Pour dessiner les contours de la Société Libre, nous allons exposer et commenter les différentes caractéristiques juridiques.
Sur le plan juridique : une liberté équilibrée et protectrice
Sur le plan juridique : une liberté équilibrée et protectrice
– Nombre et identité des associés fondateurs. – De toute évidence, la Société Libre pourra être unipersonnelle comme pluripersonnelle, avec un ou des associés personnes physiques ou morales. Ces possibilités, déjà offertes par les SARL et les SAS, ne doivent bien entendu pas être remises en cause.
– Objet social. – La Société Libre pourra naturellement exercer tous les types d'activités sociales possibles, professionnelles comme patrimoniales. Aujourd'hui de très nombreuses sociétés exercent une activité mixte :
- fruit d'un choix assumé par ses dirigeants (par ex. : exploitation d'une activité et prises de participation, ou exploitation d'une activité et gestion d'un patrimoine immobilier issu d'acquisitions passées et qui ne convient plus) ;
- ou du cours de l'histoire quand, souvent, les résultats accumulés et non distribués au fil des exercices aboutissent à devoir gérer une trésorerie largement supérieure au besoin en fonds de roulement.
– Apports et capital social. – Tous types d'apports pourront bien entendu être réalisés au profit de la Société Libre.
La Société Libre fixera librement le montant de son capital social. Malgré la problématique de sous-capitalisation visée plus haut, il n'existe aucune raison tangible pour imposer une contrainte qui n'existe plus en SARL ou en SAS, et qui est nuisible à la création d'entreprise elle-même.
- soit l'on considère que l'absence de capital minimal n'oblige pas les associés à fixer un capital initial très élevé, et dans ce cas il sera possible d'imposer une libération totale et immédiate de la souscription ;
- soit l'on considère que l'absence de capital minimal doit avoir pour nécessaire conséquence de laisser également une liberté totale dans le processus de libération des souscriptions.
Une piste pourra alors être d'instituer la première hypothèse en règle de principe, tout en laissant aux statuts sociaux la faculté d'y déroger sur la base de la seconde hypothèse.
Cependant se pose la question de la libération du capital par les associés souscripteurs. Les SARL et les SAS permettent une libération progressive de ce capital, tout en restant encadrées dans des conditions de quantum et de délais. Deux hypothèses pourront être retenues :
– Droits sociaux. – Sur ce plan, la Société Libre sera en mesure d'émettre toutes sortes de valeurs mobilières.
Rattacher la Société Libre à la catégorie des sociétés par actions sera préférable, du fait de la souplesse qu'elles apportent :
- absence de modification statutaire en cas de transmission ;
- tenue des comptes titres sur un registre privé ;
- mouvements de titres par la seule signature d'un ordre de mouvements (avec la possibilité, sans caractère obligatoire, d'établir un acte) ;
- possibilité d'octroyer des avantages particuliers à certaines catégories d'actions ou d'associés, diversité de nature des valeurs mobilières (actions, actions de préférence octroyant des avantages particuliers sur les droits financiers et/ou politiques, obligations, OC, ORA, Oceane, Obsa, BS, Absa, Absar, etc.).
Elle pourra proposer la souscription de ces valeurs mobilières à l'ensemble des investisseurs éligibles pour les SAS.
Doivent-elles pour autant être qualifiées de « négociables », avec toutes les conséquences civiles que cela entraîne ? Nous nous référons ici à notre proposition de dissocier les régimes des valeurs mobilières en fonction, non pas de la forme sociale de la société émettrice, mais de la cotation de ces valeurs sur un marché réglementé.
– Répartition des droits politiques et financiers. – La règle de proportionnalité restera de mise par principe, mais avec une liberté totale sur le plan statutaire, pouvantaboutir à priver totalement certains associés, ou droits sociaux, de leur droit au résultat ou de leur droit de vote.
Bien entendu, cette liberté se confrontera toujours à la prohibition des clauses léonines.
– Transmission des droits sociaux. – C'est une question épineuse, car elle oppose deux intérêts totalement divergents.
