CGV – CGU

PARTIE II – Du développement à la consolidation : la maturité de la société
Titre 1 – Les ressources et schémas pour développer l’entreprise
Sous-titre 1 – L’autofinancement et l’endettement, premières ressources externes et accessibles

Chapitre II – Les dettes d’exploitation, l’appui des partenaires

20214 Les dettes d’exploitation, consenties par les fournisseurs élevés au rang de premiers partenaires de l’entreprise, permettent à cette dernière d’améliorer significativement le cycle de financement de l’entreprise. Comprendre leur mécanisme séculaire permettra au notaire d’apporter un conseil avisé au dirigeant (Section I) et de proposer des solutions innovantes pour encore optimiser la structure financière de l’entreprise (Section II).
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Section II – Apporter des solutions innovantes pour développer cette source de financement essentielle

20216 – Les implications juridiques et les alternatives financières. – Le fournisseur pourra alors moduler les conditions de sa vente (par ex. : clause de réserve de propriété, venteen crédit-bail), mais également parfois demander la concession de garanties personnelles ou réelles, émanant de l’entreprise comme de ses dirigeants et/ou associés (par ex. : lettre de confort, lettre de change, cautionnement, garantie à première demande, nantissement d’actifs, fiducie-sûreté).
À défaut de parvenir à sécuriser suffisamment le règlement de sa vente, le fournisseur pourra aussi :

faire appel à un organisme d’assurance-crédit279. Celui-ci, moyennant le paiement d’une prime, pourra garantir au fournisseur le complet règlement de sa créance. Le recours à ce type d’assurance est particulièrement fréquent dans la majorité des entreprises, dites de BtoB280, c’est-à-dire celles qui ont pour clients d’autres entreprises et non les consommateurs finaux personnes physiques.

Leur rôle a cependant été mis en avant dans l’effet domino des crises financières. L’entreprise voyant sa notation abaissée chez l’assureur ne peut plus se fournir dans les mêmes conditions, voire plus du tout ; ce qui mettra également à mal l’activité du fournisseur qui choisissait de faire confiance aux « petites » entreprises grâce à ce mécanisme assurantiel ;

faire appel à une société d’affacturage pour procéder à la cession de sa créance. Dans ce cadre, la créance du fournisseur est cédée à un organisme qui en assurera lui-même son recouvrement. La cession sera réalisée à une valeur plus faible que la valeur nominale de la créance281. Les établissements bancaires jouent un rôle prépondérant et essentiel dans ce dispositif.

20217 – Une proposition pour dépasser les complexités juridiques à sortir du court/moyen terme. – Nous avons évoqué plus haut le mécanisme pratiqué outre-Atlantique d’equity for, qui consiste à octroyer une quote-part du capital de la société à des fournisseurs, pourvoyeurs de produits ou services, au stade de la création de l’entreprise.
Ce mécanisme, pouvant se rapprocher d’une dation originale282, permet à la société de ne pas décaisser le prix convenu avec son fournisseur pour le rémunérer, totalement ou partiellement, en titres. Il permet de préserver la trésorerie souvent fragile de la jeune société, et de limiter le financement de son besoin de trésorerie par de la dette d’exploitation.
Il serait sans doute possible d’importer ce système en France, voire de l’améliorer en le dépassant. Pour l’heure, les mécanismes les plus proches sont les suivants :

l’émission de titres d’industrie : ces derniers vont rémunérer le travail ou la contribution intellectuelle d’associés. Ils posent cependant divers problèmes. Ils ne sont octroyés que pour un service futur (non encore délivré). Ils ne concernent pas les produits livrés (auquel cas il s’agit d’un apport en nature soumis à des contraintes propres, notamment de procédure lourde et de commissariat aux apports). Surtout, les titres qui rémunèrent ces apports ne sont pas négociables et donnent « simplement » le droit de vote et celui au bénéfice, mais pas à la prise de valeur ;

la conversion de la dette d’exploitation en dette financière, et son incorporation au capital : prévue explicitement par les dispositions de l’article L. 225-128 du Code de commerce pour les SA (et par renvoi pour les SAS), admise comme licite pour les SARL sur la base des dispositions de l’article 1347-1 du Code civil, une créance certaine, liquide et exigible contre la société peut être utilisée par son détenteur pour souscrire à une augmentation de capital, assimilée à une souscription en numéraire283.

