La tentation de sanctuarisation

La tentation de sanctuarisation

– La chimère de la protection économique. – La meilleure protection des terres agricoles et naturelles serait qu'elles aient, à leur état naturel, une valeur économique supérieure à celle provenant de leur urbanisation. Mais cet axiome ne se vérifie que pour quelques vignobles plantés en crus d'exception.
La protection de l'espace agricole ne pouvant être économique, elle est censée venir du droit, et plus particulièrement de la multitude d'outils juridiques mis en place par les législateurs successifs pour tenter de juguler le phénomène de l'étalement urbain 1509878687153. Pour ce faire, ils n'ont pas hésité à se revendiquer aussi bien du droit de l'environnement 1509880663156que du droit rural 1509880719794et du droit de l'urbanisme 1509880600056.
Indépendamment des mesures fiscales et de compensation agricole collective (V. n° ) (C. rur. pêche marit., art. L. 112-1-3), la plupart de ces mesures relèvent d'un classement des terres à protéger dans une zone à l'abri de l'urbanisation.
– La politique de création de zones à protéger. – Depuis le début des années 1960, les législateurs successifs sont entrés dans une politique insatiable de créations d'espaces protégés. Toutes les échelles de responsabilité géographique sont représentées, des parcs nationaux ou régionaux aux espaces naturels sensibles (ENS) départementaux ou aux espaces boisés classés (EBS), aux périmètres beaucoup plus locaux 1515443777676. Au travers des réserves naturelles, du réseau Natura 2000, des zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), des zones agricoles protégées (ZAP) ou des sites classés, les préoccupations les plus diverses sont défendues, qu'elles soient écologiques, esthétiques, agronomiques, voire de cohérence européenne 1510003518953.
Si la lutte contre l'étalement urbain n'est pas le seul objectif de ces créations d'espaces protégés, les zonages suivent un régime classique : une zone géographique est définie, à l'intérieur de laquelle tout mouvement foncier est sous surveillance rapprochée.
Les différents systèmes de sanctuarisation d'espaces protégés n'ont pas donné satisfaction jusqu'à présent. Ainsi, il convient d'analyser les raisons de leurs insuffisances. Elles proviennent de la multitude d'acteurs (§ I) ou des outils mis à leur disposition tels que le droit de préemption (§ II). Le périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) parviendra-t-il à inverser cette tendance négative (§ III) ?

Les acteurs : une chorale dissonante

– Les acteurs de la confection des règles. – L'État participe bien entendu à la chorale des acteurs de la sanctuarisation de zones spécifiques. Il le fait parfois de manière remarquable, comme avec la règle de constructibilité limitée mise en place dans les communes non couvertes par un PLU, un document équivalent ou une carte communale, en limitant les constructions aux seules parties déjà urbanisées de la commune (C. urb., art. L. 111-3) 1510088285292. Il le fait également régulièrement en édictant des dispositions s'imposant aux communes dans le cadre de la confection de leurs documents d'urbanisme.
Les collectivités locales, créatrices des documents d'urbanisme tels que les SCoT, PLU et cartes communales, sont ainsi les plus impliquées dans la mise en place des zones et des règles leur étant spécifiques. À cela, rien d'anormal.
– Les acteurs de l'utilisation des règles. – L'État et les collectivités locales 1510089358022ne sont pas les seuls sur le champ de bataille contre l'étalement urbain. Les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) 1510005684604(C. rur. pêche marit., art. L. 112-1-1) les rejoignent dans l'utilisation des règles, notamment pour contrôler les dérogations à la règle de constructibilité limitée ou à titre consultatif lorsque les projets de SCoT ou de PLU réduisent les espaces agricoles. Les établissements publics fonciers, étatiques ou locaux 1510090291092, revendiquent également un rôle dans cette lutte (C. urb., art. L. 321-1, al. 3) 1510090694151, ainsi que l'Agence des espaces verts de la région Île-de-France. Les SAFER ne sont pas en reste (C. rur. pêche marit., art. L. 141-1, I, 1°) 1510091001015, au risque d'un chevauchement de compétences 1510090013003.
Ainsi, il n'est pas impossible que les insuffisances constatées proviennent d'une trop grande quantité d'acteurs concernés, aux compétences territoriales potentiellement communes 1510091205847, et aux outils communs, tels que le droit de préemption.

