L'enfant majeur protégé et le mineur sous tutelle

L'enfant majeur protégé et le mineur sous tutelle

- Position du problème. - La loi no 2006-728 du 23 juin 2006 modifiant la procédure applicable au changement de régime matrimonial n'avait nullement pris en compte la possible présence d'enfants majeurs protégés. C'est ainsi notamment que dans l'hypothèse d'une tutelle, une controverse s'était fait jour pour savoir si le fait pour le tuteur de ne pas faire opposition devait être analysé comme une renonciation à un droit et nécessitait de ce fait une autorisation préalable du juge des tutelles .
L'hypothèse de l'enfant mineur sous tutelle ne posait quant à elle pas de difficulté puisque du fait de la minorité de l'enfant, une homologation était nécessaire.
Afin, semble-t-il, de résoudre ces difficultés, l'alinéa 2 de l'article 1397 du Code civil a été modifié par la loi du 23 mars 2019. Il dispose : « En cas d'enfant mineur sous tutelle ou d'enfant majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique, l'information est délivrée à son représentant, qui agit sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles ».
La référence à un représentant implique un mécanisme de représentation de la personne protégée ; or, il est plusieurs régimes de protection où il n'existe pas de représentation. La rédaction est donc défaillante et ne manquera pas de soulever concrètement des difficultés à l'occasion de son application . Distinguons les différents régimes de protection envisageables et proposons des solutions pratiques.
- Tutelle. - La notification sera adressée par le notaire au tuteur. Ce dernier décidera s'il estime nécessaire de former une opposition pour préserver les intérêts du tutélaire. Le tuteur agira seul sans avoir à solliciter préalablement une autorisation du juge des tutelles. S'agissant de la tutelle des mineurs, à défaut de précisions du texte, la procédure est applicable quelle que soit la nature de la tutelle mise en place : familiale (C. civ., art. 390 et s.), départementale (C. civ., art. 411 civil) ou étatique (C. action soc. et fam., art. L. 224-4, 4o et L. 380, al. 1er).
- Curatelle. - La difficulté est prégnante dans la mesure où la curatelle se caractérise par une assistance et non pas une représentation. Il n'existe ainsi pas de « représentant ». Sans doute faut-il écarter la possibilité de notifier au curateur seul, ce dernier n'étant nullement investi d'un pouvoir de représentation. Suscite la même réserve la proposition qui consisterait à notifier au curatélaire uniquement, le laissant seul face à la décision à prendre. Il serait certainement préférable de procéder à une double notification, tant au curateur qu'au curatélaire afin de permettre à ces deux protagonistes de réfléchir ensemble quant à la pertinence de former une opposition . En revanche, l'éventuelle opposition devrait être formée par le curatélaire seul, s'agissant d'un simple acte d'administration (C. civ., art. 467, al. 1) .
- Sauvegarde de justice. - Le majeur placé sous sauvegarde de justice conserve l'exercice de ses droits (C. civ., art. 435, al. 1 in limine). La notification lui sera alors logiquement adressée et il décidera seul de former ou non une opposition . Il n'en irait autrement que dans l'hypothèse où un mandataire spécial aurait été désigné aux fins de recevoir la notification et d'exercer éventuelle opposition (C. civ., art. 435, al. 1 in fine), ce qui peut sembler assez théorique.
- Habilitations familiales. - On sait qu'il existe plusieurs sortes d'habilitation familiale : générale ou spéciale et, quand elle est générale, sous le régime de la représentation ou de l'assistance. Reprenons ces différentes hypothèses :
  • Habilitation familiale générale avec représentationSous ce régime, la personne habilitée a le pouvoir de réaliser, dans le domaine patrimonial, l'ensemble des actes que le tuteur a le pouvoir d'accomplir, seul ou avec une autorisation, sur les biens de la personne protégée (C. civ., art. 494-6, al. 3 et 1 combinés). Il s'agit d'un régime de représentation. La notification devra alors être adressée à la personne habilitée qui décidera, seule, de former ou non une opposition .
