Le notaire confronté à la vulnérabilité de fait a1582
- Une protection en amont. - La protection que la loi confère aux personnes vulnérables de fait est une protection « occasionnelle »
, qui frappe a posteriori, sur le plan civil, certains actes dangereux pour leur auteur ou, sur le terrain pénal, les comportements abusifs d'un tiers. En cela, il s'agit d'une protection à la fois indispensable, mais insuffisante tant il est évident que certaines situations préjudiciables pour le vulnérable, ou ses héritiers, parviennent à développer leurs effets, en toute impunité. On touche là les limites naturelles d'un système de protection inorganisée, sans pour autant qu'il soit question ici de révéler une lacune flagrante de la loi. En toute objectivité, on ne saurait en effet reprocher au législateur de ne pas appréhender de manière efficace une situation de fait qui, par nature, lui échappe et qui, du reste, une fois révélée, fait l'objet d'un régime de protection juridique élaboré. Il n'en reste pas moins que le bilan demeure décevant, surtout si l'on songe que le succédané de protection ainsi mis en ?uvre, impropre à préserver efficacement les intérêts de la personne vulnérable, se révèle en revanche suffisant pour troubler la sécurité juridique et causer éventuellement un préjudice aux tiers de bonne foi, cocontractant d'un acte à titre onéreux ou bénéficiaire d'un acte à titre gratuit, en laissant planer sur l'acte en question les risques d'une future remise en cause rétroactive.
Ce constat appelle une évidence, selon laquelle la protection de la vulnérabilité de fait doit, dans la mesure du possible, intervenir en amont, avant même que la personne atteinte de troubles cognitifs n'accomplisse l'acte litigieux, source de danger pour elle et d'insécurité pour le tiers. Dans cette optique, il n'est pas douteux que le notaire ait un rôle central à jouer. Par hypothèse capable puisqu'il ne fait pas l'objet d'une mesure de protection, la personne affaiblie, dans le besoin financier ou sous la pression d'un proche, va souvent souhaiter vendre l'un de ses biens immobiliers, effectuer un testament ou une donation, modifier le bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie, ou rédiger un mandat de protection future. Qu'il soit instinctivement appelé à se poser des questions, ou qu'il s'agisse des tiers qui émettent des doutes sur la capacité du client, le notaire doit, en pareille occurrence, se montrer particulièrement vigilant. Comme les autres citoyens, les personnes vulnérables - parce qu'elles avancent en âge ou qu'elles sont en situation de handicap cognitif - doivent pouvoir exercer les droits qui sont les leurs dès lors qu'elles ont les capacités légalement requises à cette fin. Cela suppose toutefois de créer les conditions pour qu'elles puissent effectivement le faire, de favoriser et d'assister l'expression de leur volonté, afin que ces droits ne restent pas pour elles des prérogatives purement abstraites. Dans leur pratique quotidienne, il appartient dès lors aux notaires, d'une part, de permettre aux personnes vulnérables qui en ont les capacités de continuer à exercer leurs droits, et, d'autre part, de les protéger, notamment contre les risques de captation d'héritage et d'abus de faiblesse dont elles sont encore trop souvent les victimes. En somme, il s'agit tout à la fois pour le notaire instrumentaire confronté à la vulnérabilité de fait de protéger les libertés individuelles, de sécuriser l'acte qu'il reçoit et accessoirement, en guise de récompense ultime, d'évincer les risques attachés à une responsabilité civile professionnelle, que l'on sait particulièrement renforcée en la matière.