CGV – CGU

PARTIE III – De la consolidation à la pérennisation et à la diversification : la transformation de la société
Titre 1 – Penser à la société pour porter un projet patrimonial

Sous-titre 3 – Une société patrimoniale pour transmettre

20657 – La transmission, un projet consubstantiel à la constitution du patrimoine. – Un des principaux sens de la constitution d’un patrimoine, au-delà de la perception de revenus et d’une vaine volonté d’accumulation, sera de le transmettre pour qu’il existe au-delà de son créateur. Mais aussi qu’il profite à d’autres, notamment à ses héritiers, en leur permettant d’accéder à un niveau de vie amélioré ou simplement équivalent dans un contexte où le marché de l’immobilier complique significativement un désir pourtant simple, celui d’être propriétaire de son logement.
Cette transmission paraîtra assez aléatoire sous le régime de l’indivision dans la mesure de ses facteurs d’instabilité exposés ci-dessus. Le patrimoine serait ainsi confronté à un risque avéré de précarité face à un besoin de planification à long terme, dans un contexte parfois délicat (capacité des héritiers à gérer, écarts importants de situation financière entre héritiers), et en tout état de cause, mouvant.
Sans remettre en cause le principe convenu de la nécessaire participation à la vie de la collectivité, la transmission du patrimoine devra être conjuguée avec une anticipation fiscale salutaire. Les notaires de France et leurs concitoyens n’ignorent pas que les droits de succession constituent un prélèvement lourd sur le patrimoine, à une époque où une valeur supérieure à 100 000 € par enfant est rapidement taxée à 20 %, et où la tranche marginale ne reste que très symboliquement en deçà de 50 %.
Favorisant, dans des limites qui peuvent apparaître comme très restreintes, les transmissions entre vifs, notre réglementation fiscale incite à anticiper la transmission.
Différentes techniques, au cœur de l’ingénierie notariale, permettront d’utiliser le plus exhaustivement possible ces incitations. Les analyser intégralement relève tout autant de la gageure, tant elles sont nombreuses, que de l’inutilité, tant le lecteur les éprouve à longueur de journée, d’années, de carrière. Nous nous concentrerons alors sur les points qui sont actuellement saillants, et sur lesquels seul le notaire pourra apporter une fiabilité et une valeur ajoutée uniques.
20658 – Démembrer des droits sociaux, une évidence qui pose encore question. – Dans un contexte patrimonial, le démembrement de propriété peut s’opérer sur des actifs détenus en direct, ou sur des droits sociaux d’une structure qui détiendrait elle-même en pleine propriété ces mêmes actifs.
Une technique, classique, est de démembrer les parts d’une société patrimoniale faiblement capitalisée, lors de sa constitution, en en donnant la nue-propriété aux héritiers. À ce stade la donation ne coûte « rien », puisque la valeur nette de la société est très faible, quand bien même ses actifs seraient d’une valeur très importante, puisqu’elle a été financée autrement que par des apports en capital794.
Dans l’hypothèse où la société s’est vu apporter des comptes courants d’associés, c’est bien la plus-value future des actifs qui a été transmise puisque la créance de compte courant (qui est égale à la valeur initiale de l’investissement) pourra être présente au sein de l’actif successoral taxable, s’il n’a pas été remboursé entre-temps grâce aux revenus de l’actif795.
Dans l’hypothèse où la société a financé son investissement par emprunt, l’opération peut être idéale puisque :

aucune valeur ne sera taxable concernant cet actif796 ;

et il est fréquent qu’une assurance-emprunteur procède au remboursement de la dette, rendant ainsi les héritiers propriétaires d’une structure dont la valeur sera celle de l’actif à sa valeur du jour de succession797.

