Les limites de l'insaisissabilité

Les limites de l'insaisissabilité

Les créances

Les créances concernées

Les créances visées par le texte sont celles liées à l'activité professionnelle de la personne nées à l'occasion de cette activité avec un régime particulier pour certaines créances fiscales.
- Les créances professionnelles. - Le caractère professionnel de la créance doit être compris du côté du débiteur et non du côté du créancier. Elle peut être contractuelle ou délictuelle, mais toujours liée à l'activité exercée. Le créancier peut être une personne privée comme une personne publique, avec une particularité pour le Trésor public ainsi que nous le verrons ci-après. Par exemple, les créances de l'Urssaf ne peuvent être traitées différemment des autres créances professionnelles .
L'insaisissabilité étant dérogatoire au droit de gage général des créanciers, cette notion doit être interprétée strictement, et la distinction avec les autres créances ne sera pas toujours aisée. On pense aux créances familiales pour lesquelles un écrit n'est pas souvent dressé entre les parties, malgré les dispositions de l'article 1359 du Code civil.
Sous le contrôle de la Cour de cassation (par le biais de la violation de la loi ou du défaut de base légale), il reviendra au juge d'exercer son pouvoir d'appréciation .
- Nées à l'occasion de l'activité professionnelle. - Les créances qui bénéficient de la protection légale sont celles qui sont nées à l'occasion de l'activité professionnelle. Elles peuvent être antérieures au début d'activité ou postérieures à la cessation, il suffit d'un lien avec cette activité. Le prêt qui aura permis à l'entrepreneur de lancer son activité, comme la dette qui deviendra exigible alors que l'entrepreneur a arrêté son activité, entrent dans ce cadre.
Toutefois, la protection légale ne produit d'effet que pour les créances nées à compter du 8 août 2015, date d'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015. La créance née antérieurement, même exigible postérieurement, restera régie par la loi ancienne.
- La particularité des créances fiscales. - Les dettes fiscales nées à l'occasion de l'activité professionnelle ne permettent pas au Trésor public de saisir la résidence principale de l'entrepreneur individuel (TVA, impôt sur les sociétés, plus-values professionnelles, etc.). En revanche, l'impôt sur le revenu, même s'il est généré par l'activité de l'entrepreneur, ne peut bénéficier de dispositif protecteur.
L'article L. 526-1 in fine du Code de commerce précise également que l'insaisissabilité n'est pas opposable à l'administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l'encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales, au sens de l'article 1729 du Code général des impôts.

L'articulation avec les procédures collectives

- Les procédures collectives. - Dès l'apparition de la déclaration d'insaisissabilité de la résidence principale par la loi du 1er août 2003, les auteurs avaient noté qu'aucune articulation n'avait été prévue par le législateur avec la législation applicable aux procédures collectives .
La jurisprudence, qui a été amenée à se prononcer sur la question, a même évolué au cours des années et les certitudes des origines ont cédé le pas à des interrogations au point que l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat a publié une note sur l'obligation d'information du notaire en matière de déclaration d'insaisissabilité .
La réforme opérée en 2015, en rendant l'insaisissabilité légale, a modifié la situation et il ne fait plus de doute que les questions relatives aux pouvoirs du liquidateur et celle relative à la nullité des actes effectués pendant la période suspecte appartiennent au passé.
L'intérêt du liquidateur nommé dans le cadre de la procédure collective de l'entrepreneur se focalisera donc sur les points qui lui permettront d'appréhender les biens du débiteur ne répondant pas ou plus à la notion de résidence principale.

L'étendue de l'insaisissabilité

L'insaisissabilité est limitée à l'immeuble de l'entrepreneur, mais ce dernier garde pratiquement tous ses pouvoirs sur celui-ci.

