L'insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur individuel

L'insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur individuel

Rendre la résidence principale de l'entrepreneur insaisissable a été le fruit d'une évolution législative par étapes. À l'origine, la loi no 2003-721 du 1er août 2003 a permis à l'entrepreneur individuel de procéder par acte notarié à une déclaration d'insaisissabilité de ses droits sur sa résidence principale à l'égard de ses créanciers professionnels.
Il semble que le législateur se soit inspiré à l'époque de la législation sur le bien de famille qui avait été instituée dans le but de « permettre aux travailleurs de se constituer un foyer échappant aux poursuites de leurs créanciers » , rejetant, par la même, la notion de patrimoine d'affectation .
La deuxième étape de cette protection est l'extension, par la loi du 4 août 2008 , de la possibilité de cette déclaration pour tous les biens immobiliers désignés par l'entrepreneur. À compter de la publication de cette déclaration, les créanciers sont informés que l'assiette de leurs droits de gage se trouve réduite.
Enfin cette législation a été revue par la loi du 6 août 2015 qui modifie l'alinéa premier de l'article L. 526-1 du Code de commerce, par l'instauration de l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l'entrepreneur individuel . Cette bienveillance du législateur répond néanmoins à plusieurs conditions. Certaines sont personnelles à l'entrepreneur (Sous-section I), d'autres sont relatives à la résidence principale elle-même (Sous-section II).

Les conditions personnelles de la protection légale

Pour bénéficier de la protection légale, le débiteur doit être un entrepreneur individuel (§ I) qui exerce une activité professionnelle (§ II).

Un entrepreneur individuel

- Notion d'entrepreneur individuel. - La protection légale de la résidence principale est réservée à l'entrepreneur individuel. Il s'agit d'une dérogation explicite aux dispositions des articles 2284 et 2285 du Code civil qui prévoient que tous les biens mobiliers et immobiliers du débiteur sont le gage commun de ses créanciers.
La nationalité de l'entrepreneur est indifférente ; qu'il soit Français ou non, il bénéficie de cette protection. Le locataire gérant d'un fonds de commerce bénéficie de la protection, à l'inverse du propriétaire bailleur qui lui n'est pas un entrepreneur. L'entrepreneur indivis qui se trouve en indivision avec un coentrepreneur peut prétendre à cette protection, dès lors qu'il est un entrepreneur individuel agissant en son nom personnel. La loi n'a pas posé comme condition qu'il soit un entrepreneur exclusif.
Le régime matrimonial de l'entrepreneur individuel est indifférent ; sa résidence principale est protégée, qu'il s'agisse d'un bien propre ou dépendant de la communauté. En cas d'indivision, la protection ne peut porter que sur sa propre quote-part.
- L'exclusion des associés. - La notion d'entrepreneur individuel n'est pas étendue aux associés d'une société civile ou d'une société commerciale.
En effet, le texte doit être d'interprétation stricte comme dérogeant aux articles 2284 et 2285 du Code civil, même si cette situation est regrettable notamment pour les professionnels indéfiniment responsables vis-à-vis de leurs créanciers en leur qualité d'associés d'une structure sociale à responsabilité illimitée, comme les architectes, les notaires ou les médecins membres d'une société civile professionnelle.

Une activité professionnelle

La seconde condition pour bénéficier de la protection pour sa résidence principale est l'immatriculation à un registre ou l'exercice d'une activité agricole ou indépendante.
- La personne physique doit être immatriculée. - Cette immatriculation peut être effectuée à un registre de publicité légale à caractère professionnel. Il s'agira du registre du commerce et des sociétés (RCS), du répertoire des métiers, du registre de la batellerie artisanale et du registre des actifs en agriculture.
Un entrepreneur inscrit à la fois au RCS et au répertoire des métiers devra veiller à ce que la publicité soit réalisée aux deux registres.
La loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel », a supprimé la dispense d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés visant les commerçants micro-entrepreneurs. Ainsi, depuis le 19 décembre 2014, l'immatriculation au RCS des commerçants micro-entrepreneurs est devenue obligatoire. Par ailleurs, les micro-entrepreneurs commerçants ayant déclaré leur activité ont dû effectuer leur immatriculation au RCS depuis cette date.
Les auto-entrepreneurs n'étant qu'une déclinaison simplifiée des micro-entrepreneurs sont donc dans l'obligation de procéder à cette immatriculation. Cette solution est extrêmement avantageuse et permet à ces entrepreneurs, même s'ils cumulent une retraite, de bénéficier du régime de l'insaisissabilité de leur résidence principale.
- Les activités agricoles ou indépendantes. - La personne physique est également protégée si elle exerce une profession agricole ou indépendante. Cette notion est très large puisqu'elle englobe les professions immatriculées, les professions agricoles et les autres. On pense à toutes les professions libérales exercées en son nom personnel (médecins, avocats, architectes, notaires…) et aux agents commerciaux.
Cette notion d'activité indépendante est importante, car l'inscription à un ordre ou à un tableau ne correspond pas à une inscription à un registre légal. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle approuvé une cour d'appel de ne pas avoir retenu que le tableau des avocats inscrits auprès d'un barreau correspondait à un registre de publicité légal à caractère professionnel .