L’aspect comptable dans une stratégie de transmission ne devra pas être négligé. Si chaque année un résultat est constaté sans pouvoir être réglé faute de trésorerie, ce résultat peut être mis en réserve. Le distribuer en l’inscrivant au compte courant de l’usufruitier créera un actif taxable à son décès. Une stratégie d’affectation du résultat au compte « report à nouveau » peut être une technique intermédiaire intéressante, pouvant être prévue statutairement dès l’origine.
Il faudra également s’interroger sur l’opportunité d’amortir l’immeuble. Même si l’amortissement n’a pas d’impact fiscal direct dans une société civile translucide, il aura un impact indirect sur la valorisation des parts sociales, en créant une charge comptable qui minorera le résultat, et donc les capitaux propres. Si cette technique aboutit à constater des pertes, elles pourraient être comblées par des abandons de compte courant.
En tout état de cause, cette stratégie de transmission anticipée – et les économies potentiellement importantes qu’elle peut procurer en termes de droits de succession – se confrontera souvent à une autre fiscalité : celle des plus-values. La valeur « d’acquisition » des bénéficiaires de la transmission ayant été calibrée comme la plus basse possible, la plus-value réalisée sur les parts sociales en sera d’autant plus importante au jour de leur cession par ces derniers, sauf à laisser expirer des délais spécifiques d’exonération totale d’impôt de plus-value (trente années concernant les immeubles détenus par des sociétés patrimoniales translucides, ou les parts sociales des sociétés patrimoniales translucides à prépondérance immobilière).
Nous renverrons le lecteur à nos développements précédents sur le démembrement de droits sociaux798, tant en ce qui concerne les droits politiques que les droits financiers, et notamment les problématiques encore présentes quant à l’opposabilité de certaines règles de répartition voulues par les parties et au sort de certaines distributions qui font à ce jour l’objet d’un lourd conflit de jurisprudence.
20659 – L’utilisation d’une société patrimoniale en combinaison du pacte Dutreil. – Présenté ci-dessus comme une contrainte au démembrement de propriété, le pacte Dutreil va, dans son acception initiale, restreindre la capacité des porteurs de droits sociaux démembrés d’exercer une libre répartition entre eux des droits politiques. En outre, le démembrement de propriété des droits sociaux va nécessairement poser question en cas de distribution de réserves par la société émettrice, avec le respect évident des droits des nus-propriétaires.
La société patrimoniale va apporter une solution très opportune à ces deux difficultés.
Sur le plan des droits politiques d’abord, la stratégie qui consiste à apporter les droits sociaux de l’entreprise à une société patrimoniale va se révéler d’une redoutable efficience. Le pacte Dutreil admet la transmission d’une société dite « interposée », c’est-à-dire d’une société qui détient elle-même les droits sociaux soumis à engagement collectif de conservation. Dans cette hypothèse, l’exonération partielle de droits de donation est cantonnée à la quote-part de valeur de la société interposée représentative de la valeur de la participation soumise à engagement collectif.
Cela signifie qu’en cas d’apport préalable à une société patrimoniale nouvellement créée, cette quote-part peut tout à fait être de 100 % puisque la société patrimoniale ne détiendrait aucun autre actif. Un des objectifs de la société patrimoniale sera dans cette circonstance d’assurer au donateur, associé usufruitier, un mandat social comprenant une durabilité et de larges pouvoirs, notamment celui d’exercer les droits de vote au sein de l’entreprise, statutairement assurés.
Ainsi la dilution des droits politiques nécessaires à l’application du pacte Dutreil sera minimisée, puisqu’elle ne s’exercera qu’au niveau de la société patrimoniale « holding », et non pas au niveau hautement plus stratégique de l’entreprise. Cette perte de pouvoir politique sera limitée à sa plus simple expression par les dispositions statutaires qui peuvent, sans abus, permettre une gérance de très longue durée et aux pouvoirs intrinsèques très larges.
Sur le plan des droits financiers ensuite, loger les droits sociaux de l’entreprise à l’actif d’une société patrimoniale aboutira à éviter tout questionnement au sujet des distributions. Dans l’hypothèse où l’entreprise dont les droits sociaux ont été logés dans la société patrimoniale procéderait à une distribution (qu’elle qu’en soit son origine), c’est bien la société patrimoniale qui la toucherait, puisqu’elle-même détentrice de la pleine propriété des droits sociaux.
