La désignation anticipée de son tuteur ou de son curateur

La désignation anticipée de son tuteur ou de son curateur

- Conditions de fond. - Participant du mouvement qui vise à favoriser les principes d'autonomie de la volonté et d'autodétermination des personnes vulnérables, la loi du 5 mars 2007 a offert la possibilité pour une personne majeure de désigner, de manière anticipée, « une ou plusieurs personnes chargées d'exercer les fonctions de curateur ou de tuteur pour le cas où elle serait placée en curatelle ou en tutelle » (C. civ., art. 448) .
Ces dispositions traduisent l'importance cruciale accordée à la volonté pour confier à un tiers la gestion de son propre patrimoine et/ou de sa personne.
Le texte est peu prolixe concernant les conditions de fond touchant aux uns et aux autres. Tout juste peut-on souligner que le « désignant » doit être logiquement doté de la capacité à agir pour procéder à une telle désignation. Celle-ci est donc offerte au majeur placé sous sauvegarde de justice, sous couvert des suspicions qui peuvent naturellement s'attacher à un choix tardif. Concernant le désigné tuteur ou curateur, le choix est libre, sauf à devoir respecter les causes d'empêchement classiques à l'exercice des charges curatélaires ou tutélaires (C. civ., art. 445) .
- Conditions de forme. - La désignation anticipée du curateur ou du tuteur ne peut être faite « que par une déclaration devant notaire ou par un acte écrit en entier, daté et signé de la main du majeur concerné » (CPC, art. 1255). Une double faculté s'offre à la personne prévoyante : soit recourir à un acte authentique, ce qui garantit la sécurité de la conservation outre le rôle de conseil du notaire, soit établir un document sous seing privé répondant aux mêmes caractéristiques qu'un testament olographe. Mais il est alors conseillé d'écarter la qualification de tutelle testamentaire, un testament ne prenant effet, par principe, qu'en cas de décès, alors que la désignation d'un tuteur ou d'un curateur pour soi-même est liée à une perte de capacité.
En dépit du choix qui s'offre au signataire, il est opportun de lui conseiller d'utiliser la forme notariée, laquelle garantit la conservation de l'acte et assure au requérant d'être utilement conseillé quant aux conséquences qui découlent de son choix.
- Effets. - Par principe, la désignation anticipée par le majeur s'impose au juge, ce qui place le protecteur choisi, qui tire directement sa légitimité de la volonté du majeur protégé, au premier rang dans l'ordre des personnes susceptibles d'être désignées par le juge pour exercer les fonctions de tuteur, et cela « au point d'évincer le principe de prééminence familiale » .
Les textes prévoient toutefois que le juge ne sera pas tenu de respecter le choix opéré si la personne désignée « refuse la mission ou est dans l'impossibilité de l'exercer » (C. civ., art. 448, al. 1er). S'agissant d'une mesure d'anticipation, ces soupapes de sécurité sont compréhensibles. Dans le laps de temps qui sépare la désignation et l'ouverture de la mesure de protection, de multiples changements ont pu intervenir dans la situation du désigné, lesquels sont susceptibles de remettre en cause ses facultés ou son désir à assumer la mission qui lui a été confiée : maladie, éloignement, charges professionnelles, etc. En cas de difficulté, le juge statue et choisit une autre personne pour assister ou représenter la personne protégée.
« L'intérêt de la personne protégée » peut également commander d'écarter le protecteur désigné, choisi à l'avance. Le juge dispose, pour l'appréciation de cet intérêt, d'un pouvoir souverain. Ce n'est toutefois pas un droit discrétionnaire et toute décision d'écarter la personne désignée doit être motivée . Les motifs peuvent être divers. Il en sera ainsi par exemple, si, au regard de la consistance du patrimoine, le choix de la personne choisie s'avère en définitive inapproprié car insuffisamment protecteur des intérêts du majeur vulnérable. Ce peut être également le cas si les relations entre la personne désignée et le majeur sont « conflictuelles, empreintes de méfiance ou intéressées » .

Conseils pratiques

Sur lesquels, V. J. Combret, <em>Anticiper son état de vulnérabilité. Assurer la protection de sa personne et de son patrimoine</em> : <em>Actes prat. strat. patrimoniale</em> janv. 2017, n<sup>o</sup> 1, dossier 3, spéc. n<sup>o</sup> 13.

Le notaire chargé de conseiller celui qui veut avoir recours à cette faculté devra systématiquement suggérer plusieurs mesures pratiques de manière à réduire ou éliminer les difficultés. La première précaution consiste à consulter préalablement la personne que l'on envisage de désigner. Qui mieux que celui qui choisit quelqu'un est-il à même de lui demander son avis, de lui expliquer ce qu'il attend de lui, les conséquences ou contraintes éventuelles de son acceptation ? Une seconde précaution est de choisir si possible quelqu'un de plus jeune que soi afin de ne pas courir le risque que, les uns et les autres vieillissant, la personne désignée ne soit elle-même plus en capacité lorsque l'auteur de la désignation perdra lui-même sa capacité. Une dernière précaution, à l'instar de celle préconisée dans le cadre du mandat de protection future
, consiste à désigner si possible plusieurs personnes chargées de la fonction de tuteur ou curateur. Deux options sont possibles : soit une désignation conjointe soit une désignation successive, l'un pouvant prendre la place de l'autre en cas de refus ou d'incapacité d'exercer la fonction. L'idéal consiste d'ailleurs à systématiser cette pratique qui est la meilleure garantie du respect de la volonté. Si le juge écarte pour une raison valable la personne désignée en premier, il devra ensuite prendre en compte la personne désignée en suivant. Le risque que toutes les personnes désignées soient écartées sera faible.

