Modalités d'acquisition immobilière et ingénierie notariale

Modalités d'acquisition immobilière et ingénierie notariale

Sans prétendre dresser un panorama exhaustif des différentes modalités possibles d'acquisition, nous présentons dans le schéma ci-après celles sur lesquelles nous axerons nos développements, afin d'en souligner les points d'attention et réflexes essentiels d'ingénierie notariale.

Acquisitions en démembrement de propriété

– Les acquisitions directes de la pleine propriété sont les plus courantes et les plus généralement souhaitées par nos clients. Elles correspondent aux besoins de la majorité des investissements immobiliers. Des aménagements de l'acquisition en direct peuvent toutefois être proposés, et notamment une acquisition en démembrement de propriété. Ce type d'acquisition permettra de concilier, d'une part, le souhait d'acquérir un bien immobilier et d'autre part, celui de le transmettre immédiatement en nue-propriété aux descendants, tout en conservant un usufruit viager. Pour réaliser cet objectif, le notaire ingénieur patrimonial pourra proposer des stratégies aux conséquences juridiques et économiques étendues. Nous envisagerons les acquisitions en démembrement de propriété dans un cadre sociétaire (§ II) ou en dehors (§ I).

Les acquisitions en démembrement de propriété hors cadre sociétaire

Afin de présenter les acquisitions en démembrement de propriété, technique d'ingénierie notariale, nous proposerons, en parallèle de nos développements et en commençant par un cas pratique comparatif (A), les clauses pouvant être utilisées en la matière (E). Nous aborderons également la fiscalité de l'opération (B), la présomption de l'article 751 du Code général des impôts (C), les questions de réversion d'usufruit et usufruitsuccessif (D) ainsi que le simulateur « Hectaur » en matière d'évaluation économique de l'usufruit (F).

Acquisition en démembrement de propriété : cas pratique comparatif

– Cas pratique et schéma récapitulatif. – Nous proposons ci-dessous un cas pratique destiné à comparer :
  • une acquisition d'un bien immobilier suivi d'une donation de la nue-propriété ;
  • avec la technique d'une acquisition ab initio en démembrement de propriété.
Ces deux techniques sont schématisées ci-dessous.
Le cas pratique ci-après met en évidence l'intérêt de procéder à un démembrement de propriété ab initio, c'est-à-dire à une acquisition de la nue-propriété par les enfants et de l'usufruit par les parents.

Acquisition en démembrement de propriété : optimisation de la fiscalité

– Un démembrement ab initio avantageux à un double titre. – Ainsi que démontré de façon chiffrée dans le cas pratique ci-dessus, une acquisition en démembrement de propriété permet de diminuer la fiscalité à supporter dans le cadre de la transmission du bien immobilier. La méthode d'acquisition en démembrement de propriété ab initio a ainsi un double avantage :
1) si, dans les deux hypothèses (donation de la nue-propriété ou acquisition par les enfants de la nue-propriété au moyen d'une donation de somme d'argent), la taxation n'interviendra que sur la valeur de la nue-propriété ainsi donnée/acquise, la méthode d'évaluation de cette nue-propriété sera différente. En cas de donation, elle aura lieu sur la base du barème prévu par l'article 669 du Code général des impôts, sans tenir compte du taux de rentabilité du bien ou de l'espérance de vie différente d'un homme ou d'une femme. Cette évaluation sera donc décorrélée de la réalité économique et entraînera une surévaluation de la nue-propriété. En revanche, en cas d'acquisition ab initio en démembrement, il sera possible de valoriser économiquement le démembrement, ce qui permettra de diminuer l'assiette d'imposition de l'opération ;
2) en outre, une donation de somme d'argent (plutôt que celle d'un bien immobilier) permet de bénéficier dans certaines hypothèses d'un abattement supplémentaire . Le coût d'une donation de somme d'argent (permettant l'acquisition en démembrement ab initio) sera donc moins élevé que celui d'une donation de bien immobilier, d'autant plus que la taxe liée à la publicité foncière ne sera pas applicable (ainsi qu'avec des émoluments plus avantageux pour le client).
– Un démembrement de propriété permettant une optimisation de la fiscalité de transmission du bien ainsi qu'une économie sur la plus-value latente du bien. – Le schéma du démembrement de propriété permettra en outre, effet ultime, une économie sur la plus-value latente potentielle du bien. En effet, en figeant la valeur de transmission, les nus-propriétaires ne seront soumis à l'imposition qu'au-delà de la valeur retenue lors de la transmission : toute prise de valeur du bien ne sera plus taxée aux droits de succession (notamment en cas de travaux sur le bien réalisés par l'usufruitier de son vivant et à ses frais, qui augmentent la valeur du bien sans donner lieu à taxation).

Acquisition en démembrement de propriété et présomption de l'article 751 du Code général des impôts

– La présomption de l'article 751 du Code général des impôts. – Le recours à un démembrement de propriété doit toujours se faire en gardant présente à l'esprit la présomption édictée par l'article 751 du Code général des impôts, qui prévoit une taxation du bien immobilier dans sa totalité dans le patrimoine de l'usufruitier sauf si la sincérité de l'opération est démontrée, et notamment la sincérité des donations survenues moins de trois mois avant le décès. La finalité du texte est d'éviter que certaines personnes ne se privent ou ne se dépouillent de leur vivant de la nue-propriété de tout ou partie de leurs biens en faveur de leurs présomptifs héritiers ou de leurs légataires pour éviter le paiement de l'impôt de mutation par décès. Il n'y a pas lieu de distinguer ici selon que le démembrement provient d'une vente consentie par le défunt à son héritier avec réserve d'usufruit ou d'une acquisition conjointe de l'usufruit par le défunt et de la nue-propriété par l'héritier.
– La preuve contraire de la présomption de l'article 751 du Code général des impôts. – L'article 751 du Code général des impôts prévoit expressément en son deuxième alinéa que la preuve contraire peut résulter d'une donation de deniers en vue de financer l'acquisition de tout ou partie de la nue-propriété du bien, sous réserve des conditions suivantes :
  • la donation de fonds doit être constatée par un acte ayant date certaine ;
  • les fonds doivent être employés dans l'acquisition de la nue-propriété d'un bien plus de trois mois avant le décès (du donateur acquéreur de l'usufruit) ;
  • l'origine des fonds doit être mentionnée dans l'acte d'acquisition du bien.

