La protection du mineur héritier

La protection du mineur héritier

L'inventaire

- L'intérêt d'établir un inventaire. - L'inventaire permet d'établir la composition active et passive du patrimoine du mineur. Il doit contenir la description et l'évaluation des immeubles, des meubles meublants, des biens mobiliers, la désignation des espèces en numéraire et un état des comptes bancaires, des placements et des autres valeurs mobilières. En matière de tutelle, la loi impose qu'il soit actualisé au cours de la mesure. Même lorsqu'il n'est pas obligatoire, il est fortement recommandé d'établir un inventaire lorsqu'une succession échoit à un mineur. Cette preuve préconstituée de l'état du patrimoine du mineur présente un intérêt pour ce dernier, mais également pour son représentant.
- La protection du mineur. - Cet acte revêt une importance cardinale dans la mise en ?uvre de la protection des mineurs. Il constitue le point de départ de la gestion de son patrimoine par l'administrateur ou le tuteur. Il permet au juge ou au conseil de famille de vérifier la pertinence du budget prévisionnel et les comptes annuels. À la majorité, il permet de s'assurer de la bonne gestion et de la sauvegarde du patrimoine du mineur. S'agissant de la protection des majeurs, la Cour des comptes estime que l'inventaire constitue « la clé de voûte » de la protection des biens . Cette analyse vaut pour les mineurs.
- La protection du représentant du mineur. - L'inventaire permet également de préserver les intérêts de l'administrateur ou du tuteur. En étant dès le début de sa mission diligent et rigoureux, le représentant démontre son sérieux. Ce document lui permettrait de rendre compte de sa gestion si cela lui était demandé, voire sa responsabilité recherchée. L'écueil de la confusion de son patrimoine avec celui du mineur est prévenu si un inventaire est établi et actualisé.