Le premier est celui du nécessaire intuitu personae qui a cours dans l'immense majorité de nos TPE, PME et ETI. À ce titre, le principe de base pourra être de soumettre les projets de cession à une procédure spécifique (y compris entre ascendants, descendants ou conjoints/partenaires) et à une obligation de rachat en cas de rejet. L'objectif n'est pourtant pas de déstabiliser par cette obligation la table de capitalisation. Un délai préalable de conservation des droits sociaux pourra paraître légitime (a minima celui évoqué ci-dessus concernant les SARL, mais qui pourra être modulé statutairement).
L'objectif n'est pas non plus d'obérer les ressources financières de l'entreprise pour servir les intérêts d'un des associés, et un critère dual basé sur les capitaux propres de l'entreprise et le financement de son besoin en fonds de roulement normatif permettrait d'éviter une opération néfaste à l'exploitation ou au développement de l'activité.
Seulement, et comme nous l'avons abordé ci-dessus, le refus d'autorisation de cession ne peut aboutir à immobiliser définitivement les droits sociaux dans le patrimoine de l'associé. D'autant qu'il reste éminemment difficile pour un associé minoritaire de trouver un acquéreur potentiel de ses droits sociaux, en dehors du cercle des dirigeants et associés en place de la société.
Et c'est justement le second intérêt : l'investissement au capital des sociétés doit permettre à l'associé d'être en capacité de mobiliser ses droits sociaux pour recouvrer des liquidités, et constater le cas échéant la plus-value qui peut être escomptée au regard des risques pris.
À ce titre, il pourra être prévu une liberté de cession des droits sociaux. Quoi de plus satisfaisant pour un investisseur que de savoir qu'il dispose de la liberté totale (pour autant souvent difficile à exprimer) de réaliser ses droits sociaux et de percevoir les liquidités dont il disposait avant son investissement ?
Pour autant, une liberté totale pourra entraîner à très court terme des modifications majeures de la table de capitalisation de la société. Cet aléa n'est pas réellement compatible avec l'investissement dans une société non cotée, dont la stratégie ne se conçoit qu'à moyen/long terme sur la base d'un actionnariat solide et stable.
Résoudre ce dilemme relève de la gageure. On pourra imaginer trois options : agrément tel que prévu par de nouveaux textes, agrément selon des dispositions statutaires contractuelles, ou libre cessibilité.
– Dispositions concernant les droits sociaux et pactes extrastatutaires. – La Société Libre devra pouvoir offrir dans son fonctionnement, à l'instar de la SAS, des clauses particulières relatives aux droits sociaux (inaliénabilité, clause de sortie conjointe ou forcée, clause d'exclusion, etc.).
Cette solution n'est pourtant pas vraiment satisfaisante :
- elle multiplie la souscription de promesses, ce qui nuit significativement à leur lisibilité ;
- elle place le dispositif au sein d'un document extrastatutaire (par nature inconnu des tiers, et des associés qui n'y souscrivent pas forcément tous) ;
- elle dénature l'objectif du législateur en conférant une efficacité plus importante à un engagement contractuel face aux dispositions statutaires (efficacité encore lourdement renforcée par les dispositions concernant les promesses unilatérales aux termes de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations).
Toute clause extrastatutaire prenant la forme d'une promesse unilatérale devra pouvoir, sous cette forme ou une autre similaire, recevoir (au minimum) le même niveau d'applicabilité et d'efficacité que si elle était insérée dans les statuts sociaux.
En cela, ses droits sociaux pourront également faire l'objet de pactes extrastatutaires entre plusieurs ou la totalité des associés. L'enjeu sera alors de donner aux pactes la même force juridique que les règles imposées par les statuts (nullité des cessions intervenues en violation de leurs dispositions), sous réserve peut-être que la société intervienne elle-même au sein du pacte pour que ce dernier lui soit opposable et qu'elle puisse en assurer l'exécution effective.
L'enjeu sera aussi de donner une efficacité pleine et entière aux clauses statutaires, et notamment la clause d'exclusion. Cette clause a fait l'objet d'un contentieux abondant, car elle touche directement le droit de propriété des porteurs de droits sociaux et la pratique a eu tendance à lui substituer des promesses unilatérales de cession au sein de pactes d'associés.