La notion d'immeuble

- L'immeuble. - L'article L. 526-1 du Code de commerce vise « l'immeuble où est située la résidence principale » ; il s'agira de la partie utilisée à cet effet, le surplus restant ouvert aux poursuites des créanciers professionnels.
Si l'usage n'est que partiel ou s'il s'agit d'une simple domiciliation au sens de l'article L. 123-10 du même code, il n'y a même pas besoin d'établir un état descriptif de division pour isoler la part saisissable du domicile. Il s'agit d'une difficulté supplémentaire pour les créanciers qui devront eux-mêmes isoler la partie professionnelle. Dans ces conditions, il ne sera pas simple de trouver un acquéreur qui acceptera de devenir propriétaire d'un lot ne comprenant ni parties communes ni charges définies.
Les meubles. Les meubles qui garnissent l'habitation principale échappent également à la saisie, sans que, à notre sens, leur liste se limite aux meubles déclarés insaisissables par l'article 39 du décret du 31 juillet 1992 . Par exemple, la totalité des livres et la totalité des meubles meublants doivent être protégées sans se limiter aux livres nécessaires à la poursuite des études ou à la table et aux chaises permettant les repas en commun comme il est prévu à l'article 39 du décret précité.
Les fruits. Dans l'hypothèse où l'immeuble insaisissable produit des fruits, comme des loyers, récoltes ou coupes de bois, rien ne s'oppose à ce que ces derniers échappent au droit de gage des créanciers professionnels.

Les pouvoirs de l'entrepreneur

Les pouvoirs de l'entrepreneur individuel sur sa résidence principale ne sont pratiquement pas limités. Toutefois, le sort de l'hypothèque judiciaire a fait l'objet d'une jurisprudence changeante.
- Le droit de disposer. - Le fait que la résidence principale soit insaisissable ne limite pas les droits de l'entrepreneur sur celle-ci. Il peut librement constituer une servitude, hypothéquer ce bien au profit des créanciers non professionnels, le vendre et même le donner.
Si le bien est détenu en indivision, l'entrepreneur peut procéder au partage de ce bien, le liquidateur lui-même ne pouvant agir en partage et en licitation de l'immeuble indivis .
La prise d'une sûreté réelle sur la résidence principale nécessite une précision. Si l'hypothèque est constituée pour garantir une créance personnelle, l'entrepreneur pourra librement la constituer. Cependant, si la créance est professionnelle, la résidence étant insaisissable ne se trouve pas dans le commerce au sens de l'article 2397 et ne peut donc faire l'objet d'une hypothèque .

Nullité de l'hypothèque prise sur la résidence principale de l'entrepreneur individuel

La réforme du 6 août 2015 a rendu insaisissable la résidence principale de l'entrepreneur individuel pour ses créanciers professionnels. Les dispositions de l'article 2397 du Code civil doivent être rappelées :
« Sont seuls susceptibles d'hypothèques :
1o Les biens immobiliers qui sont dans le commerce… ».
À ce titre, il sera indispensable que l'acte de prêt comportant affectation hypothécaire de la résidence principale indique expressément l'utilisation qui sera effectuée de la somme prêtée, et éventuellement que l'emprunteur déclare expressément que les fonds ne seront pas utilisés pour les besoins de son activité. En effet, dans cette hypothèse l'hypothèque sera nulle car le bien immobilier ne sera pas dans le commerce au regard de la créance garantie. La seule solution sera de convenir avec le créancier d'une renonciation (V. infra, no ) et d'effectuer les formalités prévues par la loi.
- L'hypothèque judiciaire à titre conservatoire. - Dès l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003, la question de la possibilité de l'inscription d'une mesure conservatoire sur le bien faisant l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité s'était posée. Depuis la réforme des procédures d'exécution par la loi no 91-650 du 6 juillet 1991 , il faut distinguer les saisies conservatoires et les saisies judiciaires. Les premières, rendant les biens indisponibles, ne sont pas compatibles avec l'insaisissabilité, les secondes conférant uniquement au créancier un droit de préférence et un droit de suite sur le bien n'entraînent aucune indisponibilité . C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation par un arrêt du 11 juin 2014 dans lequel elle considère que l'article L. 526-1 du Code de commerce est d'interprétation stricte et que, certes, il interdit la saisie de la résidence principale, mais non l'inscription d'une hypothèque judiciaire à titre conservatoire.
Nous relèverons qu'il s'agit de la conclusion d'un débat doctrinal, mais que le notaire ne peut adopter en l'état à l'occasion de la vente de la résidence principale de l'entrepreneur. Nous indiquerons plus loin les conditions dans lesquelles le créancier professionnel peut appréhender le prix de vente de ce bien, mais dans l'hypothèse où le débiteur souhaite vendre sa résidence pour en acquérir une nouvelle, il lui sera extrêmement difficile de financer la nouvelle acquisition avec le prix de vente de l'ancienne.

Comment concilier les droits des créanciers avec la liberté de l'entrepreneur dans cette situation ?

La fin de l'insaisissabilité

La fin de l'insaisissabilité signifie pour l'entrepreneur la fin de la protection de sa résidence principale. Les textes visent expressément l'aliénation de la résidence (§ I) et la renonciation (§ II) qui sont les causes les plus fréquentes, mais d'autres événements sont susceptibles de mettre fin à cette protection (§ III).

