La protection du logement par l'article 1751 du Code civil

La protection du logement par l'article 1751 du Code civil

Ainsi que le soulignent MM. Malaurie et Fulchiron , la finalité principale de l'article 1751 du Code civil est qu'il soit impossible à l'un des époux ou partenaire pacsé de résilier ou de céder seul le bail « qui sert effectivement à l'habitation » du couple. Il s'agit d'une protection bénéficiant en premier lieu au couple, mais qui a également pour vocation d'assurer la permanence d'un toit aux membres de la famille.

Le domaine d'application de l'article 1751 du Code civil

Les bénéficiaires de la cotitularité du bail

- Bénéficiaires de la cotitularité. - La protection instituée par l'article 1751 du Code civil issu de la loi du 4 août 1962, et non modifié par les lois des 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985, a créé une véritable cotitularité du droit au bail profitant initialement aux seuls époux. La loi no 2014-366 du 24 mars 2014, dite « loi Alur », a étendu le bénéfice de la cotitularité du bail aux partenaires pacsés qui en font conjointement la demande au bailleur. Pour les époux, l'application de l'article 1751 est impérative et automatique. En cela, la cotitularité se rapproche étroitement du régime primaire. Il importe peu que le bail ait été consenti à un locataire alors célibataire ou que l'un des époux n'ait été ni présent ni représenté lors de la signature du contrat de bail. Toutefois, afin de rendre l'existence du bail opposable au bailleur, il est indispensable que le locataire l'informe de son mariage. Son conjoint pourra alors bénéficier de tous les droits résultant du bail (et aussi des obligations, le loyer entrant naturellement dans les dettes ménagères et la solidarité de l'article 220 du Code civil). Pour les partenaires pacsés, l'application de l'article 1751 du Code civil est supplétive. Pour pouvoir s'en prévaloir, ils doivent en faire la demande conjointe au bailleur .
- L'exclusion des concubins. - Les concubins en union libre ne bénéficient pas de cette protection. Il convient, lors du renouvellement du bail ou si possible dès sa conclusion, de faire signer les deux concubins afin d'obtenir la cotitularité.

Les baux à usage exclusif d'habitation constituant la résidence effective du couple

- Le contrat de bail. - L'article 1751 du Code civil limite sa protection aux seuls baux. Cette disposition ne pourra donc pas être invoquée par le conjoint d'un époux propriétaire du bien immobilier constituant le logement de la famille, ni par les porteurs de parts de sociétés civiles immobilières ou autres sociétés. Les commodats et plus largement les conventions emportant occupation gratuite d'un immeuble à usage d'habitation sont exclus de cette protection .
Les contrats de location-vente et de location-accession devraient être également exclus du champ d'application de l'article 1751 du Code civil dans la mesure où ces contrats ne constituent pas des baux stricto sensu et eu égard au caractère dérogatoire de cet article. Toutefois, un doute subsiste suite à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation qui, en matière de solidarité ménagère, a pris acte de la nature ambivalente d'un contrat de location-attribution et a qualifié cette opération de location.
Il a par ailleurs été jugé que l'article 1751 du Code civil s'applique aux logements de fonction loués , à moins que le bail ne comporte des dispositions dérogatoires permettant de justifier l'exclusion du bénéfice de la cotitularité.
- Bail d'habitation. - Le bail doit être à usage exclusif d'habitation, ce qui exclut les baux commerciaux, les baux professionnels et les baux ruraux ainsi que les baux mixtes. L'article 1751 du Code civil a ainsi un périmètre plus restreint que celui de l'article 215, alinéa 3 du même code qui s'applique par exemple aux cas d'immeuble à usage mixte .
L'article 1751 du Code civil vise tous les baux à usage exclusif d'habitation quel qu'en soit le statut.
- Habitation effective. - Le bail doit porter sur le local qui « sert effectivement à l'habitation » du couple. Il ne saurait être question de cotitularité en cas de location d'une résidence secondaire ou d'une annexe de la résidence principale servant d'habitation à l'usage exclusif des enfants. Il en est de même pour toute villégiature occasionnelle. L'immeuble loué doit être le lieu de vie commun au couple. Si l'un des époux ou partenaire n'a pas vécu dans le logement, il ne peut bénéficier de la protection de l'article 1751 du Code civil.