Le mineur nu-propriétaire

- La vulnérabilité du mineur nu-propriétaire. - Lorsque tout ou partie des biens de la succession sont dévolus en usufruit au conjoint du défunt, le mineur reçoit son héritage en nue-propriété. Il doit souffrir l'usufruit de son parent, voire de son beau parent. Dans ces deux hypothèses, il doit être protégé. Ses droits doivent être préservés pour qu'il puisse entrer en jouissance, lors de l'extinction de l'usufruit, de tous les biens qui lui ont été transmis.
Si l'usufruit est constitué au profit du beau-parent du mineur, on perçoit immédiatement la nécessité de protéger les droits du nu-propriétaire mineur. Mais, même lorsque l'usufruit profite à l'autre parent du mineur, il est important de protéger ce dernier en anticipant des événements futurs. En effet, le parent survivant peut constituer une nouvelle famille, avoir un autre conjoint et d'autres enfants.
Dans ces situations de plus en plus fréquentes où les parents d'un enfant n'ont pas les mêmes héritiers, la traçabilité des droits et des biens revenant à chaque enfant est capitale. À défaut de preuve de l'état du patrimoine transmis en nue-propriété et de garantie de restitution à l'extinction de l'usufruit, l'héritage s'évapore et l'enfant nu-propriétaire ne percevra jamais son héritage en totalité. Ce problème se pose essentiellement pour les actifs liquides pour lesquels l'usufruit mue en quasi-usufruit .
- La protection du mineur nu-propriétaire. - Quatre dispositifs permettent d'organiser la protection du mineur nu-propriétaire afin de lui garantir la transmission de son héritage à l'extinction de l'usufruit.
L'inventaire. Nous nous bornons à rappeler que l'inventaire représente la preuve préconstituée de la composition et de l'état du patrimoine transmis au mineur. Dans la mesure où l'héritier n'a pas la jouissance immédiate des biens transmis, l'établissement de l'inventaire est capital. Il permettra à l'héritier, le jour de l'extinction de l'usufruit, d'apporter la preuve de son droit de propriété sur les biens qui lui ont été transmis plusieurs années, voire décennies plus tôt. Pour les biens meubles et les liquidités, si cette preuve n'a pas été préconstituée, l'héritier ne pourra pas établir son droit et entrer en jouissance de son héritage.
La caution. Pour garantir au nu-propriétaire la restitution de ses biens à l'extinction de l'usufruit, il peut être constitué des sûretés. L'article 601 du Code civil prévoit à cet effet le cautionnement. Cette sûreté personnelle est effectivement de nature à protéger efficacement les intérêts du nu-propriétaire. Mais les exceptions prévues par le texte en réduisent tellement sa portée qu'elles ruinent son efficacité. Ainsi les père et mère ayant l'usufruit légal du bien de leurs enfants sont dispensés de fournir une caution. Il en est de même lorsque l'acte constitutif de l'usufruit contient une dispense au profit de l'usufruitier. Les formules usuelles de donation entre époux contiennent à cet égard en général de telles dispenses.
Cependant, dans les familles recomposées, si le nu-propriétaire n'est pas l'enfant de l'usufruitier, il n'entre pas dans le champ de l'exception légale précitée. Par conséquent, s'il n'en a pas été dispensé aux termes d'une donation entre époux, le nu-propriétaire pourrait exiger de l'usufruitier qu'il lui fournisse une caution.
L'obligation d'emploi. Une protection efficace pour garantir la conservation et la traçabilité des biens démembrés est de contraindre l'usufruitier à employer les liquidités de la succession dans des biens non consomptibles, voire non fongibles. Cette obligation d'emploi des fonds est prévue à l'article 602 du Code civil. Il convient de déterminer un juste équilibre entre la protection nécessaire du nu-propriétaire et la liberté de gestion de l'usufruitier.
Lorsque les parents sont mariés, ils ont pu se consentir une donation entre époux. Les formules usuelles de ces donations prévoient en général une dispense d'emploi des fonds. Cette préférence accordée au conjoint peut se justifier lorsque les parents ont les mêmes héritiers, car le nu-propriétaire entrera en possession de son héritage au décès de l'usufruitier. Il en va différemment lorsque les parents n'ont pas les mêmes héritiers. Dans ce cas, la dispense d'emploi des fonds de la succession peut causer un préjudice irréparable au nu-propriétaire.
Lorsque les conjoints ne sont pas mariés ou ne se sont pas consentis de donation entre époux, l'article 602 du Code civil prévoit que les fonds soumis à usufruit soient placés. Force est de constater qu'en pratique, cette obligation est peu respectée. Les fonds sont, en application de l'article 587 du Code civil, mis à la disposition de l'usufruitier qui en dispose librement. Si l'on se préoccupe de la protection des intérêts du nu-propriétaire, ceci peut lui causer un préjudice. C'est pourquoi cette mise à disposition des fonds au profit de l'usufruitier nécessite l'accord du nu-propriétaire et l'on peut s'interroger sur le régime de cette autorisation consentie au nom d'un nu-propriétaire mineur. Cette mise à disposition de fonds au profit de l'usufruitier, avec dispense d'emploi, constitue une renonciation à un droit. Elle nécessiterait donc l'autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille.
La convention de quasi-usufruit. Si les fonds dépendant de la succession ne sont pas employés dans des actifs garantissant la conservation des biens démembrés, ceux-ci sont remis à l'usufruitier qui en dispose librement. Ceci est conforme à l'article 587 du Code civil qui dispose que : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit la valeur estimée à la date de la restitution ». Dans ce cas, il convient a minima, pour garantir les droits du nu-propriétaire, de régulariser une convention de quasi-usufruit. Cette convention doit traiter au moins deux points.
Elle doit d'abord déterminer le montant de la créance de restitution que le nu-propriétaire pourra recouvrer au décès de l'usufruitier. La convention de quasi-usufruit préconstitue la preuve d'une créance certaine et déterminée qui sera opposable aux ayants droit de l'usufruitier. Cette créance peut demeurer figée à sa valeur nominale ou revalorisée.
Elle doit également arrêter les règles de gestion des fonds, déterminer les pouvoirs de l'usufruitier et son degré de liberté. Celle-ci peut être totale. Dans ce cas, l'usufruitier dispose des fonds librement sans rendre compte de sa gestion. Cette liberté peut au contraire être encadrée. La convention peut prévoir des règles de gestion, une obligation d'emploi des fonds démembrés ou un contrôle de gestion par le nu-propriétaire, voire une autorisation préalable de ce dernier pour la réalisation d'actes de disposition sur les actifs soumis au démembrement. L'équilibre à déterminer, aux termes de cette convention, entre les parties dépend de la situation familiale et patrimoniale particulière.

