Les mandats classiques

Les mandats classiques

- Plan. - En dehors des solutions spécifiques tirées du droit des personnes, le droit commun offre une multitude d'outils que le praticien peut utiliser. On songe ici au mandat de droit commun (Sous-section I) et à ses divers prolongements dans les régimes matrimoniaux (Sous-section II).

Le mandat conventionnel

- La pratique répandue des procurations. - Le mandat est une figure juridique bien connue, sur laquelle il est inutile de s'étendre. Il n'est donc pas question ici de revenir sur les règles générales du mandat (C. civ., art. 1984 et s.), mais seulement d'envisager en quoi ce mécanisme de droit commun peut être utilisé dans le cadre d'une anticipation de la vulnérabilité.
La pratique nous révèle, en effet, que le mandat conventionnel est le premier outil d'assistance de ceux dont l'âge avance et qui, au soir de leur vie, connaissent des difficultés à s'assumer sur le plan personnel, familial et patrimonial. Se déplacer à la banque pour un retrait d'argent, effectuer une opération bancaire ou financière, établir une déclaration de revenus, gérer une relation avec un locataire ou des copropriétaires sont souvent, à un certain stade de la vie, devenus des entreprises si ce n'est insurmontables, tout au moins délicates, de surcroît lorsqu'elles se développent dans un univers numérique où le contact digital s'est substitué au contact humain. Accompagnées d'un proche, ces personnes poussent la porte des offices notariaux afin de solliciter une procuration qui leur permettra de déléguer les tâches matérielles et quotidiennes de la vie. C'est en quelque sorte une dernière volonté, dont la déficience apparaît mais n'est pas encore avérée, car elle est encore claire, emplie de la confiance qui est placée dans le mandataire choisi. Comme le précisait très justement la troisième commission du 102e Congrès des notaires de France, « quand la volonté vient à défaillir, elle se met naturellement à déléguer » . Les uns consentent une procuration générale qui permet de faire tous les actes d'administration, les autres, plus spécifiquement, privilégient un mandat de gestion sur des biens loués, une procuration spéciale pour signer un acte notarié, un mandat pour assister aux assemblées générales de copropriétaires ou encore un mandat bancaire spécial pour agir sur les comptes ou pour gérer un portefeuille d'instruments financiers. Les exemples sont nombreux.
- Articulation avec les mesures judiciaires de protection. - Le mandat est un instrument commode au service d'une personne dont la santé est déficiente, mais qui est encore lucide. Sous certaines réserves, le mandant doit être en mesure de révoquer sa procuration « quand bon lui semble » (C. civ., art. 2004), notamment si le lien de confiance s'est rompu avec le mandataire. Dans cette logique, le mandat est destiné à prendre fin lorsque le mandant ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté. L'idée est consacrée à l'article 2003 du Code civil, lequel prévoit, de manière imparfaite, que « le mandat finit (?) par la tutelle des majeurs ». En réalité, bien que le texte ne le mentionne pas expressément, et parce qu'il s'agit d'une mesure également incapacitante, il nous semble qu'il faille considérer que la curatelle produit le même effet que la tutelle . En revanche, parce que la sauvegarde de justice ne constitue précisément pas une mesure d'incapacité, elle n'a pas pour effet de mettre fin au mandat . En définitive, on peut certainement considérer que le mandat prend fin, de manière plus claire, par la survenance de l'incapacité du mandant.
Cela étant, dans une telle hypothèse, il convient de rappeler qu'en application du principe de subsidiarité des mesures judiciaires de protection par rapport au droit commun de la représentation (C. civ., art. 428, al. 1er), le juge n'est censé ouvrir une curatelle ou une tutelle que si le mandataire ne s'acquitte pas correctement de sa tâche ou si ces mesures paraissent indispensables pour protéger la personne contre un risque de captation d'héritage. La réalité des faits est quelque peu différente. On sait, en effet, que le juge a nettement tendance, en pareil cas, à ouvrir une mesure de protection, plus protectrice à ses yeux, en estimant que le mandat ne suffit pas à préserver suffisamment les intérêts du mandant.
- Combinaison avec le mandat de protection future. - Le mandat conventionnel fonde son existence sur la volonté mais se termine par l'incapacité du mandant. En cela, il constitue une mesure de prévoyance utile et sage, mais qui s'éteint malencontreusement lorsque l'on en a sans doute le plus besoin. Partant, il souffre de la comparaison avec le mandat de protection future qui, à l'inverse, n'a d'effet que pour l'avenir et se déclenche précisément lorsque l'altération des facultés mentales est avérée. Alors que le mandat ordinaire véhicule une volonté tout à fait présente, le mandat de protection future permet d'appréhender la période tant redoutée où celle-ci devient évanescente jusqu'à disparaître totalement . Cela étant, et à défaut pour le mandat de protection future - en l'état du droit positif - de pouvoir prendre le visage d'une mesure d'assistance , son intérêt constitue également sa faiblesse : s'il étreint l'avenir, il n'embrasse pas le présent. Les notaires le savent pertinemment, et c'est la raison pour laquelle lorsqu'ils sont consultés, deux mandats sont souvent établis successivement :
  • un mandat général pendant la période actuelle où la volonté, bien que relâchée, est toujours bien réelle et consent une délégation et une représentation contrôlées par le mandant lui-même. Le mandat de protection future n'est pas encore d'actualité, mais un mandat général l'est. Celui-ci doit donc être proposé. C'est un peu le mandat de fatigue pour le mandant ;
  • un mandat de protection future pour plus tard, qui vient en quelque sorte prolonger le mandat précédent pour le remplacer et le densifier par un mandat survivant à la volonté du mandant qui viendrait à défaillir.

