- Plan. - La vulnérabilité est directement appréhendée par le droit pénal puisque l'abus frauduleux de cet état constitue l'élément constitutif d'un délit réprimé (Sous-section I), mais aussi indirectement dans la mesure où elle constitue une circonstance aggravante d'un certain nombre de délits voisins (Sous-section II).
Les sanctions en droit pénal
Les sanctions en droit pénal
La vulnérabilité appréhendée par l'abus de faiblesse
- Présentation. - Aujourd'hui il existe une infraction spécifique qui sanctionne par une réponse pénale - et donc sociétale - l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse
. Cette infraction, de nature délictuelle, inscrite au sein des articles 223-15-2 à 223-15-4 du Code pénal, est assez récente. On sait, en effet, que le législateur s'est intéressé assez tardivement aux personnes majeures vulnérables d'un point de vue pénal. Si l'infraction d'abus de faiblesse existait déjà dans le Code pénal de 1810, il ne s'agissait alors que de protéger les seuls mineurs de certaines atteintes frauduleuses à leur patrimoine. Il a fallu attendre une évolution parallèle du Code de la consommation - avec la loi no 72-1137 du 22 décembre 1972, relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile - puis du Code pénal - avec l'extension du texte au profit des majeurs à l'occasion de la réforme de 1992
puis au profit des victimes de mouvements sectaires par la loi du 12 juin 2001
- pour que soit façonnée l'infraction, dans une version moderne et élargie. Migrant alors du livre III au livre II du Code pénal, l'ancienne infraction contre les biens est également devenue une infraction contre les personnes. Autrement dit, ce sont donc désormais à la fois le patrimoine des personnes vulnérables et ces personnes elles-mêmes qui se trouvent protégés par cette « infraction bicéphale »
. Cette protection suppose toutefois que l'abus soit repéré - ce peut être le rôle du notaire - et que l'état de faiblesse soit démontré. Or, on le sait, l'abus de faiblesse est insidieux puisqu'il ne se présente pas comme un comportement heurtant la victime, mais au contraire sous le visage de la confiance, parfois du secours, voire de l'amitié. Il s'agit pour le manipulateur d'obtenir de sa victime ce qu'elle n'aurait pas spontanément voulu. Du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, il conviendra, en premier lieu, d'envisager les conditions d'incrimination (§ I), puis, en second lieu, d'analyser les modalités de répression du délit (§ II).
Profils et stratégies des auteurs de l'abus de faiblesse
Les auteurs de l'influence abusive sont très divers. Plusieurs profils semblent toutefois se dégager :
- l'aidant familial qui profite de la situation : un membre de la famille qui s'occupe de la personne au quotidien se prévaut de l'aide qu'il apporte pour lui demander des faveurs qu'elle n'a pas la force ou le courage de lui refuser ;
- l'aidant professionnel envahissant : un intervenant accomplit progressivement des tâches qui vont bien au-delà de ses missions, décourage les visites, intercepte les coups de téléphone, et parvient à isoler la personne ;
- le partenaire de vie tardif et opportuniste : un tiers extérieur à la famille, généralement plus jeune, noue une relation amicale ou amoureuse avec la personne, et parvient progressivement à gagner sa confiance et son affection ;
- le délinquant professionnel ou occasionnel : un individu indélicat repère la vulnérabilité de la personne et profite du fait qu'elle soit isolée ou peu méfiante pour abuser de la situation.
Les stratégies utilisées par ces auteurs sont souvent les mêmes :
- exploitation d'une situation de faiblesse : les auteurs profitent du fait que la personne ait besoin d'aide, ait des doutes sur ses capacités, ou se sente fragile ou déprimée, pour se rendre nécessaires auprès d'elle et induire un sentiment de dépendance ;
- isolement : ils isolent progressivement la personne, font en sorte qu'elle ait peu de contacts, tiennent ses proches à l'écart ou sont systématiquement présents lors des visites ;
- manipulation émotionnelle : ils dénigrent ou calomnient ceux en qui la personne avait confiance, instillent dans son esprit l'idée qu'ils sont égoïstes ou malveillants à son égard ;
- disqualification et harcèlement : ils induisent un sentiment de honte et de crainte, humilient la personne, exercent une pression permanente, font planer des menaces, tout en donnant occasionnellement des preuves d'affection ou de dévouement.
