CGV – CGU

PARTIE III – De la consolidation à la pérennisation et à la diversification : la transformation de la société
Titre 2 – La société, bien plus que le véhicule d’un projet professionnel ou patrimonial
Sous-titre 4 – Les fondations reconnues d’utilité publique et les fonds de dotation

Chapitre I – Les fondations reconnues d’utilité publique880

20718 – Les origines. – Née d’un avis du Conseil d’État du 24 décembre 1805, la fondation d’utilité publique ne connaîtra pas de reconnaissance légale avant une loi du 23 juillet 1987881.
L’article 1er de cette loi dispose que : « La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif (…). Elle acquiert alors le statut de fondation reconnue d’utilité publique ».
20719 – Un cadre précisé. – L’alinéa 2 de l’article 18 de la loi du 23 juillet 1987 détermine le cadre dans lequel une fondation reconnue d’utilité publique peut exister : « Lorsque l’acte de fondation a pour but la création d’une personne morale, la fondation ne jouit de la capacité juridique qu’à compter de la date d’entrée en vigueur du décret en Conseil d’État accordant la reconnaissance d’utilité publique. Elle acquiert alors le statut de fondation reconnue d’utilité publique ».
On comprend donc de ces définitions que la fondation ne peut poursuivre qu’un but d’intérêt général et non lucratif, ce qui en fait une forme juridique nécessairement philanthropique. L’objet de la fondation doit donc être fixé dans les statuts et impose de respecter un cadre strict dans son fonctionnement, mais aussi au regard de ses obligations fiscales.
Il faudra attendre 2005 pour que la loi du 4 août de la même année introduise un article 18-3 dans la loi du 23 juillet 1987 afin d’autoriser une fondation à recevoir, sans limitation de seuil, des titres de sociétés ayant une activité industrielle ou commerciale. C’est la naissance de ce que l’on appellera « la fondation actionnaire ».

Section I – Le statut juridique de la fondation

20720 – Les textes légaux. – Outre la loi fondatrice du 23 juillet 1987, les fondations sont à ce jour régies par trois textes réglementaires :

l’ordonnance no 2005-856 du 28 juillet 2005 portant simplification du régime des libéralités consenties aux associations, fondations et congrégations, de certaines déclarations administratives incombant aux associations et modification des obligations, des associations et des fondations relatives à leurs comptes annuels ;

l’ordonnance no 2015-904 du 23 juillet 2015 portant simplification du régime des associations et des fondations ;

le décret no 2017-908 du 6 mai 2017 portant diverses dispositions relatives au régime juridique des associations, des fondations, des fonds de dotation et des organismes faisant appel public à la générosité.

20721 – Un cadre contraint. – Si la rédaction des statuts d’une fondation reconnue d’utilité publique laisse peu de place à l’imagination du juriste dans la mesure où il convient de suivre un modèle type publié par le Conseil d’État, le processus demeure un long chemin jusqu’à l’obtention de la reconnaissance d’utilité publique.

Section II – Les étapes amenant à la création d’une fondation reconnue d’utilité publique

