CGV – CGU

PARTIE I – De la création au développement : la naissance de l’entreprise
Titre 1 – Le choix cornélien du mode d’exploitation
Sous-titre 2 – L’état des lieux, lacunaire, des solutions

Chapitre I – L’entreprise individuelle, statut naturel du travailleur indépendant, de l’entreprise en éclosion

20043 Le porteur de projet n’a parfois pas d’autre choix que d’exploiter son activité en entreprise individuelle et de loger celle-ci au sein de son patrimoine personnel. S’il décide de ne pas constituer de société, l’intervention notariale lui permettra de bien mesurer la portée du choix du statut d’entrepreneur individuel, à défaut de personnalité morale distincte de la personnalité juridique de l’exploitant.
Pour dispenser un juste conseil, il paraît nécessaire d’en connaître parfaitement les intérêts (Section II) et les limites (Section III), en les contextualisant grâce à l’histoire de ce statut (Section I) et ses usages récents très inattendus (Section IV).
20044

Section II – Les intérêts évidents du statut d’entrepreneur individuel

20045 – L’entreprise est d’abord l’entrepreneur lui-même. – Le tout premier intérêt du statut d’entreprise individuelle est sa simplicité. Accéder au statut, comme nous l’avons évoqué plus haut, consiste à débuter l’exercice d’une activité professionnelle, quelle qu’elle soit. Bien entendu, elle n’implique pas une absence totale de formalisme administratif de constitution en fonction de l’activité choisie. Cependant, elle se distingue véritablement de la société, car elle n’oblige pas le porteur de projet à remplir les prérequis de la personne morale : statuts sociaux, compte bancaire dédié, gestion administrative des décisions relatives aux comptes sociaux et à certaines décisions nécessairement formelles (décisions de gestion, évolutions statutaires, etc.).
20046 Le faible niveau des prérequis pour exercer une activité sous le statut d’entreprise individuelle aboutit de facto à un coût de création très limité44. Cette ancienne « barrière à l’entrée », qui était peu propice à l’accès à l’entreprenariat, est devenue tout à fait négligeable pour qui nourrit l’ambition de lancer un projet.
Pour une lecture complète et actualisée du coût des formalités de création d’une entreprise :
clic-mail
20047 – La prise de décision directe. – La simplicité de l’entreprise individuelle s’exprime tout autant dans le cadre des décisions de gestion puisqu’elles n’appartiennent ici qu’à la personne de l’entrepreneur. Cela permet une agilité très forte, des choix directs, libres, sans besoin de formalisation. Ce critère est évidemment central puisque la vie de l’entreprise nécessite intrinsèquement des prises de décision fréquentes, multiples et rapides, qu’elles soient offensives (conquérir de nouveaux marchés, contracter avec de nouveaux partenaires) ou défensives (répondre à une attaque sur un marché, adapter la politique de production ou de commercialisation des biens et services).
20048 – La garantie personnelle, gage de confiance. – Un autre intérêt est que le statut d’entreprise individuelle est source de confiance. En effet, l’entrepreneur n’ayant pas choisi de dissocier son patrimoine personnel de son activité professionnelle, il offre à ses partenaires un droit de gage universel sur l’ensemble de ses biens. Ce critère est d’autant plus important dans le commerce, dans lequel la confiance reste un élément clé, pour des fournisseurs qui ne se verraient pas payés au comptant des biens ou services qu’ils vendent eux-mêmes à l’entreprise.
20049 – L’exclusion de l’abus de bien social. – En outre, le statut d’entrepreneur individuel exclut naturellement la notion d’abus de bien social. Celui-ci est défini par le Code de commerce, aux articles L. 241-3 et L. 242-6, comme le fait pour un dirigeant de profiter, de mauvaise foi et dans un usage contraire aux intérêts de l’entreprise, des biens appartenant à cette dernière (directement ou par le jeu de prises de garantie) à des fins personnelles (directement ou au travers d’autres entreprises dans lesquelles il serait intéressé).
Pénalement réprimé, l’abus de bien social ne peut exister dans le cadre de l’entreprise individuelle puisque, par définition, celle-ci demeure totalement encapsulée dans le patrimoine unique de l’entrepreneur. Ce dernier demeure donc parfaitement libre de se servir à des fins personnelles de l’ensemble des actifs sociaux, sans avoir de compte à rendre à quiconque. Aucune discrimination ne sera dès lors réalisée entre les flux financiers ou patrimoniaux de l’entreprise et ceux de son dirigeant.

