Le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire

Le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire

Origines et premiers développements de l'habitat intergénérationnel

À l'aube des 70's. Apparu dans les années soixante-dix aux États-Unis, sous l'égide de Maggie Kuhn, fondatrice du mouvement « Gray Panthers », militant pour le droit des personnes âgées, le développement de l'habitat intergénérationnel a poursuivi son essor en Europe dans les années quatre-vingt. Tout d'abord en Grande-Bretagne, puis en Espagne dans les années quatre-vingt-dix. En France, il faut attendre le dramatique épisode de la canicule de 2003 pour que l'isolement des personnes âgées soit mis en exergue. Dès 2004, une association, le Pari Solidaire, met en relation deux générations dont les besoins peuvent s'autoalimenter.
Le rôle primordial des associations. Différentes associations se créent afin de mettre en relation ces deux générations, chacune avec son fonctionnement ou règlement intérieur, souvent basé sur le premier modèle de charte éditée par le Pari Solidaire, appelée « Charte du senior et de l'étudiant ». Celle-ci pose déjà les mots-clés de ce nouveau mode de logement atypique : créer ou retisser le lien social intergénérationnel, prévenir l'isolement des seniors, rendre de menus services, une aide bénévole et une présence du côté des jeunes ; accepter la modestie de la contribution, l'aide reçue, et s'assurer un complément de revenus du côté des plus âgés.
Les prémices en France. D'abord actif à Paris et en Île-de-France, le Réseau CoSI (Cohabitation Solidaire Intergénérationnelle) regroupe en 2010 les associations qui se sont créées dans les grandes villes de 2005 à 2009, pour couvrir progressivement tout le territoire. Actuellement vingt et une associations font partie de ce réseau qui encourage la mise en relation des jeunes à la recherche d'un logement avec des seniors disposant d'un espace d'habitation et souhaitant accueillir un colocataire. Aujourd'hui le Pari Solidaire est à l'origine de 2 300 cohabitations. L'institutionnalisation progressive de la cohabitation intergénérationnelle décrite par Joachim Pasquet (directeur du Réseau CoSI), basée essentiellement sur la charte citée supra, continue son essor jusqu'en 2018 grâce aux observations des fédérations, de l'Urssaf et des collectivités.
– Présentation. – La cohabitation intergénérationnelle naît d'une conjonction de besoins. Les jeunes, particulièrement exposés à la pénurie de logements ou aux loyers trop élevés ont des ressources limitées. De leur côté, les aînés ont besoin de se sentir moins seuls dans leur logement devenu trop grand, et de recevoir une aide légère sans soin ou assistance. Pourquoi, dès lors, ne pas organiser par un contrat le logement d'un jeune chez une personne plus âgée à laquelle il tiendra compagnie et rendra de menus services ? Pour être séduisante, l'idée n'est pas, en Droit, dépourvue de tout risque. Tout d'abord, en droit du travail. Les services rendus par le jeune peuvent-ils être assimilés à un emploi ? Ensuite, en droit civil. N'y a-t-il pas là un bail ?
– Aspects juridiques. – La formule se développant néanmoins, avec le concours d'associations dont le travail mérite d'être salué, il devenait nécessaire de clarifier, en France, le régime juridique de ce nouveau type d'habitat. C'est ainsi que le « contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire » voit le jour dans l'article 117 de la loi Elan. Il est annoncé qu'une charte précisera « le cadre général et les modalités pratiques » de la cohabitation. C'est chose faite le 13 janvier 2020 avec la parution de l'arrêté relatif à la charte de la cohabitation intergénérationnelle. L'objet de ce nouveau contrat est de permettre à une personne âgée de moins de trente ans de se loger à moindre coût chez une personne de plus de soixante ans, améliorant ainsi les conditions de vie de cette dernière grâce à la présence d'un jeune, à son domicile, qui lui rendra de petits services et aides quotidiennes. C'est un rapport donnant-donnant dans lequel chacun doit trouver un avantage. Se loger pour l'un, être aidé tout en restant chez soi pour l'autre. L'équation solidaire est trouvée. Nous en présenterons le régime juridique (§ I), avant de porter une première appréciation soulignant l'intérêt de l'intervention d'une association (§ II).

