La conclusion d'un mandat de protection future : un exercice d'anticipation délicat

La conclusion d'un mandat de protection future : un exercice d'anticipation délicat

La conclusion d'un mandat de protection future pour autrui constitue un exercice de prévision. Un parent anticipe la vulnérabilité de son enfant liée à un handicap pour le cas où lui-même ne serait plus en capacité d'assurer sa protection. La rédaction d'un tel contrat s'avère compliquée, car beaucoup d'éléments importants lors de l'activation du mandat demeurent inconnus ou hypothétiques lors de sa conclusion. Quel âge auront l'enfant protégé et le mandataire ? Quelles seront leurs situations familiale, patrimoniale et professionnelle ? Ces variables, soumises à beaucoup d'aléas et d'imprévision, impliquent autant d'hypothèses et de sous-hypothèses lors de l'élaboration du contrat.
L'intervention du notaire est donc capitale lors de l'établissement du mandat, tant pour des raisons de forme que de fond.

La forme du mandat de protection future pour autrui

- La forme notariée obligatoire. - Le législateur impose la forme notariée pour établir un mandat de protection future pour autrui . Lorsque le mandat est stipulé pour soi, la forme sous seing privé peut suffire même si ses effets juridiques sont de moindre portée. Lorsqu'il est stipulé pour autrui, le contrat doit, à peine de nullité, être établi en la forme notariée.
Le mandat de protection future pour autrui est un contrat très particulier . Son objet est d'organiser entre un mandant et un mandataire, à l'avance, la protection d'une tierce personne en raison de sa vulnérabilité. Même s'il n'est pas une mesure incapacitante, il organise la protection d'une personne et de manière incidente modifie son état juridique. Compte tenu de l'enjeu important de ce contrat, le législateur a imposé la forme notariée.
- Une garantie d'authenticité. - La forme notariée garantit l'authenticité des éléments constatés aux termes de l'acte. La date et l'identité des comparants sont naturellement garanties. Mais, bien au-delà, l'échange entre le client et le notaire permet à ce dernier de s'assurer de l'intégrité du consentement et de la parfaite compréhension par les parties de la nature et de la portée des droits et obligations créés aux termes de ce contrat. L'intervention de l'officier public permet de vérifier les conditions de fond de ce contrat.
- Une garantie de conseil. - L'intervention du notaire est également capitale pour conseiller et aider les familles dans l'établissement d'un tel mandat. Nous avons souligné l'importance d'anticiper les différents cas de figure susceptibles de se produire afin d'établir un contrat qui soit efficace et adapté le jour de son activation. Grâce à sa pratique du droit de la famille, le notaire enrichit ses connaissances et affine sa perception. Cette expérience est précieuse pour exercer utilement son devoir de conseil. Elle est vitale pour préparer un mandat de protection future efficace. L'anticipation demeure la clé de la pertinence et de l'efficacité de ce contrat.

Le mandant

L'article 477, alinéa 3 du Code civil reconnaît aux parents ou au dernier vivant des père et mère ne faisant pas l'objet d'une mesure de curatelle, de tutelle ou d'habilitation familiale, qui exercent l'autorité parentale sur leur enfant mineur ou assument la charge matérielle et affective de leur enfant majeur, la faculté de désigner un ou plusieurs mandataires chargés de le représenter, pour le cas où cet enfant ne pourrait plus pourvoir seul à ses intérêts, conformément à l'article 425 du Code civil . Cette désignation prend effet le jour où le mandant décède ou ne peut plus prendre soin de l'intéressé.
Le mandat de protection future pour autrui permet donc aux parents, soucieux de l'avenir de leur enfant handicapé, d'organiser sa protection en désignant un tiers de confiance . Ce droit est reconnu de manière exclusive aux parents. Lorsqu'ils sont tous les deux vivants, la loi impose que le mandat soit consenti par les deux parents. En cas de prédécès de l'un des parents, la faculté de conclure un tel mandat est attribuée au survivant qui est habilité à contracter seul.
La cogestion voulue par le législateur lorsque les deux parents sont vivants semble aller de soi pour conclure un tel acte. Pourtant, dans des situations familiales complexes, elle peut se révéler très contraignante. Ainsi dans des situations de mésentente entre les parents, d'abandon de famille, ou d'incapacité, le parent qui assume seul la charge de son enfant handicapé n'est pas autorisé à conclure seul un mandant de protection future pour autrui.