Dans ce contexte, un fournisseur qui disposerait d’une telle créance à l’encontre de la société (suite à la livraison et à la facturation effective de produits ou services) pourrait se voir proposer de souscrire à une augmentation de capital pour convertir sa créance en titres. Cela permet d’aboutir à un résultat proche de celui souhaité dans la mesure où lesdits titres seront tout à fait semblables aux autres actions émises284.
Ce mécanisme pose lui aussi différentes contraintes qui ne peuvent être compatibles avec la vie des affaires :

il ne peut s’agir que d’une créance certaine, liquide et exigible (ce qui exclut toute créance non encore exigible285 et toute fourniture future) ;

ce qui implique qu’une facturation ait été préalablement émise (et a des conséquences comptables importantes pour les comptes du fournisseur comme de son client)286 ;

il ne prend pas en considération les aspects fiscaux ;

et il est assorti d’une procédure qui pourrait être allégée287.

20218 – Les conditions de la création d’un partenariat de très long terme. – Nombreux sont donc les points d’achoppement qui pourraient être levés pour libéraliser et diffuser la technique de conversion en capital d’une prestation de services ou de livraison d’un bien. Nous sommes amenés à proposer :

de laisser la possibilité d’incorporer au capital de la société tout type de créance288, d’un commun accord avec le dirigeant et les associés ;

de laisser un délai à partir de la date d’émission de la facture pour conclure sur sa qualification comptable chez le fournisseur et la société cliente, notamment dans le cas où une décision des associés a été prise préalablement, ou dans le cas où ce mécanisme a été prévu préalablement et contractuellement entre les parties ;

d’en tirer les conséquences en termes fiscaux, en prévoyant de mettre en report d’imposition tant le produit d’exploitation du fournisseur ayant généré cette créance que la plus-value éventuelle lors de la conversion en titres289 ;

d’alléger la procédure en assimilant totalement l’incorporation de la créance à un apport en numéraire, dans la mesure où la société aura convenu du prix de la fourniture préalablement, et où les associés devront en tout état de cause se prononcer en amont sur la modification du capital social290.

Nous notons à ce propos que la réglementation des procédures collectives a pu évoluer très récemment sur le sujet en facilitant la conversion de la créance des fournisseurs en titres de capital291. Il serait naturel de transposer et d’assouplir ces dispositions dans le cadre de la vie de la société in bonis.
En outre, l’émission de valeurs mobilières dites « BSA-AIR » (Bon de Souscription d’Actions – Accord d’Investissement Rapide), sur lesquelles nous reviendrons plus bas292, a permis de simplifier et d’accélérer significativement les opérations de levée de fonds auprès d’investisseurs. Il serait inéquitable de ne pas octroyer la même souplesse aux fournisseurs désireux d’être qualifiés d’investisseurs. D’autant qu’ils constituent, comme rappelé ci-dessus, des partenaires uniques à plusieurs titres, et, sans doute, plus proches de la vie de l’entreprise elle-même que les investisseurs purement financiers.
20219 – Une réciprocité plus complexe pour les clients. – Pour clôturer ce chapitre, nous évoquerons les dettes d’exploitation liées aux clients de l’entreprise. Il s’agit d’avances financières reçues dans les comptes de la société (acomptes, arrhes, etc.) pour des commandes en cours réalisées par les clients, et non encore facturées.
Cette technique, utilisée classiquement dans de nombreux secteurs d’activité293, est aujourd’hui largement diffusée et encore plus fortement répandue, auprès des clients finaux, dans le cadre de préventes d’articles non encore produits (et parfois même dont la conception n’est elle-même pas achevée) au travers de plateformes numériques de financement participatif (dites de crowdfunding).
Les développements ci-dessus peuvent s’appliquer de manière quasi similaire à cette situation. Cependant, il y a lieu de noter que les clients n’agissent pas exactement dans la même démarche partenariale, et seraient peut-être moins enclins à convertir une commande de produits ou services (et l’avance qui lui est attachée) en une hypothétique prise de participation.

