Le statut de l'agriculteur urbain

Le statut de l'agriculteur urbain

– Un statut, des questions. – Le statut de l'agriculteur urbain interpelle. Ce fermier des villes doit-il tenir compte des règles de l'agriculture traditionnelle en général (A) ? Et, plus particulièrement, quelle est la législation applicable à l'agriculteur preneur à bail du toit d'un immeuble (B) ?

L'application des règles de l'agriculture traditionnelle à l'agriculteur urbain

– Le contrôle des structures. – Le développement de l'agriculture urbaine, moderne et innovante, se confronte à des règles plus traditionnelles. À ce titre, la question d'un statut propre aux agriculteurs intra-muros mérite d'être posée, au même titre que la pertinence de l'application des règles du contrôle des structures (C. rur. pêche marit., art. L. 331-1).
Cette législation a pour objectifs de préserver la viabilité des exploitations agricoles et de favoriser l'installation d'agriculteurs. À ce titre, elle concerne tous les types de productions. Le contrôle subordonne parfois les possibilités d'exploiter à l'obtention d'une autorisation préfectorale, eu égard notamment à la taille des exploitations. L'essentiel des fermes urbaines n'est pas concerné par ce contrôle de la taille 1515352013938. Cependant, la nécessité de l'autorisation d'exploiter peut être motivée par une capacité agricole insuffisante, caractérisée par le défaut d'un diplôme requis ou une expérience professionnelle lacunaire (C. rur. pêche marit., art. L. 331-2, I, 3°, a).
Cette réglementation du contrôle des structures est légitime en milieu rural. Mais l'agriculture intra-muros, même pratiquée par des professionnels, ne concurrence pas les exploitants traditionnels. En comptant tout autant sur la facturation de prestations annexes que sur la production, ces nouveaux agriculteurs devraient échapper au contrôle des structures.
– Ça safer en ville ? – Lorsqu'il est question d'agriculture, la SAFER n'est jamais loin. Une des missions de la SAFER est de permettre aux agriculteurs l'accès aux surfaces agricoles disponibles (C. rur. pêche marit., art. L. 141-1). Si la finalité première de la SAFER est la protection des espaces agricoles, naturels et forestiers, ses interventions visent également à favoriser l'installation, le maintien et la consolidation d'exploitations agricoles, par le jeu de la préemption (C. rur. pêche marit., art. L. 141-1, II, 1°). Les exploitations agricoles étant dorénavant dans la ville, le champ d'intervention de la SAFER s'est élargi à l'espace urbain.
Seul le seuil de déclenchement de son droit de préemption peut « protéger » les biens situés en zone urbaine d'une intervention de la SAFER (C. rur. pêche marit., art. L. 143-7). Mais l'assiette d'une copropriété dépassant souvent le seuil minimal, l'omniprésence de la SAFER semble incontournable, d'autant plus qu'un bâtiment agricole cédé en zone U du PLU est préemptable indépendamment de tout seuil.

La législation applicable à l'agriculteur preneur à bail d'un toit d'immeuble

La situation de l'agriculteur preneur à bail d'un toit d'immeuble interpelle tant quant au régime juridique applicable à cette toiture (I) qu'au caractère obligatoire ou non du statut du fermage (II).

Le régime juridique applicable au toit d'immeuble

– Les difficultés de la culture de toit sur un immeuble en volumes. – Du strict point de vue contractuel, quiconque est propriétaire d'un immeuble entier peut donner le toit de son immeuble à bail à un exploitant agricole.
La situation est déjà plus complexe en matière de volumes. Il a été rappelé précédemment les difficultés juridiques à isoler par voie de volume un droit de propriété dans un bâtiment collectif, sauf si ce dernier dépend du domaine public (V. nos et s.). Dans ce cas, une division volumétrique est possible avec un déclassement du toit. Pour que la division en volumes puisse constituer une alternative à la copropriété et accueillir dans des conditions satisfaisantes des serres de toit, cette division doit pouvoir être autorisée a posteriori et dans le champ du droit privé. Cela revient à dire qu'une division en volumes n'est pas seulement une division primaire de l'immeuble, mais qu'elle peut intervenir au cours de la vie de celui-ci, ce qui va à l'encontre de l'interdiction actuelle de la scission en volumes d'un bâtiment unique déjà bâti.
– Culture de toit sur un immeuble en copropriété : le préalable de la destination de l'immeuble. – Une grande majorité des cas de culture de toit concerne des immeubles en copropriété. L'aménagement d'un toit en potager constitue un changement de destination si le règlement de copropriété n'avait pas envisagé pour l'immeuble une destination agricole, ce qui est le plus souvent le cas. L'agriculture étant une activité nouvelle au sein de la copropriété 1508088515709, seuls les immeubles ayant une destination large peuvent l'accueillir sans modification du règlement de copropriété. À défaut, il convient de recueillir l'accord unanime des copropriétaires (V. n° ).
– L'objet du bail en copropriété : une partie commune. – La plupart du temps, au moment de la location, le toit est nu de construction, toute serre éventuelle constituant a priori un aménagement opéré par l'agriculteur pendant le temps de son bail, dans le cadre de son exploitation.
La jurisprudence considérant qu'un lot privatif ne peut pas être constitué uniquement par une jouissance sans bâtiment 1507914145068, le toit nu objet de la location est une partie commune et la qualité de bailleur appartient au syndicat des copropriétaires 1505741613324.

