L’appropriation en faveur du logement à long terme : une politique de réserves foncières à favoriser ?

L’appropriation en faveur du logement à long terme : une politique de réserves foncières à favoriser ?

Pour anticiper les projets d’aménagement et notamment de création de logements, le recours à la technique de la réserve foncière est particulièrement efficace. Le CEREMA constate que « La maîtrise foncière de long terme permet la maturation du programme d’aménagement, la maîtrise des dépenses de charge foncière et l’optimisation du foncier, et enfin la négociation des conditions de réalisation du programme ».
Les réserves foncières ont été officiellement instituées par la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967. En réalité, le Conseil d’État avait reconnu la possibilité de les constituer par voie d’expropriation avant même l’intervention de cette loi.L’objectif affiché est de limiter l’effet de la spéculation immobilière (flambée des prix constatée après la Seconde Guerre mondiale) en dotant les personnes publiques de moyens permettant de maîtriser les plus-values générées par l’urbanisation et l’extension des villes. C’est la raison d’être des droits de préemption dans les ZUP et les ZAD. La loi de 1967 s’inscrit dans cette même logique en offrant donc clairement la possibilité pour les collectivités, au-delà du droit de préemption, de constituer des réserves foncières.
Néanmoins, la réserve foncière reste difficile à mettre en place tant pour des raisons économiques que juridiques. Économiquement, le temps long des opérations tend en effet à augmenter le risque du portage foncier : l’évolution des coûts de construction qui déséquilibre les opérations et peut conduire à revendre le foncier en dessous de sa valeur d’acquisition ; le changement de réglementation au fil du temps peut également avoir cette conséquence, voire bloquer certains projets. Sans compter que les besoins fonciers réguliers des collectivités peuvent conduire à puiser dans le stock réservé à un grand projet d’aménagement avant que celui-ci n’ait pu voir le jour. Juridiquement, des outils existent, le droit de préemption (§ 1) et l’expropriation (§ 2), mais ils doivent être utilisés avec précaution.

Le droit de préemption pour la constitution de réserves foncières

Deux types de droit de préemption peuvent être mobilisés pour constitution des réserves foncières : le droit de préemption urbain (C. urb., art. L. 211-1) et celui existant dans le cadre des zones d’aménagement différé.

En matière de droit de préemption urbain

La préemption pour constituer une réserve foncière doit être motivée en vue de permettre la réalisation d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme.
Historiquement, le juge exigeait l’existence d’un projet précis et certain pour que la décision de préemption soit légale et ne faisait pas cas de la spécificité des réserves foncières. Ce contrôle sévère de la motivation d’une décision de préemption par le juge administratif le conduisait à considérer que la constitution d’une réserve foncière en vue de la réalisation ultérieure d’un équipement public ne constituait pas un projet suffisamment précis et certain correspondant à l’un des objets visés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme. Or, comme le souligne la doctrine, la technique de réserve foncière consiste justement « dans l’acquisition préventive de terrains qui seront par la suite affectés à une opération d’aménagement », ce qui « peut laisser à supposer qu’au stade de la préemption, n’est opération n’est encore définie, si elle l’est, que de manière imprécise ». Ce paradoxe a conduit le juge a assouplir sa jurisprudence, même avant l’évolution générale posée par l’arrêt Commune de Meung-sur-Loire précité qui sera transposée aux réserves foncières conditionnant la légalité d’une décision de préemption à la réalité d’un projet d’aménagement.
L’évolution a consisté à exiger du titulaire de droit de préemption qu’il justifie avoir envisagé l’exécution sur le terrain préempté pour réserve foncière d’une action ou opération d’aménagement ; un projet devait seulement exister, même si les caractéristiques précises n’étaient pas déterminées.
De plus, grâce à la loi SRU du 13 décembre 2000 qui admis qu’une décision de préemption puisse être motivée par référence à une délibération délimitant des périmètres dans lesquels elle décide d’intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine, une préemption pour réserve foncière à l’intérieur d’un tel périmètre peut se borner à faire référence aux dispositions de ladite délibération lorsqu’un tel renvoi permet de déterminer la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine au moyen de cette préemption. Pour ce faire, selon la jurisprudence, la collectivité peut « la collectivité peut soit indiquer la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement du programme local de l’habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d’identifier la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe ».
Au-delà de cette motivation par référence, et dans la droite ligne de la jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire de 2009, l’exercice du droit de préemption motivé par la constitution de réserves foncières, d’une part, être justifié, à la date de la décision, par la réalisation d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, et ce même si les caractéristiques précises du projet n’ont pas encore été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Pour la doctrine, « la réalité de cette intention est appréciée par le juge administratif à partir de différents paramètres tenant, par exemple, à l’existence, à la date de la décision, d’une délibération de la commune exprimant sa volonté de réaliser le projet, d’études sur sa faisabilité, de la délimitation de l’emprise nécessaire audit projet ou d’une orientation d’aménagement et de programmation du PLU ».