Les conditions d'incrimination
- Plan. - Nous allons successivement envisager les personnes protégées par cette incrimination (A), puis les éléments constitutifs de l'infraction (B).
Les personnes protégées
- La personne particulièrement vulnérable. - Le législateur a souhaité encadrer l'application de l'incrimination afin d'éviter une interprétation extensive du texte. Aussi celui-ci n'est-il pas destiné à protéger la personne inattentive, peu méfiante ou négligente, mais seulement celle qui est a priori fragile. Partant, l'article 223-15-2 du Code pénal n'apporte volontairement la protection pénale qu'à trois catégories d'individus prédéterminées, qui peuvent être l'objet de l'abus incriminé. Outre le mineur et la personne en état de sujétion psychologique ou physique, le texte vise la personne en situation particulière de vulnérabilité. Selon l'article 223-15-2 du Code pénal, cette particulière vulnérabilité peut être due non seulement à un état de grossesse, mais aussi à « [l']âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ».
- La vulnérabilité liée à l'âge. - La jeunesse faisant l'objet d'une disposition spéciale, l'âge visé par la loi est généralement entendu comme celui de la vieillesse. Il s'agit sans nul doute ici de protéger les personnes âgées, en raison de l'insécurité affective qui est souvent la leur : l'éclatement des familles, la misère relationnelle, la solitude due au repli sur soi entraînent une insécurité affective des personnes âgées qui deviennent une proie facile pour les escrocs leur faisant miroiter des avantages disproportionnés par rapport à des achats pas toujours opportuns : encyclopédies pour les petits-enfants, voyages sur catalogue, soutiens financiers à des mouvements fictifs, nouvelle voiture prétendument plus économique, téléviseur remplacé pour une panne légère, etc
. Il reste à savoir ce que l'on entend par « personne âgée » ? L'article 223-15-2 du Code pénal ne fixe aucun âge déterminé : il s'agit d'une question de fait, variable selon les personnes, et laissée à l'appréciation des tribunaux. On peut simplement souligner, en pratique, la tendance de certains juges du fond à se contenter de relever le grand âge de la victime pour conclure à sa vulnérabilité
, ce qui est contestable, car si l'âge est une chose, ce n'est pas un élément du délit et il doit s'y ajouter la preuve d'une vulnérabilité particulière
.
- La vulnérabilité liée à la maladie, l'infirmité, la déficience physique ou psychique. - Si la maladie, l'infirmité ou encore une déficience physique ou psychique peuvent éventuellement être distinguées, comme le fait d'ailleurs l'article 223-15-2 du Code pénal, elles n'en constituent pas moins, du fait de leur ampleur et surtout de leur proximité, des concepts susceptibles d'être rapprochés, voire confondus. Dans tous les cas, on est effectivement en présence d'un « dysfonctionnement corporel physique ou mental, inné ou acquis, naturel ou provoqué, organique ou fonctionnel »
. Dans les faits, tantôt la jurisprudence retient ces éléments - tels que la détérioration intellectuelle, la cécité totale,l'acuité auditive réduite et les troubles de la mémoire, l'état dépressif, la personne souffrant de la maladie de Parkinson et de la maladie d'Alzheimer, etc.
- en tant que causes particulières de vulnérabilité, tantôt elle s'en sert comme éléments de preuve d'une vulnérabilité particulière qui viennent s'adjoindre au grand âge
.