Le partage en présence d'un mineur

Le partage est un acte fondateur dans la vie patrimoniale du mineur. Il constitue un acte de disposition qui engage son patrimoine de manière durable et structurante. Il est donc impératif de veiller à la préservation de ses intérêts lors de la préparation de l'acte de partage.
La présence d'un mineur parmi les copartageants n'est pas un obstacle à la réalisation d'un partage. La voie judiciaire demeure possible , mais le partage amiable sera toujours favorisé. L'article 836, alinéa 2 du Code civil dispose à cet effet que « si un indivisaire fait l'objet d'un régime de protection, un partage amiable peut intervenir dans les conditions prévues aux titres X et XI du livre Ier ». Les modalités juridiques du partage en présence d'un mineur varient selon son régime de protection.
- Le partage dans le régime de l'administration légale. - Depuis l'ordonnance du 15 octobre 2015, le partage amiable et l'état liquidatif ne figurent plus dans la liste des actes soumis à l'autorisation préalable du juge des tutelles . Cet acte, pourtant essentiel, a été soustrait au contrôle judiciaire. Il constitue un acte de disposition que les administrateurs peuvent réaliser librement. S'il n'y a qu'un seul administrateur, il peut consentir au partage amiable de son enfant mineur sans l'autorisation du juge. En présence de deux administrateurs légaux, ils devront agir conjointement pour la réalisation du partage amiable. Cette absence d'autorisation préalable du juge ne nous semble pas constituer une déjudiciarisation opportune, garantissant suffisamment les droits du mineur.
Il importe de rappeler que l'intervention du juge redevient obligatoire dans cinq hypothèses :
  • l'autorisation préalable du juge des tutelles est nécessaire si le partage comporte une opération soumise à son autorisation en vertu de l'article 387-1 du Code civil. Il en est ainsi de l'acte contenant une transaction ou une renonciation à un droit du mineur. Il en est également ainsi lorsque le partage porte sur des valeurs mobilières ou des instruments financiers et, par extension, tous titres sociaux, et si « celui-ci engage le patrimoine du mineur pour le présent ou l'avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur » ;
  • le juge des tutelles doit également être saisi afin de désigner un administrateur ad hoc lorsqu'il existe une opposition d'intérêts entre le mineur et son administrateur . Tel est le cas lorsqu'ils sont tous deux parties au même partage ;
  • l'autorisation préalable du juge des tutelles s'impose encore lorsque les administrateurs légaux sont en désaccord ;
  • cette autorisation judiciaire est également nécessaire si, à l'occasion du contrôle d'un des actes qui requiert son autorisation préalable, le juge des tutelles l'a estimé indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération de la composition ou de la valeur du patrimoine, de l'âge du mineur ou de sa situation familiale . Ainsi, dans le cadre du règlement d'une succession dévolue à un mineur, le juge des tutelles est obligatoirement saisi sur le fondement de l'article 387-1 du Code civil pour exercer l'option successorale. Aux termes de l'ordonnance qui autorise l'acceptation de la succession, il peut imposer que son autorisation sera nécessaire pour réaliser le partage amiable ;
  • le juge peut enfin être saisi, sur le fondement de l'article 387-3, alinéa 2, par les parents ou l'un d'eux, le ministère public ou tout tiers ayant connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter préjudice grave à ceux-ci. Selon la complexité du partage et des arrangements familiaux qu'il peut contenir, cet acte peut entrer dans cette catégorie.
- Le partage dans le régime de la tutelle. - Jusqu'à la loi du 23 mars 2019, lorsque le mineur était placé sous le régime de la tutelle, son tuteur ne pouvait pas réaliser librement un partage successoral en son nom. Il devait obtenir préalablement l'autorisation du partage amiable et l'approbation de l'état liquidatif par le conseil de famille. La loi de programmation et de réforme pour la justice a allégé le formalisme du partage en présence d'un mineur sous tutelle. Désormais, l'autorisation du conseil de famille ou du juge n'est plus requise pour régulariser le partage. Elle demeure cependant exigée en cas d'opposition d'intérêts entre le mineur et le tuteur. Par ailleurs, dans tous les cas, l'état liquidatif reste soumis à l'approbation du conseil de famille ou du juge. Le partage réalisé avec un mineur sous tutelle qui ne respecterait pas ce formalisme de l'autorisation et de l'approbation vaudrait comme partage provisionnel .

