CGV – CGU

PARTIE I – De la création au développement : la naissance de l’entreprise
Titre 1 – Le choix cornélien du mode d’exploitation
Sous-titre 1 – Passer à l’acte d’entreprendre : principaux enjeux

Chapitre I – Ouvrir la création d’entreprise au plus grand nombre

20005 – L’entreprise, une vertu sociétale. – L’entreprise constitue un élément du patrimoine financier de ses détenteurs. En 2019, 5 % des ménages les mieux dotés en patrimoine financier détenaient plus de la moitié du patrimoine financier total de la population, et 1 % des ménages en possédaient 31 %4.
Graphique représentant les ménages les mieux dotés en patrimoine financier en 2018
En proie à cette explosion des inégalités, nos sociétés ont parfois tendance à trouver, dans la valorisation de l’entreprise, un coupable idéal. Évidemment, si l’on ne juge ces inégalités qu’à l’aune des patrimoines les plus élevés en valeur monétaire, on ne pourra que constater qu’ils sont issus de cette dernière5. À y regarder de plus près, on pourrait aussi constater que la majorité des très grandes entreprises sont tout à fait récentes à l’échelle de l’âge des sociétés modernes, et qu’elles ont justement permis à des citoyens de rattraper et dépasser le patrimoine d’autres qui l’avaient hérité de temps plus anciens. Seules quatre entreprises, détenues à ce jour par les onze plus grandes fortunes mondiales, ont plus de quarante ans d’existence6.
Tableau représentant un classement des 11 plus grandes entreprises mondiales, leur fortune en milliards de dollars et leur nationalité
20006 – Plan. – En cela, l’ouverture de la création d’entreprise au plus grand nombre est un remède important contre l’accroissement des inégalités. Cette ouverture nécessite que le capital initialement requis soit le plus faible possible (Section I) et que l’accès administratif au statut d’entrepreneur soit le plus fluide possible (Section II), tout en s’inscrivant dans une dynamique entrepreneuriale en pleine évolution (Section III).

Section I – Limiter les apports personnels initiaux et les risques sur le patrimoine personnel

20007 – L’absence essentielle de discrimination financière. – À l’évidence, créer une entreprise doit être possible sans mobilisation de capitaux. Affirmer l’inverse reviendrait, d’une part, à ne réserver cette possibilité qu’à celles et ceux qui disposeraient déjà de moyens financiers préexistants, et, d’autre part, à annihiler tout rêve de créer et développer un projet à celles et ceux qui n’en disposeraient pas.
Ces deux conclusions seraient parfaitement choquantes. Considérer que seule une certaine catégorie de la population peut accéder au statut d’entrepreneur signifierait que nous avons collectivement et délibérément acté que cette seule catégorie est capable, par son initiative, de répondre à nos besoins non couverts par le secteur public.
De même, interdire l’accès à l’entrepreneuriat à une autre catégorie de la population témoignerait que nous ne croyons plus en elle. Les exemples sont pourtant légion d’entrepreneurs qui ont connu des débuts difficiles, et qui aujourd’hui, grâce notamment à leur créativité, affichent une réussite sans limites : Xavier Niel (« Free »), Amancio Ortega Gaona (« Zara »), Ingvar Kamprad (« Ikea »), etc.
Il serait toutefois naïf de croire qu’aucune entreprise, quel que soit son secteur d’activité, n’a besoin d’une mobilisation initiale de capitaux. Il le serait tout autant d’imaginer qu’absolument tous les projets qui changeront le monde de demain nécessitent un investissement initial important.
Qui aurait pu concevoir que plusieurs révolutions, comme celles de la culture ou des liens au sein de communautés (besoins qui paraissaient pourtant déjà satisfaits pour une très large partie de la population mondiale), n’aient nécessité qu’un investissement financier initial de quelques dollars ?
20008 – Multiplier les sources de financement. – Limiter les apports personnels initiaux ne signifie pas forcément limiter les moyens financiers initiaux de l’entreprise. Comme nous l’évoquerons ensuite, le financement de la création ne peut et ne doit pas se résumer à ce que les créateurs sont en mesure d’investir financièrement. De nombreux mécanismes de financement pourront utilement être utilisés comme leviers pour accéder à un projet dont la dimension ne correspond pas nécessairement aux moyens financiers de son porteur7.
Un ensemble de parties prenantes8 pourra et devra, dans un intérêt partagé, assumer une part du risque de l’entreprise créée. Quel que soit son volume financier, le patrimoine personnel du créateur devra, comme nous l’aborderons ensuite9, bénéficier d’une protection suffisante face à ces sources de financement, pour ne pas le dissuader d’avancer dans son projet.
Le sujet est néanmoins d’une très grande sensibilité. Chaque euro à investir personnellement pourra constituer un frein au passage à l’acte d’entreprendre pour les porteurs de projets dont la situation financière est modeste. Fondamentalement, chaque projet devrait pouvoir voir le jour uniquement sur la base de l’idée, des talents innés de son créateur (capacité de travail, d’observation, ingéniosité, etc.), et d’un plan d’affaires cohérent.
C’est ici que le notaire, par connaissance des différents modes d’exploitation et de leurs contraintes en termes d’apports financiers, sera alors en mesure de conseiller avec pertinence le porteur de projet.
20009 – Cantonner le niveau de risque financier. – Au-delà de cette limitation de l’apport initial nécessaire, cantonner le niveau de risque pris par l’entrepreneur sur son patrimoine personnel demeure un impératif. Exposer le patrimoine personnel aux aléas de l’entreprise est un gage de confiance donné aux parties prenantes de celle-ci (clients, fournisseurs, financeurs). Le niveau d’exposition et de prise de risque est le contrepoids d’une balance dont l’autre plateau est l’accès au crédit.
La situation n’est pour autant pas manichéenne, puisque ne pas permettre aux porteurs de projets de protéger tout ou partie de leur patrimoine personnel serait de nature à réduire dramatiquement le désir d’entreprendre. De nombreux mécanismes sont désormais disponibles10 afin de placer le curseur très précisément en fonction du projet et de ses besoins.
L’accompagnement préventif du notaire, premier « médecin du patrimoine » et astreint intrinsèquement à un devoir de conseil, sera parfaitement adapté pour réaliser ces choix.