Le mandataire

- Le principe de liberté de choix du mandataire. - L'article 480 du Code civil dispose que : « Le mandataire peut être toute personne physique choisie par le mandant ou une personne morale inscrite sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs prévue à l'article 471-2 du Code de l'action sociale et des familles ». Les parents ou le survivant des parents peuvent donc librement choisir le mandataire de protection future pour leur enfant.
- Les exceptions à la liberté de choix du mandataire. - La liberté de choix du mandataire de protection future n'est cependant pas totale. Lorsque le mandataire est une personne physique, il doit jouir, durant l'exécution du mandat, de sa capacité civile (C. civ., art. 480, al. 2). Par ailleurs, il doit remplir pendant cette même durée les conditions requises pour l'exercice des charges tutélaires (C. civ., art. 395). Ainsi, à l'instar du tuteur testamentaire, ne peuvent être investis de cette mission les mineurs non émancipés, les majeurs faisant l'objet d'une mesure de protection juridique, les personnes à qui l'autorité parentale a été retirée et les personnes à qui l'exercice des charges tutélaires a été interdit en application de l'article 131-26 du Code pénal.
Ne peuvent non plus être mandataires le médecin, le pharmacien ainsi que les auxiliaires médicaux tels que les infirmiers et les kinésithérapeutes dont le bénéficiaire du mandat est patient (C. civ., art. 445).
Pour désigner une personne morale en qualité de mandataire, la loi impose qu'il soit choisi dans la liste des mandataires judiciaires. Cette exigence s'explique notamment pour éviter l'intrusion du mouvement sectaire dans le mandat de protection future. Elle s'explique également par le fait que ce contrat est conclu intuitu personae, ce qui est peu compatible avec la désignation d'une personne morale.
- Les critères pratiques de choix. - Si le choix du mandataire est théoriquement très ouvert, la pratique est plus complexe et les questions soulevées pour le choix du tuteur testamentaire se posent également pour le mandataire . Le mandat de protection future pour autrui est le contrat de confiance par excellence et le mandataire doit être un proche qui a la confiance de la famille, du mandant et dans la mesure du possible du bénéficiaire, selon son état de conscience.
La confiance et la bonne volonté ne suffisent pas. Le mandataire doit posséder certaines compétences en matière de prise en charge et de suivi d'une personne handicapée et en matière de gestion de patrimoine. À ce titre, selon la composition du patrimoine de l'enfant à protéger, le mandataire doit avoir un minimum de connaissances économiques et juridiques.
Il est également nécessaire de choisir un mandataire qui ne soit pas en conflit d'intérêts avec l'enfant à protéger.
- La désignation d'une pluralité de mandataires. - Selon la situation familiale et patrimoniale de l'enfant à protéger, il peut être opportun de désigner plusieurs mandataires . Les raisons qui peuvent justifier cette collégialité de mandataires sont multiples :
  • utiliser et faire bénéficier à l'enfant des compétences et des savoir-faire de plusieurs mandataires. Il est ainsi possible de dissocier la protection de la personne, surtout pour la prise en charge d'un handicapé et la protection de son patrimoine, d'autant plus s'il est important et nécessite des compétences techniques. Les différentes missions peuvent ainsi être dissociées et attribuées à des mandataires différents ;
  • la collégialité peut également être considérée comme un gage de bonne gestion pour l'enfant. Une personne seule peut se tromper et prendre de mauvaises décisions. Ce risque diminue lorsque la décision est prise collectivement. La gestion collégiale peut d'ailleurs être organisée en distinguant les décisions courantes qui peuvent être prises par un mandataire seul et les décisions plus graves qui nécessitent une décision collective ;
  • la collégialité permet également de créer un autocontrôle de la gestion des affaires de l'enfant ;
  • la collégialité permet enfin d'éviter ou de diminuer le risque de conflits d'intérêts.
- L'acceptation et la renonciation du mandataire. - L'acceptation de sa mission par le mandataire est obligatoire et elle doit intervenir en la forme authentique. Le plus fréquemment le mandataire intervient directement à l'acte initial pour donner son consentement. L'acceptation peut intervenir ultérieurement et elle doit être constatée selon les mêmes formes que l'acte initial.
Tant que le mandat n'a pas été activé, le mandataire peut y renoncer.

Le bénéficiaire du mandat de protection future pour autrui

- La particularité d'un contrat stipulé pour autrui. - Le mandat de protection future pour autrui présente une grande singularité juridique. Le bénéficiaire du contrat n'y est pas partie. Pourtant, il en est plus que le bénéficiaire, il en est la raison d'être. L'organisation de sa protection constitue l'objet de ce contrat très particulier.
- Les conditions de validité du mandat de protection future relatives à l'enfant à protéger. - Pour que le mandat de protection future pour autrui produise effets, il est nécessaire que l'enfant, dans l'intérêt duquel ce contrat est conclu, se trouve dans l'incapacité de pourvoir seul à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté, conformément aux dispositions de l'article 425 du Code civil.
- L'association de l'enfant à la conclusion du mandat. - Dans la mesure où le mandat de protection future pour autrui présente l'originalité de dissocier le mandant et le bénéficiaire, il est souhaitable d'associer ce dernier à l'établissement du contrat . Naturellement cette association à la décision dépend de l'âge et de l'état de santé de l'enfant, mais autant que faire se peut, il convient de le faire participer à la mise en place de son dispositif protecteur, notamment en l'associant au choix du mandataire.

