L'agriculture urbaine, entre classicisme et modernité juridique

L'agriculture urbaine, entre classicisme et modernité juridique

La localisation du foncier agricole en périphérie ou à l'intérieur de la ville délimite une dichotomie entre différentes catégories d'agriculteurs plus que ne le ferait une opposition entre professionnels et amateurs. Le cultivateur périurbain exerce généralement une agriculture classique (§ I), quand l'agriculture en jardins collectifs (§ II), joignant les plaisirs du jardinage et de l'autoconsommation, constitue le lien vers une agriculture intra-muros innovante (§ III), promise à une nouvelle catégorie de professionnels.

L'agriculture périurbaine, en terrain connu

– Classique sur le terrain et dans les textes. – L'agriculture périurbaine est constituée de surfaces en polyculture, principalement de maraîchage, d'arboriculture et d'élevage. Il s'agit d'activités de production végétale ou animale classiques, qualifiées d'agricoles au sens du Code rural et de la pêche maritime, et concourant à la finalité première de l'agriculture : nourrir l'humanité (C. rur. pêche marit., art. L. 311-1) 1503136573111. L'exploitation y est caractérisée par une activité de production professionnelle poursuivie dans un but lucratif 1503136309424.
– L'association foncière agricole. – Les terrains exploitables à proximité d'une grande ville sont très souvent morcelés. À défaut d'être exploités, ils se transforment en véritables friches agricoles, leurs propriétaires préférant attendre leur classement en zone constructible que de tenter de les remembrer. Pour lutter contre les méfaits de cette jachère spéculative, de nombreuses collectivités aident les propriétaires concernés à défricher leurs parcelles et à se regrouper pour les louer 1503408445626dans le cadre d'une association foncière agricole (C. rur. pêche marit., art. L. 136-1), dont le cadre juridique est identique à celui des associations syndicales.
– Objectif proximité. –  L'un des objectifs de la politique pour l'agriculture et l'alimentation est d'encourager l'ancrage territorial de la production et la promotion des circuits courts (C. rur. pêche marit., art. L. 1, I, 9°). L'agriculture périurbaine rapproche les producteurs et les consommateurs, les habitants des villes consommant la production agricole périurbaine directement ou par l'intermédiaire des services municipaux 1505652614793. Certaines collectivités créent même à cet effet des régies municipales agricoles assurant la production de légumes pour les cantines scolaires 1506247428756. Le développement des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) répond également aux aspirations locavores 1508571428730d'un nombre croissant de citoyens.
Mais l'achat des produits locaux n'est pas la seule raison des allées et venues vers les exploitations agricoles de périphérie, les citadins redécouvrant l'intérêt pédagogique des visites à la ferme.
Enfin, l'agriculture périurbaine sert de passerelle vers l'agriculture urbaine, en l'approvisionnant en déchets agricoles servant de compost ou d'engrais naturels pour les jardins partagés et les jardins publics.

L'agriculture en jardins collectifs urbains, une réglementation spécifique

– De plus en plus de jardins collectifs. – Les jardins collectifs sont de véritables espaces urbains cultivés, se multipliant en ville. Moins médiatiques que les projets agricoles d'envergure, ils constituent néanmoins une part importante des parcelles cultivées en agriculture urbaine en Île-de-France 1505056969485. Si l'activité classique de production alimentaire complémentaire prédomine, des motivations environnementales, culturelles et sociétales participent à leur essor. Différentes sortes de jardins sont répertoriées (A), le jardin familial constituant le socle de la réglementation de ces activités agricoles (B).

Les différents jardins urbains

– Un statut évolutif et multiple. – De la Ligue française du Coin de Terre et du Foyer créée par l'abbé Lemire en 1886 à la loi Royer de 1976, en passant par la création des jardins ouvriers en 1941 1503481998143, les jardins collectifs urbains ont évolué. Ils se différencient selon leurs formes.
– Les jardins familiaux. – Terme générique apparu en 1952 1503482423796, les jardins familiaux sont des terrains divisés en parcelles affectées par des propriétaires privés ou par des collectivités territoriales à des particuliers. Ils y pratiquent le jardinage pour leurs propres besoins, sans usage commercial 1503483348617, souvent par le truchement d'associations ou de sociétés d'habitat participatif 1505745781400.
– Les jardins partagés. – Les jardins partagés sont nés dans la pratique à la fin des années 1990, en dehors de tout cadre juridique. Ils sont créés et gérés par des collectifs d'habitants ou des associations développant des liens sociaux de proximité. Au même titre que les jardins familiaux, ils participent au vivre ensemble et sont source d'aménités urbaines dans le cadre de l'autoconsommation.
– Les jardins d'insertion. – Les jardins d'insertion, créés en 1998 1503484449434, aident par le travail à la réinsertion sociale des personnes isolées ou en difficulté.
Si la notion de jardinage est habituellement exclusive de tout but lucratif, ce n'est pas le cas avec les jardins d'insertion. Leur singularité réside en effet dans la possibilité de commercialiser la production, leur conférant le statut d'activité agricole.