Section II – Alléger les contraintes administratives

20010 – Un juste encadrement de la liberté d’entreprendre. – Créer un projet d’entreprise, ce n’est pas s’affranchir des règles essentielles de la vie en collectivité. Ainsi, la concurrence pure et parfaite n’est possible que dans un encadrement raisonné des activités. Celui-ci est construit par les États pour répondre naturellement à des objectifs de protection, issus de la tradition colbertiste dès le XVIIe siècle et repris ensuite par Adam Smith, qui, au-delà d’assurer la sécurité physique de la population, se sont élargis à la protection sociale et à la régulation de l’économie.
20011 – Un contrôle stratifié. – La réponse apportée sera d’abord d’assurer une traçabilité des activités pour protéger le consommateur d’entreprises qui tenteraient de se soustraire à leur propre responsabilité. Ainsi, limiter l’exercice – et même le financement – d’activités occultes a été le moyen historiquement privilégié pour assurer une certaine forme de protection.
On pense principalement à l’obligation, instaurée en 1919 et héritée de la tradition germanique par la reprise de l’Alsace et de la Lorraine, d’immatriculation de l’entreprise au sein d’un registre pour le secteur du commerce qui englobait, dès sa création, l’ensemble des sociétés.
Ce formalisme a connu un essor rapide en s’étendant ensuite à l’artisanat en 1934. Ces inscriptions, au-delà de la sécurité apportée par l’information de l’existence d’une entreprise en activité, permettent également, par délégation à un teneur de registre, de contrôler un certain nombre de pièces justificatives et de déclarations. Ce formalisme s’est ajouté à des exigences particulières en matière de droit des sociétés11 trop rarement réétudiées malgré leur désuétude et leur caractère discriminatoire.
À un niveau supérieur de contrôle, l’inscription au registre permet de vérifier l’aptitude requise du candidat créateur à exercer une activité considérée comme sensible et astreinte à un niveau particulier de réglementation12. Au-delà de la simple connaissance de l’existence même d’une entreprise, les États ont pris le parti de restreindre l’accès à certains types d’activités pour vérifier des conditions variables et, in fine, protéger le citoyen.
Le notaire sera en mesure de conseiller le créateur par la vérification préalable de la compatibilité de son projet avec les différentes contraintes liées à son lancement.
20012 – L’intervention d’autorités diverses. – À cette obligation d’immatriculation s’est ajoutée une surveillance accrue des flux monétaires de financement des entreprises. Le nombre et la complexité des mécanismes financiers d’entreprises en ont fait un moyen privilégié pour les circuits de fraude fiscale et blanchiment, destructeurs des économies modernes. Il a, par exemple, été mis en place en France un organisme relevant du ministère des Finances et de l’Économie doté de larges pouvoirs d’investigation13, au service duquel le notariat a également été assujetti.
On peut également ajouter à ces entraves à la liberté d’entreprendre la réglementation spécifique de la concurrence. Les États, qui n’ont pas fondamentalement vocation à intervenir dans la vie des affaires, ont pourtant fait le choix politique de se doter d’outils de régulation de concurrence.
Dès 1953, a été reconnue l’existence d’une commission, puis en 1986 d’une juridiction administrative, le « Conseil de la concurrence », devenu en 2008 l’Autorité de la concurrence. Ciblés sur des secteurs jugés stratégiques ou de taille sociétale, ces outils vont restreindre la capacité des entreprises à mener à bien certains de leurs projets, notamment de rapprochement ou d’association.
20013 – Un statut unique sur le plan administratif. – Conscient de l’empilement dense de ces contraintes malgré leur nécessité, le législateur français a fait le choix de faciliter le processus de création d’entreprise au fil des années14, jusqu’à créer un statut particulier : l’auto-entrepreneur. Nous aurons l’occasion de développer en détails ses caractéristiques et contraintes15, mais il faut souligner ici un immense geste d’ouverture en faveur des projets d’entreprise de petite taille. Ce type d’entrepreneur se voit exonéré de l’obligation d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS), et bénéficie de statuts fiscaux et sociaux d’une grande simplicité.
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Section III – Ouvrir le champ des possibles