  • Habilitation familiale générale avec mécanisme de l'assistanceLa situation est similaire à celle rencontrée sous le régime de la curatelle (C. civ., art. 494-1, al. 1). Ainsi, par analogie avec ce qui a été exposé ci-avant sous le régime de la curatelle, une double notification devrait être faite, tant au majeur protégé qu'à la personne habilitée. Les deux décideront ensemble de l'opportunité de former opposition. Corrélativement, en cas d'opposition, la personne protégée l'exercera seule.
  • Habilitation familiale spécialeSous ce régime, la personne habilitée peut accomplir uniquement un ou plusieurs actes déterminés que le tuteur a le pouvoir de réaliser, seul ou avec une autorisation du juge des tutelles. Pour les actes non visés dans le jugement d'habilitation, la personne protégée conserve l'exercice de ses droits (C. civ., art. 494, al. 1 et 494-8, al. 1 combinés).
C'est ainsi qu'aussi longtemps que le jugement d'habilitation n'a pas conféré à la personne habilitée le pouvoir de recevoir la notification et de s'opposer, le cas échéant, au changement de régime matrimonial, la notification doit être envoyée à la personne protégée qui décide seule de l'opportunité de former une opposition (V. supra, A ).
- Mandat de protection future. - L'application du texte au mandat de protection future est difficile. Deux éléments contradictoires s'opposent :
Dans le cadre d'une telle protection, un régime de représentation est mis en place (C. civ., art. 477, al. 1). Pour autant, la mesure n'est pas incapacitante et le mandant conserve le pouvoir d'accomplir les actes entrant dans la sphère de compétence du mandataire (C. civ., art. 488).
Il n'apparaît pas nécessaire de distinguer selon que le mandat est notarié ou sous seing privé. En toute hypothèse, le fait de former une opposition ou de ne pas le faire est un simple acte d'administration. En d'autres termes, c'est un acte pour lequel une autorisation préalable du juge est inutile. Deux hypothèses doivent alors être distinguées :
  • soit le mandant est apte à comprendre la portée de la notification qui lui est adressée. Dans cette hypothèse, il lui appartient d'exercer seul une éventuelle opposition ;
  • soit, au contraire, le mandant est inapte. C'est alors au mandataire que la notification doit être adressée, ce dernier décidant seul de former ou non opposition .
- Opposition d'intérêts. - Il est possible que le protecteur de l'enfant vulnérable soit l'époux désireux de changer de régime matrimonial. En ce cas, il existe une opposition d'intérêts. Les solutions jusque-là exposées devront alors être adaptées pour tenir compte de ces circonstances particulières. Exposons les différentes hypothèses envisageables :
  • tutelle et curatelle : l'opposition d'intérêts rend nécessaire l'intervention du subrogé tuteur ou du subrogé curateur (C. civ., art. 454, al. 5). En l'absence d'un tel organe, il sera nécessaire de solliciter du juge la désignation d'un protecteur ad hoc (C. civ., art. 455) ;
  • habilitation familiale : le protecteur doit adresser au juge des tutelles une requête à l'effet d'être autorisé à passer l'acte nonobstant l'opposition d'intérêts (C. civ., art. 494-6, al. 4) ;
  • mandat de protection future : il faut déplorer que le législateur n'ait pris aucune disposition particulière pour régler la difficulté d'une opposition d'intérêts dans ce régime de protection. Cela étant, l'article 484 du Code civil dispose : « Tout intéressé peut saisir le juge des tutelles aux fins de contester la mise en œuvre du mandat ou de voir statuer sur les conditions et modalités de son exécution ». Sur le fondement de ce texte, il semble possible de saisir le juge des tutelles afin de lui faire part de l'opposition d'intérêts et solliciter la désignation d'un protecteur ad hoc .