Les directives anticipées de fin de vie

Les directives anticipées de fin de vie

- Rédaction des directives anticipées. - S'agissant toujours de la gestion de la personne, la loi no 2005-370 du 22 avril 2005 a créé une nouvelle forme de manifestation de volonté de prévoyance, en introduisant dans le Code de la santé publique la procédure des directives anticipées. Ainsi : « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'actes médicaux » (C. santé publ., art. L. 1111-11). La rédaction de telles directives permet au médecin et aux proches de connaître les volontés de la personne concernée, à un moment où elle ne pourra plus les exprimer.
Ces directives doivent être envisagées par la personne concernée principalement avec l'aide de son médecin traitant, ou avec d'autres professionnels de santé, qui peuvent ainsi éclairer son choix, en l'aidant à envisager les diverses situations qui peuvent se présenter en fin de vie et en lui expliquant les traitements possibles, leur efficacité, leurs limites ou leurs désagréments. Bien évidemment, les personnes désignées par ses soins, et qui ont toute sa confiance, comme le mandataire de protection future ou la personne de confiance, peuvent également la conseiller dans la rédaction de ses directives.
Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle, dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Haute Autorité de santé, aussi bien par des personnes en fin de vie ou ayant une maladie grave que, de manière réellement anticipée, par des personnes en bonne santé ou n'ayant pas de maladie grave .
- Portée des directives anticipées. - Les directives anticipées sont révisables et révocables à tout moment et par tout moyen (C. santé publ., art. L. 1111-11, al. 2), ce qui les rend peu propices à une insertion au sein d'un mandat de protection future. Elles peuvent cependant y être annexées, ce qui préserve leur caractère révocable tout en favorisant à la fois leur diffusion et leur conservation . Envisagées en dehors d'un tel mandat, ces directives doivent bien évidemment être respectées par le mandataire.
Depuis la loi no 2016-87 du 2 février 2016, elles « s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsqu'[elles] apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (C. santé publ., art. L. 1111-11, al. 3). Le refus du médecin d'appliquer les directives anticipées ne peut être discrétionnaire et doit résulter d'une procédure collégiale, définie par voie réglementaire. Le décret no 2016-1067 du 3 août 2016 est venu définir les conditions d'information des patients et les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées (C. santé publ., art. R. 1111-17 et s.).
- Conservation des directives anticipées. - Si un « dossier médical partagé » a été créé au nom de la personne concernée, il est recommandé d'y faire enregistrer les directives anticipées, car elles seront ainsi aisément consultables en cas de besoin. En l'absence d'un « dossier médical partagé », ces directives anticipées peuvent être confiées au médecin traitant, à l'hôpital en cas d'hospitalisation pour une maladie grave ou à l'établissement concerné en cas d'admission dans un établissement pour personnes âgées. Lorsqu'elles ont été rédigées à l'avance, elles peuvent être confiées au médecin traitant, au mandataire de protection future ou à la « personne de confiance », voire à un membre de la famille ou à un proche. Le tout étant de s'assurer de leur conservation. Dans cette optique, il est loisible d'imaginer leur dépôt chez un notaire.
- Rôle du notaire. - À l'évidence, envisager à l'avance la fin de vie est difficile, voire angoissant. Mais il est important d'y réfléchir. De prime abord, cette préoccupation paraît éloignée de la pratique notariale quotidienne. En réalité, la question de la fin de vie n'est pas totalement absente de nos études : elle apparaît parfois au détour de la rédaction d'un testament, de la régularisation d'une donation familiale ou d'un changement de régime matrimonial. Elle est nécessairement présente lors de la prévoyance d'un mandat de protection future. Alors certes, le notaire n'a pas la compétence médicale pour apprécier ou, encore moins, pour dicter une directive anticipée, mais il doit cependant, dans le cadre de son devoir de conseil, porter à la connaissance de son client la faculté qui lui est donnée d'exprimer ses volontés par écrit sur les décisions médicales à prendre lorsqu'il sera en fin de vie, sur les traitements ou actes médicaux qui seront ou ne seront pas engagés, limités ou arrêtés.

Une piste à explorer et à développer

L'usage des directives anticipées de fin de vie reste très faible puisque 2 % à 3 % seulement de la population en rédigent . Et pourtant, promouvoir ces directives pour toute personne vieillissante apparaît comme une nécessité sanitaire importante, compte tenu du constat, très largement partagé, des mauvaises conditions, notamment relationnelles, dans lesquelles se déroulent les derniers instants de la vie, le plus souvent hors de chez soi et dans un établissement de soins médicaux. La piste des directives anticipées relatives aux soins de santé mériterait également d'être explorée au-delà du domaine de la fin de vie . En effet, ces directives pourraient être utiles à des personnes en situation de handicap qui ne seraient pas à même de communiquer leur volonté dans une situation d'urgence mais qui, au préalable, et éventuellement avec un accompagnement adapté, seraient en mesure de faire un certain nombre de choix.
