Le trouble anormal de voisinage

Le trouble anormal de voisinage

– Un régime de réparation sans faute. – Le territoire n'est pas infini. La densification des espaces conduit à une augmentation des situations de promiscuité, avec tous les troubles potentiels en résultant. La jurisprudence sanctionne l'abus de droit de propriété lorsque le trouble résulte d'une volonté de nuire à son voisin 1497477752602. Les juges ont également admis la responsabilité du fait des choses dans l'hypothèse de désagréments subis par un voisin 1497477787458. Mais la jurisprudence est réticente à l'idée de réparer les troubles du voisinage sur le fondement de l'actuel article 1242 du Code civil (C. civ., art. 1384 ancien) 1497477857936. La solution prétorienne a surtout édicté le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage 1497477930866. D'abord induit de l'article 1240 du Code civil (C. civ., art. 1382 ancien), et considéré comme une application de la responsabilité civile pour faute, le principe est désormais autonome et sans fondement textuel 1497478208555. En effet, sa mise en œuvre exige davantage un trouble dépassant les inconvénients habituels du voisinage qu'une faute. En conséquence, le trouble anormal est susceptible d'être invoqué même si l'auteur du trouble agit conformément à la réglementation 1497478663573. À ce titre, la jurisprudence impose la cessation du trouble plutôt que la condamnation de l'auteur à une réparation par équivalent 1497478736225. En outre, l'action peut être dirigée tant contre le propriétaire du fonds à l'origine du trouble que contre son locataire 1497478753495, ou même l'entrepreneur y effectuant des travaux 1497478790539.
– Application aux énergies renouvelables. – L'exploitation d'une énergie renouvelable avec toutes les autorisations nécessaires n'exclut pas la reconnaissance d'un trouble anormal du voisinage 1497561174632. A fortiori, le trouble anormal de voisinage peut exister dans l'hypothèse d'exploitations dispensées d'autorisation, par exemple les éoliennes de moins de douze mètres 1497561491440. Le juge se montre parfois compréhensif. Ainsi, une éolienne située à 400 mètres d'une habitation a été considérée comme un trouble normal du voisinage, l'environnement de la propriété n'étant pas altéré par ce désagrément esthétique, mineur eu égard à l'éloignement 1497561715112. Mais la jurisprudence se montre également rigoureuse. Ainsi, un trouble anormal de voisinage a été établi pour une éolienne de onze mètres de haut située à cinquante mètres de la façade de la maison des voisins. Le propriétaire a été condamné à démonter l'installation, outre le versement de dommages et intérêts 1497561958145. En l'espèce, les juges ont considéré que le trouble résultait de l'effet stroboscopique provoqué par l'éolienne, caractérisé par l'interruption périodique de la lumière lors de la rotation des pales et par l'attirance du regard par le mouvement de l'éolienne et de son ombre portée. L'éolienne peut également causer un trouble anormal en raison du bruit des aérogénérateurs 1497564858298. Un trouble anormal a également été reconnu dans le cas d'un parc de vingt et une éoliennes situé à proximité d'un ancien domaine viticole en raison du préjudice visuel, des nuisances sonores et de la perte de valeur de la propriété 1497564334738. Outre l'indemnisation du préjudice, l'exploitant fut condamné à la démolition sous astreinte de quatre des éoliennes.
– La dénaturation des notions de trouble et de voisinage. – La jurisprudence relative au trouble anormal de voisinage a servi d'embryon au droit de l'environnement 1498082670585. Elle apparaît en effet au 19e siècle, dans le contexte de pollution industrielle 1498082683143. Le développement du droit de l'environnement, corrélatif à l'augmentation des pollutions du monde moderne, aurait pu conduire à cantonner la notion aux seuls rapports de voisinage entre particuliers. Mais il n'en fut rien, bien au contraire 1498082698525. Tout d'abord, la notion de voisinage est devenue floue. Elle ne se limite plus à la proximité immédiate 1498082729990. La jurisprudence européenne a ainsi pu considérer que des terrains agricoles en Autriche étaient voisins d'une centrale nucléaire en République tchèque, bien que séparés de 100 kilomètres 1498082744951. Au fond, chaque territoire susceptible d'être affecté négativement par une activité est considéré comme voisin 1498082761689. Le voisinage étant défini de manière très étendue, le trouble anormal de voisinage est retenu, par exemple, pour des éoliennes situées à une distance significative. Dans le même temps, la notion de trouble a évolué 1498082773842au point d'englober le simple risque préjudiciable 1498082784637. Ainsi, des juges du fond ont ordonné l'enlèvement d'antennes-relais au titre du trouble anormal en considérant la possible nocivité des ondes 1498082798162. La Cour de cassation elle-même a implicitement validé ce raisonnement sur la base d'un principe de précaution 1498082810798.
– La modération prétorienne. – Le recours extensif au trouble anormal de voisinage n'est pas judicieux dans le cas des énergies renouvelables. Il fait en effet peser un risque sérieux sur des projets ayant pourtant toutes les autorisations nécessaires au titre du droit de l'environnement, de l'urbanisme et de l'énergie. La notion de trouble anormal de voisinage est subjective. Elle échappe à toute planification par l'autorité publique et fait prévaloir les intérêts catégoriels des voisins immédiats sur l'intérêt général. En outre, sa mise en œuvre n'a rien de systématique et nécessite la volonté contentieuse d'un plaideur. Les installations déjà implantées bénéficient du principe de l'occupation antérieure. En effet, les nuisances industrielles ne donnent pas lieu à réparation, lorsque l'activité est conforme à la législation, et dès lors que cette activité est antérieure au titre de la victime (CCH, art. L. 112-16). Mais la règle est sans effet pour les installations à venir. La dernière évolution jurisprudentielle restreint néanmoins l'application du trouble anormal de voisinage. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme considère que le bruit émis par des éoliennes situées à 400 mètres d'une habitation ne constitue pas une atteinte au droit au calme dès lors que le bruit n'excède pas les seuils recommandés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) 1498084421501. Sur le plan national, la Cour de cassation estime désormais que le juge judiciaire n'a pas le pouvoir d'ordonner l'enlèvement d'éoliennes 1498084433310. Au nom du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la Cour de cassation considère que le juge judiciaire n'a pas à substituer son appréciation à celle de l'autorité administrative. Les autorisations délivrées à ce titre prennent en effet déjà en compte les dangers ou inconvénients résultant de ces installations, pour le voisinage, la santé, ou l'environnement. Au plus, les tribunaux judiciaires sont compétents pour allouer des dommages et intérêts aux voisins lésés, ainsi que pour ordonner les mesures propres à faire cesser le préjudice causé par l'installation. Rendue dans le contexte d'éoliennes relevant du régime ICPE, la solution a vocation à être généralisée à toutes les énergies renouvelables relevant du même régime, voire de l'autorisation environnementale unique. Ce qui ne laisse hors de son champ que les hypothèses de moindre envergure ne nécessitant aucune autorisation administrative.

