CGV – CGU

PARTIE II – Du développement à la consolidation : la maturité de la société
Titre 3 – Ingénierie notariale : de nouvelles compétences au service des entreprises
Sous-titre 2 – Le rôle du notaire demain au service des entreprises

Chapitre II – Le notaire et le family officer

20580 Un vocable anglo-saxon induit parfois une certaine méfiance dans notre sphère juridique romano-germanique. Nous évoquerons quelques éléments de contexte (Section I) avant de comparer notaire et family officer (Section II).

Section I – Le contexte

20581 Examinons la façon dont l’activité est organisée en France à ce jour (Sous-section I) avant de chercher à en définir les contours (Sous-section II).
Sous-section I – La structuration de l’activité
20582 – Qu’est-ce qu’un family office ? – Cette activité a vu le jour aux États-Unis au XIXe siècle, à l’occasion de l’émergence de fortunes industrielles. Ces entrepreneurs, accaparés à la tâche, ont alors éprouvé le besoin de confier la gestion de leur patrimoine à une ou plusieurs personnes dédiées, dignes de confiance et expertes en ce domaine, dénommées family officers. C’est ainsi que le vocable est né. Le modèle a trouvé preneur et l’on compte aujourd’hui aux États-Unis plusieurs milliers de family officers.
Ce mode de gestion a essaimé en Europe il y a une cinquantaine d’années pour connaître un véritable essor, notamment en France, depuis une vingtaine d’années. À ce jour, sont en exercice une centaine de family officers, chacun mettant ses compétences au service d’une seule famille. Il s’agit de mono-family officers. Mais il ne s’agit pas là du seul mode d’exercice de cette activité.
20583 Mono-family office et multi-family office. – À partir des années 2000, se sont associés d’anciens cadres issus de banques privées, des conseillers en gestion de patrimoine, des conseillers financiers à l’effet de créer des multi-family offices ayant vocation à proposer leurs services à plusieurs familles.Il peut s’agir de structures indépendantes ou d’entités hébergées par des banques privées.
20584 – La situation au Luxembourg. – Le Luxembourg a adopté une loi, le 21 décembre 2012, visant à réglementer les activités des family offices. Cette loi prévoit notamment que seules certaines professions réglementées peuvent exercer cette activité : conseillers en investissement, gestionnaires de fortune, avocats, notaires, comptables et professionnels spécialisés en la matière. Cette loi ne concerne, toutefois, que les multi-family offices, les mono-family officers, le plus souvent salariés au sein des familles qu’ils conseillent, n’y étant pas soumis. Ce texte ne concerne pas davantage les prestataires de services qui ne gèrent aucun actif financier.
20585 – Une activité, en revanche, non réglementée en France. – L’activité de family office n’est réglementée par aucun texte en France.
La plupart des family officers qui exercent en France adoptent le statut de conseiller en investissement financier (CIF). Ce statut est régi par la loi no 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière et s’adresse aux professionnels intervenant dans les domaines définis à l’article L. 541-1 du Code monétaire et financier, réalisant des opérations de banque ou assimilées.
La structuration de l’activité est une chose, sa substance en est une autre.
Sous-section II – La nature de l’activité
20586 – Définition du champ d’intervention. – À défaut de cadre légal, aucune définition de ce qu’est l’activité d’un family officer n’existe véritablement en France.
Il est possible de s’en remettre à la loi luxembourgeoise du 21 décembre 2012 qui définit, en son article 1er, l’activité d’un family officer comme étant l’activité qui « consiste à fournir, à titre professionnel, des conseils ou services de nature patrimoniale à des personnes physiques, à des familles ou à des entités patrimoniales appartenant à des personnes physiques ou à des familles ou dont elles sont fondatrices ou bénéficiaires ».
En France, a été créée, en mai 2001, l’Association française du family office (Affo) (renvoi note de bas de page à insérer 475 bis – Renvoi au site https://www.affo.fr/), laquelle définit cette activité comme suit : « Le family office est une organisation de personnes, qui offre un conseil et des services aux familles au bénéfice de leurs intérêts patrimoniaux », en ajoutant que : « Le family office a donc pour objectif principal la préservation de l’harmonie familiale dans une vision à long terme, transgénérationnelle ».