20722 Toute personne physique ou morale peut être à l’origine de la création d’une fondation dès lors qu’elle dispose de la capacité juridique. La création d’une fondation s’opère en deux étapes distinctes : la rédaction des statuts, d’une part, et l’acte de dotation, d’autre part.
Sous-section I – Les fondateurs
20723 – Les fondateurs. – Dans la mesure où le fondateur doit être en mesure de doter la fondation, il convient qu’il ait la capacité de consentir une libéralité, ce qui exclut de droit les mineurs et les majeurs sous tutelle qui ne peuvent légalement faire de dons ou de legs de leur propre initiative882. Mais ces personnes ne sont pas exclues de la qualité de fondateur si elles ont la capacité d’intervenir au titre de leur action ou leur activité au sein de la fondation. Il y aura donc deux catégories de fondateurs : ceux qui apportent des actifs, comme des titres d’une société, et ceux qui apportent leur activité.
En fonction de la nature de la fondation, certains membres fondateurs pourront avoir un rôle à vie alors que d’autres pourront avoir un rôle statutairement limité, éventuellement renouvelable.
Si la fondation peut aussi être créée par une personne morale, dans notre schéma, qui nous le rappelons a pour objectif de stabiliser le capital social d’une entreprise à très long terme, la fondation sera l’œuvre d’un chef d’entreprise, propriétaire et dirigeant de son entreprise, qui décidera d’y transférer tout ou partie des titres.
Sous-section II – Les modalités de création d’une fondation
20724 Il y a deux modalités de création d’une fondation, soit de façon directe, soit de façon indirecte.
20725 – La création directe. – Si la fondation est créée directement par son fondateur, il va lui-même constituer la fondation et, dans le même temps, la doter de tout ou partie des titres de son entreprise. La fondation est ainsi immédiatement active et financée.
20726 – La création indirecte. – Mais une fondation peut également être créée de manière indirecte où, dans cette hypothèse, le fondateur va confier à un établissement déjà existant ou à un légataire le soin de créer la fondation883.
Que ce soit une création directe ou indirecte, il y aura en tout état de cause toujours la création d’une nouvelle personne morale.
Pour ce qui concerne le chef d’entreprise qui souhaite apporter tout ou partie des titres de sa société à une fondation, il le fera de façon directe afin d’avoir un contrôle de la fondation et de la rendre immédiatement active.
Dans la plupart des cas, la dotation de la fondation s’opère en deux temps : dans un premier temps, il y a une dotation de la fondation pour une fraction minoritaire du capital social de l’entreprise suivie, dans un second temps, d’une disposition testamentaire qui verra la fondation recueillir le solde des titres au décès du chef d’entreprise.
20727 – Une création directe post mortem. – On pourrait même envisager une création directe, post mortem, par voie testamentaire. Le fondateur, chef d’entreprise, organise lui-même la constitution de la future fondation qui ne verra le jour qu’à son décès ; les titres légués deviendront alors le patrimoine de la fondation. Cette technique, qui a suscité un vif débat doctrinal, a été validée par le Conseil d’État qui a considéré comme valable le legs direct du fondateur à une fondation post mortem en écartant l’idée qu’il puisse s’agir d’un legs à personne future et en rejetant toute application de la théorie des biens sans maître pour annuler le legs884. En revanche, la Cour de cassation refusait de valider le legs fait à une personne future et n’admettait pas qu’un établissement public soit autorisé à accepter une donation ou un legs fait antérieurement à sa reconnaissance d’utilité publique885.
Pour sécuriser cette façon de constituer une fondation, la loi du 4 juillet 1990886, modifiant la loi du 23 juillet 1987, a expressément prévu qu’« un legs peut être fait au profit d’une fondation qui n’existe pas au jour de l’ouverture de la succession sous la condition qu’elle obtienne, après les formalités de constitution, la reconnaissance d’utilité publique ». Au décès du fondateur, la fondation devient ainsi propriétaire des titres de la société, sous la condition suspensive de sa reconnaissance d’utilité publique, de sorte qu’elle n’entrera en possession de son legs qu’une fois cette reconnaissance obtenue. L’article 18-2, alinéa 3 de la loi du 23 juillet 1987 précise que « la personnalité morale de la fondation reconnue d’utilité publique rétroagit au jour de l’ouverture de la succession ».
20728 – Les limites. – En raison de l’incertitude liée à la reconnaissance d’utilité publique de la fondation qui entraînerait la caducité du legs et du délai de latence entre le décès et l’acte de reconnaissance de l’utilité publique, nous ne pouvons que déconseiller cette façon de procéder en présence des titres d’une entreprise.
Par ailleurs, des clauses restrictives à la transmission des titres peuvent être contenues dans les statuts ou dans un pacte d’associés, qui soit empêcheront la transmission des titres, soit entraveront la fondation dans la gestion des titres.
Il conviendra donc que les modalités de transfert des titres au sein de la fondation soient organisées selon un autre schéma.
Sous-section III – Les modalités de transfert des titres
20729 Comme nous l’avons vu ci-dessus, la mise en place d’une fondation va prendre la forme d’un apport à titre gratuit et irrévocable de titres d’une ou plusieurs sociétés (§ I). Plus rarement, il pourra s’agir d’une acquisition à titre onéreux (§ II).