Présomption de l'article 751 du Code général des impôts et donation à l'étranger

La preuve contraire de la sincérité du démembrement de propriété peut résulter d'une donation préalable de deniers ayant permis au nu-propriétaire de payer le prix d'acquisition de la nue-propriété. Si la donation a lieu à l'étranger, il est conseillé, pour écarter la présomption fiscale de l'article 751 du Code général des impôts, de donner date certaine à la donation et de la rendre opposable à l'administration fiscale française en l'enregistrant en France auprès du service des impôts des non-résidents (de Noisy-le-Grand). Si la donation a lieu entre non-résidents, elle ne sera pas imposable en France. Il conviendra également de mentionner l'origine des fonds dans l'acte d'acquisition de la nue-propriété en France.

Acquisition en démembrement de propriété et réversion d'usufruit

– La réversion de l'usufruit en cas de démembrement ab initio . – Lors d'une acquisition en démembrement de propriété, les acquéreurs de l'usufruit vont classiquement souhaiter pouvoir bénéficier de celui-ci jusqu'au décès du survivant d'entre eux.
– Le rejet de la tontine en usufruit. – Une réponse ministérielle du garde des Sceaux en date du 19 octobre 1998 a rejeté la validité de la tontine en usufruit, et ne semble pas avoir été remise en cause.
– Privilégier l'utilisation des usufruits successifs. – Il est conseillé de prévoir la constitution d'un usufruit successif par le vendeur qui cédera donc l'usufruit du bien à une personne, tout en consentant, dans le même temps, un second usufruit, successif celui-là, au profit d'une tierce personne. La constitution d'usufruits successifs nécessite la mise en place de plusieurs usufruits ne s'exerçant qu'à l'extinction du précédent. Cette constitution peut être le fait soit du plein propriétaire dans l'acte de vente, soit du nouveau nu-propriétaire (mais qui ne pourra le faire que par la suite, dans un acte complémentaire, lorsqu'il sera effectivement nu-propriétaire). Il est donc préférable d'opter pour la constitution d'un usufruit successif directement par le propriétaire de l'immeuble lors de la vente en démembrement de propriété. Dans le cas d'une cession d'usufruit à deux époux, le propriétaire cédera l'usufruit actuel aux deux conjoints : il s'agira tantôt d'un usufruit commun (s'ils sont mariés sous un régime communautaire), tantôt d'un usufruit indivis (s'ils sont mariés sous un régime séparatiste). Nous renvoyons ici à la formule proposée par un auteur.

Au-delà de la donation en nue-propriété classique, le démembrement

Une hypothèse de transmission anticipée classique consiste pour les parents, propriétaires d'un (ou plusieurs) bien(s) immobilier(s), à consentir au profit de leurs enfants une donation de la nue-propriété de ce(s) bien(s), en s'en réservant l'usufruit. Il est aussi possible d'optimiser le coût fiscal de transmission en utilisant l'acquisition en démembrement ab initio. Dans ce cas, les parents ne vont pas acheter le bien pour en donner ensuite la nue-propriété à leurs enfants, mais vont procéder avec eux à une acquisition en démembrement de propriété. Ils vont se porter acquéreurs de l'usufruit du bien et les enfants achèteront dans le même acte la nue-propriété de ce bien. Àcet effet, si les enfants ne disposent pas eux-mêmes des sommes propres nécessaires au financement de leur quote-part, une donation de somme d'argent sera consentie par les parents au profit de leurs enfants, afin que ces derniers disposent des liquidités nécessaires pour l'acquisition de la nue-propriété. Il conviendra de ne pas négliger la présomption de l'article 751 du Code général des impôts. La constitution d'un usufruit successif pourra par ailleurs être conseillée.

Acquisition en démembrement de propriété et proposition de clauses

Nous proposons ci-dessous des clauses à utiliser dans le cadre d'une acquisition en démembrement de propriété ab initio, par une personne se portant acquéreur de l'usufruit (ou un couple en tant qu'usufruitiers), avec ses/leurs enfants se portant quant à eux acquéreurs de la nue-propriété. Il appartient au vendeur de créer la réversibilité, ou plus précisément l'usufruit stipulant la réversibilité.

Acquisition en démembrement de propriété et calcul de l'usufruit économique, le simulateur Hectaur

– Évaluation économique de l'usufruit et simulateur Hectaur. – En cas d'acquisition en démembrement de propriété, il est possible (et souvent conseillé) de procéder à une évaluation économique (et non fiscale sur base de l'article 669 du Code général des impôts). Le simulateur « Hectaur » pourra être utilisé à cet effet.
Nous renvoyons à cet égard à nos développements ci-dessus (V. supra, no ).
Lien vers le portail NotAccess via l'accès ID.not pour utiliser le simulateur Hectaur de calcul de l'usufruit économique :

Les acquisitions en démembrement de propriété dans un cadre sociétaire

– L'intérêt de la société. – Le démembrement de propriété, en tant qu'outil d'anticipation patrimoniale lors d'une acquisition immobilière, prendra une dimension supplémentaire lorsque cette acquisition intégrera la création d'une société immobilière. La technique de la constitution d'un usufruit sur les droits sociaux permet de bénéficier des avantages conférés par la réserve d'usufruit, tout en évitant l'indivision entre les titulaires de la nue-propriété. Elle sera utilement couplée avec une rédaction adaptée des statuts, afin de répartir les droits respectifs de l'usufruitier et du nu-propriétaire. L'usufruitier pourra conserver les revenus (préserver ses droits en cas de distribution du capital, et se réserver le contrôle par les droits de vote), tout en anticipant la transmission successorale aux nus-propriétaires dans les meilleures conditions fiscales.
– Plan. – Utile notamment entre concubins non pacsés pour assurer la jouissance du bien au survivant dans des conditions fiscales optimisées (A), le démembrement de propriété dans un cadre sociétaire nécessite précision et ingénierie notariale lors de sa mise en place (B).