Le fermage : statut obligatoire ?

Tout immeuble à usage agricole mis à disposition à titre onéreux pour l'exploitation d'une activité agricole est soumis au statut du fermage (V. n° ) (C. rur. pêche marit., art. L. 411-1). Appliquer ce statut aux baux portant sur les toits des immeubles urbains revient à conclure que l'immeuble urbain est « à usage agricole » (a). En copropriété notamment, il en découle des conséquences particulières (b) qui justifient un plaidoyer pour un autre statut (c).

L'immeuble urbain « à usage agricole »

– Le statut du fermage : l'usage agricole par vocation ou par destination. – La définition du fermage conduit à son application dans de très nombreuses hypothèses. Mais le bâtiment urbain, et plus restrictivement encore son simple toit, est-il un « immeuble à usage agricole » ?
Très tôt, la jurisprudence a considéré que le statut des baux ruraux s'appliquait à tout bien foncier destiné à la production agricole 1508262863001.
L'usage agricole du bien loué dépend avant tout de sa destination effective, observée au regard des critères objectifs et subjectifs que sont sa vocation 1515358031254et son affectation réelle. Ainsi, dans certaines circonstances, le bien est à usage agricole par nature. Cette solution s'applique notamment aux caves destinées à l'élevage et au stockage du vin.
S'agissant des baux autorisant la culture sur le toit d'un immeuble, l'applicabilité du statut du fermage ne relève pas de la vocation de la toiture.
Mais relève-t-il de sa destination ? Si l'article L. 415-10 du Code rural et de la pêche maritime soumet au statut du fermage les baux d'élevage hors-sol, il n'y est point question de culture. Il convient donc, dans un premier temps, de vérifier si les exceptions au statut permettent de trancher la question ab initio.
– Des exceptions au statut du fermage inapplicables en ville. – Certains contrats de droit rural échappent totalement au statut du fermage (C. rur. pêche marit., art. L. 411-2). Il s'agit des conventions ou concessions régies par des dispositions particulières et des occupations précaires autorisées pour l'exploitation temporaire d'un bien dont l'utilisation principale n'est pas agricole.
Le bail emphytéotique (V. n° ) déroge également aux règles impératives du statut du fermage. Mais il ne permet pas d'encadrer définitivement la destination autorisée (C. rur. pêche marit., art. L. 451-1).
Le bail de petites parcelles constitue une exception partielle (C. rur. pêche marit., art. L. 411-3). Ce dispositif prévoit en effet un statut en partie dérogatoire pour la location de parcelles de petites surfaces ne constituant pas un corps de ferme ou une partie essentielle de l'exploitation agricole. La souplesse de ce statut est intéressante. Elle permet en effet de fixer librement par écrit le loyer, la durée, le droit ou non au renouvellement. Les surfaces louées intra-muros sont le plus souvent inférieures aux surfaces minimales définies par arrêté préfectoral. Elles constituent néanmoins le plus souvent la partie essentielle de l'exploitation, rendant cette dérogation inapplicable à l'agriculture urbaine, à tout le moins pour les exploitations monosite.
Dès lors, ces règles ne permettent pas de s'extraire du statut du fermage.
– Accessoire et principal.  La jurisprudence a retenu jusqu'à présent, pour appliquer le statut du fermage, un caractère de principal et d'accessoire. Ainsi, un bail à loyer portant sur une maison à usage d'habitation indispensable à l'exploitation agricole du locataire a-t-elle été requalifiée en bail rural à long terme 1510930480239. En extrapolant ce raisonnement, il est possible de considérer que si le bien loué est majoritairement à usage agricole, le statut du fermage s'applique, que l'on soit en propriété, y compris volumétrique, ou en copropriété.