Section III – Les contraintes du statut, souvent dirimantes

20050 – Une exposition patrimoniale illimitée. – Permettre au statut d’entrepreneur individuel de procurer de la confiance, en apportant des garanties, aboutit nécessairement à exposer le patrimoine personnel de l’entrepreneur à ses partenaires, devenus créanciers. L’article 2284 du Code civil45 s’applique par principe à l’entrepreneur individuel qui ne dispose pas d’une structure sociale distincte pour exercer son activité. Les aléas multiples de l’exploitation d’une activité vont alors s’exprimer financièrement, d’abord sur le devenir de l’entreprise, mais aussi sur l’ensemble des biens et droits dont est constitué le patrimoine personnel de l’entrepreneur.
À défaut de cela, le statut ne dégagerait évidemment pas cette confiance, hautement nécessaire pour accéder au financement. Le risque pour l’entrepreneur est donc intégral, puisqu’en cas de défaillance financière de son activité il n’aura d’autre choix que de puiser dans ses ressources patrimoniales personnelles, le cas échéant jusqu’à épuisement total. Ses créanciers disposeront de toutes les voies d’exécution possibles sur ce patrimoine pour obtenir règlement de leur créance. Ainsi, l’entrepreneur sera véritablement en capacité de « tout » perdre sur le plan patrimonial : ses actifs financiers, ses immeubles, etc.
20051 – La fiscalité personnelle inadaptée de l’entrepreneur. – La seconde contrainte forte du statut d’entrepreneur individuel réside dans les prélèvements fiscaux ou sociaux opérés sur le flux d’activité de l’entreprise, en fonction de la nature de celle-ci (bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux, ou bénéfices agricoles). Dans cette configuration, l’ensemble des revenus générés par l’activité de l’entrepreneur seront soumis auxdits prélèvements, et, le plus important, sans aucune considération du fait que ces revenus aient été perçus pour les besoins personnels du dirigeant, ou laissés à disposition de l’entreprise en vue de financer son besoin en fonds de roulement ou des investissements nouveaux.
D’abord, les revenus générés seront soumis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et aux prélèvements sociaux comme « n’importe quel » revenu (même si le mode de détermination du revenu taxable diffère notoirement des traitements et salaires, ou des revenus fonciers), qu’ils soient effectivement perçus pour des besoins personnels ou non. En France, les taux d’imposition bénéficient d’une très faible progressivité (cinq tranches) et atteignent des niveaux importants très rapidement, surtout si l’on se place dans le cadre de revenus d’entreprise, à majorer le cas échéant d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 3 ou 4 % complémentaires :
Tableau du barème progressif applicable aux revenus de 2021
À cet impôt, il faut ajouter les prélèvements sociaux (contribution sociale généralisée [CSG], et contribution pour le remboursement de la dette sociale [CRDS], respectivement de 9,2 % et 0,5 %).
20052 – Des conséquences non maîtrisées. – Un tel niveau de prélèvement et une absence totale de choix vont engendrer plusieurs conséquences :

la nécessité pour le dirigeant de ponctionner la trésorerie de son activité, pour financer le paiement de l’impôt ;

la diminution de la trésorerie disponible pour financer les besoins de l’activité ;

le risque d’absence de prise en compte du cycle de trésorerie de l’entreprise, pour lequel la notion de résultat dégagé et taxable est totalement différente de celle de trésorerie disponible ;

l’impossibilité matérielle d’atteindre ou maintenir un niveau de développement important.

20053


44) Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), Coût de la création d’une entreprise, 16 avril 2021.
45) « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. ».
46) V. supra, no 20004.
47) C. com., art. L. 121-1 : « Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ».
48) « I. – Pour les besoins de la recherche ou de la constatation des infractions (…), des agents de l’administration des impôts (…) peuvent, (…) se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques (…) et par les prestataires (…).

III. – Les agents de l’administration des impôts peuvent se faire communiquer les données traitées et conservées relatives à l’identification du vendeur ou du prestataire, à la nature des biens ou des services vendus, à la date et au montant des ventes ou prestations effectuées par les opérateurs des services (…). ».
49) Ce sujet est d’autant plus prégnant lorsque l’on constate que le « client » impose des conditions particulières de prestations de services qui aboutissent à ce que le « prestataire » démontre une disponibilité très étendue pour assurer son service, et que le refus de collaboration pour toute raison (disponibilité, rentabilité, etc.) peut aboutir assez rapidement à la rupture de la relation de travail.
50) M. Zylberberg, La distinction travail indépendant/salariat – état de la jurisprudence, Cour de cassation, Bulletin du droit du travail, 3e trim. 2008.
Aller au contenu principal