20015 – Mutualiser les forces vives autour d’un projet. – Les projets collaboratifs sont regardés, en France plus qu’ailleurs, comme une privation irrémédiable de liberté ou de souplesse. Pourtant prôné comme un idéal des entreprises modernes, le partage du capital et des risques ne vaut souvent que pour autrui. Selon une étude d’Eres réalisée en 2019, seules 4 % des petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) de notre pays ont ouvert leur capital à leurs salariés. Ainsi, le périmètre des personnes impliquées dans les investissements, les risques, le partage des profits et des pertes reste extrêmement restreint. Plus de 50 % des sociétés constituées en France en 2017 ne comportaient qu’un seul fondateur.
20016
20017 – Partager la valeur et le risque à long terme. – Ce modèle peut-il rester prédominant ? Si l’on part du principe que la création de valeur durable et positive pour la société tout entière nécessite d’inscrire l’entreprise dans le temps long, il est nécessaire de réinventer complètement le mécanisme d’association au sein d’une société sur le plan juridique.
20018
20019 La mécanique juridique d’augmentation du capital social a été largement assouplie, et est désormais accessible à toute société. En revanche, l’abandon incontestable de la « réelle » négociabilité des actions18, par la désuétude des sociétés anonymes désormais principalement dédiées à la cotation boursière, a largement entravé l’envie de s’associer ou d’investir aux côtés d’un porteur de projet, tant pour ce dernier que pour les investisseurs potentiels.
Les équilibres contractuels recherchés pour préserver, d’une part, l’intégrité du tour de table des associés et, d’autre part, la valeur investie par ces derniers, sont désormais d’une telle complexité qu’ils sont devenus un frein extrêmement lourd.
Concilier simplement le projet d’entreprise avec les intérêts divergents de ses fondateurs et de ses financeurs relève d’une gageure. Les mécaniques traditionnelles du droit des biens et des obligations, incluses également au sein de notre droit des sociétés et employées nécessairement dans cette perspective, ne disposent pas de l’agilité nécessaire à la vie des affaires.
Pour l’exemple, le droit de propriété d’une résidence principale ne peut être conçu pour s’appliquer pari passu à celui de titres sociaux d’une entité en perpétuel mouvement et présentant des niveaux de risque incomparables. Il constitue dès lors un frein énorme, juridique comme psychologique, au partage du capital.
Assouplir les mouvements de titres sociaux relève alors de l’évidence : accueillir de nouveaux associés pour renforcer l’investissement dans les entreprises, admettre, en miroir, qu’il faut dans certaines situations pouvoir s’en départir ; le tout de manière rapide, simple et sécurisée.
20020 – S’inspirer des dynamiques étrangères. – De nouveaux modèles émergent dans d’autres parties du monde. On peut citer la mécanique de l’equity for…, existant dès avant l’an 2000, devenue un véritable modèle industriel outre-Atlantique. Elle consiste, pour un tiers sous-traitant de l’entreprise (fournisseur de produits ou de services) dont l’implication est nécessaire à l’exploitation de l’entreprise, à être rémunéré non pas en numéraire mais en titres sociaux.
Le porteur de projet accepte dans cette hypothèse d’intégrer un tiers au sein de son capital pour recevoir un produit ou un service sans paiement comptant et numéraire. Le tiers, qui apporte immédiatement une valeur réelle à l’entreprise, consent à ne pas recevoir de paiement et participe au partage de profits potentiellement plus importants, réalisés en partie grâce à la valeur qu’il apporte, ou au partage de pertes.
Ce partage du risque et de la prise de valeur espérée à moyen/long terme correspond en tout point au mode de fonctionnement des sociétés non cotées.
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20022 – Une intervention notariale innovante. – La créativité juridique est, sur ces sujets, sans limites. Au-delà de la connaissance des mécanismes « primaires » existants à ce jour, le conseil du notaire permettra à l’entrepreneur d’envisager toutes les combinaisons possibles et d’innover pour répondre avec précision aux projets et aspirations de l’entreprise.