S'il importe peu que la victime présente ou non une anomalie propre à justifier un régime de protection, sa vulnérabilité particulière n'en demande pas moins à être prouvée. La vulnérabilité étant un élément de fait, sa preuve reste soumise à la libre appréciation du juge de la répression, à partir de l'analyse des circonstances. Si, dans cette optique, les expertises médicales sont importantes, ce mode de preuve n'est cependant ni indispensable ni unique. Mieux encore, il n'est pas nécessaire que de telles expertises concluent à l'insanité d'esprit de la victime, une diminution de ses facultés de résistance suffit, pouvant être due à l'isolement, à la perte d'un proche, à la maladie ou à un affaiblissement physique. La réunion de plusieurs de ces éléments, connus de l'auteur, constitue un indice susceptible de sensibiliser le juge.
- L'état d'ignorance ou de faiblesse. - La vulnérabilité objectivement démontrée, au regard de l'une des trois catégories de causes visées par l'article 223-15-2 du Code pénal, doit être corroborée par l'établissement d'une vulnérabilité subjective se traduisant par une ignorance - le fait de ne pas savoir - ou une faiblesse - le fait de ne pas être en mesure de résister - de la victime. Ceci appelle deux observations : d'une part, si l'état d'ignorance ou de faiblesse résulte de la qualité ou de la situation de la victime, il doit préexister à l'intervention de l'auteur et non pas être la conséquence de celle-ci et, d'autre part, la présomption de vulnérabilité qui découle de la présence de l'une des causes qu'énumère le texte ne saurait être qu'une présomption simple qui demande en principe à être confirmée.
Les éléments constitutifs
- Deux éléments. - Conformément aux principes généraux de la responsabilité pénale, l'article 223-15-2 du Code pénal requiert en la personne de l'auteur un double comportement : matériel (I) et moral (II).
L'élément matériel
- Abus opéré par l'auteur. - Selon l'article 223-15-2 du Code pénal, l'auteur doit se rendre coupable d'un « abus » pour conduire la personne vulnérable à commettre un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Non défini par le législateur, il est classiquement admis que l'abus consiste pour son auteur à tirer parti de la vulnérabilité de la victime en portant atteinte à sa liberté de comportement. « Abuser d'une personne, c'est profiter d'elle, l'utiliser, l'instrumentaliser pour ses intérêts exclusifs »
. Dans les faits, la notion d'abus - abandonnée à l'appréciation des juges du fond - n'est pas véritablement cernée de manière isolée ; elle est le plus souvent largement déduite des actes ou abstentions préjudiciables que la victime va être conduite à adopter. Cela étant, la jurisprudence a eu l'occasion de souligner que le délit n'exige pas, pour être caractérisé, d'une part, l'emploi par son auteur de la contrainte ou le recours à des man?uvres frauduleuses
et, d'autre part, la démonstration de son enrichissement
.
- Effets sur la victime. - Ainsi que le prévoit l'article 223-15-2 du Code pénal, l'abus perpétré par l'auteur doit « conduire » la personne vulnérable « à un acte ou à une abstention ». La loi ne faisant aucune distinction, il semble bien que tous types de comportements puissent être réprimés : il peut s'agir d'actes matériels
, même si, dans la très grande majorité des cas, les motivations étant financières, il s'agit d'actes juridiques. Les « abuseurs » sont avant tout des prédateurs de patrimoine. Les exemples sont nombreux et variés : il concernant tout à la fois des actes à titre onéreux, on songe notamment à la vente
, la procuration
ou encore la remise de chèques
, mais aussi des libéralités, dont la dangerosité pour le patrimoine des personnes vulnérables est évidente
. Il convient de souligner que l'éventuelle nullité de l'acte d'un point de vue civil n'écarte pas l'infraction, et donc le délit pénal
.
- Nécessité d'un préjudice. - L'article 223-15-2, alinéa 1er du Code pénal exige que l'acte ou l'abstention auquel la victime a été conduite lui soit en outre « gravement préjudiciable », ce qui suggère d'emblée qu'il peut y voir des abus qui n'entrent pas dans le champ d'application de la loi pénale et qui ne sont donc pas répréhensibles. Il s'agit ici de limiter les poursuites aux agissements les plus graves et d'exclure « les petites arnaques réalisées au détriment de personnes vulnérables »
.