§ I – L’apport à titre gratuit

20730 – L’apport à titre gratuit. – Une fondation, comme d’ailleurs un fonds de dotation ou un fonds de pérennité, est nécessairement créée par l’apport à titre gratuit et irrévocable de biens, droits ou ressources ou de titres de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou encore de titres d’une société holding détenant des participations dans des sociétés de cette nature, comme ce sera le plus souvent le cas.
Dans le cadre d’une fondation reconnue d’utilité publique, l’apport doit être au moins de 1 500 000 €.
20731 – La donation à la fondation. – Constituée du vivant du fondateur, la transmission des titres prendra la forme d’une donation consentie par le fondateur à la fondation reconnue d’utilité publique. À cette occasion, la dotation peut se faire en une ou plusieurs fois, par donation mais également par une disposition testamentaire. Constituée post mortem, la transmission prendra exclusivement la forme d’un testament.
Le fondateur peut envisager sa donation en pleine propriété mais il peut aussi, dans une logique de test, n’opérer qu’une donation d’un usufruit temporaire887 afin de retrouver une réversibilité qu’il perd avec la donation en pleine propriété888. Cette donation en usufruit pourra être complétée d’un legs de la nue-propriété à la fondation.

§ II – L’apport à titre onéreux

20732 – L’apport à titre onéreux. – Si la transmission à titre gratuit est en principe la règle, rien ne s’oppose à ce que des titres soient transmis à titre onéreux sous la forme d’une acquisition.
Il faudra être particulièrement vigilant sur cette façon d’opérer en présence d’une fondation reconnue d’utilité publique, et ce afin de préserver le caractère non lucratif de la structure. C’est ainsi que la doctrine préconise, si un tel schéma devait être mis en place, que le financement ne soit pas assuré directement par la fondation mais par une holding intermédiaire, détenue par la fondation, laquelle holding détiendrait les titres de la société opérationnelle889.
Sous-section IV – La reconnaissance d’utilité publique
20733 La reconnaissance d’utilité publique est un avantage pour la fondation, et indirectement pour l’entreprise qui y sera logée, en termes notamment de pérennité.
20734 – Le chemin de la reconnaissance d’utilité publique. – L’obtention du statut suppose en effet que le projet présente une importance suffisante lui permettant de perdurer à long terme, grâce notamment à sa dotation et aux moyens financiers qu’elle procure.
Par ailleurs, la présence de l’État comme membre de droit du conseil d’administration est un symbole fort.
Ce n’est qu’à compter de la publication du décret du Premier ministre, pris après avis du Conseil d’État et publié au Journal officiel, que la fondation a une existence légale. Dans cette attente, elle est considérée comme en cours de constitution.
Pour obtenir cette reconnaissance d’utilité publique, un certain nombre de conditions et critères doivent être réunis qui seront évalués et appréciés lors de l’instruction du dossier ; c’est ce qui rend le processus aléatoire.
Tout d’abord, la fondation devra bien entendu servir un intérêt général. Même s’il n’existe pas de définition de la notion d’intérêt général tant le concept est large, nous pouvons nous référer en la matière à l’article 200, 1, b du Code général des impôts qui précise, en visant les œuvres d’intérêt général, qu’il s’agit « d’œuvres (…) ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique (…), à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ». Il s’agit d’un critère essentiel au moment de l’instruction du dossier pour obtenir la reconnaissance d’utilité publique. Les statuts de la fondation devront donc clairement définir ce qu’elle entend mettre dans la notion d’intérêt général.
En deuxième lieu, la fondation devra bien entendu avoir un but non lucratif. Au travers de cette notion, il s’agit de comprendre que la fondation ne pourra pas partager les bénéfices réalisés entre ses membres, à la différence d’une société commerciale. Cela n’interdit aucunement à la fondation de faire des bénéfices ni même de créer des filiales commerciales, à la condition que ces filiales se conforment aux statuts et au but non lucratif de l’institution, c’est-à-dire reversent leurs bénéfices à la fondation elle-même afin de lui permettre de remplir son objet social.
En troisième lieu, la fondation doit, dans le dossier de demande de reconnaissance d’utilité publique, préciser ses ressources et leur affectation. La dotation doit être énoncée et évaluée.
En dernier lieu, le dossier de demande de reconnaissance d’utilité publique doit faire apparaître l’absence de dépendance qui pourrait exister entre la fondation et ses propres membres, et ce de façon à garantir l’intérêt général.