4) Insee Focus 19 déc. 2019, no 176.
5) Nuançons quand même ce propos, puisque les classements ne révèlent de « fortunes » que par référence à une valeur d’entreprise ; et qu’il n’existe aucun autre classement scientifiquement probant comprenant d’autres actifs (placements, immobilier, etc.).
6) Classement Forbes 2021 : il s’agit d’Oracle (1977), Microsoft (1976), Berkshire Hathaway (1950) et L’Oréal (1909) ; face à Amazon (1994), Tesla (2003), Facebook (2004), LVMH (1987), Google (1998), Inditex (1985).
7) V. infra, nos 20207 et s.
8) L’expression « parties prenantes » renvoie à la notion anglo-saxonne de stakeholders, par référence aux sociétés. À la différence des shareholders qui détiennent des titres, droits sociaux ou intérêts divers mais directs au capital de la société, les stakeholders regroupent l’ensemble des parties qui ont un intérêt au bon fonctionnement de la société, au rang desquels par exemple les salariés, clients, fournisseurs, partenaires commerciaux, créanciers, etc., mais aussi les dirigeants et actionnaires.
9) V. infra, nos 20098 et s.
10) V. infra, nos 20139 et s.
11) Instauration d’un capital social minimal en fonction de la forme sociale de la société, d’un nombre d’actionnaire minimal, d’organes de gouvernance, de contrôle par un commissaire aux comptes.
12) Ces activités pouvant être scindées en quatre catégories : celle sujette à un monopole légal pour les missions correspondant à l’exercice d’un pouvoir public (notaire, greffier, huissier, etc.), celle soumise à une astreinte de justification de qualification professionnelle (agent immobilier, chauffeur de taxi, coiffeur), celle nécessitant l’inscription à un ordre (professions médicales principalement), et celle enfin simplement soumise à des contraintes légales ou réglementaires (diététicien, orthophoniste, enquêteur, conseil en propriété industrielle, etc.).
13) Traitement du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins (Tracfin). Organisme créé en 1990 pour recueillir et transmettre aux autorités judiciaires des informations sur le financement du terrorisme, le blanchiment de fonds.
14) L. 11 juill. 1985, assouplissant le statut de la SARL ; L. 12 juill. 1999, assouplissant le statut des SAS ; L. 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, ; L. 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
15) V. infra, nos 20042 et s.
16) La Banque mondiale, Rapport Doing Business 2020.
17) Banque de France, Les grandes tendances en matière de financement des entreprises, 2019.
18) Les actions des sociétés par actions simplifiées sont qualifiées de « titres négociables », à l’instar des actions des sociétés admises sur un marché réglementé. Cependant, rares sont les SAS à permettre une libre négociabilité tant les contraintes statutaires qui entravent la cession sont nombreuses (agrément, droit de préférence, inaliénabilité, etc.).
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