Concrètement, cette précision contenue dans le texte suppose de définir le seuil de gravité à partir duquel le comportement de l'auteur doit être sanctionné. Selon la jurisprudence, le texte n'exigeant pas que le dommage se soit réalisé, il suffit que le comportement incriminé soit « de nature à » causer un grave préjudice
. Il y a là une interprétation extensive de la loi pénale - qui peut sans doute s'expliquer par un compréhensible souci de répression - que l'on retrouve dans les arrêts qui affirment le caractère gravement préjudiciable pour une personne vulnérable de « l'acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l'a obligée à cette disposition »
alors que, par définition, la rédaction d'un testament ne produira concrètement ses effets qu'à compter du décès de son auteur, et ne pourra dès lors nuire qu'aux héritiers de celui-ci. La même solution est appliquée, sans surprise, à propos de la souscription d'un contrat d'assurance-vie
.
Cette position est conforme à l'évolution d'un délit, qui n'est plus destiné à protéger la victime seulement contre une atteinte à son patrimoine mais, plus généralement, contre une atteinte à sa liberté du consentement. Il y a donc préjudice lorsque la victime a été manipulée pour consentir des actes qu'elle n'aurait pas souscrits spontanément même si ces actes ne l'appauvrissent pas immédiatement.
Si ces solutions peuvent être approuvées, on voit aussi poindre le risque que le juge pénal soit saisi par une famille jusque-là peu préoccupée par son aïeul qui s'est alors naturellement rapproché de ceux qui lui sont venus en aide à un titre quelconque. Le juge devra examiner scrupuleusement les circonstances des agissements pour décider de leur qualification et « ne [devra] pas confondre altruisme, justement récompensé, et convoitise coupable »
.
Illustrations jurisprudentielles
- Une personne âgée et intellectuellement déficiente qui, ayant acquis un appartement à l'initiative d'un démarcheur financier, a dû supporter des charges de copropriété sans parvenir à louer l'appartement qu'elle a dû finalement revendre avec une moins-value de 2 000 ? dans un marché généralement générateur de plus-value .
- Une femme âgée, malade et placée sous sauvegarde de justice qui dispose de ses biens par testament au profit d'une personne l'ayant conduite à cette disposition .
- Une femme âgée, présentant un affaiblissement croissant de ses fonctions intellectuelles et un état d'isolement qui a vendu deux immeubles en viager à un prix anormalement bas et moyennant le paiement de faibles rentes .
L'élément moral
- Volonté de l'acte et du résultat. - Conformément au principe général posé par l'article 121-3 du Code pénal, le délit suppose « l'intention de le commettre » et la jurisprudence confirme de son côté qu'en l'absence d'intention criminelle le délit ne serait pas constitué
. L'exigence de l'intention criminelle suppose classiquement que soient réunies, d'une part, la volonté et la conscience de l'acte et, d'autre part, celles du résultat de celui-ci.
S'agissant de la volonté de l'acte, elle requiert que l'auteur ait eu connaissance de la vulnérabilité de la victime, même si celle-ci n'était pas apparente. Curieusement, la chambre criminelle a décidé que l'intention « doit s'apprécier au regard de l'état de particulière vulnérabilité au moment où est accompli l'acte gravement préjudiciable à la personne »
. Si la décision a le mérite de la clarté, elle n'en est pas moins discutable dans la mesure où, négligeant la phase antérieure du processus infractionnel, elle tend à transformer une infraction généralement continue, ou du moins continuée, en une infraction instantanée et à en réduire ainsi le champ d'application
.
Quant à la volonté et la conscience du résultat, elles impliquent que l'auteur, en toute connaissance de cause, « ait voulu exploiter l'état d'ignorance ou de faiblesse de la victime »
. L'auteur doit donc chercher à obtenir l'acte ou l'abstention de la victime en abusant consciemment de la situation ou des circonstances.