L'anticipation oubliée : la gestion d'affaires

En présence d'une personne ne pouvant administrer ses biens en raison d'une incapacité, avant même que celle-ci ne soit révélée juridiquement et fasse l'objet d'une mesure de protection, la gestion d'affaires, régie par les articles 1301 et suivants du Code civil, peut s'avérer utile. Elle n'est pas dangereuse pour le majeur vulnérable car le gérant n'agit que pour son bien. De plus, elle crée à la charge de ce dernier une obligation de bien faire dont il ne peut se départir. Enfin, elle est commode car elle résout une situation d'urgence et nécessaire, allant même jusqu'à couvrir les actes de disposition. Ce mécanisme est original car il sourit à un incapable qui n'avait rien préparé. Il reste cependant aléatoire car il suppose de bonnes et généreuses volontés. Il n'est pas, pour son caractère incertain, une solution recommandable, mais plus une solution de rattrapage. À n'en pas douter la gestion d'affaires sauve celui qui a oublié d'anticiper, mais souffre indubitablement d'un manque d'organisation préalable.

Le mandat entre époux

- Mandat exprès entre époux. - Lorsque la personne concernée est mariée, il est naturel qu'elle éprouve souvent le souhait de se tourner vers son conjoint, plutôt que vers un tiers. Le mandat entre époux est expressément prévu par plusieurs dispositions du Code civil, dont l'article 218 qui dispose qu'un « époux peut donner mandat à l'autre de le représenter dans l'exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue ». Ainsi un époux, sentant ses facultés mentales s'altérer sans pour autant être incapable d'exprimer sa volonté, peut consentir un tel mandat à son conjoint. Cet époux peut ainsi confier à son conjoint l'accomplissement d'un acte soumis à la cogestion, pourvu qu'en pareil cas le mandat soit spécial, la gestion d'un bien commun relevant de ses pouvoirs exclusifs ou celle de ses biens propres ou personnels.
Ce mandat conventionnel fait partie du régime primaire impératif applicable à tous les conjoints, quel que soit leur régime matrimonial. Cette faculté est confortée, et précisée, par des dispositions satellites, figurant à l'article 1431 du Code civil s'agissant du régime légal de la communauté réduite aux acquêts et à l'article 1539 du même code concernant le régime de la séparation de biens. On n'aura aucune difficulté à appliquer cette disposition aux époux qui se placent sous le gouvernement de la participation aux acquêts, puisque l'on sait que : « Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens » (C. civ., art. 1569).
Reprenant, en la précisant, la règle générale exprimée à l'article 218 du Code civil, ces deux textes confèrent, de manière symétrique, la possibilité pour un époux de donner mandat à son conjoint à l'effet de gérer ses biens propres (régime communautaire) ou personnels (régimes séparatiste et participatif). Conformément au droit commun du mandat, l'acte est accompli par le mandataire au nom et pour le compte du mandant. Ce dernier est donc seul engagé par l'acte. Le mandat entre époux fait toutefois l'objet de dispositions particulières sur le terrain de la responsabilité du mandataire, celui-ci étant toujours dispensé de rendre compte des fruits, sauf lorsque la procuration l'y oblige expressément.

