La mise en œuvre du rapport

La mise en œuvre du rapport

Commençons par définir le rapport (§ I) avant d'en préciser le domaine (§ II) et les modalités (§ III)

La définition du rapport

- La reconstitution de la masse successorale. - Le rapport est un mécanisme général qui consiste à reconstituer en nature ou en valeur un ensemble de biens à liquider et à partager ou à réaliser . Appliqué aux successions, car c'est la matière qui nous intéresse ici, le rapport est « l'institution en vertu de laquelle un héritier doit rendre compte à la succession des libéralités qu'il a reçues du de cujus » . Le rapport a pour objet de conforter la dévolution légale et le principe d'égalité entre les héritiers. L'égalité n'est pas ici considérée dans son sens arithmétique, c'est-à-dire par part virile, mais dans l'idée que chacun reçoit une part égale à sa vocation, à ses droits. Le rapport consiste donc à reconstituer en nature ou en valeur la masse successorale afin de la répartir entre les héritiers conformément à leurs droits tels que définis par la dévolution légale. Le rapport se distingue profondément et par essence de la réduction dont le seul objet est de garantir à l'héritier de percevoir ses droits réservataires. Le rapport est donc inséparable de la dévolution légale dans le sens où sans rapport elle ne serait ni juste ni égalitaire et se détacherait ainsi de ses fondements et du principe d'égalité qui la domine .

- Le domaine du rapport

- Les parties au rapport. - Pour être débiteur d'un rapport à une succession, il faut être héritier ab intestat et avoir été personnellement bénéficiaire d'une libéralité de la part du de cujus. Pour être créancier du rapport, il faut être héritier ab intestat et venir en rang utile à la succession. Le rapport a pour vocation de protéger les héritiers qui n'ont pas été gratifiés par le de cujus et qui, pour autant, viennent à la succession alors que d'autres ont déjà reçu des libéralités de sa part.

Les représentants sont-ils débiteurs du rapport ? Une question importante, mais sans réponse…

Cas de figure. L'hypothèse est la suivante : le de cujus a consenti à ses enfants des donations en avancement de part successorale. L'un renonce et est représenté. Qu'en est-il du rapport ?
Avant 2007, la question ne se posait pas car on ne représentait pas un vivant (le renonçant) et, en cas de représentation d'un mort, ses représentants étaient eux-mêmes débiteurs du rapport (C. civ., art. 848). L'hypothèse de ce rapport en cas de représentation d'un enfant prédécédé est prévue à l'article 848 du Code civil. La solution est logique, car ils sont censés avoir hérité des biens de leur auteur mais aussi de cette dette de rapport . Aujourd'hui la donne a profondément changé car, par hypothèse, le représenté est en vie. Il n'y a pas de multiples possibilités, elles sont au nombre de deux :
  • soit les représentants deviennent débiteurs de ce rapport ;
  • soit ils n'en sont pas débiteurs et la créance de rapport disparaît dans la nature.
La discussion est dense, la doctrine divisée, la jurisprudence muette et la pratique désemparée .
1) Arguments en faveur de la première thèse :
  • elle est fondée sur une répartition de la succession par souche. Le représenté ayant reçu le bien donné qui, très probablement adviendra aux représentants, il est donc normal qu'ils soient débiteurs de ce rapport ;
  • elle permet de préserver les droits des autres héritiers et de maintenir l'égalité entre les souches, ce qui est le fondement de la représentation ;
  • l'article 954, alinéa 2 du Code civil, en prévoyant que cette donation s'impute sur la part de réserve de la souche, ne revient-il pas à dire que la donation est rapportable par la souche ?
2) Ceux en sa défaveur peuvent être résumés ainsi :
  • les représentants vont être débiteurs d'un rapport correspondant à un bien qu'ils ne détiennent pas. Ils sont donc privés du droit d'en effectuer le rapport en nature. Comment rapporter un bien que l'on n'a pas ?
  • ils peuvent être débiteurs de la valeur d'un bien qu'ils ne recueilleront peut-être jamais si le représenté l'a aliéné ou l'a consommé. Cet argument ne semble pas pertinent, car en cas de représentation d'un mort le rapport est dû et la situation peut être identique.
Les défenseurs de cette thèse avancent les arguments suivants :
  • l'article 848 du Code civil est issu d'un texte datant de 1804 n'envisageant que la représentation d'une personne décédée. Il ne peut être applicable à la succession d'un vivant ;
  • on ne peut faire rapporter un bien que l'on n'aura peut-être jamais.
Arguments en défaveur de cette thèse :
  • ne rien faire rapporter à la souche du renonçant est extrêmement favorable à cette souche, elle gagne quelque part sur les deux tableaux ;
  • avant la réforme de 2006, les représentants n'avaient aucun droit. Ici, c'est leur donner encore davantage…
- Les libéralités rapportables. - Seules sont rapportables les donations faites par le de cujus (C. civ., art. 850). Celles faites par l'ascendant du de cujus (sauf cas de la donation-partage transgénérationnelle) ne sont pas rapportables. La donation portant sur un bien commun ne sera donc rapportable que pour moitié, sauf si dans la donation il a été stipulé une clause de rapport intégral au décès de l'un des donateurs (clause dite « d'imputation sur la succession du prémourant » ou « d'imputation sur la succession du survivant »). Les incidences de ces clauses sont liquidatives et peuvent permettre d'aménager les droits du conjoint survivant . Les donations sont présumées rapportables et donc consenties en avancement de part successorale (quelles que soient les formes de la donation) sauf dispense de rapport consentie par le de cujus (donation hors part successorale). Les legs sont, quant à eux, présumés hors part successorale, c'est-à-dire non rapportables, mais libre au de cujus de prévoir dans son testament que le legs fait s'imputera sur la part légale du légataire. Enfin la question du rapport de la donation-partage ne se pose pas, car un tel acte n'est jamais sujet à rapport puisqu'il constitue en lui-même une opération de partage . Toutes les donations sont rapportables, qu'elles soient ostensibles sous forme de dons manuels, indirectes ou déguisées .