Les conséquences de la cotitularité du bail d'habitation

- Nature de la cotitularité. - La doctrine classique voit dans la cotitularité une indivision spéciale où chaque membre du couple est investi des droits et des obligations issus du contrat de bail . Ainsi les époux ne peuvent l'un sans l'autre céder le bail, le résilier ou renoncer à tout ou partie des droits attachés à leur qualité de locataire. Et chacun d'eux peut exercer les droits liés à sa qualité de locataire, et notamment le droit au maintien dans les lieux à l'expiration du bail.
- Droits et obligations issus du bail. - Le conjoint ou partenaire du preneur initial acquiert la qualité de preneur . Les époux deviennent ainsi débiteurs solidaires du loyer , sachant que les dettes de loyer font partie des dettes ménagères visées à l'article 220 du Code civil dont les époux sont solidairement tenus tant que durent les liens du mariage. Il en est de même pour les partenaires pacsés au titre de l'article 515-4 du Code civil. La solidarité que l'on retrouve dans le Pacs et le mariage est un gage pour tout créancier, et donc pour le bailleur. Les concubins sont exclus de ces dispositions.
Par la nature juridique des dettes de loyer, si l'un des époux ou des partenaires abandonne le logement, résilie unilatéralement le bail ou si l'un d'eux bénéficie de la jouissance provisoire du logement, le cotitulaire demeure débiteur solidaire du paiement du loyer et peut être amené à supporter le coût des réparations à raison du mauvais entretien par l'occupant.
Chacun des époux ou partenaire bénéficie des différents droits de préemption ouverts au locataire.
De son côté, le bailleur doit notifier tout acte de procédure à chacun des cotitulaires du bail, qu'il s'agisse d'un commandement de payer, d'une assignation, ou qu'il s'agisse de purger un droit de préemption, et ce à peine d'inopposabilité de l'acte à l'égard de celui qui n'en a pas été le destinataire.
- La cotitularité et le congé du bail. - Le congé peut émaner du locataire ou du bailleur :
  • le congé délivré par le preneur : un époux ou un partenaire ne peut seul disposer du droit au bail. L'accord des deux époux ou partenaires est nécessaire pour mettre fin au bail. Si un époux ou un partenaire délivre seul un congé, l'autre n'est pas concerné et conserve le droit personnel locatif qui est le sien ;
  • le congé délivré par le bailleur : les conditions pour bénéficier de la cotitularité du bail étant par ailleurs remplies à la date où intervient le congé , le bailleur doit le notifier à chacun des deux époux ou à chacun des deux partenaires pacsés, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, soit par exploit d'huissier ou par remise en main propre contre récépissé ou émargement. À défaut, le congé délivré à un seul conjoint ou partenaire sera inopposable à l'autre et seul ce dernier pourra en contester si bon lui semble la validité.
Il a été admis que le congé est valable si les deux membres du couple en signent l'avis de réception . Lorsque le congé est effectué par voie d'huissier , il n'est pas obligatoirement délivré à chacun par acte séparé.
Toutefois, pour les baux d'habitation régis par la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 et aux termes des dispositions de son article 9-1 , si l'existence du conjoint du locataire n'a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur par les soins du locataire, et ce par tout moyen (bien qu'il soit conseillé de privilégier la lettre recommandée avec demande d'avis de réception), les notifications ou significations n'auront à être adressées qu'au locataire initial. Elles seront alors de plein droit opposables à son conjoint .

La durée de la cotitularité

- Pendant le mariage ou le partenariat. - La cotitularité instituée par l'article 1751 du Code civil persiste jusqu'à la rupture du mariage ou du Pacs . Aucun membre ne peut s'y soustraire pour quelque cause que ce soit, et ce jusqu'à la rupture du couple. Pour les époux, elle perdure jusqu'à la transcription du divorce en marge des registres d'état civil, même si la communauté de vie a pris fin depuis plusieurs années . S'agissant des partenaires, la cotitularité perdure jusqu'à l'enregistrement de la dissolution du Pacs qui est effectuée soit par l'officier d'état civil du lieu d'enregistrement de leur convention initiale , soit par le notaire qui avait reçu cette convention. Notons que pour les époux, la séparation de corps ne met pas fin à la cotitularité du bail dans la mesure où cette procédure ne met pas fin au mariage.

Le transfert du bail

- En cas de divorce ou de séparation du couple. - L'article 1751 du Code civil prévoit que le droit au bail pourra être attribué par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, à l'un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l'autre époux. Une disposition similaire est prévue par l'article 1751-1 du Code civil pour les partenaires pacsés en cas de dissolution du Pacs : dès lors, l'un des partenaires peut saisir le juge compétent en matière de bail pour demander l'attribution du droit au bail .
- En cas de décès. - L'article 1751, alinéa 3 du Code civil prévoit qu'en cas de décès de l'un des époux ou de l'un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le survivant, cotitulaire du bail, dispose d'un droit exclusif sur celui-ci sauf s'il y renonce expressément. Le survivant pourra donc poursuivre le bail dès la survenance du décès si les conditions pour bénéficier de la cotitularité du bail sont réunies. En conséquence, les héritiers qui vivent dans les lieux au moment du décès sont dépourvus de tout droit locatif en présence d'un conjoint ou d'un partenaire pacsé survivant. Bien que la loi ne leur impose aucune formalité pour disposer de ce droit, il est conseillé à l'époux ou au partenaire d'en aviser le bailleur. Par contre, s'ils entendent y renoncer, ils devront le faire de manière expresse. Cette renonciation ne peut avoir lieu avant l'ouverture de la succession sous peine de tomber sous le coup de la prohibition des pactes sur succession future . Cet article n'est pas applicable aux concubins en union libre.
Époux et partenaires se retrouvent-ils pour autant sur un pied d'égalité ? Non, car ce serait oublier que si les époux bénéficient de droit de la cotitularité du bail, les partenaires pacsés doivent en faire conjointement la demande au bailleur pour pouvoir y prétendre. Si cette demande n'a pas été faite, les conditions d'application de l'alinéa 3 de l'article 1751 du Code civil ne seront pas réunies. Dans cette hypothèse, le partenaire pacsé survivant pourrait néanmoins solliciter le transfert du bail sur le fondement de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 , qui est d'ordre public. Le recours à l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 est également ouvert au conjoint survivant pour lequel les conditions de la cotitularité du bail ne seraient pas remplies.