CGV – CGU

PARTIE I – De la création au développement : la naissance de l’entreprise
Titre 2 – Les impacts sur la personne et sur le patrimoine du chef d’entreprise
Sous-titre 1 – Les risques patrimoniaux de l’entrepreneur

Chapitre II – Les risques patrimoniaux de l’entrepreneur en société

20123 – Le contexte. – Le recours à la société comme forme d’exercice d’une activité est souvent motivé par la responsabilité limitée que peut offrir une structure sociétaire adaptée159.
Néanmoins, toutes les formes sociales ne protègent pas de la même façon l’associé et le dirigeant ; certaines sociétés, type société en nom collectif, n’offrent aucune étanchéité en termes de responsabilité du dirigeant et même de l’associé.
20124 – Plan. – D’autres sont présentées comme limitant véritablement la responsabilité de l’associé160, mais aucune société ne protège le dirigeant d’une responsabilité personnelle, que celle-ci soit civile (Section I), pénale (Section II) ou fiscale (Section III).
20125 – La notion de dirigeant. – Préalablement à l’étude de la responsabilité du dirigeant, il n’est pas inutile de revenir sur la définition du dirigeant.
Si la notion de dirigeant de droit ne pose pas de difficulté particulière161, il n’en est pas de même de la notion de dirigeant de fait162, lequel n’est pas soumis aux mêmes règles de responsabilité dans la mesure où il s’agira pour lui d’une responsabilité de droit commun163 et non d’une responsabilité prévue par le droit des sociétés164.
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Section I – La responsabilité civile

20127 – Plan. – La responsabilité civile du dirigeant ne pourra être mise en œuvre qu’en cas de procédure de liquidation judiciaire. Dans ce cas, cette responsabilité pourra être engagée soit par la société elle-même et par ses associés (Sous-section I), soit par des tiers (Sous-section II). Enfin, le dirigeant pourra voir sa responsabilité spécifiquement engagée à l’occasion de l’ouverture d’une procédure collective (Sous-section III).
Sous-section I – À l’égard de la société et des associés
20128 – La responsabilité du dirigeant à l’égard de la société et des associés. – Elle peut être engagée dans les hypothèses suivantes :

infraction aux dispositions législatives ou réglementaires ;

non-respect du pacte statutaire ;

faute de gestion.

Le principe veut que la société engage elle-même, ou par la voie d’un mandataire judiciaire ou d’un liquidateur judiciaire, l’action visant à réparer le préjudice que la société a subi. Mais on comprendra aisément que le dirigeant ne sera pas nécessairement enclin à engager au nom de la société qu’il dirige une action contre lui-même.
20129 – Les personnes pouvant agir. – C’est pourquoi les textes prévoient que ces actions puissent être mises en œuvre à l’initiative des associés165, qui peuvent se grouper et désigner un mandataire commun chargé de les représenter dans l’exercice de cette action166, ou bien agir individuellement s’ils peuvent se prévaloir d’un préjudice personnel et distinct de celui subi par la société167.
Cette action civile peut être mise en jeu quand bien même le dirigeant avait obtenu régulièrement le quitus au titre de sa gestion à l’occasion de l’approbation des comptes sociaux.
Sous-section II – À l’égard des tiers
20130 – La responsabilité du dirigeant à l’égard des tiers. – À la différence de la responsabilité civile à l’égard de la société et de ses associés, la responsabilité du dirigeant à l’égard des tiers ne peut être engagée que si la faute est séparable de ses fonctions, qui a été définie par la Cour de cassation comme la « faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales »168.
À défaut d’établir l’existence d’une faute séparable, les tiers ne peuvent obtenir réparation de leur préjudice qu’en agissant en responsabilité contre la société. Celle-ci pourra alors se retourner contre les anciens dirigeants, dès lors qu’elle pourra leur reprocher une faute de gestion, sans qu’ils aient à démontrer que cette faute est séparable des fonctions de direction.
Sous-section III – La responsabilité spécifique du dirigeant à l’occasion de l’ouverture d’une procédure collective
20131 – La responsabilité du dirigeant dans le cadre de la procédure collective. – Plus que des responsabilités, on peut considérer qu’il s’agit de sanctions à l’égard du dirigeant dans la mesure où, si les faits n’avaient pas été commis, la société n’en serait probablement pas arrivée à déposer son bilan.
20132 – L’action pour insuffisance d’actif. – En premier lieu, il s’agit de l’action pour insuffisance d’actif169 dont la mise en jeu nécessite que la société soit en liquidationjudiciaire. Il s’agit d’une action en responsabilité civile délictuelle spécifique, ayant pour objet la réparation du préjudice collectif subi du fait de l’insuffisance d’actif d’une personne morale. Elle reste, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008, la seule sanction patrimoniale affectant les dirigeants de personnes morales débitrices170. Depuis l’ordonnance no 2010-1512 du 9 décembre 2010, l’action concerne aussi les EIRL.
L’action pour insuffisance d’actif peut se cumuler avec une action n’ayant pas le même objet, telle l’action en reddition des comptes171, ou la solidarité fiscale prononcée contre le dirigeant social en application de l’article 1745 du Code général des impôts172.
Il convient ici de préciser que cette sanction concerne tout dirigeant, personne physique ou morale, de droit privé ou public, ainsi que la personne physique représentant permanent d’une personne morale dirigeante173. L’action à l’encontre d’autres personnes est en revanche irrecevable174.
Enfin, l’action concerne également l’EIRL soumis à une liquidation judiciaire visant le patrimoine affecté, sous les mêmes conditions qu’un dirigeant social. L’entrepreneur répondra de la condamnation sur son patrimoine non affecté175.
20133