Section II – Le notaire : un family officer qui s’ignore ?

20587 À la lecture des développements qui précèdent, le notaire n’est-il pas un family officer ? Notre mission consiste, notamment, à accompagner nos clients, dans une dynamique transgénérationnelle, à des fins de bonne gestion et de valorisation de leur patrimoine. Il existe de nombreux points de convergence entre notariat et family office (Sous-section I), mais l’exercice de cette activité par d’autres professionnels peut, très certainement, nous inspirer des pistes de réflexion en vue du déploiement de cette prestation dans nos offices (Sous-section II).
Sous-section I – Les points de convergence
20588 – La charte des family officers. – L’Affo, en l’absence de cadre légal, est l’auteure d’une charte dont les maîtres mots sont : expertise, responsabilité, pérennité, confidentialité, engagement, probité.
20589 – Le notaire : un candidat de choix. – L’activité de family office ne peut être exercée, indubitablement, qu’en respectant scrupuleusement les lignes directrices énoncées dansla charte de l’Affo, reprise ci-dessus. Ce point ne souffre aucun débat et le législateur luxembourgeois, on le rappelle, en limitant l’accès à cette activité à certaines professions réglementées, dont les notaires, a clairement adopté cette même posture.
Le notaire, officier public, est un candidat idéal à la fonction de family officer.
En tant qu’officier public, délégataire de l’État, il est soumis à des règles déontologiques étroitement encadrées.
Le notaire est impartial et indépendant : il n’a rien à vendre.
Le notaire est astreint à un devoir de conseil et de conservation des actes qu’il reçoit. Le secret professionnel qui lui incombe est le corollaire indispensable à l’accomplissement de sa mission de conseil.
Enfin, il est assuré dans l’exercice de ses fonctions.
20590 – La démarche. – Quotidiennement, à la façon d’un family officer, nous conseillons nos clients pour les aider à optimiser la gestion de leur patrimoine, à transmettre de génération en génération le fruit de leur travail ou de leur épargne, à pacifier les relations familiales, à anticiper d’éventuels conflits ou d’éventuelles difficultés.
Sous-section II – Les pistes de réflexion et les axes d’amélioration
20591 S’il existe un grand nombre de points communs qui laissent à penser que le notaire est un family officer qui s’ignore, la pratique de cette activité nécessite que nous l’abordions différemment dans nos offices en vue de son déploiement.
20592 – La collecte d’informations. – Le notaire, dans l’exercice de ses fonctions, est amené à collecter un nombre croissant d’informations ayant trait à l’identité de ses clients, à leur capacité juridique, à leur situation de famille, aux actifs qu’ils détiennent en patrimoine, à leur éventuelle situation d’endettement, à leur situation fiscale…
Or comme l’a déclaré John Grisham, « l’information, c’est le pouvoir »733. Le pouvoir en l’occurrence de procéder à un audit de qualité, de délivrer le conseil pertinent, de viser juste et d’être au plus près des attentes de nos clients.
Cette phase de collecte, de « constitution du dossier » est primordiale, certes, mais qu’advient-il de tous ces renseignements une fois la prestation rendue ?
20593 – Le devenir de l’information. – Notre propos ne vise aucunement à rappeler les dispositions issues du règlement général sur la protection des données734 qui s’imposent à tout professionnel, mais plutôt à s’interroger sur le devenir de ces données au regard de notre pratique professionnelle et du rapport que nous entretenons avec nos clients.
20594 – L’enjeu de la conservation des données. – Ce sujet nous est familier : l’essence même de notre mission, au travers des actes authentiques que nous recevons, est d’en assurer la conservation. Le support s’est modifié dans le temps, passant du papier au numérique. Notre mission n’en a pas été modifiée pour autant.
Le panonceau apposé sur la façade de nos études en témoigne. Ce symbole de la profession est apparu pendant la guerre de Cent Ans, sous la forme d’une étoffe brodée aux armes royales afin de signaler qu’en ce lieu officiait un notaire, gardien d’actes devant être conservés et à ce titre préservés de tout incendie et de toute destruction.
Les enjeux ne sont plus tout à fait les mêmes, ou, à tout le moins, se sont diversifiés : aux risques d’incendie et de destruction se sont ajoutés aujourd’hui les risques de détérioration des données numériques, de sauvegarde défectueuse, d’incompatibilité des supports numériques en raison de leur évolution dans le temps, d’intrusion dans nos systèmes informatiques, de piratage, pour n’en citer que quelques-uns.
Il n’en demeure pas moins que, forte d’une expérience multiséculaire, la profession relève quotidiennement ce défi.
20595 – L’inertie de l’information. – La difficulté réside ailleurs : nous conservons les données mais elles sont, en quelque sorte, appréhendées comme étant à « usage unique », pour les besoins d’un dossier spécifique. C’est le suivi, l’évolution dans le temps de l’information qu’il nous faut appréhender pour répondre encore davantage aux attentes de nos clients.
20596 – Pistes de réflexion et axes d’amélioration. – À ce jour, notre activité, sous l’angle exclusivement du conseil, n’est pas très éloignée de celle du family officer.
Nous pourrions, pour autant, nous donner les objectifs de progrès suivants :

