La construction d'immeubles évolutifs

La construction d'immeubles évolutifs

– L'immeuble durable par un usage prolongé. – L'immeuble devient durable lorsque son usage perdure, au besoin grâce à une adaptation ou un changement. Dans la première hypothèse, il s'agit par exemple de faire en sorte d'agrandir le logement suite à un changement de situation familiale ou de l'adapter en raison de la fragilité de son occupant 1510394945792. La seconde hypothèse vise le changement d'un usage de bureau à habitation par exemple. La multifonctionnalité d'un immeuble participe pleinement à la construction de la ville durable 1510395494226. Ces réflexes guident dorénavant les nouveaux projets de construction. Tout ce qui n'est pas enfermé dans un usage est durable 1511082022338.
Une construction adaptée favorise une évolution de l'immeuble dans le temps (§ I), mais aussi dans l'espace (§ II).

L'immeuble évolutif dans le temps   

Il est évident que la base de l'évolution d'un immeuble est sa conception. Encore faut-il appréhender l'ensemble de cette phase. De nouveaux outils et matériaux permettent d'optimiser la conception d'un immeuble (A), favorisant à terme de nouveaux usages (B).

La conception, base de l'évolution

– Une aide à la conception : le BIM. – Avant de transformer un plateau entier à usage de bureaux en logements, il convient de connaître l'emplacement de l'ensemble des réseaux et fluides, et d'une façon générale, toutes les caractéristiques attachées à la conception de l'immeuble. À cet effet, la modélisation des informations du bâtiment ou building information modeling (BIM) garantit le recueil, la conservation et la transmission de l'ensemble des données concourant à la construction du bâtiment : qui fait quoi, comment, avec quels matériaux et à quel moment ? La représentation digitale des caractéristiques physiques et fonctionnelles de l'immeuble est assurée au moyen d'une maquette numérique 3D. Cet avatar de l'immeuble permet d'effectuer des analyses, des simulations (énergétiques, calcul structurel), des contrôles (respect des normes) et des projections (rénovation ou extension).
Un intervenant ultérieur consultant le BIM connaît ainsi rapidement la nature du matériau employé, la date de pose, et si besoin, le nom de l'entreprise. C'est l'assurance d'une meilleure efficacité des projets d'évolution. Le BIM n'est pas seulement réservé à la conception de bâtiments, mais sert aussi des projets d'infrastructures. Ainsi, le lauréat du BIM d'or 2017 est la ligne 16 du Grand Paris Express comprenant vingt-cinq kilomètres de lignes, neuf gares et trente-quatre ouvrages associés 1511297903380.
Le BIM n'est pas obligatoire mais bénéficie d'un véritable effet d'entraînement des acteurs de la filière 1510412703696. Une charte d'engagement volontaire pour la construction numérique a été signée lors du Mondial du bâtiment à Paris le 9 novembre 2017. Elle vise la généralisation du BIM pour la conception et la construction d'ici à 2022. Cet outil se situe dans le prolongement du carnet numérique de suivi et d'entretien du logement (V. n° ) 1510415262274.
– Le permis de construire numérique. – Un premier dépôt de permis de construire BIM a été instruit à partir de la maquette numérique de l'immeuble intégrant les données relatives aux quatorze articles du plan local d'urbanisme (accès et voirie, hauteur des constructions, aspect extérieur, etc.) 1510414089766. Ces données sont vérifiées par le service instructeur au moyen d'un contrôle automatique du respect des règles d'urbanisme, divisant par trois le temps d'instruction. La visualisation en 3D permet en outre une compréhension rapide du projet. Bien plus qu'un simple gadget, cet outil traduit la nécessité pour les collectivités et les professionnels du bâtiment de poursuivre la digitalisation du secteur.
– La construction évolutive grâce à des matériaux évolutifs. – Construire en ayant conscience de l'épuisement des ressources permet de les économiser, mais également de privilégier certains matériaux facilitant l'évolution du bâti. C'est notamment le cas du bois dont la filière est manifestement sous-exploitée et mal structurée (V. n° ). Le plan de la Nouvelle France Industrielle lancé en 2014 prévoit de mobiliser les professionnels de la construction autour d'un objectif commun : parvenir à construire un immeuble en bois de trente étages en 2030. La tour Silva à Bordeaux, réalisée à 80 % en bois, culminera fin 2020 à cinquante-six mètres de hauteur et comprendra dix-huit étages 1513199844967.
L'emploi de ce matériau renouvelable, recyclable, véritable piège à carbone, permet également une flexibilité et une modularité du bâtiment à l'inverse du béton, difficile à démolir et recycler.