Section III – Le fonctionnement de la fondation reconnue d’utilité publique

20735 Selon les modèles types proposés par le Conseil d’État, deux modes de gouvernance sont possibles : l’un avec un conseil d’administration, l’autre avec un directoire et un conseil de surveillance.
Sous-section I – Les fondations avec conseil d’administration
20736 – La fondation avec conseil d’administration. – En l’absence d’adhérents et d’assemblée générale pouvant élire les membres d’un conseil d’administration, comme nous le connaissons dans une association ou une société de forme commerciale, les membres du conseil d’administration d’une fondation sont nommés par le ou les fondateurs et/ou de façon statutaire. En présence d’une fondation reconnue d’utilité publique, la composition et le fonctionnement du conseil d’administration sont déterminés avec précision par les statuts-types proposés par le Conseil d’État. La composition du conseil d’administration est établie sur la base de trois collèges distincts : le collège des fondateurs, le collège des personnalités qualifiées et le collège des membres de droit890. De façon optionnelle, le conseil d’administration peut être composé d’autres collèges, comme par exemple un collège des salariés de l’entreprise détenue par la fondation, un collège des mécènes, etc.
20737 – La place de l’État. – Un représentant de l’État assistera aux séances du conseil d’administration avec voix consultative. Son rôle sera de veiller au respect des statuts et du caractère d’utilité publique de l’activité de la fondation.
20738 – Le fonctionnement du conseil d’administration. – La durée du mandat des membres du conseil d’administration est librement fixée par les statuts, ainsi que les modalités de renouvellement.
La révocation d’un administrateur est possible pour juste motif par le conseil d’administration à la majorité des deux tiers des membres en exercice, et ce dans le respect des droits de la défense. Les personnes ayant apporté la dotation ne peuvent être révoquées.
En ce qui concerne la rémunération, le principe est la gratuité des fonctions des membres d’une fondation. Ils peuvent simplement prétendre au remboursement des frais engagés pour l’exercice de leur mission.
L’article 7 des statuts-types adoptés le 19 juin 2018 par le Conseil d’État a introduit des règles de prévention des conflits d’intérêts.
Le conseil d’administration délibère sur les questions inscrites à l’ordre du jour par son président, et sur celles dont l’inscription a été demandée par le quart au moins de ses membres, ou par le commissaire du gouvernement.
Le conseil d’administration vote le budget et approuve les comptes annuels.
Le conseil d’administration a le pouvoir de disposition sur les biens de la fondation. Il accepte les donations et les legs, en affecte le produit et autorise, en dehors de la gestion courante, les acquisitions et cessions de biens mobiliers et immobiliers, les marchés, les baux et les contrats de location, la constitution d’hypothèques et les emprunts ainsi que les cautions et garanties accordées au nom de la fondation.
20739 – Le président du conseil d’administration. – La fondation est représentée par un président dont les modalités de nomination, de révocation et de remplacement sont réglées par les statuts. Bien souvent, en pratique, le président est le fondateur qui a apporté la dotation à la fondation.
Dans les faits, cette fonction n’est pas honorifique mais véritablement opérationnelle. Le président représente la fondation dans tous les actes de la vie civile. Depuis les statuts-types adoptés le 19 juin 2018, ses pouvoirs sont renforcés : il décide des dépenses conformément aux orientations données par le conseil d’administration, et il peut recevoir une délégation du trésorier pour procéder aux dépenses d’un montant inférieur à un seuil déterminé par le conseil d’administration.
Le président a la possibilité de déléguer tout ou partie de ses pouvoirs, notamment par la nomination d’un directeur général.
20740 – Les organes accessoires. – Enfin, la fondation peut se doter d’un bureau qui est un organe issu du conseil d’administration. Celui-ci élit les membres du bureau comprenant trois membres au moins, dont un président et un trésorier.
Le bureau aura pour mission de préparer et instruire les dossiers qui seront ensuite soumis au conseil d’administration.
Sous-section II – Les fondations avec directoire et conseil de surveillance
20741 – La gouvernance bicéphale. – Ce second modèle de gouvernance, proposé dans les statuts-types adoptés par le Conseil d’État le 19 juin 2018, est organisé de la façon suivante : la fondation est dirigée par un directoire qui est placé sous le contrôle d’un conseil de surveillance.
Les principales particularités de cette forme de gouvernance par rapport aux fondations avec conseil d’administration sont les suivantes :