Cette situation est très différente du démembrement sur les droits sociaux de l’entreprise, hypothèse dans laquelle, nous l’avons détaillé ci-dessus, il n’est pas possible d’ignorer totalement, même conventionnellement, les droits des nus-propriétaires.
Ici, la question de la distribution effective aux associés se posera au niveau de la société patrimoniale. Et cette question sera d’abord à la main du mandataire social qui aura le choix de convoquer les associés en vue de se prononcer sur des résolutions tendant, ou pas, à une distribution à leur profit. En outre, en sa qualité d’usufruitier, par hypothèse, le pacte Dutreil lui réservera le droit de vote sur cette résolution spécifique qu’est l’affectation du résultat.
La faculté pour le mandataire social, usufruitier des droits sociaux de la société patrimoniale, d’arbitrer le sort des dividendes versés par l’entreprise, et notamment de préférer assurer la constitution de réserves, sera ainsi sacralisée. Le mandataire conservera dès lors la haute main pour utiliser ces réserves pour les raisons évoquées ci-dessus (nécessité de réinvestir dans l’entreprise, possibilité de renforcer la participation), mais aussi pour diversifier les investissements dans des actifs purement patrimoniaux (immobiliers, placements financiers, etc.).
Sera alors d’ores et déjà assurée la transmission avec le bénéfice du pacte Dutreil ; d’une pierre trois coups : les droits sociaux de l’entreprise d’abord, les fruits que cette dernière générera ensuite, et enfin les réinvestissements qui en seront faits.
20660 – Des limites de la transmission d’actifs logés dans une structure patrimoniale. – Les atouts offerts par la société patrimoniale en termes de dissociation (propriété, gestion, revenus) ne doivent pas pour autant conduire à la considérer comme l’alpha et l’oméga de la transmission d’actifs. Celle-ci permet de résoudre très efficacement les lourdes problématiques du régime de l’indivision.
Mais ce régime, aussi aléatoire et précaire soit-il au stade de l’investissement et de la transmission, présente un avantage certain pour les héritiers. Ils sont en mesure de provoquer le partage, amiablement ou judiciairement, afin de réaliser ce patrimoine et de financer ainsi leurs besoins ou projets personnels. L’indivision requiert à ce titre d’être à l’écoute des souhaits de chacun de ses membres, quelle que soit sa quote-part de détention. À l’inverse, au sein des sociétés, le ou les associés majoritaires sont en capacité de bloquer toute décision et d’ignorer les aspirations des associés minoritaires.
Utiliser la société patrimoniale nécessite d’anticiper précisément les conséquences de ses règles de fonctionnement en cas de décès de ses fondateurs.
En effet, rares sont les cas dans lesquels les héritiers se trouvent dans une situation financière équivalente, qui leur permettrait vraiment de conserver le patrimoine intact, et de se « contenter » d’en percevoir les éventuels revenus. Plus commune est l’hypothèse dans laquelle, au gré d’études, de carrière, d’union, de construction d’une famille, ou tout simplement de situations de vie, les héritiers nourrissent des projets très distincts les uns des autres, avec des moyens financiers pouvant être très éloignés.
Certains pourraient vouloir utiliser le capital transmis pour nourrir des projets personnels d’investissement mobilisateurs de capitaux, ou continuer à percevoir les revenus sur lesquels se base leur train de vie, voire ne rien percevoir du tout et éviter une fiscalité supplémentaire s’ils considèrent avoir une assise financière individuelle suffisante. On peut le constater, les sujets de divergence sont légion.
C’est tout l’enjeu des règles décisionnelles de la société patrimoniale au décès des fondateurs. Celles-ci doivent bien entendu être fixées dès avant la survenance de cet événement, sous l’impulsion et la bienveillante anticipation des fondateurs, en permettant aux héritiers d’y comprendre leurs souhaits.
L’expression statutaire des souhaits des fondateurs constitue un élément essentiel, car ils auront une influence significative sur l’appréhension du patrimoine par les héritiers et sur leur manière de se comporter face à celui-ci. Ces règles, pour autant qu’elles soient bien construites, permettront une gestion et une entente durables. En leur absence, le drame pas n’est pour autant inéluctable, mais il faudra espérer ou compter sur l’harmonie familiale et une intelligence commune et partagée pour parvenir à un résultat similaire.
En ce qui concerne les règles politiques, deux paramètres sont classiquement à prendre en considération :