Concubins non pacsés, démembrement de propriété et société

– Le recours à la société en faveur du concubin non pacsé. – Dans une optique de maintien dans les lieux du partenaire non pacsé survivant (avec des droits de succession diminués), il pourra être opportun de recourir à une acquisition via une société, avec démembrement croisé des parts (afin de remédier à l'absence de droits légaux efficaces sur le logement au bénéfice du partenaire ou du concubin survivant). Il s'agit de permettre qu'au décès de l'un d'eux, le survivant puisse continuer à occuper le logement, sans ingérence des héritiers, et sans être soumis à une taxation dissuasive de 60 % (taux applicable en cas de transmission entre concubins non pacsés conformément à l'article 677 du Code général des impôts, tableau III).
Les concubins constituent une société civile immobilière qui procède à l'acquisition du logement de la famille. Le démembrement croisé, intervenant postérieurement à l'immatriculation de la société aux termes d'un acte d'échange (le démembrement ab initio des parts sociales étant impossible), portera sur les droits sociaux et non directement sur le bien acquis. Le capital de la société sera in fine réparti entre eux de façon à ce que l'un détienne la moitié des parts en nue-propriété et l'autre moitié en usufruit (et inversement pour l'autre).
– Schéma. – Le schéma ci-après récapitule le processus décrit ci-dessus (constitution d'une société puis échange pour obtenir un démembrement croisé des parts sociales), puis ce qu'il se passera au décès de chacun.
– Clause d'échange de parts de société en démembrement. – Nous proposons ci-après une clause d'un acte d'échange de parts de société en démembrement (aux termes duquel les associés se cèdent réciproquement l'usufruit de leurs parts respectives).
Au décès de l'un, l'autre aura la pleine propriété de la moitié des parts qui était détenue par le défunt en usufruit et conservera l'usufruit sur l'autre moitié des parts (la nue-propriété étant transmise aux héritiers du premier défunt), ce qui lui conférera la pleine jouissance de l'immeuble social (ou plus exactement la totalité des droits de vote donnant droit statutairement à la jouissance de l'immeuble ou le bénéfice d'une décision ante mortem ayant prévu cette jouissance gratuite).
• Le survivant pourra donc continuer à occuper le logement (en prévoyant par une délibération de la collectivité des associés que le bien acquis constituera la résidence principale ou secondaire, sans paiement de loyer, des associés fondateurs et/ou du survivant d'eux).
• Et il sera plein propriétaire de la moitié des parts sans fiscalité par la réunion de l'usufruit et de la nue-propriété (conformément à l'article 1133 du Code général des impôts).
Pour permettre à l'usufruitier de disposer de droits de vote majorés, lui assurant ainsi la maîtrise des décisions au sein de la société, il conviendra impérativement de prévoir dans le pacte social une clause dérogeant aux règles des droits de vote de parts sociales démembrées (C. civ., art. 1844).

Acte / clause d'échange de parts de société en démembrement

Nous renvoyons au document intitulé « Clause d'échange de parts de société en démembrement » :

Aménager les statuts de la société en vue de la mise à disposition de l'immeuble social

Nous proposons ici un modèle de délibération de la collectivité des associés précisant que le bien acquis constituera la résidence principale ou secondaire, sans paiement de loyers, des associés fondateurs et/ou du survivant d'eux :

Clause organisant le droit de vote attaché aux parts sociales démembrées

– Application aux familles recomposées. – Cette stratégie trouverait également à s'appliquer de manière opportune pour les époux mariés en secondes noces, en présence d'enfants d'une première union. La fiscalité ne serait pas ici l'objectif du montage, mais il s'agirait surtout d'assurer au conjoint survivant la maîtrise des décisions au sein de la société (droits de vote majorés de l'usufruitier) et par voie de conséquence la jouissance certaine de l'immeuble social.

Ingénierie notariale, démembrement de propriété et société

Le cadre sociétaire permet de diversifier et d'optimiser les techniques de transmission et de cession d'un immeuble.
– Apport à une société d'un bien détenu en pleine propriété (avec éventuellement donation des parts consécutive, voir ci-après). – Lorsqu'un bien est détenu en pleine propriété et qu'il s'agit d'anticiper sa transmission successorale, il sera possible d'apporter le bien à une société civile immobilière. Cette technique permettra d'éviterl'indivision entre les enfants nus-propriétaires de l'immeuble et la conservation de la liberté de disposer pour les parents (mais aussi d'anticiper la situation de la société et la prise de décision après le décès des parents). Les parents seront nommés gérants de la société et il sera prévu des pouvoirs larges à leur profit, notamment celui de revendre l'immeuble social (afin de pouvoir, s'ils le souhaitent, revendre seuls, sans l'accord de leurs enfants nus-propriétaires) et d'acquérir un nouvel actif. Les statuts prévoiront également en faveur des usufruitiers le droit de modifier les statuts. Après apport de l'immeuble à la société, les parents consentiront à leurs enfants une donation de la nue-propriété des parts de la société, s'en réservant l'usufruit, afin de pouvoir notamment continuer à habiter le bien.
Il y a lieu de noter toutefois, comme rappelé ci-après dans le tableau comparatif entre détention via une société ou en indivision (V. infra, no ), que la détention de l'immeuble via une société fera perdre, dans le cadre de la détermination de l'impôt sur la fortune immobilière, le bénéfice de l'abattement de 30 % sur la valeur vénale de l'immeuble occupé à titre de résidence principale de l'article 973, alinéa 2 du Code général des impôts.
– Ne pas omettre de prévoir conventionnellement l'affectation de la plus-value à l'usufruitier. – Comme précédemment évoqué, lorsqu'il s'agira de la résidence principale de l'usufruitier, il conviendra de prévoir dans les statuts ou par convention dûment enregistrée que la plus-value bénéficiera à l'usufruitier (qui sera exonéré lorsqu'il s'agira de sa résidence principale).
– Réinvestissement du prix de vente d'un bien démembré dans une nouvelle acquisition réalisée dans un cadre sociétaire. – En cas de vente d'un immeuble détenu en démembrement de propriété, il peut être prévu une nouvelle acquisition par l'usufruitier et les nus-propriétaires (notamment dans le cas fréquent du conjoint usufruitier pour lequel la maison est devenue trop grande et qui souhaite vendre et racheter un appartement plus fonctionnel). Àune acquisition en direct, pourra alors être préférée une acquisition par le biais d'une société constituée entre l'usufruitier et le ou les nus-propriétaires. Cela permettra notamment d'éviter certaines règles de droit civil contraignantes (comme l'impossibilité pour l'usufruitier de vendre la pleine propriété sans l'accord du nu-propriétaire) et, par une rédaction adaptée des statuts, la dissociation de la détention du capital et du pouvoir de gestion de l'actif de la société. Il pourra ainsi être prévu que le parent gérant ne sera révocable que par décision unanime des associés et aura la faculté de vendre l'immeuble social. L'indivision entre les nus-propriétaires sera par ailleurs évitée. En revanche, comme indiqué ci-dessus, l'abattement d'assiette de 30 % sur la résidence principale en matière d'impôt sur la fortune immobilière ne sera pas applicable.
– Réinvestissement du prix de vente d'un bien démembré dans un cadre sociétaire pour la seule nue-propriété. – Il peut également être prévu que la société ne comprendra que la nue-propriété du nouveau bien (les enfants ayant apporté leur quote-part du prix de vente du premier bien à la société), les parents se portant directement acquéreurs de l'usufruit du nouveau bien.
Pour éviter une contestation au titre de l'abus de droit, il faudra que cette stratégie réponde à des objectifs qui surpassent significativement l'intérêt fiscal : éviter une indivision entre associés, conserver le pouvoir chez l'usufruitier (notamment nommer un gérant aux pouvoirs étendus comme celui de vendre le bien).
Ces objectifs se matérialiseront notamment au travers d'un fonctionnement normal de la société (tenue d'assemblées, d'une comptabilité, etc.) ou, à plus forte raison, de la gestion d'autres actifs, qui donneront de la consistance au patrimoine social, détenus en pleine propriété.
– Apport de la nue-propriété d'un bien suivi de la donation des parts sociales. – La transmission d'un immeuble en nue-propriété à une société (civile immobilière en l'espèce) suivie de la donation des parts reçues en rémunération de l'apport est un schéma validé par la Cour de cassation, sous certaines conditions.
Nous renvoyons au cas pratique comparatif ci-après (V. infra, no ).
– Les dangers du double usufruit. – Il est plus que jamais déconseillé d'utiliser la technique du « double usufruit » ou « double démembrement », afin de ne pas s'exposer au risque d'abus de droit (apport de la nue-propriété d'un immeuble à une société civile [notamment avec évaluation économique de l'usufruit] puis donation de la seule nue-propriété des parts pour diminuer, via une valorisation économique de l'usufruit, l'assiette de la donation).