Illustrations jurisprudentielles
- L'aide-ménagère, en fonction auprès d'un couple de personnes âgées, qui a obtenu du mari des sommes importantes, des avantages en nature, alors qu'elle s'était rendu compte que celui-ci ne connaissait pas la valeur de la monnaie, confondant les anciens et les nouveaux francs .
- L'aide-ménagère qui, travaillant chez la victime âgée de quatre-vingt-onze ans, avait nécessairement connaissance de la faiblesse ou de la vulnérabilité de celle-ci, en raison de son caractère apparent .
- Le prévenu qui connaissait l'état de sa victime pour l'avoir démarchée à de nombreuses reprises, créant ainsi un climat d'amitié favorable .
- La personne qui était employée dans le centre pour personnes âgées où elle avait connu la victime et où elle s'était spécialement occupée d'elle pendant ou en dehors de ses heures de travail .
- Les professionnels de la vente, attentifs à la réceptivité et à la suggestibilité de leurs clients, qui s'étaient rendu compte de l'isolement de la victime et n'avaient pu ignorer son état de vulnérabilité .
Les modalités de la répression
- Plan. - S'agissant du champ répressif du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, nous allons aborder, de façon classique, son régime juridique (A) et les peines encourues (B).
Le régime juridique
- Tentative et immunité. - Deux particularités sont à souligner s'agissant du champ répressif applicable au délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse.
D'une part, faute d'être prévue expressément par un texte (C. pén., art. 121-4, 2o), la tentative d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse n'est pas punissable. Il convient cependant d'avoir à l'esprit que la répression de la tentative est en revanche inscrite dans la loi pour d'autres infractions délictuelles voisines, telles que l'escroquerie (C. pén., art. 313-3) ou l'extorsion (C. pén., art. 312-9). Le notaire, qui n'a ni la qualité, ni la capacité, ni - peut-être - la compétence pour donner une qualification juridique à une tentative de délit, doit donc faire preuve de vigilance et appliquer les dispositions de l'article 40, alinéa 2 du Code de procédure pénale.
D'autre part, s'agissant d'un délit qui vise à garantir l'intégrité du consentement et dont on peut légitimement craindre qu'il puisse être l'?uvre des proches, il va sans dire qu'il n'existe aucune immunité familiale.
- Prescription de l'action publique. - Mettant fin au régime dérogatoire qui était le leur, la loi no 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale a décidé de soumettre toutes les infractions commises au préjudice de personnes vulnérables au régime de prescription de droit commun
. Il en résulte que le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse se prescrit au bout de « six années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise » (CPP, art. 8, al. 1er), sauf à ce qu'il soit qualifié d'infraction occulte ou dissimulée, auquel cas il est alors soumis à une prescription de douze ans, laquelle court à compter de l'acte incriminé (CPP, art. 9-1, al. 2).
- Constitution de partie civile. - L'infraction peut générer un préjudice à l'égard de la victime que l'auteur de l'abus a l'obligation de réparer
. En cas de décès de la victime, le droit d'agir en réparation se transmet à chacun de ses héritiers
. À cet égard, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que ces derniers sont recevables à agir, peu important que leur auteur n'ait pas introduit d'action à cette fin avant son décès, dès lors que le ministère public a mis en mouvement l'action publique et que la victime n'a pas renoncé à l'action civile
.
Les peines encourues
- Personnes physiques. - Les personnes physiques peuvent être frappées, à titre principal, d'un emprisonnement de trois ans et d'une amende de 375 000 ?, étant ici précisé que ces sanctions peuvent aussi être assorties d'une circonstance aggravante en présence essentiellement, pour ne pas dire uniquement, de victimes de mouvements sectaires (C. pén., art. 223-15-2, al. 2). Par ailleurs, l'article 223-15-3 du Code pénal énumère toute une série de peines complémentaires qui peuvent être prises à l'encontre de l'auteur du délit, telles que la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution ou encore l'interdiction, pour cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés. Dans les faits, les peines d'emprisonnement sont assez rares mais elles sont généralement accompagnées d'amendes et désormais plus facilement de confiscations.
