L'administration par un tiers

L'administration par un tiers

- Le choix de l'administrateur. - Le disposant choisit librement l'administrateur . Il n'existe pas de restriction à ce sujet. Il peut s'agir d'un membre de la famille, d'un ami, d'un professionnel, voire du disposant lui-même dans le cas d'une donation entre vifs. Les seules interdictions sont celles énoncées aux articles 395 et 396 du Code civil relatives aux incapacités d'exercer des charges tutélaires, à l'inaptitude et au conflit d'intérêts.
Le choix de l'administrateur s'exerce librement et il ne peut y avoir de contrôle du juge sur son opportunité. Le troisième alinéa de l'article 384 du Code civil dispose que : « Lorsque le tiers administrateur refuse cette fonction ou se trouve dans une des situations prévues aux articles 395 et 396, le juge des tutelles désigne un administrateur ad hoc pour le remplacer ». Notamment pour cette raison, il est recommandé de désigner un, voire deux autres administrateurs qui pourraient suppléer l'administrateur de premier rang en cas de décès, d'incapacité ou de refus de ce dernier.
Le choix de l'administrateur doit être guidé par l'intérêt du mineur. Si le bien transmis nécessite des compétences techniques spécifiques, la désignation d'un tiers plus qualifié que l'administrateur légal peut être parfaitement justifiée. En pratique cependant, la plupart des désignations d'administrateur sont motivées par la défiance et le ressentiment du disposant à l'égard du ou des administrateurs légaux de l'enfant. Cela se vérifie surtout dans les situations familiales complexes, notamment après une séparation.
Soulignons qu'il existe une controverse doctrinale sur la possibilité de désigner tiers administrateur l'administrateur légal lui-même. Cette question se pose surtout lorsque l'administrateur légal envisage de consentir une donation à son enfant et de se désigner lui-même tiers administrateur investi de pouvoirs plus étendus. Certains auteurs, se fondant sur l'esprit libéral de l'article 384 du Code civil et de manière générale sur l'esprit tout aussi libéral des récentes réformes, notamment de l'ordonnance du 15 octobre 2015, ne voient aucun obstacle à cette possibilité qu'ils valident sans réserve . Nous émettons un doute, car deux arguments de fond modèrent cet esprit libéral. D'une part, si l'article 384 n'interdit pas cette désignation de l'administrateur légal, il ne l'autorise pas non plus ; il prévoit uniquement la désignation d'un tiers. L'administrateur légal peut-il être tiers à lui-même ? Si les mots ont un sens, un tiers désigne une personne extérieure, quelqu'un d'autre. Le Code civil n'a pas consacré la trinité. D'autre part, le Cridon de Paris ne reconnaît pas cette possibilité, car cette nomination aboutit, en général, à conférer à l'administrateur plus de pouvoir que la loi ne lui en offre dans le cadre de l'administration légale. Pour autant, l'accroissement de pouvoir ainsi constaté porte sur un bien dont l'administrateur se dépossède au bénéfice de son enfant : en tant que donateur, il nous semble pouvoir demeurer libre d'aménager les conditions de cette transmission sans qu'il soit possible de lui refuser le bénéfice d'une nomination au titre de l'article 384 , et cette question demeurera en suspens tant qu'elle n'aura pas été tranchée par la jurisprudence.
- L'objet de l'administration. - Le tiers administrateur gère les biens objet de la libéralité. S'il s'agit d'une donation entre vifs ou d'un legs particulier, l'administration portera sur le ou les biens identifiés aux termes de l'acte de donation ou du testament. S'il s'agit d'un legs universel, l'administrateur gérera tous les biens transmis au mineur.
L'acte constitutif de la libéralité peut utilement prévoir que la clause d'exclusion de l'administration légale portera également sur les biens qui pourraient être subrogés aux biens transmis par suite d'acte de disposition suivi d'un remploi.
- Les pouvoirs de l'administrateur. - Le libéralisme du régime juridique de la clause d'exclusion de l'administration légale se manifeste également quant à l'étendue des pouvoirs de l'administrateur . Le deuxième alinéa de l'article 384 du Code civil dispose que : « Le tiers administrateur a les pouvoirs qui lui sont conférés par la donation, le testament ou, à défaut, ceux d'un administrateur légal ». L'étendue des pouvoirs du tiers administrateur résulte de la volonté du disposant et elle doit être déterminée aux termes de l'acte. Les remarques formulées pour les pouvoirs du mandataire posthume ou de protection future peuvent être reprises ici. Si les pouvoirs de l'administrateur sont trop restreints, sa gestion sera inefficace car il sera contraint de requérir en permanence une autorisation. À l'inverse, s'ils sont trop larges, le risque est alors l'abus de pouvoir, voire son détournement. C'est pourquoi certaines précautions s'imposent.