Apport de la nue-propriété d'un immeuble suivi de la donation des titres : attention à l'abus de droit

Le Comité de l'abus de droit fiscal (CADF) a été amené à rendre un avis sur un cas d'apport à une société de la nue-propriété d'un immeuble suivi de la donation des titres. En l'espèce, l'administration a considéré que la SCI était fictive, car elle n'avait été constituée que pour permettre l'apport de la nue-propriété de l'immeuble puis la donation des titres reçus en échange, en évitant l'application du barème de l'usufruit prévu à l'article 669 du Code général des impôts, pour minorer les droits de mutation à titre gratuit. Elle a alors mis en œuvre la procédure de l'abus de droit fiscal prévue à l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales et a imposé directement la donation de la nue-propriété de l'immeuble (avec une majoration de 80 % pour abus de droit). Le Comité a estimé que l'administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l'abus de droit fiscal. Dans ses observations sur l'avis rendu par le Comité, Frédéric Julienne relève que « la frontière entre l'habileté patrimoniale et la fraude fiscale reste ténue » et que le raisonnement suivi s'articule autour de deux étapes : la caractérisation de la fictivité de la société (qui suppose la réunion de plusieurs facteurs concordants comme le défaut d'activité sociale, le défaut de comptabilité, ou encore le défaut d'autonomie patrimoniale, étant précisé que la seule preuve de l'absence de vie sociale demeure insuffisante pour la caractériser) et la confirmation du lien étroit entre fictivité et simulation.
Ingénierie notariale : il conviendra en la matière d'anticiper cette situation et de conseiller à nos clients d'être attentifs à ce que la société puisse par exemple détenir d'autres actifs en pleine propriété avec la tenue d'une comptabilité de la société et d'assemblées.
– Le démembrement des parts de la société par apport de l'immeuble démembré. – Il pourra également être prévu de reporter l'usufruit des biens apportés par subrogation réelle et conventionnelle (dans le cas où l'immeuble est déjà détenu en démembrement de propriété) vers les titres souscrits. Cette technique a été contestée par certains auteurs. D'autres auteurs en revanche admettent que l'apport conjoint de l'usufruit et de la nue-propriété puisse être rémunéré par des parts ou actions soumises à usufruit. Une réponse ministérielle a tranché et admis que l'usufruit affectant les biens apportés peut se reporter, par le jeu de la subrogation réelle conventionnelle, sur les titres de la société. On regrettera toutefois qu'une telle technique souvent conseillée et utilisée ne dispose pas d'un appui légal ou jurisprudentiel.
– Cadre sociétaire et présomption de l'article 751 du Code général des impôts. – L'acquisition de la nue-propriété réalisée via une société et non en direct permet de combattre la présomption de l'article 751 du Code général des impôts. Cet article ne s'applique pas quand la nue-propriété du bien appartient à une société civile, même lorsque les parts sont détenues par un héritier présomptif de l'usufruitier (le tout sous réserve de l'abus de droit).
  • de la mise en réserve des bénéfices.Il appartient à l'usufruitier de décider de l'affectation des bénéfices, ce droit est d'ordre public. Il pourra ainsi décider de mettre lesdits bénéfices en réserve. Àl'extinction de l'usufruit, le nu-propriétaire deviendra plein propriétaire des droits sociaux et verra ainsi distribués à son profit les montants mis en réserve (mais une telle distribution au profit exclusif du nu-propriétaire avant extinction de l'usufruit est actuellement sujette à discordance de position entre la chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation). La décision de mise en réserve prise par l'usufruitier ne constitue pas en tant que telle une donation, a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 10 février 2009 ;
  • de la répartition des résultats.Par un arrêt du 18 décembre 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré qu'une répartition inégale des bénéfices ne constitue pas une donation indirecte taxable ;
  • et du financement des gros travaux par l'usufruitier (des parts sociales).
En principe, les gros travaux sur un immeuble démembré sont à la charge du nu-propriétaire. Hors cadre sociétaire, le financement des gros travaux par les parents usufruitiers de l'immeuble peut être (en fonction des circonstances de l'espèce) considéré comme une donation taxable.
Mais, dans un cadre sociétaire, il pourra être utilement conseillé que l'usufruitier des parts sociales finance ces derniers par des apports en compte courant d'associé. Ce compte courant d'associé subsistera toutefois en actif de succession de l'usufruitier, mais la plus-value apportée par les travaux bénéficiera au(x) nu(s)-propriétaire(s) sans taxation.
– Avantager le nu-propriétaire sans donation. – Différentes techniques permettront d'augmenter les avantages du démembrement de propriété dans un cadre sociétaire. Il s'agit notamment :
– Rédaction ingénieuse des statuts de la société, et répartition des droits de vote et des droits financiers. – Enfin, par une rédaction ingénieuse des statuts en matière de répartition des droits de vote et des droits financiers entre usufruitier et nu-propriétaire des parts sociales de la société propriétaire de l'immeuble démembré, l'usufruitier pourra avantager le nu-propriétaire sans taxation. L'ingénierie rédactionnelle des statuts permettra d'aménager certaines règles contraignantes du Code civil en matière de démembrement d'un actif immobilier. Nous renvoyons ici à la clause proposée à cet égard ci-avant (V. supra, nos et s.).
– Démembrement de propriété dans un cadre sociétaire : cas pratique. – Nous proposons ci-après un cas pratique à trois options permettant d'allier transmission optimisée et organisation de la détention.