la rémunération des membres du directoire ne peut excéder certains plafonds afin que la fondation respecte l’obligation d’une gestion désintéressée891 ;

l’indépendance du directoire vis-à-vis du conseil de surveillance est assurée par des règles d’incompatibilité ;

en cas de conflit d’intérêts, le membre du directoire impliqué informe le conseil de surveillance et s’abstient de participer au vote d’une décision au sein du directoire ;

les conditions de délibération du directoire sont précisées : majorité simple et voix prépondérante du président ;

la délégation de pouvoir des membres du directoire demeure exceptionnelle et doit intervenir dans des conditions strictes définies au cas par cas par les statuts.

Sous-section III – Le règlement intérieur
20742 – Règlement intérieur. – Les statuts-types imposent la rédaction d’un règlement intérieur qui devra préciser les modalités d’application des statuts, et notamment le fonctionnement des différents organes de la fondation et les rapports qui s’établissent entre eux.
Le règlement doit être adopté par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance, selon la forme de la gouvernance, puis approuvé par le ministre de l’Intérieur.
Sous-section IV – Les particularités tenant à la fondation détentrice d’une entreprise
20743 – Les contraintes de la « fondation actionnaire ». – Depuis la loi Pacte, qui a modifié l’article 18-3 de la loi du 23 juillet 1987 imposant le principe de spécialité892, les statuts de la fondation doivent à la fois organiser la gestion des titres de la société détenue et définir les règles de gouvernance de l’entreprise elle-même. En présence d’une fondation reconnue d’utilité publique, le Conseil d’État sera attentif à ce que la fondation ne s’immisce pas dans la gestion de la société, mais se consacre exclusivement à la réalisation de son but d’intérêt général. Cependant, le Conseil d’État a indiqué dans un avis que la fondation devait veiller « à préserver la valeur et le rendement des actifs qui lui permettent de financer son activité »893.
Les statuts devront donc prendre en compte cette contrainte.
Les statuts-types publiés par le Conseil d’État le 19 juin 2018 intègrent ces contraintes.
La gouvernance de la fondation devra être strictement dissociée de la direction de l’entreprise afin de démontrer que la fondation ne s’immisce pas dans la gestion et se cantonne à son rôle d’actionnaire.
Plusieurs préconisations peuvent être faites pour y parvenir.
En premier lieu, il faudra éviter que les administrateurs de la fondation soient identiques aux administrateurs de la société. Il peut en revanche être souhaitable qu’un administrateur de la fondation soit également administrateur au sein de la société afin de préserver les intérêts de la fondation. La fondation aura pour mission de nommer les administrateurs de la société, voire les dirigeants, en fonction des règles de la société, ni plus ni moins.
En deuxième lieu, il faudra être attentif à la fonction de président de la fondation et de président de la société. Si la fondation ne contrôle pas encore la société, il ne paraît pas choquant que le chef d’entreprise, qui a conservé le contrôle de sa société, en soit le dirigeant tout en étant également le président de sa fondation. En revanche, si la fondation a pris le contrôle de la société, le dirigeant n’a plus seul le pouvoir de décision du dirigeant de la société. Au regard des recommandations émises par le Conseil d’État, notamment de non-immixtion, il ne nous semblerait pas cohérent que le dirigeant de la société soit également le dirigeant de la fondation.
En dernier lieu, afin de marquer véritablement une dissociation de la gouvernance de la fondation et de la société, le Conseil d’État préconise d’interposer une holding passive entre la fondation et la société opérationnelle, ce qui est le schéma habituellement pratiqué894.
À titre alternatif, comme l’a retenu la Fondation Avril, il peut être recouru à la société en commandite par actions (SCA) dans laquelle la fondation serait commanditaire et l’actionnaire historique commandité, lui permettant de conserver le pouvoir opérationnel.