269) C. com., art. L. 420-1 et s. réprimant les pratiques anticoncurrentielles, au rang desquelles l’abus de dépendance économique.
270) Cette internalisation est d’ailleurs une source élevée de transactions sur les entreprises elles-mêmes, puisque la société cliente a parfois un intérêt considérable à internaliser la production d’un produit ou service qu’elle achetait auparavant à un fournisseur tiers. Ce processus peut passer par la mobilisation de moyens internes afin d’être en mesure de produire elle-même, ou de moyens financiers pour acquérir cette autre entreprise, celle du fournisseur – solution assez naturelle si le facteur temps est prépondérant sur le facteur coût.
271) Combien y’a-t-il d’entreprises intermédiaires jusqu’au client final ? Qui sont-elles ? Qu’apportent-elles exactement dans cette chaîne ? Quels sont leurs profits ?
272) La loi Pacte du 22 mai 2019 a d’ailleurs créé une exception formelle au monopole bancaire pour favoriser le crédit inter-entreprises par les dispositions de l’article L. 511-6, 3o du Code monétaire et financier.
273) Lequel sera en réalité financé par le fournisseur lui-même.
274) Bull. Banque de France nov.-déc. 2018.
275) Comment l’entreprise revend-elle ses produits ou services ? Quel est son cycle d’exploitation ? Qui sont ses clients ? Sous quel délai livre-t-elle ? Quelles sont ses marges ? Dans quelles conditions se fait-elle payer ?
276) Selon leur taille, les entreprises qualifiées de « micro », « petites » ou « moyennes » bénéficient d’une option particulière de confidentialité ou de procédure simplifiée leur permettant de ne divulguer que partiellement leurs données financières. Positives pour préserver le secret des affaires, dont le respect est beaucoup plus prégnant pour ce type d’entreprises, ces options entravent nécessairement la prise de connaissance exhaustive par le fournisseur.
277) Nous évoquerons plus loin (V. infra, no 20393), la base data.inpi.fr, laquelle sera intégrée et améliorée par la plateforme de guichet unique également évoquée.
278) V. infra, nos 20601 et s.
279) Dont le leader mondial est français, la société Euler Hermes.
280) Business to Business.
281) La différence entre les deux constituant l’escompte, d’un montant variable en fonction de multiples paramètres, dont le niveau de risque que présente le débiteur.
282) Notamment puisque le bien permettant de régler la dette, le droit social de la société, n’existe pas encore au moment de la conclusion du contrat.
283) Ce qui peut être cohérent a priori lorsqu’il s’agit de sommes inscrites en compte courant d’associés résultant d’apports en numéraire réalisés précédemment sous cette forme par tout ou partie des associés. Mais n’a pas véritablement de sens dans le cadre d’une dette d’exploitation relative à la fourniture préalable d’un produit et service.
284) Ou non, s’il s’agit d’actions de préférence dédiées à cette souscription en particulier.
285) L’exigibilité ayant elle-même des conséquences lourdes sur les comptes sociaux au sein desquels les dettes de l’entreprise sont présentées par échéances d’exigibilité. Une concentration des dettes sur des échéances courtes fragilise nécessairement la crédibilité financière de la société. Cette affirmation est cependant à nuancer dans la mesure où la renonciation par la société au bénéfice du terme n’est pas contraire à l’objet social si sa situation globale s’améliore (par la capitalisation) postérieurement (Cass. com., 17 mai 1994).
286) Un produit d’exploitation est immédiatement constaté pour le fournisseur, et une charge d’exploitation pour la société cliente.
287) Nécessité de la certification d’un arrêté du compte par le commissaire aux comptes pour les sociétés en disposant, ou d’un commissaire aux comptes ou d’un notaire, spécialement nommés pour l’occasion, pour les sociétés ne disposant pas de commissaire aux comptes.
288) En révisant les critères de liquidité et d’exigibilité.
289) Il en va ainsi notamment si le fournisseur et la société ont prévu à une certaine date un paiement par remise de titres, et qu’entre-temps la société émettrice voit sa valorisation augmenter.
290) Soit en actant directement l’augmentation du capital, soit en déléguant leur compétence au dirigeant.
291) F.-X. Lucas, La conversion de créances en actions à l’occasion d’un plan de sauvegarde ou de redressement, in Mél. Hovasse, LexisNexis, 2016.
292) V. infra, no 20229-11.
293) Notamment quand deux entreprises traitent ensemble BtoB, ou dans les secteurs pour lesquels l’investissement de l’entreprise pour produire et livrer est important, ou dans lesquels les clients présentent un risque de recouvrement (notamment le bâtiment).
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