Révocabilité d'ordre public du mandat entre époux

Quelle que soit l'étendue des pouvoirs conférés par le mandant à son conjoint dans le cadre du mandat, lequel peut être général ou spécial, dans tous les cas le mandant peut librement révoquer le mandat ainsi conféré à son conjoint (C. civ., art. 218). La libre révocabilité du mandat entre époux est dotée par le régime primaire d'un caractère d'ordre public. Il n'est donc pas permis aux époux de stipuler une irrévocabilité du mandat. Pareille prohibition est le corollaire de l'article 225 du Code civil, lequel réserve, de manière impérative, à chaque époux la libre gestion de ses biens propres ou personnels.
- Mandat tacite entre époux. - Pour tenir compte de la pratique quotidienne des couples mariés qui bien souvent fait abstraction des règles juridiques de gestion, et afin de généraliser les facilités que procure la technique de la représentation, le législateur a choisi d'instaurer une large présomption de mandat entre époux.
Ainsi, en dehors d'un mandat exprès, les articles 1432 et 1540 du Code civil créent une présomption de mandat tacite, laquelle joue « quand l'un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l'autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part ». La présomption de mandat tacite revêt un caractère irréfragable. Elle implique la réunion de deux conditions cumulatives : la prise en mains de la gestion des biens propres ou personnels de la part de l'un des époux, d'une part, la connaissance de cette gestion et l'absence d'opposition de la part du conjoint propriétaire, d'autre part.
Tous les actes ne sont pas couverts par cette présomption, laquelle ne joue que pour les seuls actes d'administration et de jouissance, à l'exclusion des actes de disposition. Partant, les actes de disposition qui seraient effectués par un époux sur les biens propres ou personnels de son conjoint, sans mandat exprès, sont entachés de nullité, sauf ratification par le propriétaire ou son représentant. La ratification doit intervenir de manière expresse ou même tacite, à condition alors de ne pas être équivoque. À défaut de ratification, l'acte de disposition peut être validé sur le fondement de la gestion d'affaires, à condition de prouver l'utilité de l'opération pour l'époux propriétaire. Cette dernière peut être également sauvée de la nullité grâce aux présomptions de pouvoirs du régime primaire, pourvu que l'acte relève de leur champ d'application (C. civ., art. 221 et 222).
En cas de mandat tacite, l'époux mandataire répond de sa gestion dans les conditions de droit commun du mandat. Il n'est cependant comptable que des fruits existants à l'exclusion des fruits consommés. Pour les fruits qu'il aurait négligé de percevoir ou qu'il aurait consommés frauduleusement, la responsabilité du mandataire ne peut être recherchée que dans la limite des cinq années (C. civ., art. 1432, al. 2 et art. 1540, al. 2).
Il convient de noter que cette présomption de mandat tacite établie en matière de régimes matrimoniaux, dans les rapports conjugaux, trouve également à s'appliquer dans le cadre professionnel lorsque les conjoints exploitent ensemble une entreprise individuelle. Ainsi le conjoint coexploitant d'un fonds agricole ou simple collaborateur est réputé avoir reçu mandat pour accomplir les actes d'administration concernant les besoins de l'exploitation (C. rur. pêche marit., art. L. 321-1) et la règle s'applique mutatis mutandis dans le cas d'une entreprise commerciale, artisanale ou libérale, au profit du conjoint collaborateur (C. com., art. L. 121-6).