Circonstances aggravantes et sphère familiale
Avec l'allongement de la durée de vie, les héritiers présomptifs se font de plus en plus pressants, n'hésitant pas, dans certains cas, à instaurer une pression psychologique sur leur parent fragile pour obtenir la signature d'un testament ou la souscription d'une assurance-vie à leur bénéfice, parfois au prix d'un chantage affectif. C'est dire que la sphère familiale n'est pas épargnée par le délit d'abus de faiblesse. Du reste, dans les faits, on constate qu'il y a autant d'abus de faiblesse commis au sein des familles que par des individus ne faisant pas partie du cercle familial. Ce constat nous conduit à nous interroger sur l'absence de circonstances aggravantes lorsque cette infraction est commise par un ascendant, un descendant ou le conjoint de la victime, auxquels il faudrait d'ailleurs ajouter le partenaire ou le concubin. Compte tenu des liens et de la confiance qui unissent l'auteur de l'infraction à sa victime, le danger se trouve ici indéniablement accentué et la malversation est d'autant plus inacceptable. Partant, il ne serait pas choquant, bien au contraire, de considérer que les peines prévues pour sanctionner ce délit soient aggravées lorsque celui-ci est perpétré par un membre de la famille proche.
- Personnes morales. - Selon l'article 223-15-4 du Code pénal, les personnes morales peuvent être condamnées non seulement au paiement d'une amende, dont le montant maximum est de 1 875 000 ? (C. pén., art. 131-38) porté à 3 750 000 ? en cas de récidive dans les dix ans (C. pén., art. 132-13), mais aussi aux peines mentionnées à l'article 131-39 du Code pénal, ce qui vise notamment la dissolution de la personne morale lorsqu'elle a été créée ou détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ou encore l'interdiction, à titre définitif ou pour cinq au plus, d'exercer directement ou indirectement l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle le délit a été commis.
Le délit d'abus de faiblesse droit de la consommation
Avant même que le droit pénal ne l'étende au bénéfice des majeurs vulnérables, le délit d'abus de faiblesse ou de l'ignorance a été appréhendé par le droit de la consommation. Créée par la loi no 72-1137 du 22 décembre 1972
, l'incrimination est régie par les articles L. 112-8 à L. 121-10 du Code de la consommation
. Comme un auteur a pu justement le souligner, deux abus de faiblesse coexistent donc aujourd'hui en droit positif, « comme une hydre à deux têtes : d'un côté, l'abus de faiblesse du Code pénal, tête que l'on pourrait qualifier d'hypertrophiée, et de l'autre l'abus de faiblesse du Code de la consommation, qui semble quelque peu atrophiée »
.
En effet, à la différence du Code pénal, l'abus de faiblesse consumériste a un champ beaucoup plus étroit. Cela tient, bien évidemment, à sa nature puisqu'elle se limite au champ des relations contractuelles précisées par la loi, mais aussi à la définition des personnes qu'elle entend protéger, dans la mesure où, excluant les mineurs et les victimes de sectes, elle ne s'intéresse qu'aux majeurs vulnérables. Ceux-ci sont définis en amont, au sein d'un texte qui définit les pratiques commerciales déloyales comme suit : « Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe » (C. consom., art. L. 121-1).
Concernant l'auteur de l'infraction, il s'agit pour ce dernier - en droit de la consommation comme en droit pénal - de dépouiller la victime, mais l'acte d'abus est ici défini différemment et plus restrictivement que là. D'une part, quant aux moyens, l'article L. 121-8 du Code de la consommation dispose que le délit consumériste ne peut exister que « lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte ». D'autre part, le même texte limite le champ de l'abus de faiblesse aux situations où la victime est amenée à « souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit ». Deux conséquences découlent de ce dernier texte. En premier lieu, c'est clairement la rupture de l'équilibre contractuel qui est ici pénalement réprimée. En second lieu, il faut bien comprendre que l'abus de faiblesse ne peut exister que dans le cadre d'un démarchage à domicile (C. consom., art. L. 121-8), ou de situations assimilées, listées aux articles L. 121-9 et L. 121-10 : démarchage par téléphone, sollicitation destinée à conduire la victime à se rendre sur un lieu de vente, réunions ou excursions organisées par l'auteur de l'infraction ou à son profit, etc. Cela étant, malgré la restriction à des situations et lieux précis, le texte est suffisamment détaillé pour s'appliquer à tous les cas où le consommateur subit pressions, harcèlement ou man?uvres frauduleuses destinées à le tromper, qu'il soit chez lui (abus à domicile) ou entraîné vers l'extérieur (appels téléphoniques, courriers, excursions, lieux non destinés à la commercialisation, etc.)