20134 – La banqueroute. – En deuxième lieu, il s’agit de la banqueroute176.
Le champ d’application de la banqueroute est large car non seulement il peut concerner l’entrepreneur individuel177, mais il trouve également à s’appliquer au :

dirigeant ou liquidateur direct ou indirect, en droit ou en fait, d’une personne morale de droit privé ;

représentant permanent de personnes morales de droit privé ou dirigeant de personne morale de droit privé.

En vertu de l’article L. 654-2 du Code de commerce, cinq faits sont susceptibles de faire l’objet d’une poursuite sur le fondement de la banqueroute, à savoir :

le recours à des moyens ruineux tels qu’un taux d’endettement excessif, ou bien pratiquer la cavalerie ;

le détournement ou la dissimulation de tout ou partie de l’actif du débiteur ; ce sera le cas dans les hypothèses de dissimulation volontaire d’éléments du patrimoine dela société, d’actes de disposition sur le patrimoine de la société après l’ouverture d’une procédure collective, ou encore de la perception directe de règlements de la part de clients ;

l’augmentation frauduleuse du passif du débiteur, en clair l’organisation de l’insolvabilité ;

la tenue d’une comptabilité fictive ou le fait de faire disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ;

la tenue d’une comptabilité incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales, y compris si cela concerne des exercices antérieurs à la date de cessation des paiements.

20135 – La faillite personnelle. – En troisième lieu, il s’agit de la faillite personnelle pour les faits énumérés aux articles L. 653-4 et L. 653-5 du Code de commerce.
20136 – L’interdiction de diriger. – En quatrième et dernier lieu, il s’agit de l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise et personne morale, pour les faits justifiant une faillite personnelle ou pour avoir omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation178.
Après avoir étudié la responsabilité civile du dirigeant, attardons-nous maintenant sur la responsabilité pénale.

Section II – La responsabilité pénale

20137 – La responsabilité pénale liée au statut du dirigeant. – Tout dirigeant encourt une responsabilité pénale du fait de ses fonctions, qui va différer selon la forme sociale.
Dans les SARL et les sociétés par actions, la principale source de responsabilité pénale est le délit d’abus de biens sociaux179.
Pour les autres formes sociales, les dirigeants ne sont responsables que dans les conditions de droit commun. Ils peuvent être condamnés notamment pour abus de confiance, escroquerie, faux et usage de faux, etc.
Les dirigeants sont également responsables des infractions commises en leur qualité de chef d’entreprise. Ils répondent de ce chef des infractions telles celles relatives à la législation du travail ou de l’environnement180.
Enfin, dernière source de responsabilité personnelle pour le dirigeant, à côté de la responsabilité civile et pénale : la responsabilité fiscale.

Section III – La responsabilité fiscale

20138 – La solidarité fiscale attachée au statut de dirigeant. – Les dirigeants, qu’ils soient de droit ou de fait, rémunérés ou bénévoles, peuvent être rendus solidairement responsables du paiement des impositions et pénalités dues par la société s’ils en ont rendu le recouvrement impossible par des manœuvres frauduleuses ou par l’inobservation grave et répétée de leurs obligations fiscales181.
La mise en œuvre de cette action suppose que le comptable public ait préalablement utilisé en vain contre la société tous les actes de poursuite à sa disposition pour obtenir en temps utile le paiement des impôts.
Cette action est indépendante de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.
Le juge n’a pas le pouvoir de limiter le montant de la condamnation à prononcer. Il peut toutefois autoriser le dirigeant, condamné à payer le passif social, à déduire de ses revenus imposables les paiements qu’il a effectués182.