Les outils : l'exemple du droit de préemption

– Le droit de préemption pour tous. – L'intérêt sans cesse renouvelé que les juristes en général, et spécialement les notaires, portent aux droits de préemption ne lasse pas d'interroger. Il peut paraître surprenant qu'un thème évoqué lors du 112e Congrès des notaires de France en 2016 1510175469452, le soit encore par le 114e en 2018 (V. nos et s. et nos  et s.). Et pourtant, si ce sujet est incontournable, c'est qu'au fil des années, il continue à poser des problèmes, démultipliés par l'augmentation des organismes habilités à utiliser cet instrument 1510176007642et par les interférences en résultant 1510176305038. Il nous revient alors en mémoire les travaux du 104e Congrès de 2008 1510177012806, qui, désespérant d'une réduction du nombre des droits de préemption, proposait déjà un guichet unique comme moyen d'adaptation des droits de préemption au service de la gestion économe des sols.
– Tous pour un droit de préemption. – Pris indépendamment les uns des autres, les droits de préemption ne sont pas simples à gérer. La réforme de ce droit au profit des SAFER est venue le rappeler à quiconque l'aurait oublié. Mais les interactions existant entre les droits de préemption des différents organismes en bénéficiant sont parfois caricaturales 1510259851637.
Il serait urgent de créer un organisme 1510259687180capable de centraliser la gestion des droits de préemption, sans doute au niveau du département, voire de la région. Un formulaire CERFA unique y serait déposé par le notaire en charge de la vente, et distribué aux différents organes susceptibles de préempter. Cette concentration formelle obligerait à une uniformisation vertueuse des informations données. L'ordre de priorité entre les divers préempteurs potentiels pourrait varier selon la zone concernée par la vente. Un délai unique, de trois mois par exemple 1510260779836, éventuellement prorogeable pour les dossiers incomplets ou en cas de demande de visite 1510260648647, donnerait une visibilité aux citoyens, avides de sécurité juridique et de compréhension du droit applicable.
À l'heure où le rural et l'urbain se fondent dans le « rurbain » ; où la préservation des sols agricoles est la meilleure défense contre une explosion des dépenses et la pollution liées aux transports ou à l'énergie, où la lutte contre l'étalement urbain bénéficie autant à la ville qu'à la campagne, le temps semble venu de franchir le pas.

L'exemple des PAEN

– Une ultime tentative de sanctuarisation ? – L'instauration des périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) 1510263216536apparaît comme la tentative ultime de sanctuarisation de zones interdites à l'urbanisation 1510262740118.
Dans un contexte où de nombreuses mesures ont déjà échoué, ces périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains entament leur existence avec un vice encombrant : le même instrument est connu sous au moins quatre dénominations différentes : PAEN, PEAN, PPEANP et PENAP sont ses noms de baptême selon son lieu de création 1510264919133.
Les élus départementaux instaurant un PAEN en vue de protéger et mettre en valeur des espaces agricoles naturels et forestiers lui assignent un périmètre définitivement préservé de l'urbanisation, dès lors que tout classement de terrain en zone U ou AU est interdit dans la zone couverte par un PLU 1510263616588.
– L'atout de la pérennité. – L'atout principal du PAEN est sa pérennité. Contrairement aux documents d'urbanisme, révisables au gré des modifications de la politique des élus du moment, les aménagements et les orientations de gestion définis par le programme d'action du PAEN sont appelés à durer 1512940150609. Ainsi, une fois la zone protégée, toute modification de son périmètre est prise uniquement par décret en Conseil des ministres. La suspension temporelle permet une maîtrise de l'évolution du foncier sur la durée et la fixation d'objectifs à long terme pour les espaces du périmètre d'intervention, intégrant de manière inhabituelle la problématique agricole dans les documents d'urbanisme.
Dans le cadre de ses pouvoirs, le département peut procéder à des acquisitions au sein du périmètre et créer un droit de préemption spécifique, exercé par la SAFER ou un EPF à la demande et au nom de la collectivité locale. Les biens acquis n'entrent pas dans le domaine public départemental et sont susceptibles d'être transmis à des exploitants, au terme de cessions ou de locations.
Ces transferts s'opèrent dans le cadre d'un cahier des charges obligeant les occupants de l'espace à respecter les objectifs du programme d'action, et notamment le développement de pratiques agricoles respectueuses de l'environnement et privilégiant les circuits courts.
– Les prémices d'une réussite, mais… – Les premiers chiffres d'instauration des PAEN étaient décevants 1510264592134. Mais la tendance semble s'inverser, même s'il est difficile d'obtenir des chiffres fiables, la plupart des PAEN prévus étant en cours d'élaboration 1515239862141.
Pour qu'ils trouvent une place aussi pérenne que les mesures qu'ils prévoient, ces PAEN doivent surmonter un écueil politique. En effet, « la création de ces périmètres par les départements a été largement entravée par les communes, lesquelles craignent de voir durablement gelée la vocation des terrains à rejoindre les zones constructibles dans les documents d'urbanisme », dès lors que la délimitation du périmètre vaut servitude d'utilité publique empêchant la commune de classer les terrains concernés parmi les secteurs urbanisables 1508222484843. Ainsi, le département, strate décisionnaire de l'instauration des PAEN, semble trop proche des élus municipaux pour ne pas être sensible au lobbyisme local.
La sanctuarisation des terres agricoles ne semble possible à grande échelle qu'à l'aune d'un pouvoir décisionnaire décentralisé 1510265600179.