Les conditions relatives à la résidence principale

L'article L. 526-1 du Code de commerce s'applique aux droits sur l'immeuble (§ I) où est fixée la résidence principale de l'entrepreneur (§ II).

Un droit sur un immeuble

La loi utilise le terme assez large de « droits sur l'immeuble », mais on s'interrogera également sur les droits qui ne portent pas directement sur celui-ci.
- Un immeuble. - Le droit visé par le texte est le droit réel et plus particulièrement le droit de propriété. Le droit au bail d'habitation n'étant pas saisissable n'est pas concerné par cette disposition.
Le logement de l'entrepreneur, qu'il lui appartienne à titre personnel ou qu'il dépende de la communauté avec son conjoint, est intégralement protégé. À ce titre, le fait que le conjoint ne soit pas un entrepreneur individuel est sans conséquence. Si le logement est une propriété indivise, seule la quote-part détenue par l'entrepreneur individuel bénéficie de cette protection à l'encontre des créanciers professionnels.
Si le droit fait l'objet d'un démembrement, il pourra également échapper à la saisie, que l'entrepreneur possède l'emphytéose, l'usufruit ou même seulement la nue-propriété.
On assimilera à un droit sur l'immeuble la propriété des parts d'une société d'attribution (CCH, art. L. 212-1) et les conventions de location-accession (en secteur libre et en secteur HLM).
La valeur des droits concernés avait été discutée lors des débats préalables à l'adoption de la loi, mais la complexité de définir un plafond avait fait renoncer les parlementaires à une telle condition.
- Les droits indirects. - Les droits qui ne portent pas sur un immeuble ne sont pas visés par ce texte. Les péniches, mobil-home et autres biens meubles sont d'évidence écartés, mais la question est plus épineuse pour les parts de la société civile qui détient l'immeuble dans lequel l'entrepreneur à sa résidence principale. Le droit fiscal assimile la détention des parts de la société civile qui assure la résidence principale à la détention directe de celle-ci au regard de l'imposition à la plus-value immobilière et il ne paraît pas illégitime de faire de même en matière d'insaisissabilité.
Aujourd'hui le débat n'est pas tranché, mais les tenants de l'exclusion pourront invoquer une réponse ministérielle de 2005 précisant que « lorsqu'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale a établi sa résidence principale dans un immeuble appartenant à une société civile et qu'elle n'est titulaire que de parts sociales de cette société, elle ne peut pas bénéficier des dispositions des articles L. 526-1 et L. 526-2 » du Code de commerce .

Un immeuble affecté à l'habitation principale

La loi n'a pas cherché à définir ce qu'il faut considérer comme une habitation principale, mais elle a apporté des précisions lorsque l'immeuble n'est pas entièrement utilisé pour la résidence de l'entrepreneur.
- La résidence principale. - En l'absence de règles légales sur la notion de résidence principale, notamment en termes de durée, des auteurs indiquent que, faute de précision, il faut donc s'en référer au bon sens et considérer qu'il s'agit de l'immeuble occupé plus de six mois par an, de manière habituelle . Faute de précision légale et de jurisprudence sur ce point, nous considérons ce critère comme recevable.
La date à laquelle il faudra se placer pour déterminer la résidence principale ne sera pas celle de la naissance de la créance, qui peut être très antérieure, mais celle à laquelle le créancier en demandera le recouvrement.
Le lieu de cette résidence peut également amener à s'interroger. Si l'habitation principale est en France, le texte a vocation à s'appliquer, mais qu'en est-il si la résidence est située à l'étranger ? Cette législation protectrice n'étant pas réservée aux nationaux (V. supra, no ), on peut légitimement penser que l'entrepreneur qui a sa résidence principale hors de France bénéficie de la protection de l'article L. 526-1 du Code de commerce, même si la législation du pays concerné ne connaît pas l'équivalent.
Enfin, il y a lieu de préciser que ce texte prévoit expressément que la domiciliation de la personne dans son local d'habitation en application de l'article L. 123-10 du Code de commerce ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable.
- L'affectation partielle. - Avant l'entrée en vigueur de la loi no 2015-990 du 6 août 2015, qui déclare applicable de plein droit l'insaisissabilité à la résidence principale, les textes précisaient que c'était à l'entrepreneur lui-même d'effectuer cette déclaration par acte notarié. Il était alors prévu que, si l'immeuble n'était que partiellement affecté à l'habitation principale, la déclaration devait contenir un état descriptif de division permettant de délimiter la partie concernée en vue de sa publication au service de la publicité foncière.
Le nouvel article L. 526-1 du Code du commerce a balayé cette difficulté en énonçant que : « Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire ».
Deux observations sur ce nouveau texte : en premier lieu, ce sera au créancier poursuivant d'établir cet état descriptif de division pour lui permettre d'appréhender la partie affectée à usage professionnel, ce qui va compliquer la procédure. En second lieu, le texte ne vise pas à isoler la partie servant de résidence principale mais celle affectée à l'usage professionnel. Il s'agit donc d'un élargissement à la partie de l'immeuble qui ne répond ni à la notion d'usage professionnel, ni à celle d'habitation principale, du bénéfice de l'insaisissabilité. Dans l'hypothèse d'une propriété dont une partie des bâtiments est affectée à un usage professionnel, le surplus échappera au droit de gage des créanciers même si le terrain d'assiette possède une valeur importante.