.
Les deux délits possèdent donc une dénomination identique - ou presque -, mais leurs champs d'application, les victimes qu'ils protègent comme les éléments constitutifs qui les composent présentent de sérieuses dissemblances. Finalement, le seul point réellement commun entre eux réside dans les peines encourues. Autrefois très différentes, elles sont désormais
- de manière identique dans les deux codes - de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 ? d'amende (C. pén., art. 223-15-2 et C. consom., art. L. 132-14, al. 1er). Et encore cette similitude est-elle relative dans la mesure où le texte consumériste prévoit une majoration possible de l'amende (C. consom., art. L. 132-14, al. 2). Cette spécificité justifie qu'en cas de cumul, toujours possible, entre l'infraction de droit pénal et celle tirée du droit de la consommation
, c'est cette dernière qui serait retenue, car en cas de concours idéal d'infractions la jurisprudence retient la qualification la plus élevée, c'est-à-dire celle qui prévoit la peine la plus sévère.
La vulnérabilité envisagée comme circonstance aggravante
- Abus de confiance. - Le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse des articles 223-15-2 et suivants du Code pénal n'est pas exclusif d'autres infractions délictuelles, à commencer par celle d'abus de confiance que développent et répriment les articles 314-1 à 314-4 du même code. L'abus de confiance est « le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé » (C. pén., art. 314-1, al. 1er). L'abus de confiance est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 ? d'amende (C. pén., art. 314-1, al. 2).
Le délit d'abus de confiance connaît une circonstance aggravante particulière liée à la vulnérabilité. C'est l'article 314-2, 4o du Code pénal qui incrimine l'abus de confiance réalisé « au préjudice d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ». Il faut relever que cette circonstance aggravante propre à la vulnérabilité fait plus que doubler la peine d'emprisonnement qui passe de trois à sept ans et multiplie simplement par deux la peine d'amende encourue : de 375 000 ? on passe à 750 000 ?.
- Délit d'escroquerie. - Le délit d'escroquerie est visé aux articles 313-1 à 313-3 du Code pénal. L'escroquerie est « le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de man?uvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » (C. pén., art. 313-1, al. 1er). L'escroquerie est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 ? d'amende (C. pén., art. 313-1, al. 2).
À l'instar de l'abus de confiance, le délit d'escroquerie connaît aussi une circonstance aggravante particulière liée à la situation de vulnérabilité de la victime. L'article 313-2, 4o du Code pénal incrimine l'escroquerie qui est réalisée « au préjudice d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ». Ici encore les peines sont aggravées de plus du double (emprisonnement) ou seulement du double (amende).
- Délit d'extorsion. - Enfin, sans prétendre à l'exhaustivité, ajoutons pour terminer le délit d'extorsion développé au sein des articles 312-1 à 312-9 du Code pénal. L'extorsion est « le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque » (C. pén., art. 312-1, al. 1er). L'extorsion est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 ? d'amende (C. pén., art. 312-1, al. 2).
Les éléments constitutifs de ce délit d'extorsion sont évidemment très proches de ceux des délits précédents sans jamais se confondre avec eux. Ici aussi, l'extorsion « commise au préjudice d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur » (C. pén., art. 312-2, 2o) est une circonstance aggravante qui augmente - mais légèrement - les sanctions encourues.