Les pouvoirs du tiers administrateur peuvent d'abord être plus restreints que ceux de l'administrateur légal. Le disposant peut, par exemple, souhaiter que le tiers administrateur ne puisse réaliser sans contrôle certains actes de disposition qu'un administrateur légal peut réaliser librement, sans autorisation judiciaire. Si tel est le souhait du disposant, le rédacteur doit être vigilant sur un point, car il n'est pas possible de soumettre à l'autorisation du juge des tutelles l'accomplissement d'un acte si ce n'est pas prévu par la loi. La compétence de ce magistrat ne peut résulter d'une volonté individuelle, mais de la loi. Dans ce cas, il conviendra de désigner un coadministrateur ou un contrôleur chargé d'autoriser la réalisation de l'acte.
Les pouvoirs du tiers administrateur peuvent également être plus étendus. Malgré quelques réticences , la doctrine majoritaire valide la possibilité de conférer à cet administrateur tous pouvoirs incluant la réalisation d'actes de conservation, d'administration et de disposition . Il est ainsi possible de conférer à cet administrateur tous pouvoirs sur les biens donnés ou légués : vendre, conclure tous baux, y compris à long terme ou conférant un droit au renouvellement au preneur, affecter en garantie? Il semble également possible d'investir l'administrateur du pouvoir d'incorporer le bien donné à un partage. Ce tiers administrateur est alors investi des pouvoirs les plus étendus et il est donc opportun, selon la situation familiale et patrimoniale, de désigner plusieurs administrateurs chargés d'autoriser collégialement les actes les plus importants, voire de prévoir des organes de contrôle.
Il convient cependant de rappeler une limite importante aux pouvoirs du tiers administrateur. Ils ne peuvent porter que sur les biens objet de la libéralité ; ce critère délimite les champs d'intervention respectifs entre le tiers administrateur et l'administrateur légal et doit régler les conflits de compétence entre ces deux administrateurs.
Nous pouvons illustrer cette remarque générale par la question des garanties d'actif et de passif consenties par le cédant lors d'une cession de contrôle de titres de société. L'administrateur, investi aux termes du testament ou de la donation du pouvoir de vendre les titres, peut-il consentir une telle garantie d'actif et de passif ? Une doctrine avance l'idée qu'« il doit être admis que le pouvoir de disposer conféré au tiers administrateur recouvre celui de signer une GAP et consentir ces garanties, qui en sont l'accessoire » . L'esprit libéral qui anime cette doctrine nous semble aller trop loin dans la délimitation des pouvoirs conférés à l'administrateur, ce qui peut faire courir des risques insensés au mineur. Si ces garanties d'actif et de passif sont usuelles en matière de cession de contrôle, elles ne constituent pas des charges et conditions légales ordinaires de vente. Elles contiennent d'abord une litanie de déclarations sur le patrimoine de la société alors que la transmission au profit du mineur n'a porté que sur des titres sociaux. Elles consacrent ensuite des engagements contractuels de garantie qui excèdent largement les obligations dues par un vendeur. Ainsi, selon leur rédaction, ces garanties peuvent bénéficier au cessionnaire ainsi qu'à tout autre propriétaire ultérieur des titres. Elles peuvent également être contractées pour indemniser non pas le cessionnaire mais la société dont les titres sont cédés, soit un tiers au contrat de vente. Dans ces hypothèses, ces engagements créent une chaîne de solidarité, voire un engagement de payer la dette d'un tiers. Ces actes, qui engagent le patrimoine personnel du mineur, excèdent les pouvoirs exercés sur le bien transmis. Il ne nous semble pas permis d'affirmer, par principe, que le tiers administrateur, investi du pouvoir de céder des titres sociaux, soit habilité à conclure au nom du mineur une garantie d'actif et de passif. Si cette convention se limite à aménager et préciser les obligations dues par un vendeur, l'administrateur, investi du pouvoir de céder les titres, se trouve habilité à la conclure. Cependant, si cette convention contient des engagements personnels qui excèdent les obligations d'un vendeur, elle nous semble excéder les pouvoirs d'un administrateur dont les prérogatives sont légalement limitées au bien donné ou légué.