Démembrement de propriété et société – Cas pratiques

M. ACNF, soixante-cinq ans, est propriétaire d'un immeuble de rendement situé à Nice (dont il a hérité en 1980). Cet immeuble est évalué à la somme de 800 000 € et génère un revenu locatif de 70 000 € net par an. Il souhaite le transmettre à ses deux enfants, en évitant une situation d'indivision et en conservant les revenus jusqu'à son décès. Il a déjà consenti une donation de 100 000 € à chacun de ses enfants il y a cinq ans.
Nous envisagerons successivement trois options de transmission :
  • donation de l'immeuble en nue-propriété puis apport de la nue-propriété des parts à une société ;
  • apport de l'immeuble à une société puis donation de la nue-propriété des parts ;
  • apport de la nue-propriété de l'immeuble (avec une évaluation économique de l'usufruit) puis donation de la pleine propriété des parts.
Option 1 : Donation de l'immeuble en nue-propriété puis apport de la nue-propriété des parts à une société
Première étape : donation du bien immobilier en nue-propriété aux enfants.
Valeur en pleine propriété800 000 €
Valeur en nue-propriété480 000 € (800 000 × 60 %) En application du barème de l'usufruit fiscal de l'article 669 du Code civil.
Reçue par chaque enfant240 000 €
Droits de donation par enfant46 194 € En application du barème des droits de mutation à titre gratuit de l'article 777 du Code général des impôts.
Droits totaux à payer92 388 €
Seconde étape : constitution d'une société civile et apport immobilier à la société (en nue-propriété).
M. ACNF constitue une société civile avec ses enfants. Il effectue un apport en numéraire de 200 €. Chacun des enfants apporte sa moitié indivise en nue-propriété de l'immeuble, soit 240 000,00 € chacun.
La société a donc un capital de 240 000 + 240 000 + 200 = 480 200,00 €, composé de 4 802 parts de 100 € chacune réparties comme suit :
Monsieur = 2 parts de 100 €.
Enfant 1 = 2 400 parts de 100 €.
Enfant 2 = 2 400 parts de 100 €.
Total = 4 802 parts.
NB : sans plus-value d'apport s'agissant d'un apport pour la valeur donnée.
Option 2 : Apport de l'immeuble à une société puis donation de la nue-propriété des parts
Première étape : constitution d'une société civile et apport immobilier en pleine propriété.
M. ACNF constitue une société civile avec ses deux enfants. Il apporte la pleine propriété du bien immobilier, et ses enfants 100 € chacun.
Le capital social est égal à la valeur du bien apporté, soit 800 000,00 €, plus 200 € en numéraire, soit un total de 800 200 €, décomposé en 8 002 parts de 100 € chacune réparties comme suit :
Monsieur = 8 000 parts de 100 €.
Enfant 1 = 1 part de 100 €.
Enfant 2 = 1 part de 100 €.
Total = 8 802 parts.
NB : sans plus-value d'apport du fait de la durée de détention de l'immeuble.
Seconde étape : donation-partage en nue-propriété des parts sociales.
M. ACNF procède à une donation de la nue-propriété de ses parts sociales (sauf 2 parts conservées en pleine propriété).
Nombre de parts données7 998
Valeur en pleine propriété799 800 €
Valeur en nue-propriété479 880 € (799 800 × 60 %) En application du barème de l'usufruit fiscal de l'article 669 du Code civil.
Pour chaque enfant239 940 €
Droits de donation par enfant46 182 €
Droits totaux à payer92 364 €
Répartition du capital social après donation :
Monsieur = 2 parts en pleine propriété.
Monsieur = 7 998 parts en usufruit.
Enfant 1 = 1 part en pleine propriété.
Enfant 1 = 3 999 parts en nue-propriété.
Enfant 2 = 1 part en pleine propriété.
Enfant 2 = 3 999 parts en nue-propriété.
La fiscalité liée à cette option est donc la même, mais contrairement à l'option 1, le démembrement de propriété sera plus efficace car il portera sur des parts sociales (soumises aux règles conventionnelles statutaires) et non sur l'immeuble en direct (soumis aux règles du Code civil).
Option 3 : constitution d'une société civile, apport de la nue-propriété du bien immobilier puis donation des parts sociales en pleine propriété
Première étape : constitution d'une société civile et apport immobilier en nue-propriété.
M. ACNF apporte la nue-propriété du bien immobilier à une société civile.
Le capital social est égal à la nue-propriété (pouvant être évaluée selon la méthode économique s'agissant d'un acte à titre onéreux) du bien apporté, plus 200 € en numéraire apportés par les enfants.
Valeur en pleine propriété du bien apporté800 000 €
Valeur de l'usufruit (calculé selon la méthode de l'évaluation économique, sur base d'une espérance de vie de 19,76)657 137,18 €
Arrondie à657 000 €
Valeur de la nue-propriété apportée à la société (tenant compte de l'usufruit économique)143 000 €
Monsieur = 1 430 parts de 100 €.
Enfant 1 = 1 part de 100 €.
Enfant 2 = 1 part de 100 €.
Total = 1 432 parts.
NB : sans plus-value d'apport du fait de la durée de détention de l'immeuble.
Seconde étape : donation-partage en pleine propriété des parts sociales.
M. ACNF procède à une donation de la pleine propriété de ses parts sociales (sauf 2 parts conservées).
Nombre de parts données1 428
Valeur en pleine propriété142 800 €
Pour chaque enfant71 400 €
Droits de donation par enfant En application du barème de l'article 777 du Code général des impôts. 12 474 €
Droits totaux à payer24 948 €
Répartition du capital social après donation :
Monsieur = 2 parts en pleine propriété.
Enfant 1 = 714 parts en pleine propriété.
Enfant 2 = 714 parts en pleine propriété.
Total = 1 430 parts.
Cette option permet une fiscalité attractive, tout en permettant, comme dans les deux hypothèses précédentes, qu'au décès du propriétaire initial la société devienne propriétaire de l'immeuble en pleine propriété (par extinction de l'usufruit) et que les enfants soient détenteurs des parts en pleine propriété, sans fiscalité et sans indivision entre eux.

