICHN animale et cinquante hectares pour l'ICHN végétale.
Les mesures agroenvironnementales et climatiques
– Le développement de bonnes pratiques agroenvironnementales. – Les mesures agroenvironnementales et climatiques soulignent l'importance donnée au rôle de l'agriculteur dans l'atténuation du réchauffement climatique. Selon l'Institut du végétal « Arvalis », un hectare de blé ou de maïs capte quatre à huit fois plus de CO²qu'il n'en est émis pour le produire
1509296311816. Les grandes cultures françaises permettent ainsi de fixer plusieurs dizaines de millions de tonnes d'équivalent de CO², soit une quantité proche de celle de la forêt.
Le dispositif MAEC est orienté sur des mesures « système », ne ciblant pas des pratiques sur une parcelle donnée mais sur un système de culture
1506259657416. Par exemple, les MAEC « grandes cultures » prévoient des obligations de diversification, de rotation et de gestion des produits phytosanitaires et de l'azote, s'inscrivant dans un tournant agroécologique. Cependant, le faible montant des aides et leur plafonnement découragent les céréaliers. Les MAEC « polyculture-élevage » encouragent les éleveurs à renforcer les synergies entre les productions végétale et animale et à améliorer l'autonomie alimentaire des troupeaux.
Les aides à la conversion en agriculture biologique
– Le développement de l'agriculture biologique. – Le développement de pratiques agricoles de plus en plus vertueuses pour l'environnement passe notamment par l'agriculture biologique. À ce titre, les aides concernent la conversion en agriculture biologique. Elles visent à compenser les surcoûts et manques à gagner relatifs à l'adoption de pratiques liées à l'agriculture biologique. L'aide est étalée sur cinq ans. Par exemple, le montant de l'aide pour la conversion en maraîchage biologique est de 900 € par hectare et par an. L'agriculture biologique est aujourd'hui victime de son succès. Depuis 2012, la France a été obligée de prélever sur les aides du premier pilier pour financer l'agriculture biologique. Par ailleurs, devant l'impossibilité de pourvoir au financement de toutes les demandes, la France a décidé d'abandonner les aides au maintien de l'agriculture biologique à compter du 1er janvier 2018
1506199083003.
– Le bilan du verdissement. – Il est difficile de mesurer les effets du verdissement de la PAC, la valeur environnementale étant par elle-même malaisée à quantifier. Par ailleurs, le verdissement du premier pilier a encore complexifié la PAC et le manque de cohérence entre les deux piliers. Quelle différence y a-t-il entre une aide directe au revenu (premier pilier) et une indemnité compensatrice de handicap naturel (deuxième pilier) ? Quelle différence y a-t-il entre les paiements verts (premier pilier) et les mesures agroenvironnementales (deuxième pilier) ? La modulation entre les deux piliers, impliquant un transfert progressif des fonds du premier pilier vers le second, renforce encore la confusion et le manque de lisibilité. Les mesures se multiplient et se juxtaposent, devenant indigestes pour les agriculteurs dont la préoccupation est avant tout de produire en quantité et qualité suffisantes.
Un rapport sénatorial préconise d'affecter les paiements verts du premier pilier au profit des pratiques agroenvironnementales vertueuses
1506259523552. Il s'agit de modifier la portée de ces aides. Elles sont aujourd'hui conçues pour compenser le surcoût lié à la mise en œuvre de bonnes pratiques culturales. Elles seraient demain conçues comme une rémunération des bonnes pratiques culturales, se rapprochant ainsi des paiements pour services environnementaux.
Concernant les surfaces d'intérêt écologique et le développement des productions biologiques, la PAC est victime de son succès, les moyens n'étant pas en adéquation avec les enjeux.
Ainsi, dans une démarche prospective, il convient de proposer de nouvelles pistes pour demain.