L'aliénation du bien

La cession des droits immobiliers sur la résidence principale est abordée à l'article L. 526-3 du Code de commerce au travers du report de l'insaisissabilité sur le prix de vente sous conditions de remploi dans le délai d'un an.
- Le report sur le prix de vente. - La loi précise que le prix obtenu en cas de cession demeure insaisissable pendant un délai d'un an. Ceci ne signifie nullement que le prix de vente ne peut pas faire l'objet d'une saisie pendant ce délai, mais uniquement que le créancier poursuivant, titulaire d'une créance professionnelle, ne peut appréhender cette somme avant l'expiration du délai d'un an. Dans l'hypothèse où le notaire détenteur du prix de vente vient à recevoir plusieurs commandements de saisie, dont certains provenant de créanciers professionnels, il n'a pas la possibilité d'organiser lui-même la distribution. Il semble plus prudent d'effectuer une consignation du prix à la Caisse des dépôts et consignations, et d'inviter le débiteur à saisir le tribunal pour que le juge se charge de cette distribution.

Conseil pratique

Au titre des conseils que le notaire pourra apporter au vendeur, on peut relever que ce dernier aura tout intérêt à isoler les fonds perçus de ses autres avoirs pour éviter une confusion, et à ventiler le prix de vente si certains biens cédés ne répondent pas à la définition de résidence principale.

- Le remploi du prix de vente. - L'insaisissabilité a une durée d'un an sous condition de remploi par le débiteur dans une nouvelle résidence principale. La déclaration de remploi est bien connue des praticiens et il ressort qu'une déclaration effective dans l'acte d'acquisition est vivement à conseiller. Le remploi pourra n'être que partiel, le surplus du prix non utilisé pour l'acquisition sera alors appréhendable par les créanciers professionnels. De même, si l'acquisition de la nouvelle résidence principale n'est que partiellement financée au moyen du prix de cession, la totalité du bien acquis bénéficiera de la protection en application de l'article L. 526-1 du Code de commerce.

Conseil pratique

<strong>MODÈLE DE CLAUSE</strong>

<strong>DÉCLARATION DE REMPLOI - SUBROGATION DE L'INSAISISSABILITÉ</strong>

L'ACQUÉREUR déclare employer le prix de vente de sa résidence principale située à … (ou tout autre bien à usage non professionnel sur lequel portait une déclaration d'insaisissabilité) conformément aux dispositions de l'article L. 526-3 du Code de commerce (le cas échéant constaté aux termes d'un acte reçu par M<sup>e</sup> …, notaire à …, le …, publié … contenant déclaration d'insaisissabilité), voulant que les mêmes effets attachés à cette insaisissabilité s'appliquent au bien objet de la présente acquisition. Étant précisé que la vente dudit immeuble a eu lieu suivant acte reçu par M<sup>e</sup> …, notaire à …, le … moyennant le prix de …

<em>AJOUTER LE CAS ÉCHÉANT</em>

1) Remploi total :

L'ACQUÉREUR déclare que le remploi du prix de vente qu'il réalise couvre la totalité du prix d'acquisition de l'immeuble objet des présentes.

2) Remploi partiel :

L'ACQUÉREUR se reconnaît informé que la partie du prix payé avec des fonds ne provenant pas de la vente de la résidence principale, précédemment insaisissable, reste à l'égard des créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant antérieurement à ce jour, saisissable et représente le pourcentage suivant : … %.

Par suite, il est précisé que l'insaisissabilité ne produira effet qu'à concurrence de cette fraction du prix remployé pour les créanciers professionnels dont la créance est antérieure à ce jour.

Ainsi, l'intégralité de l'immeuble présentement acquis sera insaisissable à compter de ce jour en application des dispositions des articles L. 526-1 et suivants du Code de commerce, mais seulement à l'égard des créanciers professionnels postérieurs à ce jour.