Les modalités du rapport

- En moins prenant, en nature ou en valeur. - L'héritier qui est débiteur d'un rapport se verra déduire de son lot dans le partage de la succession la valeur du bien qu'il a déjà reçu. C'est le rapport en moins prenant (C. civ., art. 858). Le rapport peut se faire en nature, c'est-à-dire que l'héritier va restituer le bien à la masse successorale pour être partagé, il pourra être attribué à un autre. Le rapport en nature est une possibilité toujours offerte à l'héritier qui en est débiteur, à la condition que le bien rapporté ne soit pas grevé de charge ou d'occupation autres que celles qui existaient au jour de la donation (C. civ., art. 859). Cette règle est protectrice du débiteur du rapport en lui permettant de ne pas se voir infliger le paiement d'une indemnité de rapport qu'il ne pourrait supporter. Le rapport en valeur est devenu le principe, et cette indemnité de rapport est calculée selon la règle de la dette de valeur rappelée à l'article 860 du Code civil.
- Le calcul de l'indemnité de rapport : le bien appartient encore à l'héritier débiteur. - En application de l'article 860 du Code civil, l'indemnité de rapport est égale à la valeur du bien au jour du partage, mais dans son état au jour de la donation. Il s'agit de reconstituer en valeur l'actif successoral comme si la donation n'avait pas eu lieu. Il est donc nécessaire d'apprécier l'état du bien au jour de la donation et au jour du partage. Les plus-values fortuites doivent profiter à tous les héritiers, tout comme ils doivent subir les moins-values également fortuites. Par contre, celles qui sont le fait du donataire ne doivent pas influencer leurs droits .
- Le bien a été aliéné par le débiteur du rapport : la subrogation dans la dette de valeur. - Si le bien a été aliéné (vendu, échangé, donné, etc.) par le donataire, alors l'indemnité de rapport dont il est débiteur est égale à la valeur du bien au jour de cette aliénation dans son état au jour de la donation. Si aucun bien ne lui a été subrogé (remploi du prix ou échange), alors l'indemnité de rapport est définitivement fixée et ne sera pas réévaluée jusqu'au partage. Par contre s'il y a subrogation, l'indemnité de rapport sera égale à la valeur du bien ou de la quote-part de ce nouveau bien subrogé. Si le bien acquis est un bien de consommation, alors la subrogation en valeur ne joue pas et c'est la valeur du bien donné au jour de son aliénation qu'il faut prendre en compte. Cette subrogation peut se répéter et donc jouer à l'infini.