- Alternative au mandat de protection future. - Comparée au mandat de protection future, la désignation anticipée du curateur ou du tuteur constitue un dispositif d'anticipation plus modéré en ce qu'il permet de choisir la personne du représentant, mais de s'en remettre à la loi pour définir ses prérogatives et obligations. C'est dire que si la personne désireuse d'anticiper sa vulnérabilité future souhaite non seulement désigner un représentant, mais aussi lui conférer des pouvoirs plus étendus que ceux d'un tuteur, hors du contrôle du juge, le mandat de protection future offrira alors la solution appropriée, pour peu qu'il revête la forme notariée.
Il reste que lorsqu'une personne envisage d'établir un mandat de protection future, il arrive fréquemment que cela s'avère difficile à mettre en ?uvre . La principale raison est l'absence d'un environnement familial ou amical de confiance suffisant pour garantir une bonne organisation du mandat. Souvent, la personne est relativement âgée et elle n'a autour d'elle, quand elle n'est pas isolée, que des parents ou amis de la même génération. Choisir des personnes de son âge n'est pas à conseiller. Il existe un risque non négligeable que celles-ci ne soient elles-mêmes pas en état d'assumer la fonction en raison de leur état de santé lorsque la question viendra éventuellement à se poser. Dans une telle situation, le recours à l'option plus limitée de la désignation anticipée d'un tuteur ou d'un curateur sera parfois plus facile à mettre en ?uvre. Une autre justification à une préférence accordée à une désignation anticipée de tuteur ou curateur plutôt qu'un mandat de protection future est liée à un patrimoine faible. Le mandat de protection future peut alors représenter un mécanisme trop lourd au regard de ses volontés et de son patrimoine. Autant le choix d'un représentant peut sembler important, autant encadrer ce choix avec un mandat de protection future n'est pas nécessaire.
- Complément au mandat de protection future. - La désignation du tuteur peut également s'inscrire dans une volonté non pas de s'y substituer, mais de compléter le mandat de protection future. Nous savons, en effet, que le juge peut écarter un mandat de protection future et décider de lui substituer une mesure de protection, s'il considère que le mandat ne constitue pas un mécanisme adapté pour garantir les intérêts de la personne protégée (C. civ., art. 483, 4o) . En pareil cas, le risque pour la personne qui avait entendu organiser sa protection future est que non seulement le contenu du mandat ne soit plus totalement pris en compte, mais encore que la personne choisie soit écartée. Afin de se prémunir contre ce risque, le notaire doit conseiller à son client de doubler son mandat d'une désignation anticipée de tuteur ou de curateur . Dans cette désignation, il devra indiquer clairement qu'une telle décision ne sera mise en ?uvre que dans l'hypothèse où le mandat de protection future est écarté pour un motif qui n'est pas lié à la personne même du mandataire. Dans ce cas, celui-ci, désigné parallèlement comme tuteur ou curateur, sera normalement choisi par le juge pour exercer ces fonctions. Il passera alors du statut de mandataire à celui de curateur ou tuteur. En revanche, si le mandat est révoqué pour une raison liée à la personne du mandataire, celui-ci doit être démis de ses doubles fonctions prévues conventionnellement, la principale (mandataire) et la subsidiaire (curateur ou tuteur). À l'évidence, écarté d'un côté, il doit l'être tout autant de l'autre. L'intérêt de désigner plusieurs personnes successivement trouve ici encore tout son sens afin de garantir au mieux la volonté de la personne protégée.
- Une regrettable absence de publicité. - Il reste que le choix anticipé d'un curateur ou d'un tuteur ne deviendra réalité qu'à la condition que le juge des tutelles, saisi d'une demande d'ouverture d'une mesure de protection, ait été informé de l'existence de cette désignation. Dans cette optique, il est évident qu'une mesure de publicité s'imposerait. Et pourtant, si la loi a prévu une mesure de publicité pour le mandat de protection future, elle n'a pas envisagé une telle formalité pour les désignations anticipées de tuteur ou curateur, ce qui traduit une politique « des petits pas », difficilement compréhensible. À l'instar du mandat de protection future, et pour des motifs similaires, on pourrait songer à confier cette mesure de publicité au notariat. En l'état, confronté au risque d'ignorance de la volonté exprimée au moment où le juge prendra sa décision, le notaire doit conseiller au client qui choisit par anticipation un tuteur ou un curateur de demander à ce dernier de suivre régulièrement son état de santé. La personne désignée aura ainsi conscience de l'importance de son rôle. Elle portera, s'il y a lieu, à la connaissance du juge la volonté de la personne à protéger au moment où une procédure de mise sous protection sera engagée.