En matière de zone d’aménagement différé

En matière de zone d’aménagement différé, la motivation est historiquement beaucoup plus souple. À titre de comparaison, dans le cadre d’une zone d’intervention foncière, la décision de préemption devait correspondre à l’un des objectifs énumérés par l’article L. 221-1 du Code de l’urbanisme, à savoir l’extension d’agglomérations, l’aménagement de l’espace naturel entourant ces agglomérations et la création de villes nouvelles ou de stations de tourisme ou encore la rénovation urbaine et l’aménagement de villages. Ainsi, en zone d’aménagement différé, même avant la jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire , il n’était pas exigé que la décision de préemption soit justifiée par un projet précis ou la réalité d’un projet d’aménagement. Grâce à la loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991, la décision de préemption pouvait se borner à faire référence aux motivations générales de l’acte créant la zone. Cette motivation allégée nous semble justifiée par le fait que l’arrêté de création de ZAD doit, lui-même, être motivé, notamment au regard des besoins en réserves foncières et de l’aptitude des terrains concernés. Dans ce contexte, le juge procède finalement à un contrôle minimum, de l’erreur manifeste d’appréciation conduisant à censurer les décisions qui, manifestement, ne peuvent atteindre leurs objectifs : la décision de préemption ne doit pas être dépourvue d’utilité pour atteindre les objectifs en vue desquels la zone a été créée.