Le jardin familial, socle de la réglementation

– Les parties en présence. – Le plus souvent, les jardins familiaux appartiennent aux collectivités et dépendent de leur domaine privé, ne concourant pas pleinement à une mission de service public (CGPPP, art. L. 2111-1). Dans ce cadre, les associations de jardins ouvriers sont leurs locataires. Elles ont pour but de rechercher, d'aménager ou de répartir des terrains exploités par des jardiniers amateurs (C. rur. pêche marit., art. L. 561-1) 1505653960407.
– Les contrats possibles entre la collectivité et l'association. – Différents contrats de mise à disposition s'offrent à la collectivité propriétaire et à l'association gestionnaire.
Le statut du fermage est écarté de facto en raison de l'absence d'exploitation commerciale (C. rur. pêche marit., art. L. 415-10) (V. n° ).
En revanche, le contrat de louage de droit commun offre une grande liberté aux parties pour encadrer leur relation (C. rur. pêche marit., art. L. 471-1 et s.). Il en est de même pour le prêt à usage, plus connu sous le terme de « commodat » (C. civ., art. 1880).
Beaucoup plus encadré, le bail emphytéotique assure de son côté une grande stabilité à l'association, bénéficiaire d'un droit réel pour une durée minimale de dix-huit ans.
– Les contrats possibles entre l'association et les exploitants. – Entre l'association et les exploitants, les contrats les plus souvent utilisés sont le prêt à usage et le contrat de louage soumis partiellement au régime spécial de la location de jardins familiaux (C. rur. pêche marit., art. L. 471-1 et s.) 1515319507647. Le contrat d'association est également possible, les membres adhérents ayant alors accès à une parcelle à cultiver en échange du paiement d'une cotisation. Cette solution permet d'écarter les quelques dispositions impératives prévues par le statut des jardins familiaux 1506249035917.

L'agriculture intra-muros, en terre inconnue

La densité et la morphologie de la ville imposent la recherche de nouveaux supports (A) permettant l'émergence de techniques d'exploitation innovantes (B).

De nouveaux supports

– La verticalité du foncier. – Le foncier non bâti, constituant le domaine privilégié des constructeurs, est une denrée rare dans la ville compacte. Pour l'instant, l'immeuble bâti intéresse moins les promoteurs (V. n° ). Il offre néanmoins un champ d'expérimentation important pour les nouvelles pratiques (V. n° ) et les nouveaux usages urbains, tels que l'agriculture. L'activité agricole n'étant pas limitée à la pleine terre 1503564002374, les surfaces hors-sol disponibles permettent l'installation de l'agriculture en ville 1515322042585. Les sous-sols, les toits et les terrasses sont les nouveaux sillons d'une agriculture à la fois domestique et professionnelle ; les usines abandonnées par la désindustrialisation pourraient en être les nouveaux champs.

Les originalités de l'agriculture hors-sol à l'étranger

À Londres, la première ferme souterraine exploitée sous le nom de Growing Underground a choisi un ancien abri anti-aérien. La production de végétaux en hydroponie est écoulée par la vente directe aux restaurants et aux particuliers.
Au Canada, dans le centre de Montréal, la grande surface IGA est devenue en juillet 2017 le premier hypermarché au monde à vendre les produits cultivés sur son toit de 2 000 mètres carrés. Il s'agit d'une autre vision du circuit court.
Dans le New Jersey, la société AeroFarms a construit une ferme verticale de 6 500 mètres carrés produisant annuellement deux millions de tonnes de végétaux.
À Shanghai, un projet de ferme urbaine verticale sur un terrain de 100 hectares ambitionne de nourrir vingt-quatre millions d'habitants 1505655804869.
– Les contraintes architecturales du foncier. – L'inventivité n'est pas la seule limite de l'agriculture urbaine 1503565190936. Cultiver un potager ou construire une serre sur un toit implique nécessairement un lot de contraintes techniques, comme le respect des règles de portance et d'étanchéité 1503565934467.
Ainsi, l'utilisation d'un immeuble bâti pour une activité agricole nécessite forcément des aménagements de différents types pour la gestion et le stockage de l'eau, la sécurisation des toits accessibles ou non au public, etc. 1506250485638.

L'émergence de techniques innovantes

– Plus de verticalité, moins de variété. –  Dans le cadre d'une agriculture constituant l'activité principale de l'exploitant, seule la superposition des cultures permet la rentabilité d'un projet professionnel. En effet, l'aire d'un toit cultivable est insuffisante pour être rentable. Certes, l'addition des aires de toits différents permettrait d'atteindre des surfaces pertinentes, mais les contraintes de déplacement d'un immeuble à l'autre nuisent à la viabilité de tels projets. Par ailleurs, la superposition limite nécessairement la quantité et la variété des productions. L'accessibilité des bâtiments, la gestion de l'eau, les transports et les spécificités de ces supports sont autant de données prises en compte pour déterminer les modes culturaux adaptés.
– Une véritable symphonie : hydroponie, aquaponie, etc. – L'hydroponie et l'aquaponie sont deux modes de culture hors-sol assez proches. Ils consistent à faire pousser des plantes sans terre en la remplaçant par un substrat inerte. Les racines, trempant dans l'eau, se nourrissent d'oxygène et de nutriments minéraux (hydroponie traditionnelle) ou de matière organique tirée de la pisciculture (aquaponie). La culture hydroponique permet d'avoir de meilleurs rendements 1503568325265, préserve l'environnement des nitrates, engrais et pesticides, et réduit la consommation d'eau de l'ordre de 80 %. La question des qualités nutritives des aliments produits reste débattue, quand ce n'est pas le concept même d'agriculture urbaine 1515323999418.