- Gestion malgré l'opposition du conjoint. - Lorsqu'un époux s'immisce dans la gestion des biens propres ou personnels de son conjoint malgré l'opposition de ce dernier ou de son représentant, l'existence d'un mandat tacite ne saurait être présumée. L'acte ne peut être davantage validé sur le fondement de la gestion d'affaires. L'acte est nul, sauf à recourir, le cas échéant, si les conditions en sont réunies, à la théorie du mandat apparent (C. civ., art. 1156) ou aux présomptions de pouvoir du régime primaire. Par ailleurs, l'époux gérant est « responsable de toutes les suites de son immixtion et comptable sans limitation de tous les fruits qu'il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement » (C. civ., art. 1432, al. 3 et 1540, al. 3).
- Gestion à l'insu du conjoint. - Le Code civil ne prévoit pas l'hypothèse dans laquelle un époux s'immisce dans la gestion des biens propres ou personnels de son conjoint à l'insu de ce dernier. Il semble d'ailleurs possible d'assimiler à cette hypothèse celle dans laquelle le conjoint n'a pas conscience, en raison de son état de santé, de la prise en main de la gestion de ses biens par son époux . La prudence doit ici être de mise. L'acte ne pourra être sauvé de la nullité, en pareil cas, que par le jeu des présomptions de pouvoirs du régime primaire et par celui de la gestion d'affaires. Il faudra alors prouver que l'opération a été utile à l'époux géré, sauf ratification de l'acte par ce dernier ou son représentant. L'époux gérant doit alors rendre compte de tous les fruits de la sa gestion.
- Articulation avec les mesures de protection. - Conformément au principe de subsidiarité des mesures de protection juridique des majeurs par rapport au droit commun de la représentation (C. civ., art. 428, al. 1er), l'existence d'un mandat entre époux - on songe notamment à l'existence d'un mandat général couvrant les actes d'administration ou d'une procuration bancaire conférée par l'intéressé à son conjoint - peut permettre d'éviter l'ouverture d'un régime de protection des majeurs par le juge, pourvu qu'elle ait été conclue avant la survenance de l'altération de ses facultés mentales et sous réserve qu'elle suffise à préserver ses intérêts.
Au rebours, mais toujours en application du principe de subsidiarité, le recours à la procuration entre époux doit être écarté si le conjoint a signé un mandat de protection future, dès lors que ce dernier suffit à pourvoir aux intérêts du majeur vulnérable. Sous réserve des termes du mandat, c'est alors le mandataire de protection future qui a qualité pour agir sur les biens propres ou personnels du mandant. La règle ne soulève aucune difficulté lorsque celui-ci a choisi son conjoint en qualité de mandataire de protection future. En revanche, s'il a institué un tiers, le risque de conflit entre le mandataire et le conjoint est vivace concernant la gestion des biens communs ou indivis, lesquels requerront l'accord des deux intéressés pour qu'il en soit disposé .

Quid des autres modes de conjugalité ?

La loi ne prévoit aucun mandat, ni entre concubins, ce qui n'a rien d'étonnant, ni entre partenaires, ce qui est plus surprenant. Les uns et les autres sont donc soumis aux règles de droit commun de la représentation, lesquelles priment, on le redira ici, sur les mesures de protection judiciaire (C. civ., art. 428, al. 1er). Ainsi, par exemple, l'existence d'un mandat général couvrant les actes d'administration, ou encore la signature d'une procuration bancaire au bénéfice du partenaire ou du concubin peuvent permettre d'éviter l'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle si les intérêts du majeur vulnérable sont ainsi suffisamment protégés. Par ailleurs, lorsque les partenaires ou les concubins ont acquis ensemble des biens, sous le régime de l'indivision, l'article 815-3 du Code civil ouvre la faculté, au bénéfice de l'indivisaire titulaire d'au moins deux tiers des droits indivis, de donner au coïndivisaire ou à un tiers un mandat général d'administration (C. civ., art. 815-3, al. 1, 2o). Le texte prévoit, en outre, à l'instar des règles gouvernant les rapports entre époux, une présomption de mandat tacite entre indivisaires, à des conditions similaires (C. civ., art. 815-3, al. 4).