- Conclusion sur les mesures volontaires d'anticipation. - La pratique témoigne de ce que l'utilisation concrète de mesures volontaires d'anticipation, heureuses alternatives à l'intervention tardive du juge, demeure marginale. Il est vrai qu'anticiper sa perte éventuelle de capacité n'est pas encore devenu un réflexe chez nos concitoyens. Et pourtant, à l'évidence, de la même façon que rédiger un testament ne fait pas mourir, l'établissement d'une telle mesure d'anticipation ne rend pas vulnérable ! Au-delà, il semble bien que la relative confidentialité de ces mesures soit également liée non seulement à leur méconnaissance par le public et les professionnels de tous les champs, mais aussi à l'absence de publicité, qui entrave grandement leur sécurité.
D'une part, il convient donc de divulguer l'information. Chacun s'accorde sur la nécessité de sensibiliser davantage les citoyens aux avantages de l'anticipation sur les risques de vulnérabilité et de pertes de droits liés au vieillissement . À cette fin, il apparaît essentiel que les professionnels (notaires, mais aussi avocats, Unaf, Udaf, etc.) se mobilisent pour mieux informer le public de l'existence et des vertus de ces dispositifs, en particulier du mandat de protection future. Il s'agirait d'un moyen de les aborder plus sereinement, tant pour les personnes concernées que pour leurs proches. Concrètement, le récent rapport sur les droits fondamentaux des majeurs protégés propose de développer de nouveaux canaux d'informations, notamment en s'appuyant sur des lieux ciblés (CAF, Ehpad, hôpitaux, MDPH, etc.) ou lors de moments clés . Parce qu'il est très souvent le témoin privilégié des vicissitudes, heureuses et douloureuses, qui jalonnent l'existence de ses clients, le notaire a un rôle capital d'information, de conseil et d'orientation à jouer en la matière. Au détour d'une donation au dernier vivant, d'un changement de régime matrimonial ou d'une succession, le notaire doit communiquer pour faire connaître les normes anticipatives mises en place par les pouvoirs publics. Au-delà, lorsqu'il est consulté par ses clients qui l'interrogent sur la façon de procéder en prévision d'une volonté défaillante, le notaire doit avoir en tête la diversité des choix possibles d'anticipation de la vulnérabilité. Parce qu'une telle démarche est indéniablement difficile en ce qu'elle nécessite chez le client de surpasser une réticence psychologique à envisager son affaiblissement et sa perte d'autonomie, le notaire doit évidemment se montrer tout à la fois très pédagogique, empathique et particulièrement humain dans son approche. Il doit aussi faire preuve de clairvoyance en sondant la personne prévoyante sur ses intentions et sur les moyens les plus adaptés pour résoudre son souci de pallier son éventuelle incapacité. De la pertinence du conseil et de la fidélité du notaire aux souhaits de son client, la mesure préventive de protection adéquate dépendra .
D'autre part, la montée en puissance de ces mesures anticipatives est indissociable de la mise en place d'une véritable publicité, déjà envisagée, et longuement développée pour le mandat de protection future . Celui-ci n'est cependant pas le seul concerné. On se souvient, en effet, que le groupe de travail conduit par Mme Caron-Déglise a proposé la création d'un répertoire civil unique national et dématérialisé assurant la publicité de toutes les mesures de protection judiciaire et des dispositions anticipées (mandat de protection future mais aussi directives anticipées et désignation d'une personne de confiance), accessible aux juridictions, aux notaires, aux avocats . À vrai dire, tous les acteurs de la dépendance appellent de leurs v?ux la création d'un tel registre, qui pourrait toutefois être scindé en deux entrées. L'une concernant les mesures juridiques, généralement formalisées par le biais d'un acte authentique, à savoir le mandat de protection future et la désignation anticipée du tuteur ou du curateur, et qui pourrait de ce fait être confiée au notariat, et l'autre relative aux mesures d'anticipation dans le domaine de la santé, qui relèverait de la compétence des pouvoirs publics. S'agissant de ces dernières, et parce que l'on touche là à la sphère intime, il s'agira d'être particulièrement vigilant sur la protection des données personnelles des majeurs concernés et donc de définir précisément les catégories de personnes susceptibles d'y avoir accès .