La renonciation à la déclaration

L'article L. 526-3 du Code de commerce prévoit également que l'entrepreneur peut lever l'insaisissabilité de sa résidence principale au moyen d'une déclaration effectuée au bénéfice d'un ou plusieurs créanciers portant sur tout ou partie des biens.
Les conditions de la renonciation. Cette renonciation doit faire l'objet d'un acte notarié, mais le texte ne précise pas s'il s'agit d'un acte spécial. Il semble donc qu'une renonciation au profit du créancier peut intervenir dans l'acte principal de prêt contenant une hypothèque sur tout ou partie de la résidence principale.
Une renonciation effectuée au bénéfice de l'ensemble des créanciers n'est pas possible, celle-ci devant contenir la désignation des créanciers susceptibles de l'invoquer, mais il n'est pas prévu l'intervention des créanciers pour accepter le bénéfice de cette renonciation, la loi précisant néanmoins que lorsque le bénéficiaire de la renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.
Outre l'acte authentique, le texte renvoie aux dispositions de l'article L. 526-2 de Code de commerce pour les mesures de publicité. Il s'agit de la publication au fichier immobilier (service de la publicité foncière ou livre foncier), mais également, lorsque le créancier est immatriculé dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, d'une mention à ce registre. Lorsque la personne n'est pas tenue à une telle immatriculation, la publication doit être effectuée dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle.
L'établissement de l'acte et l'accomplissement des formalités donnent lieu au versement aux notaires d'émoluments fixes dans le cadre d'un plafond déterminé par décret . Le montant est fixé, par un arrêté du 28 octobre 2016 , à la somme de 25 € hors taxes. Quant aux droits d'enregistrement, ils s'élèvent à 25 € , et la contribution de sécurité immobilière à 15 € . Le même texte précise également que la renonciation peut être révoquée à tout moment suivant les mêmes formalités .
Une des lacunes de la loi est l'absence de notification de cette renonciation aux créanciers concernés et au notaire qui a reçu la renonciation à l'insaisissabilité initiale, ce qui peut ouvrir la voie à de multiples manœuvres.
- Les effets de la renonciation. - Le principal effet de cette renonciation à l'insaisissabilité est de permettre aux créanciers professionnels désignés d'obtenir un droit de gage sur la résidence principale de l'entrepreneur. Toutefois, une question reste en suspens : les dettes constituées par le débiteur auprès du créancier bénéficiaire sont-elles toutes concernées par la renonciation ? En ce qui concerne les dettes postérieures à la publication, il n'y a pas de difficulté, mais qu'en est-il pour les dettes antérieures ? La loi ne prévoit pas de rétroactivité de la renonciation et prévoir cette rétroactivité dans l'acte notarié de renonciation serait contraire à la protection légale voulue par le législateur. En conséquence, il apparaît que la résidence principale ne répond pas des dettes professionnelles nées antérieurement à la publication de la renonciation .

Les autres causes de la fin de l'insaisissabilité

D'autres faits et actes peuvent mettre fin à l'insaisissabilité de la résidence principale.
- Hypothèses prévues par les textes. - L'article L. 526-3 du Code de commerce indique expressément que les effets de l'insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque la personne mentionnée à l'article L. 526-1 ou le déclarant mentionné au deuxième alinéa du même article est attributaire du bien. Les effets subsistent également en cas de décès de l'entrepreneur jusqu'à la liquidation de la succession .
Il résulte de ce texte que pendant la période d'indivision, le créancier professionnel est dans l'incertitude et ne pourra appréhender la résidence principale. En effet, tant que celle-ci n'aura pas été attribuée, le créancier ne pourra pas diligenter une procédure de saisie, mais seulement inscrire une hypothèque judiciaire à titre conservatoire.
- Hypothèses non prévues par les textes. - L'entrepreneur individuel qui change de statut pour mettre en société son activité perd la protection de l'article L. 526-1 du Code de commerce. Ses dettes professionnelles antérieures continuent à être régies par ce texte et à ce titre ne permettent pas au créancier de saisir la résidence principale. Les dettes futures seront régies par la forme sociale qui sera choisie par l'entrepreneur.
Le changement de résidence principale ou l'abandon de celle-ci feront perdre le bénéfice de la protection. Dans la première hypothèse, le report sera automatique sur la nouvelle résidence et si elle n'est pas vendue, elle tombera dans le droit de gage des créanciers professionnels. En cas d'abandon, le bien ne répondra plus à la notion de résidence principale, puisqu'il manque l'un des éléments prévus à l'article L. 526-1 pour bénéficier de cette protection.
Il peut être tentant, pour un débiteur qui n'envisage pas le remploi du prix de vente de sa résidence, de faire donation de cette dernière pour éviter qu'elle puisse être appréhendée par ses créanciers professionnels. Toutefois, les créanciers pourront exercer l'action paulienne s'ils justifient que cette donation est effectuée en fraude à leurs droits.