Les conséquences d'un statut obligatoire en copropriété

– Le statut du fermage applicable en copropriété. – Dans l'immense majorité des cas de copropriété, le toit est une partie commune, à laquelle le statut du fermage a donc vocation à s'appliquer 1515358670215.
La location d'une partie commune est généralement un acte d'administration, relevant des règles de majorité de l'article 24 de la loi du 10 juillet 1965 1504513679658. En cas d'éventuelle application du statut du fermage à la location d'une partie commune, l'acte d'administration se mue en acte de disposition 1508584841967. La décision relève alors de la majorité définie à l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 1508583802870. L'assemblée générale des copropriétaires est également invitée à se prononcer sur les travaux envisagés par le futur locataire. Si les travaux affectent les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, la décision relève de la majorité prévue à l'article 25, b) de la loi du 10 juillet 1965 1508584610691. En revanche, la règle de l'unanimité prévaut dans le cas où les travaux portent atteinte à la destination de l'immeuble ou aux droits des copropriétaires 1504514493551.

Plaidoyer pour un autre statut

– Le fermage : un statut ni attrayant ni pertinent. – Le statut du fermage pour la location d'un toit d'immeuble n'est pas attrayant. En effet, il est à craindre que les copropriétaires fuient un statut contraignant les engageant sur la durée, à des conditions financières souvent peu attractives, malgré l'entretien et l'étanchéité de la toiture assurés par l'exploitant 1515356190174. Même s'il s'agit d'un simple toit, la recherche du profit maximum guide le plus souvent leur choix, à l'heure de la multiplication des usages concurrents plus rémunérateurs 1505657352313. Pourtant, le locataire ne peut pas augmenter ses charges et a besoin de stabilité pour rentabiliser ses investissements.
De plus, les modalités de l'agriculture intra-muros sont différentes de celles de l'espace rural et l'application du statut du fermage aux conventions intéressant de nouveaux acteurs n'est pas pertinente. L'exemple de la résiliation du bail rural pour cause d'urbanisme est caractéristique (C. rur. pêche marit., art. L. 411-32) 1504966535060. Le locataire doit-il risquer à tout moment la résiliation du bail du fait du classement de l'immeuble loué en zone urbaine, et le propriétaire s'exposer à l'indemnisation des aménagements réalisés durant l'exploitation (C. rur. pêche marit., art. L. 411-69) ? Une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale s'est emparée du sujet 1504365140299, pointant indirectement du doigt l'inadaptation du statut du fermage aux spécificités de l'agriculture intra-muros.
Ainsi, il serait judicieux d'envisager une solution alternative au statut du fermage. À défaut, le développement de l'agriculture intra-muros risque d'être freiné.
– Usages concurrents en ville, terrain du droit réel de jouissance spéciale. – Ici encore, le droit réel de jouissance spéciale semble de nature à concilier les intérêts en présence. L'application du statut du fermage n'étant d'ordre public 1515355899858qu'en matière de location, le droit réel de jouissance spécial en dispense. S'agissant d'un droit réel, les conditions du fermage, par nature personnel, ne peuvent lui être opposées.
Par ailleurs, en matière locative, le conflit d'usages et la sous-location sont prohibés (C. rur. pêche marit., art. L. 411-35). Pourtant, l'immeuble urbain mis à disposition de l'agriculteur a parfois une autre vocation, par exemple lorsqu'y sont installés, en sus des activités agricoles, des panneaux photovoltaïques ou des antennes-relais. Le droit réel de jouissance spéciale répond à cet encadrement d'une jouissance partagée d'un même foncier, la fraude manifeste à l'application du statut du fermage ne semblant pas pouvoir être retenue 1504354741815, quand bien même le prix à payer par l'acquéreur serait étalé dans le temps.
À défaut pour les parties d'être convaincues par ce droit réel de jouissance spéciale, il faudrait réfléchir à un nouveau bail.
– Un nouveau bail pour des paysans sans terre. – Les modèles économiques des agriculteurs des villes et des champs ne sont pas identiques.
Les prévisions budgétaires des agriculteurs urbains s'appuient sur la facturation de services annexes tels que les formations, les réceptions, les cours de cuisine, la location de site, la transformation des produits, etc. Or, ces prestations de services sont proches d'une activité commerciale.
Les parties pourraient encadrer librement leurs engagements aux termes d'un bail à loyer de droit commun (C. civ., art. 1714), mais ce type de bail risque de se montrer insuffisamment protecteur pour garantir au preneur l'amortissement de ses investissements dans la durée. Un nouveau type de bail serait sans doute nécessaire sur la base d'un équilibre nouveau, moins contraignant pour le bailleur que le statut du fermage.