Le rapport, la cigale mieux traitée que la fourmi

Un homme a quatre enfants et, sur une même période, il fait à chacun d'eux une donation de biens de valeur égale en dehors de toute donation-partage (c'est son tort) :
  • À Anne : il donne 100 000 qu'elle consomme dans de somptueux voyages, et au décès de son père il ne reste plus rien. Elle doit donc rapporter le nominal reçu, car aucun bien n'est venu remplacer cette somme. Le rapport sera donc de 100 000. La succession a fait la banque mais sans intérêt !
  • À Cyrille : il donne un appartement à Nantes qui vaut 100 000 au jour de la donation. Cyrille le conserve, et au décès l'appartement vaut, dans le même état, 150 000. Le rapport de Cyrille est donc de 150 000. La solution ne choque pas, le bien est toujours là et s'il n'avait pas été donné il figurerait à l'actif.
  • Jean-Pierre reçoit une somme de 100 000 avec laquelle, flairant la bonne affaire, il achète un appartement à Toulouse dans un quartier promis à une belle évolution urbaine. Au décès, ce bien ainsi acquis vaut le double, soit 200 000. Son rapport s'applique au bien subrogé. Il est donc de 200 000 et son bon placement profite à ses frère et sœurs.
  • Quant à Élisabeth, elle a reçu par donation une petite villa qui valait 100 000 au jour de la donation. Elle l'a revendue 150 000, puis a réinvesti la totalité du prix de manière un peu risquée dans des parts de société qui, au décès, ne valent plus que 70 000 qui devient le montant à rapporter.
Si la succession ne comprend pas d'autres biens que ces indemnités de rapport, alors l'actif total à partager est de 520 000, dont un quart revient à chacun, soit 130 000.
Au final : Cyrille doit verser 20 000 à ses frère et sœurs et Jean-Pierre 70 000 !
La solution est-elle satisfaisante ? Anne qui a tout consommé va bénéficier des placements des autres et Jean-Pierre va non seulement partager sa plus-value, mais également subir la moins-value d'Élisabeth. La morale de cette fable est donc qu'il vaut mieux être cigale que fourmi ! Voire débiteur qu'héritier, car le rapport de la dette se fait au nominal même si l'héritier débiteur a acquis un bien avec la somme prêtée par son auteur .
- Fondement et appréciation de la règle. - On justifie cette subrogation de la même manière que la dette de valeur elle-même : éviter une déperdition économique de la dette. L'idée est d'indexer cette dette sur la valeur des biens qui sont entrés dans le patrimoine du débiteur grâce à cette donation.
Cette subrogation dans la dette de valeur peut se révéler injuste, car les bons placements d'un héritier profitent aux autres alors qu'il peut lui-même subir leurs mauvais investissements.
Qu'en penser ? La subrogation n'est-elle pas allée un peu trop loin dans la dette de valeur ? Ne pousse-t-elle pas la fictivité des opérations de liquidation à l'extrême ? Car tant le rapport que la réduction procèdent de l'idée de reconstituer le patrimoine du défunt comme s'il n'avait rien donné. Or ici, avec la subrogation, on va beaucoup plus loin en intégrant aux masses (soit de calcul de la quotité disponible, soit à partager) la valeur de biens totalement étrangers au de cujus. Comment justifier que celui qui a fait un bon investissement parce qu'il s'est montré prudent ou particulièrement avisé fasse profiter ses cohéritiers de ses bons placements, et corrélativement soit handicapé par les mauvaises affaires des autres ? La règle n'encourage pas vraiment au bon investissement.