Il s'agit d'un enjeu extrêmement important puisque, face à la protection légitime de l'investisseur, il est fondamental de sécuriser la société elle-même quant au respect de ses règles statutaires, en favorisant la fluidité des processus d'entrée et de sortie d'associés. La pacification des relations entre associés passe nécessairement par l'efficacité totale de leurs relations contractuelles.
– Gouvernance. – La Société Libre prendra ici partiellement modèle sur la SAS. La direction de la société doit pouvoir être entièrement guidée par les statuts.
Ainsi, la Société Libre pourra simplement être représentée par un « Dirigeant », personne physique ou morale. Contrairement à la SAS, il sera ici possible de nommer plusieurs personnes à cette fonction, évitant ainsi les querelles d'ego, frustrations ou simple sentiment trouble de subsidiarité ou de déclassement.
Aux côtés de ces dirigeants, des dirigeants délégués à certains sujets pourront être nommés (représentants ou non la société vis-à-vis des tiers), ainsi que des administrateurs (suivant le même principe que celui édicté pour les SA, et par renvoi pour les SAS).
Toutes sortes d'organes sui generis de gouvernance consultatifs ou décisionnels pourront aussi être formés à loisir (conseil / comité stratégique, de pilotage, de rémunération, etc.).
– Décisions collectives. – À ce titre, les règles applicables aujourd'hui à la SAS nous paraissent adaptées. Le périmètre, les modalités de consultation et de prise de décision pourront être librement définis par les statuts. On peut toutefois s'interroger sur les règles de décision et de majorité, quand les décisions collectives adoptent ou modifient certaines dispositions statutaires.
Depuis la loi du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés, l'article L. 227-19 du Code de commerce opère une curieuse distinction pour l'adoption ou la modification des clauses statutaires :
- à l'unanimité, concernant l'inaliénabilité et l'exclusion d'une personne morale dont le contrôle aurait été modifié ;
- par décision collective dans les conditions des statuts, concernant l'agrément des cessions d'actions et l'exclusion d'un associé.
Cette question soulève évidemment celle de l'atteinte au droit de propriété des porteurs de droits sociaux. L'intérêt supérieur de l'entreprise peut-il aboutir à faire subir à l'associé une atteinte caractérisée à son droit de propriété, qui n'existait pas lors de la souscription de ses droits sociaux ? À notre avis, la réponse doit être positive et la liberté statutaire totale, sous réserve que l'investisseur puisse avoir une information suffisamment claire à ce sujet lors de sa souscription, et au cours de sa période de détention.
En conclusion, et c'est le sens de l'histoire des versions successives de l'article L. 227-19 du Code de commerce qui vident progressivement le champ des décisions devant être prises à l'unanimité, les statuts de la Société Libre, sous réserve d'une information fiable, devront pouvoir prévoir la totalité de l'organisation de la table de capitalisation.
Par ailleurs, le fait de rendre les droits sociaux inaliénables peut-il vraiment être considéré comme une atteinte au droit de propriété supérieure au fait d'imposer une clause d'exclusion ? Empêcher un associé de céder ses droits sociaux est-il plus grave que de le contraindre à le faire ? À notre avis, la réponse est négative. Atteindre à la cessibilité des droits sociaux aura pour conséquence de les laisser plus longtemps dans le patrimoine des investisseurs. Certes, il s'agit d'un patrimoine très aléatoire, mais il l'était déjà fondamentalement aussi avant l'instauration d'une telle clause.
Contraindre à la cession des droits sociaux par le jeu de la clause d'exclusion met un terme définitif à la détention de ce patrimoine, pour le liquider financièrement et indemniser l'associé, avec des liquidités, sur une base de valeur qui peut être parfaitement définie dans les statuts. Cette valorisation peut être très différente de la valeur de marché et causer un préjudice sérieux à l'investisseur, notamment s'il a souscrit les droits sociaux concernés à une valeur supérieure.
– Contrôle des commissaires aux comptes. – Notre législation a aujourd'hui aligné les seuils de nomination obligatoire des commissaires aux comptes pour les SARL et les SAS. Ces dispositions seront reprises pour la Société Libre, puisqu'il en va de la fiabilité des données financières de sociétés ayant une taille déjà significative, tant pour les associés minoritaires que pour les autres parties prenantes (financeurs, clients, fournisseurs, etc.).