Le châtelain se bat contre des moulins à vent

L'évolution jurisprudentielle s'est produite dans une hypothèse exemplaire en pratique. Deux parcs éoliens, de cinq aérogénérateurs chacun, tous d'une hauteur supérieure à cinquante mètres, sont installés en 2007. Le propriétaire du château de Flers, monument historique dans le Pas-de-Calais, se plaint des nuisances visuelles, esthétiques et sonores en résultant, ainsi que de la dépréciation de son bien immobilier. Sur le fondement du trouble anormal de voisinage, le tribunal de grande instance de Montpellier ordonne le démantèlement des deux parcs, au motif d'une dénaturation totale du paysage champêtre, du ronronnement et sifflement des éoliennes même en dessous des seuils réglementaires, et des perturbations de la vue dues aux phénomènes stroboscopiques et de variation d'ombre
<sup class="note" data-contentnote=" TGI Montpellier, 1&lt;sup&gt;re&lt;/sup&gt; ch., 17 sept. 2013, n° 11/04549.">1498085739522</sup>. En appel, la décision est infirmée : le juge judiciaire n'est pas compétent pour ordonner la démolition d'une ICPE, au contraire du juge administratif. En conséquence, le trouble anormal de voisinage ne permet que d'obtenir des dommages et intérêts
<sup class="note" data-contentnote=" CA Montpellier, 1&lt;sup&gt;re&lt;/sup&gt; ch., 28 juill. 2015, n° 13/06957.">1498085838899</sup>. Il s'agit de la solution consacrée par la Cour de cassation dans l'arrêt précité.