- Alternatives spécifiques aux mesures volontaires d'anticipation. - On ne saurait achever ces développements sur les mesures d'anticipation de la vulnérabilité des majeurs sans évoquer deux procédés spécifiques, au champ d'expression plus restreint, mais qui peuvent paradoxalement avoir une visée plus large : destinés principalement à anticiper des difficultés de gestion liées une perte d'autonomie, ils peuvent aussi être utilisés afin de dégager des revenus pour financer une éventuelle dépendance. Ces deux procédés sont la société civile et la fiducie.
- La société civile, technique de gestion anticipée du patrimoine de la personne vulnérable. - À l'évidence, la société, grâce à l'écran de la personnalité morale, peut représenter un outil de gestion à la fois souple et pérenne dans l'optique d'une anticipation d'une éventuelle vulnérabilité.
Sans s'étendre sur cette forme de détention du patrimoine, qui a fait l'objet de nombreux développements, notamment dans le cadre des 102e et 113e Congrès des notaires de France , qu'il convienne ici simplement de rappeler que lorsqu'une personne est titulaire de droits sociaux, sa vulnérabilité peut être anticipée par la rédaction ab initio de statuts adaptés. Selon les circonstances, il s'agira parfois, par le biais de ses mesures d'anticipation, de permettre la surveillance des autres associés, ou, le plus souvent, bien au contraire, de pouvoir leur assurer une autonomie en dépit de la vulnérabilité avérée frappant l'un d'entre eux . Des statuts rédigés sur mesure permettront au gérant d'assumer pleinement et librement ses fonctions, quel que soit l'état des personnes associées, sans avoir à en référer ni aux associés, ni au mandataire du majeur protégé, ni au juge des tutelles . À titre d'illustrations, les statuts peuvent ainsi prévoir :
  • des clauses d'agrément, en cas de cession de parts, draconiennes ;
  • une faculté de retrait assouplie au bénéfice de la personne protégée ;
  • l'aménagement de manière inégalitaire de la répartition des profits et des pertes en faveur de la personne protégée : limiter sa responsabilité financière à son apport personnel et augmenter sa part dans la distribution des profits de la SCI ;
  • des pouvoirs étendus au profit du gérant et (donc) un objet social strictement défini ;
  • mais aussi des cas de révocation du gérant si une mauvaise gestion porte atteinte aux intérêts de la personne protégée ;
  • une modulation des règles de majorité afin d'éviter, dans la plupart des cas, l'intervention de la personne protégée et de son représentant.
Si la société civile permet, au travers de ses statuts, de concentrer les pouvoirs de gestion dans les mains d'un gérant pour cantonner l'associé que l'on souhaite protéger à un rôle très passif, elle permet également de maintenir des ressources au profit de l'associé à protéger, voire de lui constituer un patrimoine. Il suffit, dans cette optique, de convenir que l'associé vulnérable, « incapable » ou non, disposera de tout ou partie des revenus procurés par les biens dont la société est propriétaire, tandis que l'associé gérant disposera de pouvoirs de gestion à la fois étendus et contrôlés.
La société civile a toutefois pour inconvénient, il convient de l'avoir à l'esprit, la responsabilité indéfinie des associés. Il existe cependant un palliatif à cette règle. Il faut, afin de réduire les risques encourus, moduler dans les statuts la contribution aux pertes de la personne vulnérable. Cette clause ne sera cependant pas opposable aux tiers.
- L'utilisation aux fins d'anticipation d'une technique de gestion patrimoniale : la fiducie. - Redoutée par les uns, adoubée par les autres, la fiducie, introduite en droit français par la loi du 19 février 2007 (C. civ., art. 2011 à 2030), répond au souci d'assurer, à la faveur d'un transfert de propriété dans un patrimoine fiduciaire, la gestion dynamique d'un patrimoine . D'une application aujourd'hui encore relativement confidentielle, la fiducie est un outil assez proche de la société civile, dont la gestion aurait été déléguée de manière assez large à un gérant. Elle constitue ainsi une autre alternative de gestion non négligeable au service des personnes vulnérables.