l’organe de gouvernance : comment sera nommé le futur mandataire social ? Pour quelle durée ? Un collège de mandataires sociaux devra-t-il être mis en place ? Et, au-delà, avec quels pouvoirs et quelles limitations de pouvoirs ?

les décisions collectives : quelles règles décisionnelles entre héritiers ? Pour prendre quels types de décisions799 ?

En ce qui concerne les règles financières, un des points saillants sera d’éviter que la société patrimoniale ne se transforme en « prison dorée » pour les héritiers. À défaut d’avoir prévu des mécanismes de sortie unilatérale800, chaque héritier serait soumis à un accord collectif pour disposer de revenus ou de son capital. À la différence de l’indivision, la distribution des revenus est assujettie à un accord annuel des associés.
À cette même différence, la sortie d’un associé nécessite une décision collective de réduction de capital801 à une majorité qualifiée, puisqu’elle implique une modification statutaire. Les statuts de la société devront dès lors prévoir a minima deux séries de dispositions :

la distribution annuelle d’un dividende minimal, en présence d’une trésorerie suffisante, permettant à chaque associé de percevoir et réinvestir personnellement le fruit du patrimoine ;

la faculté pour chaque associé d’exercer unilatéralement un droit de retrait pour réaliser et mobiliser son patrimoine. La société patrimoniale permet d’ajuster précisément les règles applicables à ce retrait en le rendant moins brutal, et donc moins risqué pour le patrimoine et les associés que la sortie de l’indivision. Ainsi peut-on suggérer un droit de retrait unilatéral :

à une certaine échéance après le décès des fondateurs (trois à cinq ans), pour permettre aux héritiers d’avoir le temps de juger si le fonctionnement de la société patrimoniale, sa gestion collective et sa rentabilité leur paraissent acceptables,

à certaines échéances cycliques postérieures et déterminées (trois à cinq ans), pour éviter de leur faire prendre une décision dévoyée par un unique effet d’opportunité de sortie « maintenant ou jamais »,

intégrant un délai de prévenance suffisant, de l’ordre de six mois,

à une valorisation établie d’un commun accord ou, à défaut, par voie d’expertise,

dont le règlement peut s’échelonner en plusieurs termes (un à trois ans), ce qui donnera le temps nécessaire aux associés restant, et à la société, de financer cela eux-mêmes ou de trouver une solution auprès d’un établissement financier, et éviter ainsi une cession d’actifs rapide, donc, par hypothèse, dans de mauvaises conditions.


794) Si tel n’a pas été le cas, la valeur transmise lors de la donation de droits sociaux sera équivalente à la valeur de l’actif.
795) Point qui est impérativement à prendre en considération puisque, dans ce cas de figure, les sommes remboursées se retrouveront également dans l’actif successoral taxable si elles n’ont pas été consommées.
796) À l’exception des apports en compte courant réalisés initialement ou durant l’investissement, et qui n’auraient pas été remboursés avant le décès.
797) Nous rappellerons à cette occasion que si la structure sociale est soumise à l’IS, l’indemnité versée par l’assurance constituera, à l’inverse des structures translucides détenues par des personnes physiques, un produit taxable à l’IS. Cette taxation devra être anticipée car elle peut représenter un volume financier très important (25 % de l’indemnité, laquelle peut représenter jusqu’à 100 % de la valeur d’achat de l’actif).
798) V. supra, nos 20250 et s.
799) Et notamment, la modification des statuts, qui remettrait en cause la volonté initiale des fondateurs.
800) Le droit de retrait d’une société civile peut être statutaire, judiciaire ou autorisé par une décision unanime des associés (C. civ., art. 1869). Malgré ces différentes modalités, il demeure complexe et long à mettre en œuvre.
801) Il faut en effet partir de l’hypothèse que la cession d’une quote-part minoritaire du capital d’une société patrimoniale familiale est totalement illusoire en dehors des associés déjà présents ; lesquels ne disposent peut-être pas personnellement de l’envie, ou des moyens, d’acquérir.
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