un suivi plus régulier de nos clients ;

un traitement de l’information plus dynamique ;

une approche proactive, sous réserve du strict respect des règles s’imposant à la profession en matière de sollicitation personnalisée.

20597 – De nouveaux réflexes à acquérir. – De nouvelles procédures pourraient aisément être mises en place dans nos offices dans l’idée d’accompagner plus durablement nos clients.
Nous pourrions, par exemple, proposer d’établir un bilan patrimonial annuel personnalisé. Cela permettrait d’instaurer un temps d’échange et ce serait pour nous, professionnels, l’occasion d’actualiser les données que nous détenons, de suggérer des actions patrimoniales et de placer la relation résolument sur le terrain de l’anticipation.
S’agissant du conseil patrimonial, cette activité relève pleinement de nos attributions. Le notaire veillera à soumettre à son client, préalablement à toute prestation, une lettre de mission ainsi qu’une convention d’honoraires.
20599 – Un rôle de chef d’orchestre. – Certes quelques cordes manquent à notre arc : conseils en produits financiers d’investissement, conseils en œuvres d’art et autres supports d’investissement atypiques, droit social…
Mais le family officer se présente, lui-même, sous les traits d’un chef d’orchestre, costume qui nous siérait tout autant.
Il nous appartiendrait de nous entourer, en tant que de besoin, de professionnels spécialisés et de restituer à nos clients une synthèse de leurs travaux, assortie d’une analyse et de conseils.
20600 – Des compétences et des outils à mobiliser davantage. – Le notariat dispose tout à la fois des compétences requises et des outils lui permettant de conserver les informations, de les analyser, de les confronter à d’éventuelles évolutions juridiques et fiscales, et d’en faire le support d’un audit dynamique en anticipant une date d’échéance, de renouvellement, de préavis par exemple. Nous pourrions alerter nos clients sur la nécessité d’indexer un loyer, sur la reconstitution d’un abattement fiscal, sur la prescription d’une action… il serait possible de donner des exemples à foison.
L’attente de nos clients est palpable dans une société dont le fonctionnement se complexifie et devient anxiogène pour certains d’entre eux. Nous nous devons d’être au rendez-vous.

733) J. Grisham, Le Contrat, Robert Laffont, 2008.
734) Cf. PE et Cons. UE, règl. (UE) no 2016/679, 27 avr. 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
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