Les acquisitions indivises

Acquisition en indivision ou en société ?

Outil privilégié de gestion et de transmission du patrimoine, la société civile est souvent recommandée pour éviter les inconvénients de l'indivision et assurer la transmission optimisée du patrimoine aux descendants. Elle peut toutefois présenter des inconvénients, et une réflexion doit être menée en fonction de la situation de chaque client.
Nous proposons ici un tableau comparatif entre le choix de l'indivision ou de la société civile, tant d'un point de vue civil que d'un point de vue fiscal.

Évaluation des sociétés civiles immobilières et bonnes pratiques de la décote

Il ne faut pas confondre la valeur du bien détenu par la SCI avec la valeur des parts de la SCI. La valeur des parts d'une société civile immobilière doit être déterminée différemment de celle des actifs immobiliers qu'elle possède. Elle doit s'approcher au maximum de celle « qu'aurait entraînée le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue ». Il existe différentes méthodes d'évaluation, différents guides, et notamment un Guide d'évaluation des entreprises et des titres de sociétés datant de 2006 dans lequel l'administration fiscale décrit ces méthodes, même si ce guide est critiqué par de nombreux évaluateurs.
Il peut par ailleurs être tenu compte de différentes décotes . Nous citerons ici :
  • décote de non-liquidité (de 10 % à 30 %) ;
  • décote liée aux clauses d'agrément ;
  • décote de minorité ;
  • décote pour occupation (lorsque le bien immobilier est loué) (décote entre 10 % et 20 %).

Les limites de la fixation des quotités d'acquisition et les pièges de la liquidation de l'indivision

  • notamment en cas de financement pour partie au moyen d'un emprunt bancaire, avant de fixer des proportions d'acquisition sur la base d'une anticipation des années futures et des modalités de remboursement qui seront effectivement suivies, contrairement à ce qui avait été planifié au départ.
  • En effet, ainsi qu'il est démontré dans l'article précité au moyen d'exemples chiffrés, lorsque la liquidation de l'indivision intervient avant remboursement complet du prêt et que les indivisaires n'ont pas procédé au remboursement conformément à leurs accords initiaux, la liquidation et le partage de l'actif conduisent (en présence d'une plus-value) à sur-avantager celui qui a financé la plus grande partie du prix . Il nous appartient donc d'être vigilants et de remplir notre devoir d'information et d'anticipation du contentieux en attirant l'attention de nos clients sur ces conséquences lors de la détermination et du calcul des proportions d'acquisition ;
  • à ne pas prévoir simultanément une reprise des apports au nominal lors de la liquidation de l'indivision ;
  • à éviter de porter, lors de la liquidation de l'indivision, le solde du prêt au passif du compte général de l'indivision (qui ne doit comprendre que les soldes de comptes individuels en faveur d'un indivisaire).
– Les limites de la fixation des quotités d'acquisition et les pièges de la liquidation de l'indivision. – La pratique courante conduit à fixer dans l'acte d'acquisition les quotités de propriété en considération de la participation de chacun dans le financement du bien. Il conviendra à cet égard d'être attentifs :

Ingénierie notariale et fixation des quotités d'acquisition

En cas d'acquisition indivise, il est essentiel d'exercer pleinement notre rôle de conseil et d'anticipation auprès de nos clients, en prenant le temps de comprendre leurs souhaits respectifs et de les avertir sur les implications des choix effectués.

Des hypothèses de prise en compte d'un droit de créance au sein du couple de plus en plus rares

Les hypothèses de prise en compte d'une créance pour les dépenses engagées afin de financer l'acquisition indivise sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil ont été régulièrement limitées par la Cour de cassation au cours des dernières années, que ce soit sur le fondement de la contribution aux charges du mariage pour des époux mariés en régime séparatiste ou sur celui de la contribution aux dépenses de la vie commune pour une acquisition réalisée par des concubins ou des pacsés. Nous renvoyons ici aux développements ci-après de la Commission « Famille » (V. infra, Commission 3, nos et s.).

Acquisition avec clause d'accroissement. Le pacte tontinier

Lorsque des clients souhaitent procéder à une acquisition à plusieurs avec pour objectif que le survivant soit à terme le seul détenteur du bien, il est possible de recourir à la tontine, ou clause d'accroissement. Chaque acquéreur sera juridiquement supposé être le seul propriétaire du bien depuis l'acquisition d'origine, mais à condition d'être le seul survivant. Il n'y a donc pas de transmission et le bien échappe aux règles de la réserve héréditaire et des libéralités. Il pourra être transmis au-delà de la quotité disponible, avec un intérêt notamment dans le cas de personnes non mariées. Il conviendra toutefois de bien appréhender les règles fiscales de la tontine (§ I), et de recourir en fonction de la situation au pacte tontinier dans le cadre sociétaire (§ II).