L'évolution de l'usage

– Des besoins évolutifs : de l'immeuble au logement. – Pour favoriser les changements d'usage permettant d'accueillir indifféremment au fil du temps des logements, des bureaux ou des parkings, les nouveaux immeubles emploient des procédés constructifs particuliers avec des ossatures spécifiques 1511082636439. Les plateaux avec des hauteurs standardisées sont aménageables à souhait, les contraintes de réseaux et fluides ayant été anticipées et logées dans les planchers.
Pour le logement, le parcours immobilier d'un propriétaire ou d'un locataire 1510828222061est étroitement lié à son parcours professionnel et à sa situation familiale. Le taux annuel moyen de rotation dans le parc de logements est de 16,5 % pour les 30-49 ans et atteint 33 % chez les moins de trente ans 1510828965754. Ces chiffres révèlent en partie l'inadaptation des logements actuels aux besoins de leurs occupants.
– L'évolution du logement. – Des professionnels prennent en compte ces données dans leur projet en intégrant des logements susceptibles d'évoluer dans des configurations différentes 1510829446756. On parle de logement élastique lorsque la surface évolue au fil du temps et que le nombre de pièces est adapté au nombre d'occupants. Des pièces sont ainsi basculées entre différents logements, sans déménagement de leurs occupants, sinon de la pièce concernée.
Ponctuellement, des espaces de vie supplémentaires peuvent être adjoints en louant des pièces annexes indépendantes. Ces solutions répondent à un besoin à durée variable. Dans un immeuble où la maîtrise appartient à un seul propriétaire, il suffit d'adapter les contrats de location avec les occupants. En revanche, lorsque l'immeuble est détenu collectivement, les règles de la copropriété complexifient l'évolution recherchée.
– L'évolution du logement en copropriété. – À défaut d'avoir pu loger son local d'habitation dans un volume, le propriétaire est confronté à l'application des règles de la copropriété pour les divisions et réunions de lots. Ainsi, l'augmentation ou la diminution de la surface habitable d'un logement résulte de la diminution ou de l'augmentation de la surface d'un autre 1511085299265. Par principe, à défaut de clause restrictive contenue dans le règlement de copropriété 1511086569578, tout copropriétaire a le droit de diviser son lot ou de réunir des lots sans autorisation préalable du syndicat (V. n° ) 1511089887995. Par exception, si la division ou la réunion est contraire à la destination de l'immeuble, l'assemblée générale des copropriétaires se prononce à l'unanimité.
En copropriété, le formalisme est plus important, rendant nécessaire le cas échéant une autorisation, a minima une approbation de la nouvelle répartition des charges et du nouvel état descriptif de division 1511088044297. Cette nouvelle répartition des charges a longtemps été entérinée après la division. La position actuelle de la Cour de cassation rend néanmoins cette solution dangereuse 1511213409282. En effet, l'assemblée générale ne peut pas délibérer valablement sans approbation préalable de la modification de la répartition des charges présentée par le propriétaire du lot divisé (V. n° ).

L'immeuble évolutif dans l'espace

– L'espace, une question de dimension. – Imaginer l'immeuble évolutif dans l'espace, c'est le voir s'agrandir ou se reconfigurer en occupant un espace différent. Cette évolution de l'immeuble dans l'espace est corrélée à celle de l'immeuble dans le temps. À ce titre, l'exemple des constructions modulaires (A) permet d'imaginer un permis de construire évolutif (B).