L'organisation du patrimoine du mineur

- Des soins prudents, diligents et avisés dans le seul intérêt du mineur. - L'héritage constitue une opération patrimoniale capitale dans la vie d'un mineur. Lorsque les formalités juridiques et fiscales de cette transmission sont réalisées, son représentant doit administrer ses biens en y apportant des « soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt du mineur » . Que signifie cette directive de gestion dans le contexte économique actuel ? Même si elles prescrivent la sagesse, ces formules obscures présentent l'avantage d'une grande souplesse d'interprétation. Et la question très concrète qui se pose au représentant du mineur est de déterminer si sa mission est de conserver et préserver en l'état les biens transmis à cet héritier où s'il doit restructurer complètement ce patrimoine.
La réponse varie naturellement en fonction de la nature des biens transmis et de l'âge du mineur. Cette réponse de principe ne résout pas les cas concrets. Que faire d'un portefeuille de valeurs mobilières transmis à un mineur ? Ces actifs présentent un risque de dépréciation élevé, mais leur liquidation s'impose-t-elle automatiquement dès lors qu'ils sont transmis à un mineur alors qu'ils ont pu constituer la fortune de ses parents ? Cette question se pose dans les mêmes termes pour une entreprise familiale recueillie par un mineur. Est-il de l'intérêt du mineur de s'en débarrasser sous prétexte de son inaptitude à la gérer et du risque de décote ? Un dernier exemple permet d'illustrer les difficultés de gestion d'un patrimoine pour le compte d'un mineur. Quel sort réserver à un immeuble nécessitant des travaux, spécialement s'il s'agit d'un bien de famille ?
La prescription de la prudence et de la diligence conduit souvent, par simplicité, à la liquidation des actifs et au remploi des fonds sur des produits de placement exempts de risque. Ce profil de gestion, très sécuritaire, peut pourtant heurter l'intérêt de l'enfant surtout à une époque où les taux d'intérêt sont très faibles. Même si l'inflation reste elle-même contenue, elle demeure supérieure au taux d'intérêt et il en résulte une érosion du capital, ce qui peut engendrer une perte importante sur une longue durée. L'intérêt de l'enfant peut au contraire, parfois, requérir la recherche d'autres solutions. Par exemple le portefeuille de valeurs mobilières peut, selon sa composition et sa prépondérance dans le patrimoine du mineur, être conservé en tout ou partie et sa gestion confiée à un professionnel. La direction de l'entreprise et la répartition de son capital peuvent également être adaptées à la présence d'un associé mineur afin de conserver l'entreprise familiale. Enfin, pour conserver un patrimoine immobilier, des solutions financières peuvent être trouvées et mises en ?uvre sans faire courir de risques inconsidérés au mineur.
La simplicité et l'absence totale de risque sont souvent privilégiées, car derrière ces choix de gestion se profile la responsabilité du décideur. L'administrateur légal et tous les organes de la tutelle sont responsables de tout dommage résultant d'une faute quelconque commise dans l'exercice de leur fonction . Lorsque la faute à l'origine du dommage a été commise par le juge des tutelles, le directeur des services de greffe judiciaire ou le greffier, l'action en responsabilité est dirigée contre l'État. Ces menaces de recours expliquent l'absence totale de risque dans la gestion des biens du mineur même si cela le prive d'un certain dynamisme.