Régime juridique du contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire

Les principes

– Exclusion du droit commun. – Avant toute chose, la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 relative aux baux d'habitation est inapplicable au contrat de cohabitation intergénérationnelle. Aucune des règles très protectrices de ce dispositif ne peuvent s'y appliquer telles que celles liées au préavis, au paiement du loyer, ou encore aux travaux de réparation du bien loué. L'esprit libre et adaptable de ce nouveau mode de logement est plutôt préservé par la loi Elan. Il n'en demeure pas moins qu'un cadre, certes léger, est quand même fixé.
– Les parties. – L'article L. 631-17 du Code de la construction et de l'habitation définit la relation de cohabitation intergénérationnelle comme le contrat par lequel un propriétaire ou un locataire d'au moins soixante ans s'engage à louer ou sous-louer une partie de son habitation à une personne de moins de trente ans. Dans le cas d'une sous-location, le locataire doit informer préalablement son propriétaire bailleur ; à cette condition, celui-ci ne peut s'opposer à la sous-location intergénérationnelle.
– L'objet du contrat. – Chaque acteur du projet doit bénéficier de l'intimité d'un espace privatif, a minima une chambre individuelle. Ceci suppose une dissociation entre les pièces communes que peuvent être la cuisine et la salle de bains et les pièces assurant un espace de vie privée.
– La durée du contrat. – La durée du contrat est librement convenue. Un préavis d'un mois est prévu pour y mettre fin, pour l'une des parties comme pour l'autre.

Les obligations du locataire (ou sous-locataire)

Le locataire est tenu de s'acquitter d'une contribution et peut, facultativement, avoir à rendre de menus services.
– Une contribution modeste. – Le locataire ou sous-locataire doit s'acquitter d'une contribution modeste. Le caractère modeste de la contribution du locataire est un élément majeur. Elle ne doit en aucun cas pouvoir être assimilée à un véritable loyer. Elle est, en principe, librement fixée, sauf s'il s'agit d'un logement social, pour la sous-location duquel la contribution doit être proportionnelle à la surface mise à la disposition du sous-locataire intergénérationnel.
– Les menus services. – Le contrat (c'est sa philosophie première) peut imposer au locataire de rendre au bailleur de menus services. Aucune définition n'en est donnée et ceux-ci peuvent se limiter à lui demander simplement un temps minimal de présence dans le logement. L'essentiel est que l'importance des services demandés ne caractérise jamais l'existence d'un lien de subordination, et qu'aucune concurrence ne puisse se créer avec les professionnels de la prestation de services à domicile. En ce sens :
  • il ne peut en aucun cas s'agir de services d'ordre médical ou paramédical, fût-ce la simple prise de médicaments ;
  • et les services demandés ne doivent pas être « assimilables à une prestation régulière normalement fournie par un prestataire ou par l'emploi direct ou en mandataire d'un salarié à domicile ».

Première appréciation. Intérêt d'une intervention associative

– Première appréciation. – Le contrat de cohabitation intergénérationnelle se veut volontairement libre et peu contraignant afin que les parties puissent aisément accorder leurs attentes, mais il possède en quelque sorte les défauts de ses qualités en ce qu'il peut engendrer des risques ou de l'insécurité pour les deux parties. C'est pourquoi certains estiment que ce nouveau contrat laisse une place trop grande à la liberté contractuelle. En particulier, la libre durée du contrat peut se révéler préjudiciable, tant pour le senior qui trop rapidement se retrouvera seul, que pour le jeune qui peut éprouver de grandes difficultés à se reloger. Pour notre part, nous estimons que ces inconvénients ne doivent pas être exagérés. La cohabitation intergénérationnelle est une réponse à la pénurie et aux coûts élevés des logements, inabordables pour certains étudiants. Elle répond aussi aux questions environnementales en mutualisant les charges et coûts énergétiques, et répond de ce fait aux questions environnementales. Enfin, le complément d'assistance qu'elle apporte peut contribuer au maintien à domicile de certains seniors.
– Rôle des associations. – Pour sécuriser cette nouvelle relation contractuelle, il est possible de faire appel à une association, qui choisira les candidats après les avoir questionnés sur leurs attentes, rédigera le contrat adapté aux besoins spécifiques des parties (heures de présence, menus services…), visitera préalablement le logement afin de déterminer s'il est adapté et veillera au bon déroulement de la cohabitation. Ces structures ou associations ne sont pas soumises à la loi Hoguet. Elles proposent l'adhésion à une charte qui sert de support « moral » à une cohabitation harmonieuse.
À nouveau destinée aux seniors, mais aussi aux personnes handicapées, une autre forme de cohabitation réglementée se développe dans le paysage du Vivre ensemble : l'habitat inclusif.