Les constructions modulaires

– Du préfabriqué à la fabrique urbaine. – Couramment appelée « préfabriqué », la construction modulaire a largement investi le domaine des entreprises et des collectivités 1511013128095. Elle connaît aujourd'hui un réel engouement pour la réalisation de locaux d'habitation individuels ou collectifs, notamment en raison d'un coût de construction moins élevé et d'une certaine rapidité d'exécution. Ces solutions modulaires respectent les dernières normes en vigueur, en particulier la réglementation thermique RT 2012. Les bâtiments préfabriqués peuvent se raccorder entre eux ou à un bâtiment principal, et également être superposés, permettant ainsi d'optimiser l'utilisation d'un espace.
– Construction, extension. – Ces réalisations modulaires sont de véritables constructions 1511017499280. Elles nécessitent à ce titre la délivrance d'un permis de construire (C. urb., art. R. 421-1). En dessous de vingt mètres carrés d'emprise au sol ou de surface de plancher, une simple déclaration préalable suffit (C. urb., art. R. 421-9 à R. 421-12). Les projets inférieurs à cinq mètres carrés bénéficient d'une dispense d'autorisation (C. urb., art. R. 421-2 à R. 421-8-2).
Pour les extensions, un permis de construire est nécessaire au-delà de quarante mètres carrés (C. urb., art. R. 421-17, f), sauf à dépasser le seuil global de 170 mètres carrés.
Ce procédé constructif, véritable jeu de lego, permet un bâtiment évolutif, modulable, voire mobile 1511018429945, y compris pour des bâtiments de grande ampleur 1513199682071. Il s'adapte également parfaitement à certaines caractéristiques des constructions prévues par imprimantes 3D 1511213659139.
Cette modularité, symbole d'une véritable souplesse, tranche avec la rigidité des autorisations préalables nécessaires à tout changement.
– La modularité à l'épreuve de l'autorisation dans le temps. – À défaut de prorogation, la validité d'un permis de construire ou d'une déclaration préalable de travaux est limitée à trois ans, sous réserve du démarrage effectif des travaux (C. urb., art. R. 424-17). Ce feu vert administratif valide un projet donné sans qu'il soit possible de le faire évoluer à défaut de nouvelle autorisation ou de modification de celle déjà obtenue. Outre la question du temps d'instruction et des éventuels recours (V. n° ), le risque est que la règle d'urbanisme change entre-temps et soit moins souple. Face aux enjeux du bâtiment évolutif, l'immuabilité de l'autorisation de construire est à contre-courant.

Un permis de construire évolutif

– Un permis de construire… à points. – Certaines autorisations ou conventions attribuent des droits à leurs bénéficiaires dont l'utilisation progressive est décomptée 1511021243304. Sauf hypothèses imputables au titulaire, ces droits lui sont acquis. Dans le domaine de la construction, c'est l'inverse. On part du premier mètre carré pour éventuellement consommer tous les droits à construire.
L'utilité du permis de construire est notamment de permettre à l'administration de vérifier la conformité du projet avec la règle (C. urb., art. L. 421-6). En transposant au permis de construire le régime du permis de conduire à points, un pétitionnaire pourrait figer un maximum de droits à construire sur une parcelle, sans risquer un changement de règle ultérieur. Ces droits seraient utilisés en fonction des besoins dans le temps, en tenant compte des constructions réalisées sur les parcelles voisines 1511081168681.
– Un permis de construire mixte et rechargeable. – Ce nouveau permis de construire serait mixte, autorisant ainsi dès sa délivrance un changement de destination plus ou moins étendu selon les besoins identifiés sur le secteur. Cette réversibilité intrinsèque au permis nécessiterait d'harmoniser les législations applicables aux différentes destinations de l'immeuble (V. n° ).
Idéalement, ce permis deviendrait rechargeable en bénéficiant de toute augmentation ultérieure de la constructibilité de la parcelle 1511104890925.
Dans le contexte de la ville durable, ce permis de construire évolutif est une sorte de vision augmentée de l'actuel permis à tranches, permettant la réalisation dans le temps d'un projet prédéterminé (C. urb., art. R. 462-2). Il appellerait de vastes réflexions en matière d'urbanisme, mais également pour la copropriété abritant la majorité des logements collectifs, l'état descriptif de division devenant à son tour évolutif.