Maîtriser l'intérêt fiscal de la tontine

Nous baserons nos développements sur les données du cas pratique suivant : « Acquisition avec clause d'accroissement ».
Deux concubins non pacsés souhaitent se porter acquéreurs de leur résidence principale, d'une valeur de 500 000 €. Ils n'ont pas d'enfants (ou ne désirent pas que le bien leur soit transmis en cas de décès). Ils souhaitent que le bien revienne au survivant d'entre eux.
Solution 1 : le testament.
= Désignation par testament du coïndivisaire comme légataire universel (ou légataire particulier du bien immobilier concerné).
Problème : le coût de la transmission, avec une taxation à 60 % sur la part transmise (supposée ici de la moitié).
Coût de la transmission = [(500 000,00 / 2) – 1 594] × 60 % = 149 044 €.
Solution 2 : le pacte tontinier.
– Régime fiscal. – Même si le bien acquis en tontine échappe civilement à la succession du premier défunt, des droits de mutation à titre gratuit seront dus à chaque décès : en application des dispositions du premier alinéa de l'article 754 A du Code général des impôts, les biens recueillis en vertu d'une clause de tontine insérée dans un contrat d'acquisition en commun sont, au point de vue fiscal, réputés transmis, à titre gratuit, à chacun des bénéficiaires de l'accroissement. Il y aura donc application des droits de succession selon le régime de droit commun, c'est-à-dire d'après le lien de parenté entre le défunt et le ou les bénéficiaires de la clause et sur la valeur de la part transmise à chacun d'eux.
Exception : pour les immeubles affectés à l'habitation principale commune d'une valeur inférieure à 76 000 € au moment du premier décès, la part transmise au survivant est passible des seuls droits de vente d'immeuble (soit 5,80 %, en vertu de l'article 754 A, alinéa 2 du Code général des impôts, sans condition de validité liée au lien de parenté).
– Limites du pacte tontinier. – En raison du faible montant de l'abattement prévu par l'article 754 A, alinéa 2 du Code général des impôts et de la fiscalité actuellement applicable entre personnes ni mariées ni pacsées, le coût de la transmission du bien acquis via une clause de tontine reste très élevé. Il peut alors être proposé d'insérer la clause de tontine dans les statuts d'une société qui se portera acquéreur du bien immobilier.

Le recours au pacte tontinier dans un cadre sociétaire

Solution 3 : le pacte tontinier inséré dans les statuts d'une société constituée entre les acquéreurs.
Afin de permettre, d'une part, une transmission avec clause d'accroissement dans le cadre d'une fiscalité réduite et, d'autre part, la souplesse du cadre sociétaire dans un objectif d'anticipation successorale, il pourra être conseillé (notamment à des concubins non pacsés) de procéder à l'acquisition par l'intermédiaire d'une société, dont les statuts prévoiront que les parts sociales sont attribuées à chacun des concubins sous la condition suspensive de sa survie et sous la condition résolutoire de son prédécès. Conclure un pacte tontinier sur des parts sociales est une pratique qui peut s'avérer très avantageuse mais doit être maniée avec précaution.
– Régime fiscal. – Dans l'hypothèse d'une clause de tontine insérée dans les statuts d'une société, seuls sont dus les droits de mutation à titre onéreux. L'application de l'article 754 A du Code général des impôts (conduisant à la perception des droits de mutation à titre gratuit, actuellement au taux de 60 % entre concubins) est écartée, la clause de tontine n'étant pas insérée « dans un contrat d'acquisition en commun », mais dans les statuts d'une société constituée entre les acquéreurs. Une réponse ministérielle de 1979 et un arrêt rendu par la cour d'appel de Chambéry du 18 novembre 2003 ont confirmé ce régime fiscal. Le survivant est assujetti à des droits de mutation à titre onéreux sur les parts reçues par effet du décès, au taux de 5 %. Les droits de mutation sont liquidés au tarif en vigueur au décès et sur la valeur appréciée à cette date qui est celle de la réalisation de la condition suspensive.

Pacte tontinier dans les statuts de société

Il est expressément convenu entre M. A et M. B, tous deux susnommés, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant d'entre eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la pleine propriété des parts numérotées de 1 à 249 et de 251 à 500 à eux attribuées en représentation de leurs apports respectifs, lesquelles appartiendront en totalité en pleine propriété au survivant d'eux, sur la tête duquel la pleine propriété sera censée avoir toujours reposé depuis ce jour.
La présente clause confère ainsi à chacun de M. A et M. B la pleine propriété desdites parts sociales en leur entier à partir de ce jour, sous condition suspensive de sa survie et sous condition résolutoire de son prédécès.
Par suite, seul leur commun accord pourra permettre l'aliénation des parts sociales dont s'agit et leur disposition sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, ou même leur nantissement.

Ingénierie notariale, tontine et société

Constitution d'une société entre deux personnes souhaitant se porter acquéreurs d'un bien immobilier d'une valeur de 500 000 € :
Constitution d'une société en vue de l'acquisition, au capital de 500 000 €.
L'associé A souscrit les parts 1 à 250.
L'associé B souscrit les parts 251 à 500.
Les statuts de la société prévoient une clause de tontine sur les parts 1 à 249 et 251 à 499 (les parts nos 250 et 500 restant exclues du mécanisme de la tontine).
Au décès de l'associé A, et en application de la clause de tontine :
  • B devient propriétaire des parts 1 à 249 (et 251 à 500) ;
  • la succession de A : de la part no 250.
Le coût de la transmission est de : (500 000 × 249/500) × 5 % = 12 450 €.
(Dans le cas inverse, au décès de l'associé B, et en application de la clause de tontine :
  • A devient propriétaire des parts 1 à 250 [et 251 à 499] ;
  • la succession de B : de la part no 500).
Alors qu'en cas d'acquisition en direct avec clause de tontine, le décès de l'un des acquéreurs rend exigibles les droits de succession sur la moitié du bien, soit :
(dans le cas d'une résidence principale)
[(500 000,00 / 2) – 1 594,00] × 60 % = 149 044 €.

