La fin de l'insaisissabilité

La fin de l'insaisissabilité

La fin de l'insaisissabilité signifie pour l'entrepreneur la fin de la protection de sa résidence principale. Les textes visent expressément l'aliénation de la résidence (§ I) et la renonciation (§ II) qui sont les causes les plus fréquentes, mais d'autres événements sont susceptibles de mettre fin à cette protection (§ III).

L'aliénation du bien

La cession des droits immobiliers sur la résidence principale est abordée à l'article L. 526-3 du Code de commerce au travers du report de l'insaisissabilité sur le prix de vente sous conditions de remploi dans le délai d'un an.
- Le report sur le prix de vente. - La loi précise que le prix obtenu en cas de cession demeure insaisissable pendant un délai d'un an. Ceci ne signifie nullement que le prix de vente ne peut pas faire l'objet d'une saisie pendant ce délai, mais uniquement que le créancier poursuivant, titulaire d'une créance professionnelle, ne peut appréhender cette somme avant l'expiration du délai d'un an. Dans l'hypothèse où le notaire détenteur du prix de vente vient à recevoir plusieurs commandements de saisie, dont certains provenant de créanciers professionnels, il n'a pas la possibilité d'organiser lui-même la distribution. Il semble plus prudent d'effectuer une consignation du prix à la Caisse des dépôts et consignations, et d'inviter le débiteur à saisir le tribunal pour que le juge se charge de cette distribution.

Conseil pratique

Au titre des conseils que le notaire pourra apporter au vendeur, on peut relever que ce dernier aura tout intérêt à isoler les fonds perçus de ses autres avoirs pour éviter une confusion, et à ventiler le prix de vente si certains biens cédés ne répondent pas à la définition de résidence principale.

- Le remploi du prix de vente. - L'insaisissabilité a une durée d'un an sous condition de remploi par le débiteur dans une nouvelle résidence principale. La déclaration de remploi est bien connue des praticiens et il ressort qu'une déclaration effective dans l'acte d'acquisition est vivement à conseiller. Le remploi pourra n'être que partiel, le surplus du prix non utilisé pour l'acquisition sera alors appréhendable par les créanciers professionnels. De même, si l'acquisition de la nouvelle résidence principale n'est que partiellement financée au moyen du prix de cession, la totalité du bien acquis bénéficiera de la protection en application de l'article L. 526-1 du Code de commerce.

Conseil pratique

<strong>MODÈLE DE CLAUSE</strong>

<strong>DÉCLARATION DE REMPLOI - SUBROGATION DE L'INSAISISSABILITÉ</strong>

L'ACQUÉREUR déclare employer le prix de vente de sa résidence principale située à … (ou tout autre bien à usage non professionnel sur lequel portait une déclaration d'insaisissabilité) conformément aux dispositions de l'article L. 526-3 du Code de commerce (le cas échéant constaté aux termes d'un acte reçu par M<sup>e</sup> …, notaire à …, le …, publié … contenant déclaration d'insaisissabilité), voulant que les mêmes effets attachés à cette insaisissabilité s'appliquent au bien objet de la présente acquisition. Étant précisé que la vente dudit immeuble a eu lieu suivant acte reçu par M<sup>e</sup> …, notaire à …, le … moyennant le prix de …

<em>AJOUTER LE CAS ÉCHÉANT</em>

1) Remploi total :

L'ACQUÉREUR déclare que le remploi du prix de vente qu'il réalise couvre la totalité du prix d'acquisition de l'immeuble objet des présentes.

2) Remploi partiel :

L'ACQUÉREUR se reconnaît informé que la partie du prix payé avec des fonds ne provenant pas de la vente de la résidence principale, précédemment insaisissable, reste à l'égard des créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant antérieurement à ce jour, saisissable et représente le pourcentage suivant : … %.

Par suite, il est précisé que l'insaisissabilité ne produira effet qu'à concurrence de cette fraction du prix remployé pour les créanciers professionnels dont la créance est antérieure à ce jour.

Ainsi, l'intégralité de l'immeuble présentement acquis sera insaisissable à compter de ce jour en application des dispositions des articles L. 526-1 et suivants du Code de commerce, mais seulement à l'égard des créanciers professionnels postérieurs à ce jour.