Section IV – La fiscalité de la fondation reconnue d’utilité publique

20744 – Un cadre fiscal dédié. – Une distinction est opérée par l’administration fiscale entre les fondations dites « lucratives » et celles qui ne le sont pas895. Les premières sont soumises à la contribution économique territoriale (CET), à la TVA et à l’impôt sur les sociétés, alors que les secondes en sont exemptées même si elles peuvent cependant réaliser occasionnellement des bénéfices896.
Pour celles qui y sont soumises, elles bénéficient en matière d’impôt sur les sociétés d’un régime plus favorable que le droit commun. Elles sont exonérées jusqu’à concurrence de 62 250 € de leurs recettes d’exploitation. Au-delà de ce seuil, le taux d’imposition est de 24 %897.
Par ailleurs, l’article 206, 5 du Code général des impôts précise que les fondations reconnues d’utilité publique, comme d’ailleurs les fonds de dotation, dont la dotation n’est pas consomptible, sont exonérés de l’impôt sur les sociétés à raison de leurs revenus patrimoniaux. Ainsi, les fondations reconnues d’utilité publique et les fonds de dotation dont la dotation est consomptible sont soumis à l’impôt sur les sociétés à raison de leurs revenus patrimoniaux aux taux réduits de 15 % pour les dividendes reçus et 10 % pour les revenus de valeurs mobilières.
20745 – Les libéralités au profit de la fondation. – Pour ce qui concerne les libéralités faites au profit d’une fondation reconnue d’utilité publique, elles peuvent être exonérées de droits de mutation à titre gratuit à condition que les ressources soient exclusivement affectées à des œuvres scientifiques, culturelles ou artistiques à caractère désintéressé898. À défaut, les dons et legs sont soumis aux tarifs fixés pour les successions entre frères et sœurs899.