Dans cette perspective, le principal frein à son recours réside dans l'impossibilité faite au tuteur de « transférer dans un patrimoine fiduciaire les biens ou droits d'un majeur protégé » même avec l'autorisation du juge (C. civ., art. 509). On se souvient que le rapport Caron-Déglise a proposé de supprimer cette interdiction légale, afin de permettre la constitution d'une fiducie lorsque le majeur est antérieurement placé sous une mesure de tutelle, aux motifs qu'une « telle opportunité serait aujourd'hui particulièrement souhaitable dans un monde où l'assistance des personnes âgées et la protection de leur patrimoine vont être de plus en plus importantes » . Au-delà, parce qu'il arrive que la nature de certains biens et les exigences de leur gestion s'accordent mal avec les régimes juridiques de protection des personnes vulnérables, on sait que le Conseil supérieur du notariat a appelé de ses v?ux, d'une manière plus générale, la constitution d'une fiducie-protection qui pourrait être un régime de protection spécifique ou utilisé en complément d'une mesure de protection judiciaire ou conventionnelle. En attendant que cette proposition, qui a également été relayée par le rapport Caron-Déglise , sensibilise les pouvoirs publics, nul doute que la fiducie peut aujourd'hui être constituée en amont, dans une optique d'anticipation d'une éventuelle vulnérabilité.
Sur le principe, la fiducie peut être un outil particulièrement pertinent pour répondre à des préoccupations d'anticipation, en ce qu'elle permet de confier une mission de gestion librement définie par le constituant à un professionnel, lequel peut s'entourer de la compétence d'autres professionnels si besoin. Ce mécanisme innovant peut notamment être utilisé par le dirigeant d'entreprise soucieux de mettre en place des solutions de prévoyance destinées à assurer la pérennité de son entreprise en cas de survenance d'un accident de la vie. La fiducie peut également être un moyen de mettre le patrimoine d'une personne vulnérable, qui serait prodigue, à l'abri de créanciers peu scrupuleux. Outre qu'elle peut permettre une gestion souple des biens du constituant et une grande sécurité d'emploi, la fiducie peut aussi être utilisée comme un moyen de financement de la vulnérabilité. Il suffit, à cette fin, de prévoir dans le contrat que les revenus du patrimoine fiduciaire seront affectés, par exemple, au règlement des frais d'hébergement du constituant dans une maison de retraite ou dans un établissement médicalisé.
Et pourtant, en dépit de ses atouts certains, si la fiducie peut constituer un outil d'anticipation supplémentaire, il est difficile d'imaginer qu'elle puisse devenir un outil de masse à court ou moyen terme. Plusieurs raisons justifient ce scepticisme.
D'une part, la fiducie présente des inconvénients intrinsèques. La technique est lourde à mettre en ?uvre en raison du choix du fiduciaire, de la détermination de ses pouvoirs ou encore de l'audit de patrimoine qu'elle suppose. En outre, en l'état actuel des textes, si la résidence principale ou secondaire de la personne protégée est intégrée dans le patrimoine affecté, il serait fait obstacle aux dispositions protectrices de l'article 426 du Code civil sur la disposition du logement de la personne vulnérable. Par ailleurs, la fiducie ne vise que la gestion d'un patrimoine (et uniquement des biens transférés dans le patrimoine fiduciaire) et non la protection de la personne . Enfin, la fiducie peine à s'harmoniser avec le principe de personnalité des charges tutélaires, selon lequel il est interdit au mandataire de se décharger de l'exercice de son mandat au profit d'un tiers, dans la mesure où le fiduciaire peut se voir attribuer des pouvoirs très étendus sur le patrimoine de la personne protégée et notamment celui d'accomplir de son propre chef non pas seulement des actes d'administration, mais encore des actes de disposition.
D'autre part et surtout, le procédé impliquant le recours à un fiduciaire et la constitution d'un patrimoine d'affectation doté d'une comptabilité propre, son utilisation ne peut concerner, à l'évidence, que des ensembles de biens qui sont suffisamment importants pour justifier le recours à une telle technique, laquelle implique la rémunération d'un fiduciaire gestionnaire sur lequel pèse une lourde responsabilité professionnelle et qui doit donc s'assurer pour cela. De fait, ainsi que l'a souligné le rapport Caron-Déglise, après avoir auditionné M. le Professeur Crocq à ce sujet , l'utilisation de la fiducie en tant que technique de protection d'un grand nombre de personnes protégées ne semble a priori pouvoir être envisagée que dans l'hypothèse où le fiduciaire serait une institution publique à même d'assurer une telle charge, et ce sans coût en soi exorbitant pour les personnes vulnérables concernées.
En somme, la fiducie constitue, en l'état, un procédé dont le recours, compte tenu de sa technicité et de son coût, semble réservé à la gestion des patrimoines complexes ou importants. En sus, lorsqu'elle est mise en place aux fins de prévenir une éventuelle vulnérabilité, la fiducie suppose des précautions accrues, notamment dans le choix et le périmètre des pouvoirs du fiduciaire. Au-delà, il est indispensable de sécuriser le mécanisme et de prévoir des contrôles renforcés pour le jour éventuel où la vulnérabilité du constituant sera avérée .