La renonciation à la déclaration

L'article L. 526-3 du Code de commerce prévoit également que l'entrepreneur peut lever l'insaisissabilité de sa résidence principale au moyen d'une déclaration effectuée au bénéfice d'un ou plusieurs créanciers portant sur tout ou partie des biens.
Les conditions de la renonciation. Cette renonciation doit faire l'objet d'un acte notarié, mais le texte ne précise pas s'il s'agit d'un acte spécial. Il semble donc qu'une renonciation au profit du créancier peut intervenir dans l'acte principal de prêt contenant une hypothèque sur tout ou partie de la résidence principale.
Une renonciation effectuée au bénéfice de l'ensemble des créanciers n'est pas possible, celle-ci devant contenir la désignation des créanciers susceptibles de l'invoquer, mais il n'est pas prévu l'intervention des créanciers pour accepter le bénéfice de cette renonciation, la loi précisant néanmoins que lorsque le bénéficiaire de la renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.
Outre l'acte authentique, le texte renvoie aux dispositions de l'article L. 526-2 de Code de commerce pour les mesures de publicité. Il s'agit de la publication au fichier immobilier (service de la publicité foncière ou livre foncier), mais également, lorsque le créancier est immatriculé dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, d'une mention à ce registre. Lorsque la personne n'est pas tenue à une telle immatriculation, la publication doit être effectuée dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle.
L'établissement de l'acte et l'accomplissement des formalités donnent lieu au versement aux notaires d'émoluments fixes dans le cadre d'un plafond déterminé par décret . Le montant est fixé, par un arrêté du 28 octobre 2016 , à la somme de 25 € hors taxes. Quant aux droits d'enregistrement, ils s'élèvent à 25 € , et la contribution de sécurité immobilière à 15 € . Le même texte précise également que la renonciation peut être révoquée à tout moment suivant les mêmes formalités .
Une des lacunes de la loi est l'absence de notification de cette renonciation aux créanciers concernés et au notaire qui a reçu la renonciation à l'insaisissabilité initiale, ce qui peut ouvrir la voie à de multiples manœuvres.
- Les effets de la renonciation. - Le principal effet de cette renonciation à l'insaisissabilité est de permettre aux créanciers professionnels désignés d'obtenir un droit de gage sur la résidence principale de l'entrepreneur. Toutefois, une question reste en suspens : les dettes constituées par le débiteur auprès du créancier bénéficiaire sont-elles toutes concernées par la renonciation ? En ce qui concerne les dettes postérieures à la publication, il n'y a pas de difficulté, mais qu'en est-il pour les dettes antérieures ? La loi ne prévoit pas de rétroactivité de la renonciation et prévoir cette rétroactivité dans l'acte notarié de renonciation serait contraire à la protection légale voulue par le législateur. En conséquence, il apparaît que la résidence principale ne répond pas des dettes professionnelles nées antérieurement à la publication de la renonciation .

Les autres causes de la fin de l'insaisissabilité

D'autres faits et actes peuvent mettre fin à l'insaisissabilité de la résidence principale.
- Hypothèses prévues par les textes. - L'article L. 526-3 du Code de commerce indique expressément que les effets de l'insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque la personne mentionnée à l'article L. 526-1 ou le déclarant mentionné au deuxième alinéa du même article est attributaire du bien. Les effets subsistent également en cas de décès de l'entrepreneur jusqu'à la liquidation de la succession .
Il résulte de ce texte que pendant la période d'indivision, le créancier professionnel est dans l'incertitude et ne pourra appréhender la résidence principale. En effet, tant que celle-ci n'aura pas été attribuée, le créancier ne pourra pas diligenter une procédure de saisie, mais seulement inscrire une hypothèque judiciaire à titre conservatoire.
- Hypothèses non prévues par les textes. - L'entrepreneur individuel qui change de statut pour mettre en société son activité perd la protection de l'article L. 526-1 du Code de commerce. Ses dettes professionnelles antérieures continuent à être régies par ce texte et à ce titre ne permettent pas au créancier de saisir la résidence principale. Les dettes futures seront régies par la forme sociale qui sera choisie par l'entrepreneur.
Le changement de résidence principale ou l'abandon de celle-ci feront perdre le bénéfice de la protection. Dans la première hypothèse, le report sera automatique sur la nouvelle résidence et si elle n'est pas vendue, elle tombera dans le droit de gage des créanciers professionnels. En cas d'abandon, le bien ne répondra plus à la notion de résidence principale, puisqu'il manque l'un des éléments prévus à l'article L. 526-1 pour bénéficier de cette protection.
Il peut être tentant, pour un débiteur qui n'envisage pas le remploi du prix de vente de sa résidence, de faire donation de cette dernière pour éviter qu'elle puisse être appréhendée par ses créanciers professionnels. Toutefois, les créanciers pourront exercer l'action paulienne s'ils justifient que cette donation est effectuée en fraude à leurs droits.