Section V – Les limites de la fondation reconnue d’utilité publique

20746 – Les contraintes de la fondation. – Comme nous venons de le voir, la constitution et le fonctionnement d’une fondation reconnue d’utilité publique sont empreints d’un grand formalisme et d’une certaine lourdeur, de nature à rebuter certains chefs d’entreprise.
20747 – Un temps de création long. – Tout d’abord, sur le plan pratique, la longueur du processus pour obtenir la reconnaissance du statut d’utilité publique peut décourager le chef d’entreprise, sans compter le côté aléatoire d’une telle reconnaissance. Le délai moyen sera très souvent de trois à quatre ans.
20748 – La place des héritiers réservataires900. – Le deuxième sujet, même s’il n’est pas lié directement à la fondation mais concerne aussi le fonds de pérennité et le fonds dedotation, est relatif à l’existence d’héritiers réservataires. En pratique, la valorisation de l’entreprise excédera la quotité disponible. Il faudra donc, d’une façon ou d’une autre, que la démarche s’inscrive dans un projet familial plus large de manière à recueillir l’adhésion des enfants. La mise en place d’une renonciation partielle à l’action en réduction prévue par les articles 929 et suivants du Code civil sera un des outils possibles pour permettre au chef d’entreprise de doter la fondation au-delà de la simple quotité disponible.
Il sera important ici de bien définir en amont le projet, et notamment de savoir si la fondation a vocation à détenir le contrôle ou non de la société. Cela permettra de mieux expliquer aux enfants les enjeux d’une éventuelle renonciation à leur part de réserve héréditaire.
20749 – La place et le rôle des organes de direction. – Le troisième sujet tient aux organes d’administration et de surveillance des fondations reconnues d’utilité publique. Ces organes doivent avoir une indépendance totale à l’égard du fondateur. Cela se traduit notamment par le fait qu’aucun collège ne peut détenir plus du tiers des voix, ce qui a pour conséquence que le chef d’entreprise qui s’est dessaisi de ses titres perd le contrôle de la gestion de la fondation.
Cette difficulté peut être partiellement contournée à la fois par la création d’une holding intermédiaire entre la fondation et la société opérationnelle et par le quantum de titres immédiatement apporté à la fondation.
20750 – Les contraintes liées à la détention d’une entreprise. – S’agissant justement de la gestion des titres de la société détenue par la fondation, le second alinéa de l’article 18-3 de la loi no 87-571 du 23 juillet 1987 pose désormais de nouvelles obligations statutaires aux fondations reconnues d’utilité publique qui reçoivent des titres de société, afin de garantir un fonctionnement conforme au principe de spécialité tel qu’interprété par le Conseil d’État. La fondation ne peut qu’assurer une gestion des titres « sans s’immiscer dans la gestion de la société ». Cela a pour conséquence d’imposer de dissocier la direction de la fondation de celle de l’entreprise.
20751 – Le risque de conflits d’intérêts. – La reconnaissance de l’utilité publique de la fondation peut enfin être une contrainte dans le temps, voire engendrer des conflits d’intérêts. En effet, au sein d’une même entité – la fondation reconnue d’utilité publique –, vont coexister une structure poursuivant un intérêt général et une autre poursuivant un intérêt particulier et lucratif. Il ne faut pas perdre de vue que l’objet social de la fondation doit poursuivre un but d’intérêt général. Mais il est aussi de l’intérêt de la fondation que l’entreprise qu’elle détient crée de la richesse pour lui permettre de remplir ses missions. L’équilibre passera donc par des règles de gouvernance adaptées qui permettront de veiller au respect par la fondation de son objet d’intérêt général.
20752 – Une alternative possible. – Pour toutes ces raisons, et face au faible engouement pour la « fondation actionnaire », le législateur a voulu créer un outil plus souple : le fonds de dotation. On constate ainsi qu’un certain nombre de projets philanthropiques prennent souvent, au moins dans un premier temps, la forme d’un fonds de dotation plutôt que celle d’une fondation reconnue d’utilité publique. Le fonds de dotation offre en effet une plus grande souplesse, comme nous le verrons ci-après.

Section VI – Les applications pratiques d’une fondation reconnue d’utilité publique. L’exemple des laboratoires Pierre Fabre

20753 En avril 1999, Pierre Fabre, fondateur et actionnaire de la société Pierre Fabre SA, crée une fondation qui est reconnue d’utilité publique par un décret du 6 avril 1999, publié au Journal officiel du 8 avril 1999.
Cette fondation a pour objet d’améliorer l’accès aux médicaments et aux soins dans les pays les moins avancés et les pays en voie de développement.
Son conseil d’administration comprend quatorze membres, dont deux représentants de l’État.
À titre de dotation, la fondation reçoit une somme d’argent ainsi que 5 % du capital social des actions du groupe. En 2008, profitant d’une modification législative, dont il est à l’origine, Pierre Fabre donne à la fondation la majorité du capital social du groupe. La Fondation Pierre Fabre détient à ce moment 65 % du capital social du groupe, Pierre Fabre conservant 28 % du capital et les salariés environ 6 %. À la suite de son décès, intervenu en juillet 2013, et à la faveur d’un testament, la Fondation Pierre Fabre reçoit le solde des titres détenus par son fondateur.
Afin d’éviter toute immixtion dans la gestion de l’entreprise, le schéma retenu a été le suivant :
Schéma de la fondation Pierre Fabre
Dans ce schéma, la fondation vote au sein de l’assemblée générale de la holding Pierre Fabre Participations pour nommer les organes de direction, mais sans s’immiscer dans la direction opérationnelle de la société Pierre Fabre. Elle agit comme un actionnaire passif. Et c’est la holding Pierre Fabre Participations qui va nommer les organes de direction de la société opérationnelle et contrôler la gestion et la direction dans la mesure où elle aura, en tant qu’actionnaire majoritaire, à se prononcer annuellement sur l’approbation des comptes et le quitus à donner aux organes de direction.
Ainsi, il existe une dissociation très claire entre la fondation qui agit en tant qu’actionnaire simple et la holding Pierre Fabre Participations qui agit comme une société opérationnelle sur ses filiales, respectant ainsi le principe de non-immixtion de la fondation dans la gestion de l’entreprise qui figure désormais dans la loi du 23 juillet 1987901.