159) Il n’est pas inutile de rappeler ici que l’idée que la responsabilité de l’associé puisse être limitée au montant de ses apports n’apparaîtra véritablement qu’à partir des XVIIeXVIIIe siècles, et encore que comme simple clause des statuts des sociétés, sans fondement légal, mais devenu une pratique répétée par les notaires. Il faudra attendre le Code de commerce de 1807 pour que cette responsabilité limitée soit traduite dans la loi.
160) C’est le cas de la société à responsabilité limitée ou de la société par actions simplifiée, pour ne citer que les deux plus fréquentes.
161) Le dirigeant de droit est celui qui est désigné par les statuts de la société pour diriger celle-ci ; il peut s’agir d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales selon les formes sociales. Néanmoins, en présence de plusieurs dirigeants au sein d’une même société, les juges devront s’attacher à démontrer qui est le véritable dirigeant de droit. La Cour de cassation l’a rappelé récemment (Cass. com., 5 mai 2021, no 19-23.575).
162) Cette notion de dirigeant de fait se rencontre très fréquemment dans les petites structures ou un conjoint, un collaborateur type directeur administratif ou financier peut avoir des missions s’assimilant au dirigeant de fait. Selon une jurisprudence constante, un dirigeant de fait est « une personne physique ou morale qui, sans avoir été régulièrement désignée en qualité de dirigeant de droit, s’est distinguée par une action positive dans la direction et la gestion de la personne morale, en toute souveraineté et indépendance, pour influer celle-ci de manière déterminante ».
163) C. civ., art. 1240.
164) Cass. com., 14 févr. 2018, no 15-24.146.
165) C. civ., art. 1843-5, al. 1er. – C. com., art. L. 223-22, al. 3 (pour les SARL), L. 225-252 (pour les SA), sur renvoi de C. com., art. L. 227-8 (pour les SAS), et sur renvoi de C. com., art. L. 226-12 (pour les commandites par actions).
166) C. com., art. R. 223-31, al. 1er et R. 225-169, al. 1er.
167) C. civ., art. 1843-5, al. 1er. – C. com., art. L. 223-22, al. 3 (pour les SARL) et L. 225-252 (pour les SA), sur renvoi de C. com., art. L. 227-8 (pour les SAS), et sur renvoi de C. com., art. L. 226-12 (pour les commandites par actions).
168) Cass. com., 20 mai 2003, no 99-17.092.
169) C. com., art. L. 651-2. C’est l’ancienne action en comblement de passif qui est devenue l’action pour insuffisance d’actif suite à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juill. 2005 (L. no 2005-845).
170) Les dirigeants de fait peuvent aussi être concernés par cette sanction. En effet, l’article L. 651-1 du Code de commerce ne distingue pas selon que le dirigeant est de droit ou de fait. L’article L. 651-2 du même code précise que la responsabilité pour insuffisance d’actif est applicable « pour tous les dirigeants de droit ou de fait ».
171) C. civ., art. 1993 (Cass. com., 15 nov. 2016, no 15-16.070 : JurisData no 2016-023977).
172) Cass. com., 5 sept. 2018, no 17-13.626..
173) C. com., art. L. 651-1.
174) Cass. com., 12 janv. 2016, nos 14-23.359 et 14-27.090.
175) C. com., art. L. 651-1 et L. 651-2, al. 2.
176) C. com., art. L. 654-2 à L. 654-6.
177) V. supra, nos 20103 et s.
178) C. com., art. L. 653-8.
179) C. com., art. L. 241-3, 4o (pour les SARL) et L. 242-6, 3o (pour les SA), sur renvoi de C. com., art. L. 244-1 (pour les SAS), et sur renvoi de C. com., art. L. 243-1 (pour les commandites par actions).
180) Les dirigeants peuvent toutefois s’en exonérer s’ils ont consenti une délégation à une personne dotée de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour remplir sa mission.
181) LPF, art. 267.
182) CE, 6 févr. 1995, no 158824 : RJF 4/1995, no 432.
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