Société, tontine et précautions

Pour éviter que la validité de la société puisse être remise en cause (et pour que la société ne se retrouve pas avec un associé unique), il est conseillé de maintenir une ou plusieurs parts en dehors de la tontine.
– Les clauses de participations croisées. – Après avoir constitué une SCI entre deux personnes avec une répartition équitable des parts sociales, il peut être dans un second temps réalisé un échange de l'usufruit des parts de chaque titulaire (A cédant l'usufruit de ses parts et recevant l'usufruit des parts de B et inversement).
Au décès de A, B consolide sa propriété sur ses parts initiales et conserve l'usufruit sur les parts initiales de A (les enfants recevant la nue-propriété des parts de A). Au décès de B, les enfants deviennent pleins propriétaires des parts initiales de A et reçoivent les parts de B (leur nue-propriété) ; ils ne sont imposés que sur la transmission de la nue-propriété des parts de B. La taxation n'aura donc concerné que la moitié des parts, au second décès.
– Applications pratiques. – Ce type de clause peut être utilisé pour transmettre un bien entre concubins non pacsés (comme dans l'exemple ci-dessus, pour diminuer le coût de la transmission) ou entre époux (mariés sous un régime séparatiste), notamment pour contourner la réserve héréditaire, mais également entre parents et enfants : les parents (ou l'un d'eux) constituent une société avec leurs enfants ou certains d'entre eux et prévoient dans les statuts une clause d'accroissement par laquelle, en cas de prédécès de l'un d'eux, les autres associés deviendront rétroactivement propriétaires de leurs droits sociaux. Le survivant des associés est réputé propriétaire de la totalité des parts ou actions.
– Précautions et limites :
  • la tontine est un carcan dont il est impossible de sortir sans l'accord des cotontiniers (à l'inverse des situations d'indivision ou de société civile immobilière classique comme envisagé ci-après) ;
  • attention à la qualification de donation déguisée : la Cour de cassation a récemment rappelé que le pacte tontinier compris dans l'acte d'acquisition d'un bien immobilier peut constituer une donation déguisée d'un époux en faveur de l'autre. Dans ce cas, il y a requalification en donation et celle-ci est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l'article 758-6 du Code civil (au cas d'espèce, le bénéficiaire était le conjoint survivant) ;
  • le risque d'abus de droit (ou de mini-abus de droit). Il conviendra d'être particulièrement attentif ici au risque de qualification d'abus de droit si la société n'était constituée que dans le but d'éviter l'application des droits de mutation à titre gratuit, et donc dans un but uniquement (ou principalement) fiscal. Àdéfaut, la différence de fiscalité pourrait être requalifiée en libéralité et rapportée à la succession.
Solution pratique. Respect de l'aléa et du caractère onéreux du contrat :
  • un démembrement de propriété concomitant pourra en atténuer le risque ;
  • de même qu'une répartition du capital social en fonction de l'espérance de vie de chaque associé (ou des âges proches des associés et états de santé similaires puisque les conditions de survie doivent être équivalentes).
– Le risque relatif à la prohibition des pactes sur successions futures. – La clause de tontine ne sera pas remise en cause sur le fondement de la nullité des pactes sur successions futures (C. civ., art. 722) s'il est indiqué dans l'acquisition, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant des acquéreurs sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété de l'immeuble ; ses héritiers ne pourront prétendre à aucun droit sur ce bien.
– Société constituée par un seul associé au décès d'un des deux acquéreurs. – Au décès d'un des deux associés de la société constituée avec insertion d'un pacte tontinier dans les statuts, et du fait de l'effet rétroactif de la clause d'accroissement, la société est réputée comme ayant été dès l'origine constituée par un associé unique.
Solutions pratiques :
  • régularisation : la société est certes devenue unipersonnelle, elle n'est pas pour autant dissoute de plein droit : outre le délai de principe d'un an pour régulariser, le juge (à la demande d'un tiers ayant un intérêt à agir) ne pourra pas prononcer la dissolution si, au jour où il statue, la situation est régularisée ;
  • une clause de tontine ne portant pas sur la totalité des parts : si l'on veut éviter que la société soit jugée nulle par l'absence d'une pluralité d'associés lors de sa constitution, il convient, comme dans l'exemple exposé ci-dessus, de ne pas faire porter la clause de tontine sur la totalité des parts, mais sur 99 % de celles-ci (sur 499 parts dans l'exemple).
Ànoter toutefois qu'il est préférable, pour ne pas ajouter les difficultés de l'indivision dans la société, de prévoir autant de parts hors tontine que d'héritiers.
– Nullité de la tontine postérieure à l'acte d'acquisition. – Il n'est pas possible de conclure un pacte tontinier postérieurement à l'acte d'acquisition, puisque dans ce cas la clause ne rétroagirait qu'au jour de l'acte complémentaire. Le bien aurait donc appartenu, pendant la période entre l'acquisition et l'acte complémentaire, au prémourant, et la prohibition des pactes sur succession future trouverait à s'appliquer.
– Autre intérêt de la tontine : protection vis-à-vis des créanciers. – Le droit de gage général des créanciers ne pouvant s'exercer que sur les biens dont le débiteur est propriétaire, si la condition suspensive de survie n'est pas réalisée à la date de délivrance du commandement aux fins de saisie immobilière, le débiteur n'est pas titulaire d'un droit privatif de propriété sur le bien ou partie du bien. Le bien échappe alors aux créanciers des acquéreurs (sauf créanciers ayant une créance contre tous les tontiniers et sauf action paulienne).
– Vigilance sur la rétroactivité de la tontine. – Le mécanisme de la tontine repose sur la rétroactivité d'une double condition : condition suspensive de la survie de chacun des acquéreurs et condition résolutoire du décès de chacun d'eux. La rétroactivité de la condition formulée de manière expresse permet d'échapper à la nullité des pactes sur succession future. Suite à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 prise en son article 3, dont est issu le nouvel article 1304-6, alinéa 1 du Code civil, la réalisation d'une condition suspensive ne joue plus par principe rétroactivement. Les parties peuvent en revanche prévoir que « l'accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat ». Dans le cas d'une acquisition avec clause de tontine, il conviendra donc de bien prévoir cette dérogation, afin que la tontine puisse développer l'ensemble de ses effets et que le droit de propriété du survivant bénéficie bien de la rétroactivité souhaitée (pour la condition suspensive, puisque le principe de l'effet rétroactif demeure pour la condition résolutoire).

S'assurer de la rétroactivité de la clause de tontine

Les acquéreurs conviennent, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant d'entre eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété de l'immeuble objet des présentes, qui sera censé avoir toujours été la propriété du survivant, depuis le jour de l'acquisition, la présente clause de tontine conférant ainsi à chacun d'eux la propriété de l'immeuble tout entier, à partir du jour de son acquisition, sous condition suspensive rétroactive de sa survie, par dérogation aux dispositions de l'alinéa 1er de l'article 1304-6 du Code civil, et sous condition résolutoire de son prédécès ; en conséquence, le dernier survivant des acquéreurs sera censé tenir directement et dès l'origine ses droits du vendeur.

Attention à l'accueil de la tontine à l'international

Le recours à la technique de la tontine devra s'accompagner d'une vérification, d'une part, de la possibilité de mise en œuvre dans un contexte international et, d'autre part, de la fiscalité applicable, et notamment dans le ou les pays de rattachement du patrimoine mondial du client concerné.

Tontine à l'étranger

Afin d'éviter des procédures compliquées de probate et les difficultés liées à l'application d'un testament, il peut être utile de prévoir dans l'acte d'acquisition par deux concubins une clause de joint tenancy qui n'aurait vocation à s'appliquer qu'à l'étranger et vis-à-vis de la fiscalité étrangère. Elle remplacera le testament et permettra une dévolution successorale anticipée.