880) Pour un exposé d’ensemble sur la question, V. JCl. Civil Code, Vo Fondation, Fasc. 10.
881) L. no 87-571, 23 juill. 1987 : JO 24 juill. 1987, connue sous le nom de « loi sur le développement du mécénat ».
882) V. C. civ., art. 470, 476 et 903.
883) Les libéralités consenties à des personnes morales ou à des particuliers à charge de constituer des personnes morales, donc à charge de constituer une fondation, sont reconnues par l’article 900-1 du Code civil issu de la loi no 71-526 du 3 juillet 1971.
884) V. CE, 20 déc. 1854. – CE, 16 août 1859 : JCl. Civil Code, Vo Fondations, Fasc. 10, § 66. Un avis de principe a réaffirmé cette position : CE, avis, 17 janv. 1883 : Rép. dr. adm. Béquet, no 86, p. 13.
885) Cass. civ., 14 août 1866 : DP 1867, I, 110 ; S. 1867, 1, 61. – Cass. req., 24 nov. 1874 : S. 1875, 1, p. 8. – Cass. civ., 7 févr. 1912 : DP 1912, 1, p. 433 ; S. 1914, 1, p. 305, note L. Hugueney. – Cass. 1re civ., 22 juill. 1987 : Bull. civ. 1987, I, no 258 ; JCP G 1987, IV, 361 ; Gaz. Pal. 1988, 1, p. 137, note E.-S. de La Marnière.
886) L. no 90-559, 4 juill. 1990 : JO 6 juill. 1990.
887) Le terme de la donation temporaire d’usufruit étant au plus tard le décès du donateur, cela permet au chef d’entreprise d’être certain de retrouver la pleine propriété de ses titres. À ce moment-là, soit l’opération a été concluante et il pourra envisager d’y transférer tout ou partie de ses titres ; soit l’opération n’a pas été concluante et dans ce cas, il transmettra ses titres différemment.
888) Cette stratégie ne sera valable qu’autant qu’il est mis en place une politique de distribution d’un dividende afin que l’usufruit sur les parts s’exerce d’un point de vue économique.
889) X. Delsol et A. Laroche, Dossier « La fondation actionnaire » : Ingénierie patrimoniale juillet 2020, préc.
890) Autrement appelé le « collège des partenaires institutionnels ».
891) CGI, art. 261, 7, 1od et 242 C, ann. II.
892) L’article 18-3 dispose que : « Lorsque ces parts ou ces actions confèrent à la fondation le contrôle de la société au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, les statuts de la fondation indiquent comment, en application du principe de spécialité, cette dernière assure la gestion de ces parts ou actions sans s’immiscer dans la gestion de la société (…) ».
893) CE, sect. int., 23 juill. 2019, no 397890, Fondation Avril.
894) Comme nous le verrons plus loin, c’est le schéma retenu pour la détention des laboratoires Pierre Fabre.
895) Le critère de distinction répond à deux conditions : la fondation sera considérée comme non lucrative si sa gestion est désintéressée et que son activité ne rentre pas dans le secteur concurrentiel.
896) Ces bénéfices ne peuvent dépasser 62 250 €. Par ailleurs, il y a un certain nombre d’autres conditions à respecter énoncées à l’article 206-1 bis du Code général des impôts.
897) CGI, art. 219 bis.
898) CGI, art. 795, 2o.
899) CGI, art. 777, dernier al., tableau III.
900) Cette limite va se rencontrer aussi bien pour la fondation que pour le fonds de pérennité ou le fonds de dotation.
901) L. no 87-571, 23 juill. 1987, art. 18-3.
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