La « DUP » réserve foncière

L’article L. 221-1 du Code de l’urbanisme institue une déclaration d’utilité publique pour constituer des réserves foncières en vue d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1. Plus précisément, aux termes de ce texte, « l’État, les collectivités locales, ou leurs groupements y ayant vocation, les syndicats mixtes, les établissements publics mentionnés aux articles L. 321-1 et L. 324-1, les bénéficiaires des concessions d’aménagement mentionnées à l’article L. 300-4, les sociétés publiques définies à l’article L. 327-1 et les grands ports maritimes sont habilités à acquérir des immeubles, au besoin par voie d’expropriation, pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d’une action ou d’une opération d’aménagement répondant aux objets définis à l’article L. 300-1. ». C’est ainsi qu’a pu être déclaré d’utilité publique une expropriation d’immeubles en vue de constituer une réserve foncière dans le but de construire un ensemble d’habitation dans un îlot insalubre..
Les conditions de recours à cette procédure imposent une vigilance accrue car, si la motivation du texte résidait indéniablement dans la lutte contre la spéculation foncière, un tel motif est insuffisant pour permettre la constitution d’une réserve foncière. Néanmoins, la jurisprudence n’impose pas la motivation par référence à un projet précis. Dès son arrêt Commune de Saint-Denis de la Réunion du 22 mai 1992, le Conseil d’État avait validé « la constitution d’une réserve foncière en prévision de l’extension de l’agglomération… sans que la collectivité ait à justifier, dès l’engagement de cette procédure, d’un projet précis d’urbanisation ».
Dans une affaire du 21 mai 2014, à l’instar de la jurisprudence relative au droit de préemption utilisé pour constituer une telle réserve, le juge administratif impose que la nature d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme puisse être caractérisée. Pour le Conseil d’État, il résulte du texte précité que « les personnes publiques concernées peuvent légalement acquérir des immeubles par voie d’expropriation pour constituer des réserves foncières, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, si le dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique fait apparaître la nature du projet envisagé, conformément aux dispositions du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ». Enfin, si une certaine urgence à acquérir les terrains est encore un motif de recours à la DUP simplifiée, l’arrêt du 21 mai 2014 ne fait pas référence à ce qui a pu être considéré pendant un temps comme une condition d’utilisation de ce dispositif. En tout état de cause, il faut cependant rester vigilant : le projet ne doit pas être trop avancé, sans quoi cette procédure ne se justifie pas. De plus, faute d’un texte, la motivation par référence n’est pas admise.
La procédure de DUP réserve foncière est précisée par le Code de l’expropriation qui prévoit désormais, dans un article qui lui est dédié, la constitution d’un dossier d’enquête publique simplifié par rapport à celui qui s’impose pour une DUP relative à la réalisation de travaux ; l’idée fondatrice de cette procédure étant de permettre une acquisition avant même que le projet n’ait pu être établi, même s’il faut que la vocation de l’opération soit spécifiée (équipement, logement, etc.). L’article R. 112- 5 du Code de l’expropriation dispose que « Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de l’acquisition d’immeubles, ou lorsqu’elle est demandée en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’urbanisme importante et qu’il est nécessaire de procéder à l’acquisition des immeubles avant que le projet n’ait pu être établi, l’expropriant adresse au préfet du département où sont situés les immeubles, pour qu’il soit soumis à l’enquête, un dossier comprenant au moins :
  • une notice explicative ;
  • le plan de situation ;
  • le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ;
  • l’estimation sommaire du coût des acquisitions à réaliser. »
Après la fin de l’enquête, la déclaration d’utilité publique peut être prononcée. Cette DUP adoptée par décret ou arrêté (selon l’importance de l’opération) doit préciser sa durée de validité durant laquelle il est possible de procéder à des expropriations.
Cet outil présente indéniablement l’avantage d’empêcher la spéculation immobilière puisque la procédure est menée en amont des projets. Son régime allégé a pour effet de faire gagner du temps (dossier simplifié, pas de mise en compatibilité des documents d’urbanisme en amont, absence d’étude d’impact) et d’économiser certaines dépenses d’études. Sans compter que le faible nombre de documents et de procédures limite ipso facto les risques juridiques en cas de contentieux.
Néanmoins, comme pour toute expropriation, il faudra veiller à utiliser la réserve foncière conformément à l’usage indiqué.
D’une part, le Code de l’urbanisme précise (art. L. 221-2) que « La personne publique qui s’est rendue acquéreur d’une réserve foncière doit en assurer la gestion raisonnablement. Avant leur utilisation définitive, les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l’objet d’aucune cession en pleine propriété en dehors des cessions que les personnes publiques pourraient se consentir entre elles et celles faites en vue de la réalisation d’opérations pour lesquelles la réserve a été constituée. Ces immeubles ne peuvent faire l’objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l’immeuble est repris en vue de son utilisation définitive. »
D’autre part, si la Cour EDH reconnaît la possibilité de constituer des réserves foncières, elle qualifie de manquement à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le maintien du bien en réserve durant une longue période sans justification d’utilité publique dès lors que cette période engendre une plus-value manquée pour le propriétaire exproprié. Selon la Cour européenne, « cette plus-value correspond à la valeur vénale actuelle du terrain, diminuée du montant en francs/euros constants de l’indemnité d’expropriation versée à l’ancienne propriétaire ». La Cour de cassation considère depuis que la privation indue de la plus-value acquise par un bien depuis son expropriation constitue une charge excessive justifiant l’indemnisation de l’exproprié, même si en l’occurrence aucune décision judiciaire reconnaissant le droit à rétrocession n’était intervenue. Elle estime toutefois qu’il appartient aux juridictions du fond d’adopter la méthode d’évaluation de la plus-value manquée la mieux appropriée et de fixer souverainement le montant de l’indemnisation.
Aussi, après avoir été initialement exclue, la possibilité pour le propriétaire exproprié de mettre en œuvre son droit de rétrocession est désormais reconnue. Dès lors, malgré ses avantages, la DUP réserve foncière est peu utilisée. Elle est sans doute en partie méconnue ou considérée comme trop risquée, notamment compte tenu des indemnités à verser en cas de non-réalisation du projet. En effet, s’agissant de la constitution de réserves foncières, toute la difficulté est de permettre une action avant la définition des projets tout en garantissant aux administrés qu’il ne s’agit pas pour la collectivité de procéder à une démarche purement mercantile.
Parallèlement aux enjeux généraux de mobilisation du foncier producteur de logement, la nécessité de transformer nos modes de production en se réappropriant l’existant suppose des outils spécifiques.