La combinaison du mandat de protection future et de la tutelle testamentaire

Le mandat de protection future pour autrui peut être contracté au profit d'un enfant mineur ou majeur
. En tout état de cause, s'agissant d'une mesure de protection des majeurs, il ne prendra effet qu'à la majorité de l'enfant s'il se trouve dans l'incapacité de pourvoir seul à ses intérêts. Il est donc opportun, pour les parents d'un enfant handicapé, d'associer un mandat de protection future et une tutelle testamentaire. En cas de décès des deux parents durant la minorité de l'enfant, la tutelle s'ouvre et le tuteur testamentaire pourra s'occuper de l'enfant. À sa majorité, la tutelle cesse et le mandataire débute sa mission en exécution du mandat de protection. La même personne peut naturellement être désignée tuteur puis mandataire. Les deux techniques se combinent donc parfaitement et il convient de les prévoir toutes les deux.

Les pouvoirs du mandataire

- Entre anticipation contractuelle et ordre public. - La nature hybride, institutionnelle et contractuelle du mandat de protection future se cristallise lors de la détermination des pouvoirs du mandataire. Mesure de protection des personnes, l'ordre public imprègne le régime juridique du mandat et contraint fortement la liberté contractuelle. Technique au service des familles pour organiser la protection de leurs proches, le mandat de protection future doit permettre d'atteindre un objectif essentiel pour établir un mandat efficace : l'anticipation. Comme nous l'avons déjà démontré, l'anticipation constitue la clé de l'efficacité et de la pertinence du mandat. Beaucoup d'éléments déterminants du mandat, liés à la situation du mandataire ou du bénéficiaire, demeurent incertains et évolutifs au moment de sa conclusion.
- Un délicat exercice de rédaction. - Le notaire doit donc trouver un délicat équilibre lors de la rédaction du mandat de protection, car plusieurs écueils menacent sa validité et son efficacité .
Tout d'abord, le contrat doit naturellement respecter la loi et particulièrement les dispositions d'ordre public qui régissent la matière. Ainsi des limites tenant à la protection de la personne et de son cadre de vie comme des limites tenant à la protection de son patrimoine et aux modalités d'exercice de la mission du mandataire sont arrêtées par la loi, sans dérogation possible. Les pouvoirs du mandataire sont donc circonscrits par les règles d'ordre public.
Le deuxième écueil serait de consentir au mandataire des pouvoirs trop restreints . Sans marge de man?uvre, le mandataire ne pourrait remplir efficacement sa mission et devrait, du fait de situations de blocage récurrentes, requérir une autorisation.
Le troisième écueil serait, à l'inverse, de lui reconnaître des pouvoirs trop larges. Le fonctionnement du dispositif s'en trouverait notablement fluidifié mais le risque serait alors l'abus de pouvoir et le détournement de son objet. Pour prévenir ce risque, il convient de nommer plusieurs mandataires et d'organiser un contrôle de la gestion du mandataire par des organes extérieurs.
- L'impossibilité d'adapter les pouvoirs du mandataire après l'activation du mandat. - L'anticipation lors de la rédaction du mandat est d'autant plus cruciale qu'il n'est plus possible de la modifier après son activation. Tant qu'il n'a pas été activé, il est possible de le modifier pour notamment réviser les pouvoirs du mandataire. Après son activation, ces adaptations ne sont plus permises car les parties au contrat ne sont plus, par hypothèse, en capacité juridique de contracter. Cette impossibilité d'adapter les pouvoirs du mandataire en cours de mandat ne peut être résolue par le juge. Ce dernier n'a pas le pouvoir de modifier le contrat pour combler des lacunes ou suppléer le manque de prévision. Si le mandat ne permet pas d'assurer efficacement la protection de l'enfant, le juge n'aura pas d'autre choix que de le remplacer par une autre mesure de protection. L'anticipation et la rédaction appropriée du mandat conditionnent donc son efficacité.
- La détermination des pouvoirs du mandataire. - Le contrat doit donc déterminer de manière exhaustive les pouvoirs qui sont attribués au mandataire. Dans la mesure où il n'y a pas de différence significative entre le mandat de protection future pour soi et pour autrui sur la question des pouvoirs du mandataire, nous renvoyons sur ce point aux développements qui y sont consacrés au titre suivant.
- Liberté contractuelle encadrée. - Il appartient au contrat de définir l'étendue des pouvoirs confiée au mandataire. Cela étant, s'il est imprégné de liberté contractuelle, le mandat de protection future n'en demeure pas moins une mesure de protection juridique. C'est pourquoi, en droit, la volonté des parties se trouve atténuée par un certain nombre de dispositions impératives. En pratique, l'objet du mandat postule, par ailleurs, que le rédacteur de l'acte soit particulièrement vigilant quant aux clauses susceptibles d'y être insérées. En vue d'une parfaite exécution du mandat, celui-ci doit envisager les nombreuses questions qui se posent autour des pouvoirs du mandataire, mais si le mandat de protection future est trop précis, il risque d'être source de blocage ; à l'inverse, s'il est trop imprécis, il pourra s'avérer inutile et finalement être écarté au profit d'une mesure judiciaire de protection. L'exercice est rendu d'autant plus délicat qu'il s'agit ici d'anticiper sur des difficultés certes prévisibles dans leur survenance, mais souvent floues quant à leurs contours.
- Plan. - Pour déterminer les pouvoirs du mandataire, il est nécessaire de distinguer selon que la mission du mandataire vise la protection des biens du mandant (A) ou la protection de sa personne (B).